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jeudi 24 février 2022

[LECTURES DE VACANCES] Cicatrices - Dali Misha Touré (2020)

C'est en écoutant un épisode du podcast La Poudre que j'ai entendu parler de l'écrivaine Dali Misha Touré ; lors de son entretien avec Lauren Bastide, elle a évoqué le roman Cicatrices, publié en 2020 chez Hors d'Atteinte, une maison d'édition indépendante et féministe. Agée de seulement 25 ans, l'artiste a déjà plusieurs textes à son actif.  

Cicatrices - Dali Misha Touré (2020) 

Quelque part dans une banlieue proche de Paris, derrière les murs d'une cité, une jeune fille de dix-sept ans vient de se lancer dans l'écriture. Pour sa première œuvre, elle choisit de nous raconter son parcours chaotique, depuis une enfance difficile au sein d'une famille nombreuse où elle a eu du bien du mal à se faire une place, jusqu'à son présent incertain et endeuillé, mais enfin apaisé. 

Dès ses premières années, la petite fille perçoit que le bien et le mal ne s'opposent pas, mais s'entremêlent un peu partout, y compris en nous-même. On peut être à la fois bon et cruel, joyeux et sombre. On peut tour à tour aimer, craindre et détester une même personne ; c'est précisément ce qu'elle ressent pour ses parents, ses frères et sœurs et ses trois belles-mères. C'est aussi ce qu'ils ressentent pour elle, vraisemblablement, du moins lorsqu'ils remarquent sa présence. 

En effet, l'héroïne nous explique qu'elle a grandi dans une famille polygame et nous raconte sans jugement et sans tabou à quoi ressemblait son quotidien lorsqu'elle était petite : les jeux, les coups, le manque d'intimité, l'affection ou le rejet récoltés en fonction de l'humeur, les affinités plus ou moins prononcées entre des individus qui n'avaient jamais qu'un homme pour dénominateur commun. 

Pour un lecteur qui n'a que des monogames dans son entourage, il est très intéressant de lire un texte qui parle d'une famille polygame librement et surtout sans le mépris qui va parfois avec. Attention, comme Dali Misha Touré le dit dans le podcast de Lauren Bastide, il est question ici d'une façon de vivre parmi tant d'autres. De même qu'il n'y a pas un schéma type de familles monogames, les familles polygames ne sont pas toutes identiques. Bref, ce n'est là qu'une facette du livre sur laquelle j'avais envie de revenir ; elle ne représente pas à elle-seule tout l'intérêt des Cicatrices. 

Attention, je vais spoiler un événement majeur 

qui se produit à la fin du livre. 

Arrêtez-vous là si vous voulez découvrir Cicatrices par vous-même.


L'omniprésence de toutes les formes de violence dans le quotidien marque autant que sa banalisation ; si la petite fille la perçoit et en fait les frais, elle apprend à vivre avec, déjà parce qu'elle voit bien que tout le monde en prend pour son grade, enfants comme adultes, et parce qu'elle a la certitude diffuse que ça pourrait être encore pire. 

"Surtout, j'entendais toujours la voix de ma mère. Elle aimait me crier dessus et m'insulter. Je ne disais rien, mais ça me faisait mal". 

Comme beaucoup de personnes _j'imagine..._ qui ont toujours vécu dans les coups et les brimades, l'héroïne (bordel ça saoule un peu qu'elle n'ait pas de nom quand même, je commence déjà à galérer pour la désigner) cherche des excuses à ses bourreaux et s'attache à voir le mon côté des choses : elle mange à sa faim, a un toit et des vêtements, va a l'école. De quoi se plaindrait-elle ? Le cercle vicieux des mauvais traitements l'amène même à sublimer en moments inoubliables, le recul des années et la nostalgie aidant, les quelques rares instants à peu près sympas partagés avec ses parents : une fête, une embrassade à l'hôpital, une conversation téléphonique où on dit du bien d'elle. 



Dali Misha Touré nous montre fort bien comment l'environnement participe à la construction d'une personne, comment elle peut, combinée avec d'autres facteurs, bien sûr, façonner une personnalité. Ce n'est pas pour rien que le livre s'intitule Cicatrices, faisant directement références aux marques physiques et surtout psychologiques que peuvent laisser nos semblables lorsqu'ils sont dépourvus de bon sens et/ou d'empathie. Parce qu'on ne la remarque pas toujours, la jeune fille va tenter de se distinguer en foutant le bordel au collège ; parce qu'on l'a empêchée de sortir de la maison jusqu'à son adolescence, elle désertera la maison dès qu'elle pourra le faire, et goûtera à tous les interdits. Parce qu'elle n'aura eu aucune "chambre à elle", au sens propre comme au figuré, dans toute sa jeunesse, elle s'attachera à lire et à écrire pour se créer un univers connu d'elle seule.  

Liberté !
Vu à proximité du port de Honfleur.

D'ailleurs, sa mère ne s'y trompe pas : elle voit rouge dès qu'elle la chope en train d'écrire, et pour cause : n'ayant pas bénéficié d'instruction et ne connaissant que peu le français, elle comprend qu'elle peut perdre le contrôle de cette enfant qui l'embarrasse mais qui ne doit en aucun cas lui faire honte. Elle va le perdre malgré tout, ce contrôle, puisque la jeune fille n'aura bientôt plus aucun scrupule à jouer sur les points faibles de ses parents pour servir ses propres intérêts : c'est de bonne guerre, après tout. Elle encaisse les coups, mais apprend petit à petit à les rendre, à sa manière. Jamais la narratrice ne se présentera comme une fille modèle. Jamais elle ne manifestera une quelconque culpabilité. 

Peut-être l'autrice choquera-t-elle une partie de son lectorat en peignant une héroïne qui verbalise le souvenir ambivalent qu'elle garde de son père après sa mort : celui, d'un homme classe et beau à sa manière, droit, respectable, mais au comportement exécrable, voire sadique, avec ses femmes et ses enfants. La faucheuse ne fait pas tout : un con mort reste un con.  

"J'étais très triste à l'idée que je ne reverrais plus jamais mon père, mais je repensais aussi à tout le mal qu'il m'avait fait. Je ne pouvais pas l'oublier, il était ancré en moi. Une profonde cicatrice que je n'oublierais jamais. 

Sa personne me manque, mais ses cris ne me manquent pas, ni la ceinture avec laquelle il nous frappait. J'aurais tellement voulu raconter à mes parents, plus tard, que j'avais eu un père merveilleux. [...] Tout le monde ne peut pas avoir des parents gentils."     

Le roman Cicatrices, ne contient aucune indication précise de lieux, aucune date, très peu de noms... sans doute parce que l'histoire de l'héroïne est universelle à bien des égards. Sachez juste que la narratrice, qui retrace ici sa vie à la première personne, est un personnage fictif, bien distinct de l'autrice Dali Misha Touré. Il me semble que c'est important de le signaler afin de pouvoir mesurer le talent de cette jeune écrivaine aulnaysienne, capable d'habiter son personnage principal au point de nous donner l'impression qu'on lit un récit autobiographique. 

Bien entendu, le décor et les protagonistes sont teintés de réel, de situations vues ou vécues : les dialogues mêlant soninké et français, l'allusion à Matilda, le roman de Roald Dahl souvent lu au collège, la "vie de la cité", les sorties à la Gare du Nord et à Châtelet. Mais en aucun cas elle ne raconte sa vie. C'est fascinant d'arriver à parler aussi clairement de situations traumatisantes, lorsqu'on ne les a pas vécues ; il doit falloir, en plus d'un don nature, une dose d'empathie considérable.  


Le podcast La Poudre (Spotify)
Merci à Sybella de m'avoir fait connaître cette émission!

Cicatrices est un livre aussi facile à lire qu'il est dur à encaisser ; peut-être y a-t-il des passages qui vous feront tiquer, tels que le traitement un peu rapide de la phase de "crise d'adolescence" que la narratrice semble regretter amèrement, alors qu'elle marque un détachement casse-gueule mais nécessaire avec une famille toxique, que seuls la mort du père et le vieillissement des belles-mères pourront assainir. Ou encore le portrait de Camille, la meilleure amie de l'héroïne, qui est un bon cliché de la petite babtou menant une vie de princesse dans son pavillon aseptisé, auprès de parents pleins aux as qui s'aiment comme au premier jour. Même si on sait que Dali Misha Touré ne fait qu'écrire ici la vision idéalisée et imparfaite que la petite fille a de sa copine, certains trouveront matière à dire que "non, c'est pas ça" !   

Vous le constaterez en le lisant, ce roman choc se termine sur une note d'espoir et de changement, incarnée par le personnage de la mère qui semble renaître à la mort du père. Peut-être pressent-elle que sa fille n'est plus un petit être braillard, mais le futur pilier de ses vieux jours ? Veut-elle vraiment racheter ses erreurs passées ? Chacun interprètera à sa guise. Toujours est-il qu'en devenant soudain attentive, encourageante, aimante... tout ce qu'elle n'avait jamais été jusque-là, sans doute parce qu'elle était trop tourmentée par la douleur de ses propres plaies, sa fille se sent pousser des ailes. Et ose enfin écrire. 

Cette découverte ne m'a pas laissée indifférente et le compte-rendu que j'en fais n'est sans doute pas neutre ; j'ai compris les propos tenus et le style d'écriture avec mes clés de lecture, et je l'ai lu avec les yeux de quelqu'un qui a eu la chance d'échapper aux déboires connus par l'héroïne. Lisez-le à l'occasion, vous y verrez sans doute des choses qui ont dû m'échapper ! Pour les Parisiens, il est à la médiathèque de la Canopée (enfin quand je l'aurai ramené, ahah). 

Public visé : jeunes adultes / adultes. Accessible dès la fin du collège ; ce n'est pas tant le niveau de lecture que la sensibilité de l'enfant qui déterminera l'âge adéquat. 

Si jamais quelque chose vous froisse dans ce billet, faites-le moi savoir en commentaire ! 

Dali Misha TOURÉ. Cicatrices. Hors d'atteinte, 2020. 132 p. ISBN 978-2-490579-04-4 

mardi 28 août 2018

Lectures de (fin de) vacances : Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) / Ça c'est mon Jean-Pion - David Snug (2018)


Soupir de regret, une fois de plus

Tu découvres un livre, tu trouves qu'il est vraiment bien écrit ; alors tu fais une recherche dans le catalogue du CDI pour voir si d'autres ouvrages du même auteur sont présents dans le fonds. Tu te rends compte que oui, deux documentaires _très prisés ! et quelques articles de revues pour enfants sont signés par ce gars. Alors tu cherches sa biographie et tu apprends qu'il est mort il y a deux ou trois ans à peine, fauché avant d'être vieux. 

Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) 

Je crois qu'on a parlé une seule fois de Victor Schoelcher en cours ; c'était dans le cadre du cours d'histoire-géo et d'éducation civique, plus précisément pendant la période des révisions. Nous avions lu un extrait d'un texte dont il était l'auteur et qui parlait d'abolition de l'esclavage, après quoi nous devions répondre à des questions de type brevet. Il faisait beau et chaud, on n'avait pas grand chose à battre de cet homme au nom imprononçable. Par contre, le Toussaint Louverture dont il louait l'importance et les qualités de révolutionnaire inspirait beaucoup nos esprits corrompus par des hormones en ébullition. 

"Ma queue, elle va trouver ton ouverture, ahah !"   

De toute façon, notre prof était passée assez rapidement sur Schoelcher, nous laissant entendre que ce particulier, certes, avait rendu libre un paquet de monde, mais qu'il était aussi un bon colonialiste des familles. Cela ne nous avait pas donné envie d'en savoir plus ; j'ai donc beaucoup appris du court roman historique écrit par Gérard Dhôtel.    



Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage" s'organise en six courts chapitres symbolisant les étapes marquantes d'un destin qui aurait pu se limiter à la vente de porcelaine. En effet, Victor est d'abord envoyé outre-Atlantique pour livrer des commandes passées à son père, un porcelainier de renom. A 24 ans, ce jeune homme bien né rêve de découvrir le vaste monde ; sa vie de futur vendeur va prendre une direction nouvelle lorsque, une fois arrivé à Cuba, il assiste à une vente d'esclaves qui va le traumatiser. Selon Gérard Dhôtel, la scène lui fait l'effet d'un électrochoc, et l'abolition de l'esclavage des Noirs devient son cheval de bataille. Lorsqu'il entre en France, il se lance dans l'écriture de textes démontrant que les hommes sont égaux et qu'en soumettre certains à d'autres en fonction de leur couleur de peau est complètement absurde. A partir des années 1840 paraîtront ses premières publications. Il entrera dans l'Histoire en faisant passer le décret d'abolition de l'esclavage en 1848. De fil en aiguille, Schoelcher intègre les sphères de la politique et du journalisme, se lie avec des hommes de lettres, puis utilise parallèlement son statut de bourgeois aisé pour poser les pieds dans un camp "ennemi" : celui des colons et des esclavagistes. Son objectif est de comprendre leurs arguments pour mieux les contrer.  


Comme c'est le cas dans beaucoup de livres de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Actes Sud Junior, Dhôtel a choisi de mettre en scène un personnage jeune et emporté auquel les jeunes lecteurs pourront s'identifier, quitte à broder quelques fioritures par dessus la réalité... On suit ce petit gosse de riche croyant dur comme fer à l'humanité dans son voyage initiatique où il va se faire baffer assez rapidement par des déconvenues : il va apprendre par l'observation que l'Homme est capable du meilleur comme du pire. Utilisant toujours le présent, l'auteur rend également accessibles les tumultes historiques du XIX°siècle, dont on parle un peu moins souvent que d'autres : la IIème République, puis la IIIème, avec entre temps le coup d'Etat de Napoléon III.   

Cette biographie romancée de Victor Schoelcher est suivie d'un dossier constitué d'une chronologie, d'un article intitulé "Eux aussi, ils ont dit non" qui évoque d'autres figures de la lutte pour l'abolition de l'esclavage ou qui ont travaillé sur ce sujet (Wilberforce, les Lumières, Harriet Beecher-Stowe, Maryse Condé, Aimé Césaire). Il se clôture sur un corpus d'illustrations en couleur utilisables en classe, à mon avis. Même s'il n'a pas vocation à soulever les zones d'ombres qui entourent quelqu'un qui a, malgré tout, œuvré à l'avancée des mentalités, lire ce roman écrit pour les jeunes (mais également instructif pour les adultes non historiens) ne fera de tort à personne. 

Emission 2000 ans d'Histoire consacrée à Victor Schoelcher - Diffusée en 2017 (à vérifier)
  
Dhôtel, Gérard. Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage". Actes Sud Junior, 2008. Coll. "Ceux qui ont dit non". 95 p. ISBN 978-2-7427-7761-7 


Allez, on passe à la suite ! 


David Snug - Ça c'est mon Jean-Pion (2018) 

Après avoir fait un petit tour du côté d'Instagram _ puisque apparemment les infos les plus croustillantes s'échangent via ce réseau-là, en ce moment _,après m'être abonnée au compte des éditions Même Pas Mal, je suis tombée sur la couverture de Ça c'est mon Jean-Pion, la nouvelle BD de David Snug :    



Là, je me suis dit : oh, mais cette bande dessinée pourrait faire un cadeau de rentrée bien marrant pour les collègues de la Vie Scolaire. Si la couverture me susurrait déjà à l'oreille que ce ne serait pas possible d'intégrer l'ouvrage en question au fonds BD en libre accès du CDI (suivez mon regard vers le couteau et les clopes notamment), rien ne m'empêchait de l'abandonner négligemment dans le bureau des surveillants. L'histoire d'un pion qui raconte son année scolaire devait sans doute être riche en anecdotes sur les mouflets, et ne pouvait que prendre la forme d'un parcours initiatique où un "nouveau" de l'EN se fait bien bordéliser par les gosses à la rentrée avant de se remettre en question, de toucher le fond, et de remonter à la surface en fin d'année, content d'avoir trouvé son rythme de croisière en matière de gestion des groupes.    

ou pas

Sauf que. David Snug sort tellement des sentiers battus que le résultat qu'il obtient en publiant Ça c'est mon Jean-Pion est encore plus surprenant qu'on pouvait s'y attendre. 

En prenant son poste de surveillant à mi-temps dans un collège de Seine-Saint-Denis, le héros _qui n'est autre qu'un fidèle avatar de l'auteur, voulait juste se faire un peu d'argent tout en ayant du temps libre pour dessiner et jouer de la musique. L'homme n'a rien d'un jeune blanc-bec hésitant et plein d'empathie pour l'adolescent boutonneux. Il se crée d'entrée le personnage (très drôle) de Jean-Pion, un tortionnaire au rire terrifiant désireux d'assouvir ses pulsions nazies ; aussi, comme il aura relativement la paix avec "le collégien, cet être inférieur", il aura la possibilité d'observer et de critiquer le système dans lequel il s'est infiltré bien malgré lui. Pas de chaises qui volent, pas d'insultes, par de tranches d'ananas dans ta djeule _c'est ce que les gosses me jetaient quand je surveillais la cantine, au Mirail. Pas de longues tirades sur le dur métier d'éducateur _"mais que font les parents ??". Vous êtes déçus ?

Non, vraiment, vous ne devriez pas : ici, tout le monde en prend pour son grade. Il est fort probable que vous ne lisiez jamais ailleurs ce que vous verrez dans cette BD... qui est un des rares ouvrages traitant du milieu scolaire qui évoque les AGENTS D'ENTRETIEN ! Déjà merci, rien que pour ces vignettes-là. La mixité sociale ? L'artiste la passe au mixeur, toujours en s'appuyant sur son expérience professionnelle tellement enrichissante. 

Du coup, il devient délicat de présenter Jean-Pion à mes copains de salle des profs et de vie sco car, comme chacun sait, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ; et je pense que certains passages _sur la typologie des profs, des surveillants, sur les rapports qu'ils entretiennent... passerait fort mal. Quand il s'agit de se foutre des élèves et des parents, on est tous d'accord ; mais quand on touche à la corporation, les gens sont bizarrement plus chatouilleux. 

D'ailleurs, au sujet de la seule allusion faite au CDI dans la bande dessinée, force est de constater qu'elle m'a rappelé quelques vieux souvenirs.



Bref, pas la peine de raconter les 70 planches (ou un peu plus, un peu moins). Je ne pourrai que conseiller aux gens qui ont de l'humour ce tout dernier ouvrage de David Snug sorti au mois d'août. Original par son angle d'attaque, il frappe fort et juste dans les failles du système, et notamment celles qui font que, quand on est assistant d'éducation, on ne voit pas toujours l'intérêt de se donner à fond dans ce boulot ingrat ; malheureusement, lorsque tu te retrouves surveillant _parfois aux abois, parfois avec une famille sur les talons, tu n'as pas forcément envie de te reprendre cette réalité dans la figure et tu te protèges comme tu peux.. Ajoutons à cela, et c'est important, que David Snug évite de tomber dans l'écueil "Vis ma vie dans 9-3" : "Wesh wesh, moi je travaille avec des petits blacks, des petits arabes, les parents sont démissionnaires, ils fument du shit en bas des immeubles, c'est pas facile croyez-moi". 

Pour finir, Jean-Pion est ni plus ni moins un roux cool des aisselles qui se trimbale avec des croix gammées "izi" dans une cour de récré clôturée de barbelés, ou dans d'autres décors aux teintes rouges délavées et blanches. Les couleurs du nazi soft ? Ici, c'est pas Entre les murs, sachez-le. Rien que pour le phénomène, jetez-y un oeil !  

   

Du coup, j'ai acheté cette BD ; précisons une dernière fois qu'elle se lit avec des lunettes 3ème Degré. Désolée de participer au sucrage du RSA. 

David Snug. Ça c'est mon Jean-Pion. Editions Même Pas Mal, 2018. ISBN 9782918645450 - 15€


mardi 14 août 2018

MANGA - Sunny Vol. 2 - Taiyou Matsumoto (2015)


Sunny, volume 2 sur 6 ! 

Retournons au Japon de la fin des années 70, plus exactement au foyer des Enfants des Étoiles après un premier tome qui avait fort bien planté le décor. Pour rappel, Sunny raconte le quotidien d'une dizaine d'enfants séparés de leurs parents pour diverses raisons et placés temporairement dans ce centre d'accueil. Sous la responsabilité d'une équipe d'éducateurs qui mettent tout en oeuvre pour qu'ils cohabitent sans s'étriper, ils gèrent comme ils peuvent l'éloignement et les problèmes familiaux. Chacun fait avec ses armes : Sei _le binoclard en couverture_ s'isole, le petit Jun fait autant de tapage que son corps minuscule le permet, Kiiko la joufflue ruse pour attirer l'attention sur elle, Haruo provoque les adultes. Leur dénominateur commun est une vieille voiture Nissan Sunny hors d'usage plantée dans la cour du foyer ; ils la squattent à tour de rôle pour rêver à une vie meilleure. 

Vous trouverez un billet consacré au volume 1 ici.    



Où est-ce qu'on en était ? 

Comme on pouvait s'en douter, ce deuxième volet nous laisse entrevoir la complexité d'une bande de jeunes plus ou moins paumés ; contrairement à ce que la couverture peut laisser penser, Sei n'a plus la place de personnage central qu'il occupait dans le premier tome, en tant que nouvel arrivant. C'est plutôt Haruo, le garçon aux cheveux blancs, qui bouffe les vignettes par ses coups de sang et son insolence à l'égard de son entourage. 

Kiiko ne supporte plus Megumu : cette dernière lui semble trop gentille, trop calme, trop désireuse de devenir amie avec les filles "des maisons" pour être honnête. Qu'est-ce qu'elles ont de plus qu'elles, ces filles-là, hormis une famille aimante ? Pour attirer l'attention sur elle, Kiiko invente de toutes pièces une histoire de kidnapping dont elle aurait été victime. 



Un nouveau s'installe "pour quelques jours" : Tôru, six ans, les yeux larmoyants, espère que sa mère viendra vite le récupérer...  Il faut d'abord qu'elle résolve quelques problèmes. Malgré son jeune âge, Haruo ne se gêne pas pour le secouer en lui disant qu'elle aura très certainement oublié son existence d'ici là. Sei est plein d'empathie pour ce colocataire hypersensible et le prend aussitôt sous son aile. Haruo guette leur amitié naissante sur coin de l'oeil, mi moqueur mi jaloux. 




A l'occasion de la journée d'accueil des parents à l'école primaire, Adachi a dispatché l'équipe d'éducateurs dans différentes classes pour que tous les enfants du foyer scolarisés ici aient un "représentant" à leurs côtés, à défaut d'un membre de leur famille. Pour compléter l'effectif, il a fait appel à Makio, un ancien pensionnaire des Enfants des Étoiles qui s'en est visiblement bien sorti. Beau, cool, heureux propriétaire d'une voiture, il a la cote auprès des gosses ; Haruo lui-même est son fan numéro 1. 
       

Bien que ses bons résultats au collège fassent de lui un élève prometteur, Kenji ne veut toujours pas aller au lycée. Par contre, son envie de quitter le foyer définitivement est toute nouvelle ; sans doute cette idée lui est-elle venue au contact de ses nouveaux amis : Haruna, une adolescente perdue dans sa vie et en proie à de violentes crises de colère, Seki un jeune homme plus âgé qu'eux, et quelques autres pelés pas très raisonnables.  


Le dernier chapitre du manga est consacré au séjour de l'insupportable Haruro chez sa mère, une bien étrange bonne femme...  

Un boulot ingrat        

Sunny 2 est un poil plus sombre que le volume d'ouverture, où gravité et bonne humeur étaient parfaitement équilibrées. En même temps, Matsumoto avait pour objectif de composer un manga réaliste ; il ne pouvait donc pas éluder les problématiques propres aux enfants placés, telles que le sentiment d'abandon, la stigmatisation _à l'école, on distingue bien les "enfants du foyer", qui passent le portail en meute matin et soir, des "autres", la marginalisation qui en découle _effective mais parfois exagérée par les gosses concernés, la difficulté de vivre avec des frères et sœurs qui n'en sont pas et qu'on ne connaît pas bien... Le tout à la fin des années 70, comme le laissent entendre quelques indices culturels disséminés ça et là _une mention à un groupe de musique, un combat de catch regardé à la télé par les enfants... : par conséquent, l'ouverture d'esprit n'est pas forcément au rendez-vous, et on croise toujours un con pour te rappeler que tu ne vis pas avec ceux qui t'ont fait. 

Sauf erreur de ma part, voici la chanson dont il est question. 
Southpaw - Pink Lady


Heureusement, l'équipe d'éducateurs est là pour amortir les chocs ; peut-être que je me répète par rapport au billet précédent, mais ce manga a l'avantage de mettre en avant le boulot de ces adultes qui accompagnent des petits de tous âges H24. On est loin des orphelinats à la Dickens, gérés par des bonnes sœurs tortionnaires et/ou pédophiles. Ici, Adachi, Miztsuko et les autres sont des gens responsables, respectables, de vrais repères. Mais, comme toutes les bonnes poires cachées sous un masque d'autorité, ils peuvent devenir des cibles idéales pour des enfants en pleine découverte de leur capacité à provoquer et à blesser. Le chapitre 9 _celui sur la journée portes ouvertes à l'école primaire_ est particulièrement parlant. Adachi s'est cassé le cul à faire un planning, à organiser des visites pour chaque niveau, à conduire tout le petit monde sur place, pour finalement se faire afficher par un Haruo plus teigne que jamais : sachant qu'il n'est pas sous son autorité à ce moment-là, puisqu'il est en classe, le mioche aux cheveux blancs se permet de l'interpeller au milieu du cours pour lui demander de se casser. 

"Adachi, qu'est-ce que tu fais là ?"
"T'es pas le bienvenu ici !"
"Ouais va-t-en Adachi !" 
"On n'a pas besoin de toi." 

Plus tard, les gosses joueront à pierre - feuille - ciseaux pour éviter de rentrer avec lui au foyer, préférant la compagnie du beau Makio. Bref, aucun respect. Bon, le type est expérimenté et ne se laisse pas atteindre par la cruauté de ces enfants en souffrance ; il opte pour l'ignorance et la dérision. Si j'insiste lourdement sur ce passage du manga, c'est parce qu'il peint une facette du métier d'éducateur qu'on passe souvent sous silence : tu te dois de te donner à fond, et si tu le fais correctement, tes petits protégés n'en seront pas dupes. Mais ne t'attends pas à des remerciements ou à un retour de leur part. Il est même fort probable qu'ils te crachent à la gueule en retour. Ainsi va la vie. Protège-toi, fie-toi à ta bonne conscience et n'attends surtout pas que tes efforts soient reconnus pour les poursuivre, sinon t'es bon pour changer de branche.  

Antonio Inoki, l'une des stars des Enfants des Étoiles.


Parents transparents 

Même tarif, je suppose, pour le métier de parent. Alors là, dans le rayon des darons qui ne remplissent pas le contrat, Sunny a tout ce qu'il vous faut. Précédemment, nous avions fait connaissance avec le père alcoolique ET crasseux _l'un n'implique par forcément l'autre_ de Kenji, aujourd'hui nous avons affaire à la maman ultra distante de Haruo. Il semblerait que cette executive woman pas spécialement dans le besoin ait daigné accordé trois jours de sa vie à son fils, avec qui elle n'échangera rien d'autre que des banalités. Alors que celui-ci manifeste son besoin de vivre avec elle, la femme zappe la question et finit par lui demander de ne plus l'appeler "maman" et d'utiliser son prénom à la place. Ambiance. Sur le chemin du retour _qu'il effectue seul, Haruo n'aura plus qu'à faire le caïd. Après tout, sur qui peut-il s'appuyer si ce n'est sur ce personnage ?  

J'ai assez spoilé comme ça, inutile d'en faire des tonnes ; les Sunny font partie de ces BD qu'on se garde de côté pour les vacances, ou en guise de récompense pour avoir enfin réglé ce truc chiant qu'on laissait traîner depuis des mois. Sensible au contenu, j'ai peu prêté attention au trait de Matsumoto et à la forme du manga de manière générale pour cette fois-ci. Inutile de le faire maintenant, je ne dirais que des platitudes et / ou des conneries. Une prochaine fois ! 


MATSUMOTO, Taiyou. Sunny Vol. 2. Kana, 2015. Coll. "Big Kana". 214 p. ISBN 978-2-5050-6281-3


mercredi 24 août 2016

Soyons sérieux : Les films interdits du IIIe Reich - Felix Moeller (2013)


Soyons sérieux ! 
Parce que ça faisait longtemps...
Voici une fiche de travail suite au visionnage du documentaire de Felix Moeller : Les films interdits du III° Reich (2013). Une pure paraphrase, n'en attendez rien.



Dans les enfers des Archives du Cinéma allemand, situées près de Berlin, sont conservés les films de propagande nazie sortis sous le IIIe Reich. Trois cent d'entre eux sont actuellement interdits à la diffusion car ils délivrent des messages racistes, antisémites, glorifiant le nazisme, la haine et la guerre. Paradoxalement, il reste facile de les récupérer sur Internet, "en contactant des revendeurs d'extrême droite", nous explique une intervenante, ou en suivant des chaînes Youtube de néo-nazis...

Il faut savoir qu'à l'époque, le cinéma était un instrument de pouvoir à part entière pour Goebbels, ministre de la propagande et parfaitement conscient que le septième art pouvait retourner le cerveau des gens. Au plus fort de la guerre, le peuple allemand était un gros consommateur de films et ne passait pas entre les mailles "l'industrie du divertissement nazi". Absurdes mais divertissants _pour des spectateurs démoralisés, les "films de la nation" faisaient pleinement partie de la stratégie de communication du Reich ; Goebbels n'hésitait pas à commander des films à gros budget et à se montrer généreux envers les stars du moment.. Entre autres, Emil Jannings et Heinrich George. Le premier avait choisi de travailler pour le III° Reich, non par conviction, mais parce qu'il gagnait plus qu'à Hollywood et pouvait choisir ses rôles. Le second est toujours une énigme, puisqu'il s'agit d'un acteur défavorable aux idées du Reich qui a changé de camp. 

Le documentaire Les films interdits du III° Reich interroge la nécessité d'une interdiction ou non de ces oeuvres, de nos jours. Si les difficultés d'accès au nom de la protection de l'enfance sont légitimes, elles posent aussi un problème : elles empêchent les jeunes de connaître une partie de l'Histoire qui a bel et bien existé. Alors, on se demande à présent ce qu'il faut faire de toutes ces bobines : sont-elles encore dangereuses ? comment serait perçue leur remise en circulation ? doit-on les oublier ? Certainement pas.

Bientôt la rentrée = TOUS SUR ARTE ! 


Felix Moeller choisit une poignée de films d'époque pour nous permettre de nous faire une opinion : Heimkehr, Le Juif Süss, Suis-je un assassin ? Pour chaque exemple, il nous montre un extrait de l'oeuvre, puis une scène de projection en public, avant de nous faire partager les réactions des spectateurs à l'issue de cette projection.  

Heimkehr : l'action se déroule en Pologne, ou vie une minorité d'Allemands violemment persécutés et torturés par les Polonais. Le procédé est adroit : en adoptant ce point de vue, les Allemands sont victimisés et l'invasion de la Pologne se justifie au motif de la légitime défense. C'est tout simplement l'inverse de la réalité, mais les spectateurs adultes considèrent qu'une jeune qui n'a aucune culture historique et aucun recul pourrait très bien se laisser prendre au piège.

Le Juif Süss fait partie de la quarantaine de films diffusés sous conditions, c'est à dire qu'ils sont ils sont forcément précédés d'une présentation et suivis d'un débat. Il y est question de Süss, un homme ambitieux, malhonnête et amateur de femmes.

Suis-je un assassin ? suscite aujourd'hui encore des réactions contrastées : s'il s'inscrit officiellement dans la longue liste des films de propagande nazie, et veut justifier une élimination massive des personnes handicapées, il adopte un point de vue bien particulier. Une femme apprend qu'elle est très malade et supplie son mari de la tuer avant qu'elle dépérisse ; celui-ci s'exécute. Aujourd'hui, ce long métrage pourrait être compris comme un film en faveur de l'euthanasie. Le réalisateur (Liebeneiner) avait alors pour mission de susciter le débat dans les chaumières à défaut de pouvoir le faire en public _morale chrétienne oblige.


Les réactions des spectateurs _adultes ou scolaires_ se recoupent : 

- Sans connaissances préalables, ces films présentent toujours un danger, surtout pour des adolescents paumés. Ce n'est pas pour rien qu'il existait des films de propagande spécifiquement conçus pour la jeunesse sous le III° Reich. Ils fonctionnaient d'ailleurs très bien sur certains d'entre eux ; aujourd'hui encore, ils pourraient faire basculer du mauvais côté des enfants sensibles aux idées d'extrême droite. 

- Beaucoup sont convaincus que les mécanismes de propagande pourraient fonctionner sur le grand public.
- Les lycéens s'effraient qu'il soit aussi facile d'entrer dans ces films ; les ficelles de la manipulation sont très efficaces, surtout lorsqu'elles font appel à nos sentiments.
  
- Les stéréotypes existent partout, sous différentes formes, même si les Juifs, les Anglais et les handicapés ne sont plus les principales cibles... Cela ne veut pas dire qu'on est hors d'atteinte.

SECOND DEGRÉ !!! - SECOND DEGRÉ !!! - SECOND DEGRÉ !!!

- Il est important de découvrir ces films, mais de manière encadrée. Selon les lycéens parisiens que l'ont peut voir dans le documentaire, une diffusion télévisée et sans explication préalable du Juif Süss pourrait faire des dégâts ! 



En conclusion, à la question "Que faire de tous ces films cachés qui constituent pourtant un pan de l'Histoire ?" la réponse demeure :"On ne sait pas trop", mais historiens et professionnels du cinéma s'accordent à dire qu'une totale ignorance de leur existence est quasiment aussi dangereuse qu'une diffusion large et incontrôlée. La meilleure alternative reste la diffusion encadrée... et l'éducation. 



FELIX MOELLER - Les films interdits du III° Reich. Allemagne, 2013. 
Documentaire, 52 min. 
Lien Dailymotion
Lien Arte + 7  




mardi 21 octobre 2014

La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques - Collectif (2014)


Heureusement que l'opération Masse Critique de Babelio a recommencé ! Elle m'oblige à tenir à jour ce blog que j'ai un peu négligé ces dernières semaines, faute de temps. Cette fois-ci, j'ai "gagné" un ouvrage atypique au titre évocateur : La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques.

Un livre sur la neutralité, c'est un cadeau qui tombe à pic pour une fille qui peine tous les jours à rester impartiale au boulot, avec ses élèves ou avec ses collègues. Ben oui, j'ai mes têtes... Mais je me soigne ! Et je mets quiconque au défi de me prouver que ça se voit !




Qu'est-ce que ce petit livre épais d'une centaine de pages, à la couverture orangée et à la tranche colorée en fonction des chapitres ? Un livret parascolaire pour préparer le bac de philo ? un essai ? une méthode de développement personnel ?

Rien de tout cela. Composé par un collectif de médiateurs professionnels, La Neutralité est la trace écrite d'une journée d'étude réunissant des spécialistes de l'entente à l'amiable, et une poignée d'autres personnes touchées par la question de la neutralité dans l'exercices de leurs fonctions (une psychiatre, un théologien, un ingénieur, un philosophe).

En effet, on ne se rend pas toujours compte, mais être "médiateur" est un métier à part entière : il intervient à tous les étages de la société, et on a recours à lui pour faciliter la résolution des problèmes d'ordre professionnel, public ou encore privé. Souvent relié aux instances judiciaires, parfois sollicité par le magistrat lui-même, il représente la dernière chance d'arrangement à l'amiable entre deux personnes ou deux groupes entretenant des rapports conflictuels. Quand la médiation échoue, les "choses sérieuses" commencent, si l'on peut dire...

C'est pas gagné ! 
 

Un peu à l'image d'un recueil d'actes de colloque, ce numéro annuel des "Cahiers du Montalieu" édité par Médias & Médiations s'organise en quatre parties : 


  • Dans une première partie introduisant le débat et dessinant ses contours, on nous propose le compte rendu de la discussion _plus ou moins orientée des médiateurs venus de tous horizons : qu'est-ce que la neutralité ? faut-il nécessairement être neutre lorsqu'on est médiateur ? Pourquoi ? On retiendra la définition de la neutralité en médiation sur laquelle s'appuieront tous ceux qui prendront la paroles lors de cette journée de travail collaboratif : 


" La neutralité est une attitude du médiateur qui permet de garantir l'impartialité du processus. Elle suppose d'être au clair avec sa situation intérieure (valeurs, vécu et sentiments) et extérieure (dépendance ou conflits d'intérêts) afin de ne pas avoir de projet sur l'issue de la médiation, de pouvoir la mener de manière impartiale."


  • Ensuite, s'enchaînent, plus formalisées, les contributions des cinq invités. Ici, une psychiatre nous apprend à quel point il est difficile d'être à la fois objectif et bienveillant face à son patient ; un frère dominicain élève la neutralité au rang de vertu "kénotique", c'est à dire l'art de faire abstraction de soi pour faire corps avec les autres et les amener à résoudre leurs problèmes. Là, un philosophe nous présente le "désir de neutralité" comme émancipation d'une opposition binaire, allant aux antipodes de la neutralité vue comme une incapacité à prendre parti. Puis, à l'aide des grandes lois de la physique (!), un ingénieur-formateur en médiation, compare la neutralité à une énergie de résolution de problème que le médiateur doit savoir activer, désactiver, canaliser en fonction des parties opposées ! Enfin, une médiatrice familiale officiant en centre pénitentiaire insiste sur la difficulté d'être neutre dans un lieu où le jugement est de mise ; la voie vers la prise de confiance du détenu et sa future réinsertion passe par la parole et l'effacement des idées reçues. On appréciera la variété des domaines du savoir interrogés sur la question.   


  • Puis nous entrons dans la pratique de ce métier épineux, à travers quelques cas problématiques où la neutralité du médiateur est mise à mal : que faire pour rester impartial quand l'un des deux opposants à réconcilier ne vous revient pas ? Quand vous percevez une fragilité chez l'un et que ce ressenti vous pousse à prendre sa défense ? Comment s'y prendre pour "préparer le terrain" avant une phase de médiation ? Comment l'entamer ? Comment voir son évolution, ou sa stagnation ? Comment la finaliser au mieux, en débit d'un contexte houleux ?       
  • Enfin, le collectif a annexé sous la forme d'un dernier chapitre quelques extraits des grands textes de référence des médiateurs européens : entre autres, la directive du Parlement Européen datant du 28 mai 2008, le code de conduite européen des médiateurs, le code national de déontologie, le rapport Magendie (2008). 

Bah ça va, les médiateurs ! Elles ont l'air cool, les Rencontres du Montalieu !

J'ai refermé ce livre après quelques heures de lecture _ouais, je suis encore bien loin du rythme de Shaya :-)

Certes, je ne sais toujours pas pourquoi j'ai envie d'être désagréable avec tel ou telle élève qui vient d'entrer au CDI et qui ne m'a encore rien fait, ni pourquoi j'ai le poil qui se hérisse d'agacement dès que tel ou telle collègue prend la parole. Pourquoi je me défonce avec plaisir pour certains et pourquoi je me pousse au cul pour être simplement professionnelle avec d'autres. Je ne sais toujours pas comment m'y prendre pour aller au-delà de cette subjectivité salement humaine et atteindre la sainte et propre neutralité. En même temps, si le titre m'avait laissé espérer trouver des réponses à mes questionnements, j'ai vite vu que le but de l'ouvrage n'était pas là : La neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques s'adresse en premier lieu aux professionnels de la médiation.

Cela dit, son écriture est accessible à tous et son contenu enrichissant. Bien sûr, la première partie ressemble plus à une prise de notes un peu bordélique qu'à une présentation organisée du sujet. Mais quoi de plus difficile que la restitution d'une conversation qu'on devine "à bâtons rompus" ? Les interventions des invités sont tout à fait intéressantes, et même franchement convaincantes. La troisième partie, faisant état de situations vécues par les médiateurs réunis au Montalieu, permettra sans doute aux conciliateurs de tout poil de partir mieux armés dans la bataille ; on peut y piocher deux ou trois conseils pour survivre à un crêpage de chignon en salle des profs ou en réunion de travail. Nul n'est à l'abri de se retrouver un jour pris entre deux feux et de devoir coiffer la casquette du médiateur pour retarder éviter le carnage. Par contre, se réapproprier ces expériences pour s'aider dans la gestion de conflits élève / élève ou prof / élève me paraît peu judicieux : les attitudes prescrites incluent des prouesses de diplomatie, des ronds de jambes et des tours de passe-passe dont on doit absolument éloigner les enfants, au profit de la clarté.  


Par contre, on en apprend beaucoup sur les médiateurs, sur leur difficile métier situé à mi-chemin entre les échecs, la psychologie, le déminage, et sur leur capacité à faire abstraction de leur humanité pour l'exercer correctement. Oh bordel !! Qu'est-ce que j'aimerais pas faire ça !!


Le livre est décoré d'illustrations humoristiques dessinées par un certain Chapu, médiateur à la retraite.


LE MÉDIATEUR (Collectif). La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques.  François Baudez - Médias & Médiations, 2014. 111 p. ISBN : 978-10-91871-05-1

Cimer  Merci à Babelio et à Yvelinédition / François Baudez Editions pour l'envoi de ces Cahiers du Montalieu. 

 

dimanche 14 septembre 2014

Plaquette de présentation du CDI pour les 6°


   Document de présentation du CDI à destination des 6°, remis à l'issue de la visite du CDI. 



N'hésitez pas à laisser vos remarques en commentaire, je prends tout !  

Principale source d'inspiration : le guide usager de la Bibliothèque François Villon (Paris).   


vendredi 8 août 2014

Quand la jolie cliente ne revient pas : Hermux Tantamoq Tome 1 : "Le temps ne s'arrête pas pour les souris" - Michael Hoeye (2002)

Avant de partir en vacances, je me suis mis de côté quelques romans pour enfants disponibles au CDI : comme chacun sait, lire des histoires farfelues écrites en gros caractères rend les voyages en train moins fastidieux. Et l'air de rien, la SNCF nous permet parfois de faire des découvertes sympathiques :

Hermux Tantamoq tome 1 "Le temps ne s'arrête pas pour les souris"
Michael Hoeye.
L'histoire 

Bienvenue dans un monde parallèle, celui des souris ! Hermux Tantamoq est horloger dans la petite ville de Pinchester. Aimé de tous et pourtant solitaire, il vit dans un appartement modeste mais confortable en compagnie de Terfèle, sa coccinelle apprivoisée. Son travail le passionne et le déroulement de ses journées est  _on s'en doute, réglé comme une montre : réveil, boulot, petit-déjeuner à 10h avec beignets au café de Lanayda, boulot, retour à la maison, prise de bec avec une voisine chiante particulière, goûter de copeaux de fromage en lisant Couine Hebdo et repos jusqu'au lendemain. Il aurait pu en être ainsi pendant des années, jusqu'à ce qu'un grain de sable vienne se loger dans le mécanisme bien huilé.

Ce grain de sable s'appelle Linka Perflinker : c'est une souris aviatrice. Elle se présente à la boutique d'Hermux pour faire réparer une montre abîmée, et même si son passage est très rapide, elle reste assez longtemps pour taper dans l’œil de l'horloger. Ce dernier se défonce pour redonner vie et éclat à l'objet passablement esquinté, afin qu'il soit fonctionnel pour le lendemain à midi ; mais quand arrive l'heure convenue pas de Mlle Perflinker à l'horizon. Ni l'après-midi. Ni les jours suivants. Tantamoq est à la fois surpris et dépité : il n'aurait jamais cru qu'une telle souris lui poserait un lapin.

A quelques temps de là, un grand rat aussi gracieux qu'un unicellulaire marin et pas plus agréable qu'un bordelais un jour de pluie déboule dans le magasin. Il demande à Hermux de bien vouloir lui remettre la fameuse montre, ce qu'il refuse. Contraint de vider les lieux, le rat s'en va bredouille tout en proférant des menaces ; intrigué, l'horloger ferme le magasin et le suit discrètement : il est impossible qu'une souris aussi classe que Linka Perflinker soit copine avec une grognasse pareille ! Où va-t-il l'emmener ? Quelles drôles de découvertes va-t-il faire ? Difficile d'en dire plus sans dévoiler toute l'histoire, mais sachez seulement qu'il a bien raison de s'inquiéter !

A partir de ce moment-là, la souris tranquille se mue bien malgré elle en détective privé. Car vous l'aurez compris, Hermux n'est pas Mickey Mouse ! Mener l'enquête les quatre pattes dans le sang a de quoi mettre sens dessus-dessous son petit bidon rempli de copeaux de fromage ! Pourtant, stimulé par son coup de coeur _et par la curiosité, il va tenter de se frayer un chemin vers la vérité : s'il parvient à libérer Linka, elle sera à coup sûr impressionnée, et qui sait, il pourra peut-être se la faire trouver en elle une nouvelle amie !



Chez les souris 

Comme le dit si bien Michael Hoeye, "le temps ne s'arrête pas pour les souris". On notera au passage qu'il ne s'arrête pas non plus pour les autres. En lisant le premier tome des aventures d'Hermux Tantamoq, chacun appréciera les spécificités de ce fantastique monde de rongeurs finement construit par le romancier :

  • Les gens ont des noms bizarres chez les souris ! 

L'auteur s'est bien éclaté : "Hermux Tantamoq", "Linka Perflinker", "Pup Schounagliffen", "Tucka Mertslinn"... Seul "Hiril Mennus", LE méchant, a un nom facilement prononçable !



  • Pas de fachos chez les souris ! 

En parcourant les premières pages, je me suis crue dans Souris souris, ce dessin animé quelque peu soporifique qui passait sur France 3 tous les matins, dans les années 1990. A travers de courts épisodes, on suivait les tribulations de deux gentilles souris chargées de récolter les dents de lait des petits humains au péril de leur vie. Et ce, dans le seul but de satisfaire les caprices architecturaux d'une vieille reine tyrannique ! C'était doux, c'était mignon, c'était une autre vision de l'esclavage. Mais si, vous connaissez, c'est obligé !


Du coup, j'ai été rassurée de voir que cette société comptait également d'autres bestioles sympathiques telles que les rats, les taupes et les écureuils de terre. Les coccinelles sont au demeurant réduites à l'état d'animaux domestiques et les serpents, des bêtes féroces à éviter. Tout ce petit monde cohabite plutôt bien, même si Michael Hoeye profite astucieusement de la situation pour faire passer un message de lutte contre le racisme. J'ai noté trois ou quatre situations de quiproquo dans lesquels Hermux essaie de ménager les susceptibilités après avoir commis une boulette.

Conversation téléphonique entre Hermux et un policier
" _ Mais je suis persuadé qu'elle est dans un fichu pétrin. Elle est partie avec trois rats très sournois.
_ Surveillez vos paroles, monsieur Tantamoq. Je suis un rat moi-même, et fier de l'être. Pas d'insultes, je vous prie. 
_ Je ne disais pas cela parce que ce sont des rats. Mais ce n'étaient pas des rats très gentils."

Il me semble que cette manière d'aborder la question des idées reçues des uns et des autres est bien trouvée.


  • Chez les souris, les poulets ne sont pas très efficaces ! 


L'extrait sus-cité m'amène à un constat : il semblerait que Hoeye ait un souci avec la police : les flics de Pinchester sont tout bonnement des rongeurs qui ne veulent se mêler de rien tant que le sang n'est pas venu éclabousser leurs godasses, et qui prennent la mouche facilement. Mais bon, ce sont juste ceux de Pinchester, hein, on est d'accord !!





  • Il y a de beaux fdp traîtres chez les souris !


Pour les souris comme pour le reste de l'Univers, il vaut mieux avoir affaire à un vrai méchant qu'à un faux gentil : lisez bien le livre jusqu'au bout ! Bien sûr, Hermux Tantamoq : le temps ne s'arrête pas pour les souris met en scène des méchants aux défauts bien typés, tels que Turka, la souris insipide de condescendance qui refuse le vieillissement, ou Mennus, le savant fou. Les gentils sont aussi bien braves à tous les niveaux. Malgré tout, le traître est bien là, assis dans l'ombre (hihi, pardon, vraiment). On croit avoir cerné tout le monde ? Eh bien non !

Hermux Tantamoq est un joli roman bien écrit, comme on les aime. Nous. Les adultes. Avant de le lire, je me demandais pourquoi cet exemplaire était aussi rarement sorti du collège (trois fois, pour être précis). Il est épais, certes, pas mais énorme non plus. Quant à la couverture, rien à dire : elle donne envie, y compris aux mecs _ qui ont tendance à croire que les romans, c'est pour les filles. Pourtant, ça ne fonctionne pas.

Pour l'instant, je formulerais deux hypothèses :

_ Les élèves de mon bahut ne sont demandeurs ni d'heroic fantasy, ni de magie, ni d'animaux qui parlent. Ils veulent du réel, du gore qui fait peur, de la baston, du shit, et si possible, du vrai sang sur les pages. Le must étant encore le shit entre les pages _ c'est peut-être la seule condition pour qu'ils adhèrent à une histoire de souris qui parlent. Bref, ce sont des adolescents.
=> Ils sont trop grands pour Hermux.

_ Hermux n'est pas le héros dont on rêve : réparateur de montres, bedonnant, pas vraiment hardi... S'il avance dans ses aventures, c'est au prix de nombreuses boulettes de débutant. Il est évident que Hoeye nous invite à aller au-delà des apparences physiques. Chaque situation vécue par le héros est une réflexion sur les possibilités d'évolution d'une personne, un travail sur les représentations. C'est trop pour eux, ils n'ont pas encore le recul nécessaire pour se dégager de la vision basique et modèle du super-héros, musclé, rapide, très mal fringué, efficace partout. Quoi de plus logique ? pour se construire, il faut bien qu'ils posent leurs fondations sur quelque chose simple. Ensuite viendra le temps de démolir pour reconstruire par-dessus, et c'est là qu'on pourra les aider. Y compris à travers des livres tels que celui-ci. Mais une démarche de médiation sera indispensable, car ils n'iront pas d'eux-même. 
=> Ils sont encore trop petits pour Hermux _oui, même en 3°. 

Tout cela n'engage que moi, bien sûr, même si je n'invente rien !

HOEYE, Michael. Hermux Tantamoq (tome 1) "Le temps ne s'arrête pas pour les souris". Traduit de l'anglais par Mona de Pracontal. Paris : Albin Michel, 2002. 319 p. ISBN : 2-226-12-972-3


dimanche 1 septembre 2013

A la bibliothèque d'Aulnay-sous-Bois, donc ! Oui, parce que j'ai réussi à y aller, finalement ! Un mur sur une poule - Gilles Baum / Thierry Dedieu (2013) et Maboul à zéro - Jean-Paul Nozière (2003)



Notre couple du troisième âge ayant disparu dans un bar, j'ai pu tester cette fameuse bibliothèque Dumont toute proche de la gare RER. Il faut croire que ce ou cette Dumont n'avait pas de prénom puisque même le portail du réseau des bibliothèques d'Aulnay ne le mentionne pas. Quelques recherches seront à prévoir à ce sujet.


Remise en contexte

La petite bibliothèque est très bien équipée : au rez-de-chaussée, vous avez un large choix de documentaires sur tous supports pour enfants, pour adultes, et pas mal de DVD d'animation. Une salle est réservée aux romans pour la jeunesse et aux albums. L'étage est dédié à la littérature généraliste, pourvue d'un "coin ado" bien fourni également, et aux documentaires pour adultes. En fait,  X. Dumont n'est pas si petite que je le pensais, à moins que mes sens ne me trompent encore. Je suis toujours déboussolée quand je découvre une nouvelle étagère à livres.


Youpi, ça parle de poules !! 


En jetant un oeil aux albums pour les petits, j'ai évidemment repéré Un mur sur une poule, composé par Gilles Baum et illustré par Thierry Dedieu. Fraîchement publié, l'ouvrage aborde en quelques dessins simples mais efficaces la dure question de l'élevage en batterie.


Je te laisse, ça va couper !


Autant dire que je ne m'attendais pas à cela. En lisant le titre, je me suis dit : tiens, ils ont joué avec la comptine pour en faire quelque chose d'encore plus surréaliste ! Mais pas du tout. Alors que la première page débute bien sur les premières notes de la chanson, la poule choisit soudain de pondre sur le mur au lieu de lever la queue et de s'en aller. Jusque là, tout va bien. Mais le mur devient un coin où la poule pond trois oeufs, "c'est déjà mieux", le coin devient "quatre murs" enfermant un élevage de pondeuses productives. Telles de vraies machines programmées pour lâcher des œufs, les cocottes explosent, découvrent les joies du picage*, s'entre-tuent et font sauter le mur. Devenues carnivores, elles attaquent l'homme _ incarné par le fermier_ et projettent de dominer le monde AH AH AH sont en bon chemin pour en venir à bout. L'album se termine sur une phrase qui donne à réfléchir (et qui est propre à toute une collection de petits ouvrages de ce type) : "ce que tu fais à la Nature, la Nature te le rendra". 

Voilà un bel album où les poules évoluent sur un fond noir qui, dès la couverture, laisse présager du pire, sans qu'on puisse savoir exactement où ça va nous mener _surtout si on a 5 ans, âge à partir duquel on peut lire Un mur sur une poule. Les plus jeunes apprécieront plus ou moins l'humour sombre et les petites poules blanches aux yeux globuleux, mais l'apport d'un accompagnant adulte pourra prolonger la lecture par un débat intéressant.

Descripteurs Motbis proposés : ELEVAGE INTENSIF / POULE (OISEAU) / SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION 
SOCIETE DE CONSOMMATION est un peu tiré par les cheveux, je le concède, alors si vous avez d'autres propositions n'hésitez pas ! 

BAUM, Gilles ; DEDIEU, Thierry. Un mur sur une poule. Ed. Gulf Stream, Coll. La Nature Te Le Rendra. 2013. 18 p. ISBN : 2354882025


Montons l'escalier 

Arrivée à l'étage, je longe les rayons de littérature ado à la recherche d'un titre accrocheur : c'est très important, plus encore que l'illustration sur la couverture. Maboul à zéro, un roman de Jean-Paul Nozière, m'interpelle ; le titre me dit quelque chose, mais je ne l'ai jamais lu. Il faut croire que le moment est venu.


Cela dit, l'illustration est plutôt sympathique elle aussi.

C'est une idée, ou tous les romans de la collection Scripto des éditions Gallimard donnent envie de se tailler les veines, une fois qu'on les a lus ? Je préfère me dire que je suis tombée sur les plus déprimants, ce qui est le cas, sans aucun doute. Pourtant, après Sayonara Samouraï**, de Julia Billet, retraçant le combat d'un petit garçon atteint d'une tumeur au cerveau, la vie quotidienne de la famille Djémaï passeraient presque pour une grande rigolade de tous les instants ! Quoique.

Aïcha Djemaï a 14 ans et va bientôt passer le BAC, pour le plus grand bonheur de Zohra, sa mère, concierge du collège à côté duquel toute la famille habite. On est à la veille des élections présidentielles de 2002. Malgré ses facilités, Aïcha n'est pas scolarisée car elle est épileptique. Cela lui laisse le temps de s'occuper Mouloud, son frère aîné complètement fou, et de remplacer sa mère à l'accueil du collège lorsqu'elle doit s'absenter. Pendant ce temps, Karim, le père, dort car il travaille de nuit dans une usine de plastique. Dans la petite ville de Sponge, près de Dijon, cette famille d'"Arabes" fait beaucoup jaser : cet adolescent attardé qui se prend pour un footballeur et qui regarde les femmes en sous-vêtements dans les catalogues de la Redoute a-t-il sa place dans la loge d'un établissement scolaire ? Cette jeune fille qu'on dit si douée mais qui ne va pas en cours, alors qu'elle n'a pas vraiment l'air malade, est-ce bien normal ? Pourquoi l'accueil du collège est-il tenu par une personne étrangère ? Aïcha est bien consciente du "problème" que sa famille "pose" puisqu'elle intercepte astucieusement le courrier des parents d'élèves destiné à la principale : ce détournement lui permet de connaître les penchants racistes de personnes apparemment bienveillantes et polies envers elle.

Pourtant, les Djémaï ne cherchent de noises à personne ; Zohra  n'a plus besoin de prouver son implication au travail, elle qui assure l'accueil physique, téléphonique et qui se transforme parfois en infirmière (spéciale dédicace à Nicole, au passage). Elle gère comme elle peut le handicap mental d'un garçon de 17 ans de moins en  moins contrôlable, ce qui n'est pas une mince affaire. En lisant ce roman, je me suis dit que la folie de Mouloud était de loin le thème fort de l'histoire, bien que la montée du racisme en France et le passage de Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de 2002 soient des sujets absolument incontournables pour les jeunes lecteurs. Mais l'intolérance aux personnes handicapées existe bel et bien ; Jean-Paul Nozière, prof doc ! et auteur d'une palette d'histoires diverses (que je n'ai pas lues), réussit le pari de mettre en parallèle deux des multiples sources de peur du FN de base, pour mieux pointer les dérives possibles.

Qu'on apprécie ou pas l'écriture, beaucoup de pistes d'étude et de discussion s'ouvrent lorsqu'on referme le livre. L'égalité hommes-femmes face à l'éducation est aussi évoquée, à travers ce récit de la jeunesse de Zohra qu'Aïcha tient absolument à enregistrer sur cassette ; à tel point qu'on pourrait trouver à Maboul à zéro un petit côté "bien pensant" qui sonne faux, parfois. Cette impression est personnelle. Par contre, le traitement des personnages au lendemain du premier tour des élections est très juste et m'a replongée dans mes propres constatations : une masse d'électeurs faussement indignés par ces 18% qui ne s'étaient pourtant pas faits tous seuls, incapables d'assumer leur vote et bien contents qu'il ne puissent être connu que d'eux-même, et pas mal de fachos décomplexés, voire grisés par le score de Le Pen et pressés de passer "leur" pays à la chaux.

Une lecture agréable, donc, même si je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages et à me prendre au jeu. La faute aux étudiants en physique-chimie assis derrière moi, peut-être...

Descripteurs Motbis proposés :  RACISME / HANDICAP / ELECTION POLITIQUE / DROIT A L'EDUCATION / 2000-

NOZIERE, Jean-Paul. Maboul à zéro. Ed. Gallimard, Coll. Scripto. Paris, 2003. 157 p. ISBN : 2 070553590  


Le picage est un comportement typique des oiseaux et volailles en souffrance psychologique : de la même manière qu'on se ronge les ongles quand on stresse, ils piquent leurs plumes ou celles de leurs congénères jusqu'à se blesser. Or, quand une poule, par exemple, voit du sang, elle y fourre son bec par instinct et bouffe tout ce qu'elle peut _même sa propre chair. C'est plus fort qu'elle. Elle prend alors "goût" à la viande jusqu'à la préférer à son grain. Si on ne sépare pas les animaux blessés des autres, les conséquences peuvent être dramatiques.

** C'est pas un Scripto ! Mais ça aurait pu...