mercredi 26 février 2014

Un dimanche de craquage livresque à Bordeaux - 2- Adieu la chair - Julia Kino (2007)



Quand j'ai repéré le roman Adieu la chair dans la fameuse bouquinerie dont je vous parlais l'autre jour, au rayon littérature pour ados, j'ai aussitôt pensé au petit trio flippant qui sévit dans mon collège.

Imaginez deux filles et un mec, élèves dans la même classe 4°, inséparables, respectivement 1m50 / 1m30 / 1m20 à tout casser, l'air sombre, du genre "calmes mais prêts à exploser" : en somme, trois infaillibles vecteurs de stress pour ma pomme au quotidien.

Imaginez les deux filles, une rousse et une brune corbeau, assises face à face à la table la plus proche de votre banque de prêt (de votre bureau, quoi, mais une fois n'est pas coutume, soyons professionnels). Le mec, debout à côté d'elles, la capuche de son sweat remontée à tel point qu'elle lui bouffe la moitié du visage et vous évoque aussitôt le Nom de la rose... 


"_ E**, la capuche, s'il te plaît !
_ ... 
Pour toute réponse, un bruit de capuche PARTICULIÈREMENT stressant. 
_ Meeeerci E** !"
(Vous voyez, j'ose même pas mettre les prénoms)


... le mec, donc, vous dévisage de ses yeux de fouine en chasse dans un demi-sourire, tandis que ses potes font mine de se plonger dans leur ouvrage favori : Se droguer, c'est risqué. Mais si jamais il vous prend l'envie de vous lever de votre chaise et d'aller voir ce qui se passe à l'autre bout du CDI _ce qui, à mon avis, est préférable quand on accueille des élèves_ sachez que vous ne partez pas seul ! Leurs yeux vous suivent. Tous. Jusque dans les recoins les plus sombres. D'ailleurs, si leurs billes avaient une fonction "feux de croisement", ce serait bien pratique. Tels ceux des chouettes, leurs corps ne bougent pas mais leurs cous semblent doués d'une prodigieuse mobilité.




Attention, je ne suis pas en train de me faire des films en m'inspirant simplement et gratuitement de leur tête et de leur attitude : il se trouve qu'ils sont à l'origine de pas mal de conneries plus ou moins malsaines dans l'établissement et que, forcément, il demandent une attention particulière. La réalité du métier fait qu'on s'habitue à rencontrer tous les jours des "situations-type" pour lesquelles on se construit des réactions "toutes faites". Par exemple, vous êtes parfois confrontés aux bourrins qui rentrent par six en gueulant dans la bibliothèque. Vous les faites ressortir et rentrer "mieux que ça". Compter aussi avec ceux qui sont susceptibles de se prendre la tête au sens propre comme au figuré durant l'heure. Vous les renvoyez, vous faites un rapport, vous les collez, vous en profitez pour les fracasser au nom de la sécurité de tous, depuis le temps que vous en rêviez !. Il y a aussi ceux qui essaient de chourer dans les sacs des autres, l'air de rien. Vous rassemblez tout le monde à 2min de la sonnerie, et "tant qu'il manque quelque chose à quelqu'un, personne ne sort !". Dans tous les cas, c'est con mais ça marche.

Puis il y a les situations extra-ordinaires, voire surréalistes. Il faut bien les gérer aussi, même lorsqu'on n'est pas vraiment psychologue dans l'âme. Mais comment ? Comment faire face à l'imprévu ? Vous avez l'impression que si la rousse et la brune se lèvent brusquement au même instant, c'est parce qu'elles projettent de se griffer la gueule ou de se rouler une pelle, selon l'humeur. Quand le gars se baisse, vous ne savez pas s'il va sortir un doudou de son sac ou un poignard de son slip. Ou inversement. Je précise que jusqu'à maintenant, tout cela n'est jamais arrivé _même le doudou, mais ça pourrait, et c'est précisément ça qui est flippant. Encore plus qu'une sortie scolaire !

La brune s'avance tel un oiseau de mauvais augure, me ramenant à ma viscérale peur de ces poupées qui ouvrent de grands yeux bleus quand on les tient à la verticale.

"Madame ? 
_ Oui ? 
_ Je peux utiliser un ordinateur ? 
_ Peut-être. Pourquoi faire ? 
_ Chercher des images de morts. Pour le cours d'arts-plastiques. 
_ Euh... C'est quoi, votre consigne de travail, exactement ? 
_ ... 
Elle garde le silence et me regarde, outrée, comme si je venais d'insulter sa mère.
La rousse intervient, comme pour calmer le jeu. 

_ Non mais c'est pas vraiment ça. En fait, on cherche plutôt des cranes..." 


"Et sinon, le bouquin ?"

Revenons à nos Chamois Niortais et au roman de Julia Kino, Adieu la chair. Il raconte l'histoire d'un groupe de lycéens déjà blasés par la vie et encore bien incapables de donner un sens à leur existence dans un monde qui les oppresse quotidiennement. Se retrouver tous les six pour fumer, boire, s'embrasser pour rire, échanger leurs pensées drôles ou obscure est leur seule joie. Pour ne pas dire le moment qui les rattache à la vie : une situation des plus communes, en somme.

Angie (la narratrice), Ingo, Berdeen, Malt, Bianke et Coeur-Coupant forment une belle brochette de jeunes paumés qui cherchent à tous prix à se distinguer des "pingouins", ces multitudes de gens ordinaires qui les écoeurent. Un soir, le "gang" se retrouve dans un parc histoire d'essuyer leur peine dans l'herbe ; un homme passe. Ingo se lève sans prévenir et lui fracasse sa bouteille sur la nuque. L'homme s'écroule devant six jeunes fascinés par la facilité avec laquelle on peut éteindre une vie. Pour eux, c'est un déclic : eux, les ados insignifiants, ont le pouvoir de décider qui va vivre et qui va mourir, et même mieux, d'utiliser le meurtre comme exutoire à leur douleur lancinante. C'est le début d'une série d'assassinats, d'un carnage qu'ils vont baptiser "carnaval" : jusqu'où iront-ils ?




Attention, spoiler ! 

Si vous comptez lire le livre, je pense qu'il vaut mieux que vous n'alliez pas plus loin ; mais libre à vous de continuer ou pas.



"Et puis d'un coup, j'ai compris. Nous étions semblables à tous les lycéens _ nous venions juste d'avoir une plus mauvaise idée que les autres." 

 L'écriture de Julia Kino est magique ; enfin, disons que j'y suis particulièrement sensible. Adieu la chair tape sur le lecteur et tape juste, à coups de phrases nominales, de traits d'esprit, de références culturelles plus ou moins intello mais toujours à propos, de descriptions de scènes du quotidien qui nous parlent à tous, mais qu'un rien peut rendre complètement surréalistes... Voilà, je pense que d'entrée, on adore son style ou on le déteste. Personnellement, j'ai rarement autant cité de phrases d'un roman sur Babelio !

Si le début de l'histoire et son explosion de jeunes cœurs trop longtemps engourdis m'a bien emballée, la tournure que prennent les événements m'a laissée pleine d'interrogations. Mais c'était peut-être le but. Au bout de quelques temps, le "gang" décide d'arrêter de tuer gratuitement des gens au détour d'une rue, la satisfaction qu'ils y trouvaient étant épuisée. Pourtant, rien ne les empêche de continuer : pas trace d'enquêtes ni de soupçons autour de "leurs" morts dans cette petite ville de "Here" dans laquelle ils se repèrent les yeux fermés. Mais non. L'été venu, ils prennent le train et partent en vacances sans destination précisée, avec dans leurs poches l'argent prélevé sur les dépouilles de leurs victimes _ ne cherchez pas de morale et de justice dans ce livre, vous n'en trouverez pas ! L'un d'eux se fait la malle en chemin, les cinq restants achètent un grand appart à Budapest, et décident d'y rester pour une durée indéterminée. Petit à petit, les jeunes vont réfléchir à leurs meurtres, leurs vies, renaître et se reconstruire dans une ville et une société qu'ils ne connaissent pas et qui ne les connaît pas assez pour les juger...avant de se séparer. Cette seconde partie du roman est plus lente, plus posée, moins énergique, même si elle diffuse une force différente : là encore, on aime ou on n'aime pas.

La première partie de Adieu la chair reste pour moi la plus intéressante, parce qu'elle parle de cette zone trouble où l'on peut passer à l'acte comme ne pas y passer : c'est souvent un détail qui fait la différence, une étincelle qui met le feu aux poudres ou qui se perd dans l'air, au choix. Rien à voir avec les fusillades dans les écoles aux Etats-Unis, qui sont souvent préméditées, calculées... Mais plutôt l'éclair de folie qui amène quelqu'un à pousser son semblable sous un métro, comme ça, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi après coup. Au fond, les exploits sanglants des six personnages de Julia Kino sont tellement... possibles !

La dernière fois que j'ai eu un sentiment comparable, c'était en lisant Un roi sans divertissement de Jean Giono. Ceux qui ont passé un Bac L aux alentours de 2004 comprendront à peu près de quoi je parle. Les autres un peu moins, sans doute.



La scène se déroule au milieu du XIX°siècle, dans un village retiré de la région de Grenoble où l'on s'ennuie ferme mais où il se passe tout de même des choses. Un jour, Frédéric, le propriétaire de la scierie du coin, découvre un cadavre dans le grand hêtre tout proche de son lieu de travail. C'est celui d'une des jeunes filles disparues quelques temps plus tôt ; il donne l'alerte et fait appel à Langlois, une sorte de gendarme qui s'installe dans le village et découvre à quel point c'est mort. Cela dit, il finit par repérer et tuer le coupable, si mes souvenirs sont bons. Sauf qu'à cette occasion il se découvre un goût particulier pour le meurtre et le sang qui va l'effrayer et le bouffer. Il est possible que je vous dise des grosses conneries parce que ma lecture de ce premier volet des "Chroniques" de Giono remonte à dix ans, d'autant plus qu'à l'époque j'avais pas tout capté du premier coup. Mais l'idée générale de l'oeuvre était que les gens qui s'ennuient sont capables de tout pour sortir de l'ordinaire : aller à la messe, chasser et tuer son voisin sont des manières comme d'autres de s'occuper l'esprit et les mains. Je me souviens que ma prof de littérature avait fait plein de rapprochements avec les Pensées de Pascal, c'était super intéressant ! J'espère bien pouvoir m'y replonger un jour.

Le mot de la fin : je ne mets pas Adieu la chair au CDI ; déjà, le roman s'adresse plus à des lycéens, et en plus, je ne voudrais pas que ça donne des idées ! Certains en ont déjà bien assez ! Ah ah !

Références citées ici : 

GIONO, Jean. Un roi sans divertissement. Gallimard. Coll. Folio. éd.2004. 244p. ISBN 2-07-036220-5 
Ouvrage publié en 1948 
Première édition dans la collection Folio : 1972 
Exemplaire utilisé : 2004 

KINO, Julia. Adieu la chair. Sarbacane. Coll. Exprim'. 2007. 186 p. ISBN 2-84865-158  



mercredi 19 février 2014

Un dimanche de craquage livresque à Bordeaux : Détenu 042, Yua Kotegawa (2002)



Dans la vie, y en a qui se passionnent pour les fringues. Moi c'est plutôt les bouquins ! 


Ok !!


          Mais non, je ne parle pas que de livres...
          Un jour, je vous le prouverai ; mais pas aujourd'hui !



        
       
           Qui dit "vacances d'hiver" dit passage obligé par Bordeaux ! J'ai profité de l'ouverture dominicale de la FNAC et de la bouquinerie du cours Victor Hugo pour me lâcher sur les manga et BD. Le craquage s'est opéré dans un but purement professionnel d'approfondissement de mes connaissances en littérature pour la jeunesse, histoire d'atteindre les objectifs de la politique d'acquisition du CDI. Si si ! 


"Même Silver Spoon ?
_ Surtout Silver Spoon ! C'est l'histoire d'un gosse qui se retrouve dans un lycée agricole alors qu'il n'aime pas la campagne : sensibilisation à l'orientation mon gars, à l'importance du projet professionnel, du webclasseur ONISEP et tout et tout !"

"Même Détenu 042
_ Bien sûr ! C'est un manga qui traite de la peine de mort à travers la reconversion d'un meurtrier comme jardinier dans un lycée. En plus, l'intrigue est développée sur cinq volumes : tellement pratique en collège !" 

"Même Judge ? 
_ Oui oui.. Ok, ça a l'air un peu gore. Mais des thèmes intéressants y sont abordés : rapports familiaux, remords, culpabilité... Enfin d'après le résumé... 

"Même Walking Dead ?
_ ... Ouais non. Là j'avoue, c'est juste pour oim."  


Détenu 042, Yua Kotegawa (2002) 

Le Quai des Livres ne propose pas énormément de manga, mais ceux qu'on y trouve valent le détour. Quand j'ai lu le résumé sur la couverture de Détenu 042, je me suis dit que j'attendrai un peu avant de m'équiper des six premiers tomes de l'énergique Fairy Tail, que je peux trouver en anime sans aucune difficulté.



Condamné à mort pour avoir été reconnu coupable de sept meurtres, Tajima Ryôhei moisit dans sa cellule en attendant que la sentence soit mise à exécution. Il ne sait pas qu'à l'extérieur, le gouvernement japonais réfléchit à l'abolition de la peine capitale : elle pourrait prochainement être remplacée par une condamnation du criminel à effectuer des travaux d'intérêts général jusqu'à la fin de ses jours. Ah, un détail : au préalable, le détenu se sera vu implanter une puce dans le cerveau, capable de lui faire exploser la tête à la moindre pensée violente.

Une équipe de chercheurs est désignée pour "tester" ce dispositif sur un cobaye qu'on aura extrait de son cachot ; Tajima est l'heureux élu. Une fois que le professeur Shiina, le scientifique chargé du bon fonctionnement des opérations, lui a communiqué son "nouveau" nom ("Détenu 042") et l'a engagé à bien se tenir, sinon "paf, pastèque" !, le voilà largué dans un lycée dont il sera chargé de l'entretien des locaux et du jardin.

On comprend bien que la "liberté" de Tajima est toute relative, même si elle demeure préférable à la mort : l'homme est placé sous surveillance 24/24, observé et analysé comme un rat de laboratoire. Il est sans cesse provoqué par les ados qui respectent d'autant moins sa fonction qu'ils connaissent ses antécédents et ne cherchent qu'à lui faire péter la cervelle. Il est insulté, explicitement mis au rang de sous-homme. Shiina le pousse à se maîtriser au mieux, non pas parce qu'il tient à le voir vivre encore longtemps, mais parce que si le Détenu 042 mourrait dès le début, l'expérience aurait un goût d'échec. Petit à petit, le lecteur a envie de le voir surmonter les injures et tenir le coup, même s'il a tué à maintes reprises.

Quelques allusions laissent penser que le meurtrier n'en est pas à sa première épreuve : combats, dettes, problèmes familiaux, enlèvement de plusieurs années ? On n'est pas loin de lui trouver des circonstances atténuantes. Yume, la lycéenne aveugle qu'il prend rapidement sous son aile, est déjà prête à lui accorder une chance de devenir un homme meilleur.

 Détenu 042 m'a d'abord intriguée pour les questions quasi philosophiques qu'il soulève : où commence et où s'arrête la liberté ? pour ou contre la peine de mort ? est-on irrécupérable lorsqu'on a tué ? Peut-on apprécier quelqu'un malgré son passé plus que glauque ? On pourra se dire que tant de questions ne trouveront pas de réponse ici, étant donné qu'elles sont seulement effleurées ou traitées de manière peu approfondie. Tout va très vite, trop vite dans ce premier tome, mais peut-on vraiment reprocher cette rapidité d'exposition à Yua Kotegawa ? Il fallait bien qu'elle nous présente les personnages, les enjeux, les lieux de l'action... Les quatre suivants nous laisseront peut-être le temps de nous creuser tous ces sujets. En attendant, l'histoire peut servir de support à un débat au collège ou au lycée, et je pense le proposer aux gosses incessamment sous peu. Pour mon plus grand bonheur, comme l'imaginent fort bien ceux qui me connaissent, la mangaka a jugé bon d'insérer dans ce seinen* les prémices d'une histoire d'amûr très niaise entre Tajima et une fille (voire deux ? la suite éclairera sûrement notre lanterne à ce sujet).


Une recherche sur Internet révèle que ce titre vieux de douze ans ne semble pas avoir laissé beaucoup de traces dans le monde de la BD en général.
Pourtant, personnellement, j'ai bien aimé ! C'est peut-être parce que j'y connais rien.

KOTEGAWA, Yua. Détenu 042. Version française. Kana (Dargaud-Lombard). 2006. 210 p. ISBN 2-50500-007-7
Première publication au Japon : 2002


Résumés de mes autres craquages à suivre !


Si des connaisseurs passent par là, qu'ils ne se gênent pas pour m'indiquer des possibles boulettes figurant dans ce billet. Y a plein de codes que je ne connais pas encore dans l'univers du manga, donc n'hésitez pas à laisser vos remarques et critiques ! 

_________________
  
  * Si j'ai bien compris, les seinen sont les manga destinés aux jeunes hommes qui ont dépassé le stade de l'adolescence à supposer que ce soit possible

lundi 17 février 2014

Bohemian Flats - Mary Relindes Ellis (2014)


Toujours dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio, les éditions Belfond m'ont fait cadeau de Bohemian Flats, un roman de Mary Relindes Ellis. A moi d'en faire la critique, à présent !




Albert et Raimund Kaufmann ont du mal à trouver leur place dans une Allemagne de fin de XIX° que leur père, un brasseur rustre et autoritaire, représente si bien. Par chance, leur rencontre avec le professeur Richter et sa famille va leur apporter une lueur d'espoir : oui, un jour, ils pourront fuir ce système moyenâgeux qui les étouffe en s'instruisant et en ne craignant pas de quitter leur contrée. Albert veut devenir fermier, mais ses projets seront voués à l'échec s'il ne quitte pas la propriété familiale d'Augsbourg, car il n'est pas l'aîné de la fratrie : il sait qu'il ne pourra les réaliser qu'ailleurs. Raimund a soif de liberté, et c'est une raison suffisante de vouloir prendre son envol.

L'Amérique représente pour l'un comme pour l'autre la destination rêvée, voire idéalisée : lorsque Raimund _ qui va rapidement se faire appeler Raymond pour se donner un air américain, foule le sol du Nouveau Monde, il se sent un peu perdu et se retrouve dans les "Flats" de Mineapolis. Ces villages faits de bric et de broc sont le point d'atterrissage des nombreux Européens qui ont traversé l'Atlantique à l'aveuglette. Souvent, ils ne restent qu'une étape provisoire dans la vie de ceux qui les peuplent ; mais il arrive aussi que certains de leurs habitants s'y trouvent si bien qu'il leur devient impossible de décoller vers de nouveaux cieux.

Pour ceux qui connaissent le principe, j'aurais tendance à rapprocher les "Flats" d'une grande cité U, mais sans la fac à côté. J'ajouterais bien "avec des familles entières dedans", mais... on sait tous qu'il y en a aussi dans les résidences du CROUS. Eh ouais, quand vous aurez dormi à 5 dans 10m² plusieurs semaines consécutives, là vous aurez le droit de vous plaindre de manquer d'espace dans votre logement ! Bref, ce n'est pas le propos. Raymond _ et son neveu Eberhard (ce nom* !), s'attachent tellement aux lieux et à l'ambiance multiculturelle des flats qu'ils ne peuvent s'en éloigner sans en souffrir. Albert et Magdalena, eux, ont décidé de n'en faire qu'une escale dans leur parcours et parviennent à les quitter sans trop de peine. Malheureusement, la guerre de 1914-1918 éclate et crée des tensions jusque-là inconnues dans la population des Flats, pourtant connue pour être plus tolérante que la moyenne de l'époque : entre le sentiment anti-allemand et les revendications religieuses des uns et des autres, c'est une apocalypse dont les familles éloignées sont les spectateurs.  

En 440 pages, Mary Relindes Ellis nous dresse le destin chaotique de plusieurs familles dispatchées entre l'Europe et l'Amérique, le tout sur une trentaine d'années. Donc forcément, ça va un peu trop vite à mon goût, par moments, d'autant plus qu'une grande partie du roman est écrite (ou traduite ?) au présent de narration. On a l'impression qu'on doit expédier la dernière couche de peinture qui orne la fresque familiale pour arriver à un dénouement qui, effectivement, en vaut la peine, mais... Cela dit, cet ouvrage écrit par un auteur déjà à l'origine d'un roman et de plusieurs nouvelles reste agréable à lire. Pourtant, vous savez que je n'apprécie pas particulièrement ces longues saga familiales sans intrigue ni fil conducteur, surtout quand elles ont un côté "Petite maison dans la prairie". Du genre : je construis ma maison sur une terre désertique à la sueur de mon front, pendant que mes gosses labourent le champ avec leurs ongles, et que ma femme lave le linge dans l'eau croupie du lavoir communal tout en tendant l'oreille, pour savoir s'il n'y a pas un ours prêt à bondir juste derrière elle !

Lire Bohemian Flats m'aura permis de connaître l'existence de ces lieux atypiques et d'en savoir plus sur une période historique que jusque là j'avais seulement abordée d'un point de vue "français", si l'on peut dire... Et ça, ce n'est pas rien !

ELLIS, Mary Relindes. Bohemian Flats. Belfond, Paris. 2014. ISBN 978-7-7144-5430-0 




* T'as vu, Kao ? C'est presque aussi chelou qu'"Herveline" !
     

vendredi 14 février 2014

Suicide collectif de biscuits Fingers, ...


... jeudi, de bon matin, tout près du Carrefour City du Vieux Pays. Paix à leur âme !  


mardi 4 février 2014

Des miettes au fond de la tasse


Il paraît que ça ne se dit pas, mais le motif de la madeleine de Proust m'a toujours inspiré de gros foutages de gueule. Pas plus tard qu'hier matin, alors que j'étais conviée au même titre que d'autres documentalistes de l'Académie de Créteil à un stage du PAF, j'ai testé ma blague habituelle auprès d'une collègue que je sentais assez réceptive à mes conneries. Pour poser le contexte, je précise que nous venions d'être fort bien accueillies dans un collège du 93, avec force café, gâteaux et madeleines, et que nous en étions au moment précis où tout le monde s'arrache le thermos des mains.


"C'est marrant, quand Proust trempe sa madeleine dans sa tasse de thé, ça lui rappelle des trucs. Moi, quand je tente l'expérience, j'ai même pas le temps de croquer dedans que ça fait déjà de la merde au fond de ma tasse !" 


(C'est pas de moi !) 


Aussi, vous m'excuserez, mais pour faire remonter mes souvenirs, j'évite de jouer avec la bouffe. Le meilleur moyen est encore de prendre sa pelle et d'aller retourner son cerveau tout seul comme un grand.

  

Septembre 2001

Il est LE redoublant de la classe, celui qui nous guide dans le lycée, les premiers jours, et nous aide à ne pas confondre les salles de physique-chimie _situées dans l'"Aile de la Cité" et les salles de SVT _qui sont planquées dans l'"Aile de la Vallée". A l'entrée du couloir, au troisième étage, il nous montre l'énorme photo satellite de la Terre collée au mur. 
"Vous avez qu'à mater le poster ! Quand vous le voyez, ça veut dire que vous êtes du côté bio." 
Estelle est folle de lui, au moins pour les quinze prochains jours. 
"C'est mon voisin ! Au collège, c'est moi qui lui portais ses devoirs quand il était malade !"  
Il est tout blanc, avec des pics au gel sur la tête. Il se fout très ouvertement de la gueule d'Estelle. 





En TP de bio, il est le voisin et Sabrina et tous deux brillent par leur capacité à se moquer des profs à travers des chansons connues. 
"Chouzy, Chouzy !" Font-ils en choeur, au passage du barbu en blouse blanche qui fait semblant de ne rien entendre. 
Et lui d'enchaîner aussitôt : 
"Monsieur, j'ai entendu sur NRJ qu'un gars s'était tellement retenu de pisser que sa vessie avait explosé ! Vous croyez que c'est vrai ? 
_ Oh, non ! Répond "Chouzy", une vessie, ça n'explose pas comme ça !" 



Mai 2002 

Après l'ultime contrôle de physique (ou chimie ?) de l'année, il jette sa copie sur le bureau de Jean François, le prof. JF fronce son unique sourcil et le fusille de ses yeux rapprochés, en vain. Il a déjà passé la porte du labo comme si de rien n'était. S'ensuit un prodigieux pétage de câble de part et d'autre, dont on n'a jamais connu le dénouement.

J'adorais caricaturer ce prof.


Septembre 2002 

Ils parlent tous les deux, un peu à l'écart du groupe, et j'écoute la conversation, l'air de rien. Il me semble qu'il prend souvent un malin plaisir à retourner le couteau dans la plaie de la fille qui est en face de lui. 
"Alors tu n'as pas pu t'inscrire en italien, finalement ? 
_ Non, on ne peut pas débuter en 1ère. Il aurait fallu que j'en fasse depuis l'année dernière. Du coup, je dois prendre Anglais Renforcé et ça me fait chier.  
_ C'est vraiment con. Mon frère était dans le même cas que toi il y a deux ans, et ils ne lui ont posé aucun problème. Il a pu débuter l'italien sans problème en 1° et même faire une option facultative maths. Meuf, t'as pas de chance, toi, en fait ! 
Il rit. Il m'énerve ! 


Quelque part en 2003... 

Il aperçoit la voiture de sa mère, et ne sait s'il doit rire ou s'inquiéter lorsqu'il voit le pare-choc avant défoncé, la plaque d'immatriculation qui pendouille et produit un cliquetis sur le goudron, à chaque tour de roue. Elle ouvre la vitre tandis qu'ils se penche vers elle, appuyé à la portière. 
"Qu'est-ce qui s'est passé ?
_ Un type m'a reculé dedans, apparemment. J'ai rien vu, j'étais au boulot. Il a laissé ses coordonnées. 
_ Espérons qu'elles soient pas bidons !" 



Avril 2003 

On part en Italie pour une semaine avec tous les pèlerins qui ont choisi la fameuse option LV3 italien, par goût ou par stratégie. Au programme, Vicence, Vérone, Padoue, Venise, Ferrare. Tout le monde est là, même ces petits cons de 2nde qui se la pètent avec leurs bandanas rouges dans les cheveux, et leur curieuse passion pour l'équipe de foot de Monaco. Dans le bus, il est à côté de Fabrice, qui s'endort avant-même qu'on ait passé les frontières de la Dordogne. Il est aussi le premier à détecter les ronflements et à suggérer à Benjamin qu'il les immortalise, lui qui possède un portable à fonction dictaphone. Un petit SONY tout bleu avec écran couleur qui fait un peu craquer tout le monde. Benjamin saute sur l'occasion et colle l'appareil près du visage de Fabrice. Il en fait même sa nouvelle sonnerie.

Il me tend le joint qui tourne depuis tout à l'heure. On est toujours en Italie, et la moitié de la classe s'est posée sur la terrasse de notre chambre d'hôtel. A peine douteux !   
"Adeline, tu fumes pas ? 
_ Non, je suis très allergique à la fumée, je peux finir à l'hosto si j'en respire. 
_ Bah ! 
Sabrina intervient. 
_ Moi aussi, je suis asthmatique et je fume quand même ! 
_ Ouais, ça dépend des gens. Mais j'ai pas envie de prendre le risque, là maintenant ! Ca gâcherait le voyage et ça vous attirerait des emmerdes. 
_ Mais sinon, t'aurais fumé ? 
_ Oh ben oui ! 
Il se tourne vers Benjamin, déjà en mode albinos sous l'effet du shit, et lui envoie un grand coup de coude.  
_ Eh, t'as vu Benji ! Elle est à deux doigts de fumer, la petite Adeline !"




Septembre 2003 

On a commencé depuis quinze jours à peine, et je suis déjà persuadée que je capterai jamais rien à la philo. Ni à la méthodo, ni au contenu. Savoir distinguer de ce qui est "certain" de ce qui n'est que "probable" ne me passionne pas des masses. Dans cette histoire, de toute façon, si on n'est pas en mesure de développer à la seconde les définitions et les divers sens possibles de tous les mots qu'on lit, on est sûr de se noyer dans l'abstraction. Même pas la peine de plonger. Bien sûr, ce con de pseudo prof qui nous dispense plus de pauses que de cours a cru bon de m'interroger, et j'ai répondu des trucs au pif, histoire de ne pas laisser entrevoir le vide intersidéral qui sert de champ de bataille à mes deux neurones.

Je me suis défoncée dans l'impro, et de manière tout à fait inattendue, il m'encourage juste après. Lui qui est toujours aussi blafard et qui a l'air presque blond depuis qu'il ne met plus de gel dans ses cheveux.
"Eh, pas mal du tout, ta réponse ! Apparemment c'était pas trop ça, mais à ta place, j'aurais répondu que dalle ! T'as la technique déjà !" 
Il était dit que la seule remarque sympathique que j'obtiendrais jamais de lui serait celle-là !   


Quelque part en 2004

En histoire-géo, il se prend souvent la tête avec M.Rodrigues ; le prof a un fort accent portugais qu'il cultive au quotidien, comme s'il craignait de le perdre. Un jour, répondant à une énième provocation de ce très grand gamin, il se retient de justesse de le traiter de con. 

"Espèce de......" 

Rodrigues plisse les yeux et se contient. La phrase demeurera inachevée. 

"Dommage, j'attendais que ça, qu'il m'insulte ! On aurait pu le faire virer !"


Avril 2004 

Je suis au CDI, avant-dernière "alvéole" de travail _la mienne ; elle donne sur cette sale bétaillère de cantine et sur le parking des profs. En bas, les internes regagnent leur chambre, chaperonnés par un surveillant. Je me fais un arbre généalogique et un tableau de correspondances avec les personnages de Perceval, d'abord parce que sans ça je m'y perdrais, et ensuite parce que ça me passionne. Ironie du sort, j'en suis tout pile au Sénéchal Keu, bien connu pour son côté langue de pute, lorsqu'il passe devant moi, longeant les rayons du CDI.

"Laaapin , kk kk ! Laapin, kk kk !"

Il repasse en sens inverse en me regardant, affichant son plus charmant sourire de faux-cul. 

"Laapin, kk kk ! Laapin, kk kk !" 



Depuis quelques semaines, il me fait des blagues, des allusions que je ne comprends pas vraiment mais dont je devine le sens global. Quand je suis seule, comme là, peu importe ! Grand bien lui fasse de rire à mes dépends s'il le souhaite ! Mais lorsque je parle à une pote et qu'il siffle en passant derrière nous, c'est terriblement rageant et pas dénué de conséquences sur mes relations amicales. A présent, il fait partie de ceux que j'aurai plaisir à ne plus croiser tous les matins, quand nous en aurons fini avec "J. de B". Pff !  


Mai 2004   

"Tu fais quoi, l'année prochaine ? 
_ Je pars six mois au Texas, chez ma tante ! 
_ Sérieux ? 
_ C'est presque calé. Sinon, je ferai une fac d'anglais !"  
Oui, c'est ça. Pars. Loin ! 


Juillet 2004 

J'ouvre Sud Ouest et je vais à la page des résultats du BAC ; hier, la plupart des candidats passaient les oraux de rattrapage. Il est dedans : il l'aura donc eu, au final. J'aurais bien voulu qu'il se plante, ça lui aurait fait les pieds, à ce con. Mais non, faut toujours qu'il s'en tire bien, lui

Quoi qu'il en soit, on ne se verra peut-être plus jamais de notre vie, qui sait ...? 

Le souvenir de ces pensées négatives est tellement précis qu'il vaut bien non pas une madeleine, mais un carton de gâteaux Bijou à lui tout seul. Je doute de m'en débarrasser, désormais.  

En effet, on ne se reverra plus...    


samedi 1 février 2014

Moignon se fait une place au soleil


Cette journée passée à Angoulême avec Bubulle et Aude, dans le cadre du 41ème Festival International de la Bande dessinée, m'a permis de me rappeler à quel point certains artistes peuvent être talentueux, et à quel point on peut s'éclater par le dessin ! Du coup, j'ai profité du retour en train vers la capitale pour développer Moignon, mon poulet difforme. Il m'a paru bon de lui faire grâce de la bosse finalement, parce que bon, quand même, faut pas abuser : une patte et une aile en moins, c'est déjà pas mal ! 


Moignon en pleine baston, aux côtés de ses potes... C'est celui qui se bat avec sa béquille.


La maniement de la canne : une question de mental et d'équilibre...

Faut aussi que je me mette d'accord avec moi-même sur la patte et l'aile que je lui octroie... Vous remarquerez une inversion par rapport au premier billet consacré à Moignon.

Retouché avec Picasa (, heureusement)...