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mardi 19 juillet 2016

L'attaque de la moussaka géante - Panos H. Koutras (1999)

Lors de mon passage au Mirail à Bordeaux, ensemble scolaire privé dont je vous ai parlé maintes fois, j'ai eu l'occasion de travailler tous les samedis matins avec une collègue géniale fan de science-fiction qui m'a ouvert les yeux sur quelques OVNIs cinématographiques, dont L'Attaque de la Moussaka géante. Autant dire que ça m'a pas mal consolée du jeune Sachatte et de ses petits potos bourgeois-bâtards qui faisaient honneur à la sale réputation d'un collège et d'un lycée qui se donnaient du mal, quoi qu'on en dise. Alors Isabelle, si tu passes par là : merci encore de m'avoir fait découvrir ce film ! A mon tour d'élargir le cercle des amateurs de nanars en consacrant un billet à ce long-métrage grec réalisé par Koutras en 1999.



L'histoire (si l'on peut dire)

Nous sommes à Athènes, vraisemblablement à l'aube des années 2000. En cette belle soirée ensoleillée qui laisse entrevoir une nuit torride, chacun vaque à ses occupations : une équipe de chercheurs en astronomie vêtus de blouses roses vérifie que rien de douteux ne vienne assombrir le ciel grec, tandis qu'un trio queer s'apprête à aller faire la fête. Le premier ministre et sa femme toxico s'engueulent au bord de leur immense piscine sous les yeux de leur jeune fils pas vraiment emballé par son assiette de moussaka ; un couple de pantouflards apathiques mangent des chips en regardant la télé. En bref, rien à signaler.

Soudain, une soucoupe volante apparaît ; elle est simultanément repérée par Tara, une dame haute en couleurs qu'on aimerait tous avoir comme pote...





... et Alexis Alexiou, le scientifique qui "étudie les astres" au Centre de recherches cosmiques.




Visiblement, les extraterrestres souhaitent tenter une approche de la population terrienne en débarquant l'une des leurs en plein maquis. Manque de pot, le fils du premier ministre a également choisi cet endroit pour se débarrasser discrètement de sa part de moussaka ; et là, c'est le drame ! Prisonnière des ondes émises par le vaisseau spatial lors de la téléportation de l'ambassadrice choisie, le contenu de l'assiette (mais pas l'assiette !) se met à gonfler, gonfler, jusqu'à prendre des proportions monstrueuses. A partir de ce moment, la moussaka géante ne cessera de se déplacer, écrasant tout sur son passage.  

Vous êtes déjà conquis ? Sachez que le film est disponible en streaming et en intégralité sur Youtube !! 




Tapage médiatique 

Je sais que le moment est très mal choisi pour parler d'un film dans lequel des personnes se font écraser par un monstre fou, alors qu'ils font leur petit bonhomme de chemin sans rien demander à personne. A vrai dire, j'avais commencé à écrire ce petit compte-rendu quelques jours avant l'attentat de Nice, et ce dans le seul but de faire vous faire rire en soulevant les aspects absurdes de ce navet revendiqué. En particulier celui qui forme à mon sens le principal ressort humoristique du film : la réaction des médias locaux, puis nationaux et internationaux face aux ravages de cette "moussaka géante".

Après quelques instants d'incrédulité, pendant lesquels les journalistes privilégient l'hypothèse du canular, la télévision trébuche et s'écrase comme une merde dans le pathos en envoyant à la pelle des images des victimes plus choquantes les unes que les autres. Les médias diffusent en boucle les propos incohérents de témoins choqués ou des vidéos amateurs du morceau de moussaka déambulant dans les rues d'Athènes comme une grosse limace larguée dans un village de Polly Pocket.




Sans oser l'approcher, on dresse un portrait de la bête coiffée de béchamel : quelles sont ses origines ? quels sont ses plans ? que nous veut-elle ? quelles seront ses prochaines cibles ? pourquoi a-t-elle frappé là, et pas ailleurs ? comment s'en débarrasser ?

Les différentes chaînes accordent la parole à des politiques et des notables aux points de vue divers sans que jamais un journaliste n'intervienne pour nuancer... A moins que le zapping effréné des personnages principaux, par qui nous parviennent les images télévisées, nous prive de ces moments privilégiés du débat. Plus rares, certains invités choisissent de se mettre à sa place et de tenter une approche psychologique de la moussaka : s'est-elle sentie agressée à un moment où à un autre ?



On ne parle plus que d'elle partout, elle nous hante, nous obsède ; on n'ose plus taper dans le plat de moussaka familial de peur qu'il nous saute à la gueule et on lit son horoscope en fonction d'elle... 



D'autres assurent qu'elle ne mérite pas notre peur et qu'on ne doit pas s'arrêter de vivre à cause d'elle. De là à tenter le diable... la prudence reste de mise.   



Evi Bey, la journaliste fantasque aux dents longues qui se tape les techniciens dans les toilettes de la chaîne HI TV, est l'incarnation-même des médias avides de scoops et de scandale. Enjambant les cadavres recouverts de sauce barbecue ou d'une quelconque autre substance, ce vautour à l'apparence de femme repère une jeune fille avachie sur le siège conducteur d'une voiture et demande à son cameraman de l'interviewer. Lorsque ce dernier lui fait remarquer que la fille en question est morte, elle n'hésite pas à lui donner les directives suivantes :



Parfait pour rire jaune.  
Tout ce vacarme brassé par les journalistes, toutes ces images tournées sur le dos des victimes, tous ces gens choqués qui n'ont pas eu la force de refuser le micro qu'on leur tendait, et dont les témoignages ne font malheureusement pas avancer le schmilblick... relèvent-ils vraiment de l'exagération ? Avant le 11 septembre, forcément, et c'est pourquoi c'était vraiment très drôle... En 2016, un peu moins, il faut bien le reconnaître.



Le petit plus... 

Vous l'aurez compris, ce pseudo film d'horreur débile au possible et pas effrayant pour deux sous peu être lu de bien des manières. Tout dépend de l'actualité et/ou de ce qu'on a fumé avant. Du coup, je me suis pas mal écartée des propos que je voulais tenir à la base, et c'est sans doute tant mieux pour vous.

Heureusement, l'histoire de coeur décomplexée entre le cherche Alexis et la "modéliste" Tara vient apporter un peu de joie et de douceur dans ce monde de charognards. On appréciera l'ambiance festive du centre de recherches cosmiques, où les scientifiques discutent anniversaires et se draguent gentiment en disant des hétéros qu'ils sont de "l'autre bord". On aimera aussi les gardes-fous de Tara, ce couple d'amis fidèles que forment le terre à terre Dimis et la douce Chanel coiffée de sa perruque bleue. Bien sûr, leur coup de foudre sur fond de soucoupe volante est complètement risible, et bien sûr qu'en regardant la scène du Nescafé glacé sans glaçons et avec trois cuillers de sucre (c'est important) on se demande "pourquoi" ? Mais au moins, c'est une forme d'absurdité qui n'a rien de dangereuse !

C'est assez moche, les effets spéciaux sont... vraiment spéciaux.., la tenue de Tara fait mal aux yeux, la moussaka ressemble plus à un reste de hachis parmentier surgelé qu'à de la moussaka, l'image a un peu trop la tremblote par moments, on se demande toujours pourquoi les gens se sont laissés manger par ce gratin d'aubergines rampant qu'ils voyaient arriver à deux kilomètres, alors qu'ils auraient pu fuir tout simplement. On reste sur la curieuse impression que la riche toxico est le seul personnage à avoir compris le fin mot de l'histoire, mais... ce film existe, et il faut le savoir !

L'attaque de la moussaka géante 
Panos H. Koutras 
Grèce, 1999 
Sortie en France en 2001 
Science-fiction
1h43 


dimanche 1 mai 2016

L'assassin royal - 7 - Le prophète blanc - Robin Hobb (2001)


Quand y en a plus, y en a encore ! 

Pas plus tard que le mois dernier, je me lamentais tellement de voir la saga des Aventuriers de la Mer se terminer que vous avez failli voir des larmes couler sur votre écran, ce qui vous aurait sûrement saoulés plus qu'autre chose. Il m'a donc paru judicieux, dans l'intérêt de tous, d'entamer la lecture du deuxième cycle de L'Assassin Royal, qui comme vous le savez (ou pas), s'inscrit dans le même univers que celui des Aventuriers de la Mer.    


Où est-ce qu'on en était ? 

Quinze années se sont écoulées depuis que FitzChevalerie et ses (rares vrais) amis ont terminé leur mission royale. Traumatisé, fatigué, lassé de tout, et par dessus tout, mort pour la plupart de ceux qui l'ont connu, le "bâtard au Vif" a tiré un trait sur sa vie d'assassin royal. Il a réalisé son rêve d'enfant : prendre les rênes de son destin, et mène une existence simple, à l'écart de la société. Pour les rares personnes qu'il croise lorsqu'il va vendre de l'encre sur les marchés, il n'est plus Fitz mais Tom Blaireau. Seuls un jeune orphelin et son vieux loup Oeil-de-Nuit partagent son quotidien, et les liens ténus qu'il garde avec son passé se résument aux visites occasionnelles de la ménestrelle Astérie Chant d'Oiseau. Hors du temps, loin de la cour, il a presque réussi à enfouir ses douleurs les plus lancinantes : d'une part le fait que Molly et Burrich aient fondé une famille, d'autre part l'idée qu'il ne connaîtrait jamais sa fille. 


Un jour pourtant, la venue de son ancien mentor Umbre Tombétoile, vient lui rappeler que les bonheurs simples ne siéent pas à son destin de Loinvoyant. Selon les dires du maître empoisonneur, on aurait de nouveau besoin de lui à la cour de Castelcerf, non plus pour jouer les assassins mais en tant que formateur : le prince Devoir est en âge d'apprendre l'Art. Fitz refuse en bloc de suivre le vieil homme ; mais ce dernier ne repart pas bredouille pour autant. Il a semé une graine de doute dans le coeur son disciple. 

Famille de sang, famille de coeur, famille de Vif 

En effet, dès le départ d'Umbre, Fitz se retrouve seul à cogiter dans sa chaumière déserte : doit-il être fier de cette vie simple qu'il s'est choisi, ou se lamenter sur ce qu'il aurait pu être si tout n'avait pas été biaisé dès sa naissance ? Le temps des questions existentielles est revenu, même s'il tente toujours d'oublier la longue liste de ratages que fut sa vie d'avant : né avec une étiquette de bâtard ; élevé à la cour dans le secret, non pas pour lui-même mais pour commettre des meurtres à la place de la famille royale : placé chez un maître d'Art désireux de le faire échouer ; pas assez noble pour accéder au trône mais trop pour épouser une fille du peuple : porteur du très mal vu don du Vif ; sauveur de sa lignée, puisque le roi Vérité devenu impuissant a juste utilisé son jeune corps, tranquille ! pour féconder la reine ; mais néanmoins menacé de mort ; par conséquent, "officiellement" mort pour les être qui lui sont chers ; condamné à voir sa femme refaire sa vie avec l'homme qui l'a élevé, à savoir que sa fille ne le connaîtra jamais et que l'un de leurs enfants porte son nom en souvenir de lui... Non, pourquoi remuer la merde ? La semi-noblesse de son sang ne lui a attiré que des problèmes et il n'est plus un Loinvoyant, si tant est qu'il l'ait jamais été ! En fin de compte, le taciturne Tom Blaireau ne s'en sort pas si mal. Et pourtant... Fitz sait au fond de lui qu'il va céder à l'appel de la cour, à un moment ou à un autre ; cette idée le révulse et pique sa curiosité en même temps.         

Si vous comptez lire ce livre, arrêtez-vous là ! On va rentrer dans le Vif du sujet (ahahah). 



Oeil-de-Nuit ne peut pas pleinement partager son trouble, lui qui a toujours perçu les humains comme une entrave à leur fraternité : il se considère comme sa seule vraie famille à présent, et n'a-t-il pas raison ? Umbre et Astérie sont bien aimables mais ils ne viennent le voir que lorsqu'ils ont une idée derrière la tête. Quant au jeune Heur, il est parti à la découverte de Castelcerf avec la ménestrelle, justement. Il faut bien que ce petit voie du monde ! Si le Bâtard a choisi la vie d'ermite, il n'entend pas l'imposer à celui qu'il considère comme son fils d'adoption. De toute façon, l'orphelin ne le connaît que sous l'identité de Tom Blaireau (paye ta relation père-fils bien malsaine) et n'aurait guère pu le comprendre.  

Parce que les liens du sang n'ont plus de sens pour lui, parce qu'il a trop de secrets pour ceux qu'il aime et de méfiance envers eux, parce que son amante le déçoit, Fitz mise tout sur son lien de Vif avec son loup. C'est le coeur serré qu'il le voit vieillir, et qu'il sent l'animal se détacher peu à peu de lui, lucide quant à son état de santé et trop fier pour se laisser chouchouter comme un chien infirme par son frère bipède. On se souvient qu'à une époque, ce don de communication avec les animaux a sauvé la vie de l'empoisonneur, mais elle peut à présent lui coûter sa tête ; car il semblerait qu'à Castelcerf, tout le monde soit très remonté contre les "vifiers". Les dénonciations vont bon train, et le prince Devoir lui-même est soupçonné d'être trop proche de sa chatte de chasse (oui oui...). Raison de plus pour ne pas quitter sa campagne... Et pourtant... 

Fitz fait un peu son Bilbon, à plus vouloir sortir de chez lui...
Mais sa cabane a l'air moins classe qu'un trou de Hobbit.


Fitz, ce tombeur 

Si Umbre ne parvient pas tout à fait à convaincre Fitz de partir sur le champ, un autre revenant de l'Assassin Royal va presque y parvenir : le Fou. C'est à travers ce fascinant personnage aux multiples casquettes qu'on se rend compte qu'il vaut mieux avoir lu les Aventuriers de la Mer avant d'attaquer Le Prophète Blanc. L'idéal serait aussi d'avoir bien en tête le premier cycle, également... ce qui n'est pas mon cas. Heureusement, de nombreux rappels sont faits dans ce tome 7... ou malheureusement pour ceux qui enchaînent les tomes 6 et 7, car ce doit être un peu lourd pour ces lecteurs-là. Sans vouloir trop en dévoiler, sachez seulement que le Fou va ici sortir l'artillerie lourde pour se dissimuler aux yeux de ses semblables afin d'apparaître sous le nom du précieux et exigeant Sire Doré. L'énergumène est toujours autant épris (éprise ?) de Fitz bien que celui-ci ne semble toujours pas mesurer la profondeur de ses sentiments, bête comme il est. Ouais, l'excuse de la jeunesse ne passe plus à présent ! 


J'ai piqué cette illustration sur le Tumblr de Camille Talon.
Allez y faire un tourc'est trop beau ! 


J'y vais, j'y vais pas

Le Bâtard au Vif est plus que jamais agaçant ; pendant 200 pages, on le voit se torturer l'esprit tout en rangeant sa cabane, toujours plus indécis. Sur le choix à faire, puis sur la date du départ. Comment dire, après avoir été habitués à des aventures toujours plus périlleuses et à de l'action sans relâche, le lecteur pourrait bien trouver ce début de cycle un peu longuet. On a parfois eu l'impression que Robin Hobb a écrit, écrit, mis en scène des visites et de nouveaux personnages en se disant qu'à force de dialogues et de digressions, une idée de suite finirait bien par arriver au bout de sa plume. Mais bon, Fitz, c'est un peu un ami de la famille, et on sait que quand il va s'y mettre, tout va s'accélérer et on sera bien contents d'avoir gardé des forces jusque là ! Alors on lui pardonne, tout comme on accepte que sa créatrice laisse entrevoir, à l'issue de ce volume, des perspectives moins alléchantes que dans ses précédents ouvrages... Ca reste génial, et ça se lit toujours aussi vite ! 

Robin Hobb. L'Assassin Royal 7. "Le prophète blanc". 2001, parution française en 2003
Présente édition : J'ai Lu, 2007. 412 p. ISBN 978-2-290-33770-7. 8,00€ 
Illustration : Vincent Madras


Histoires de canassons : Je m'appelle Holly Starcross - Berlie Doherty (2001)


J'ai eu envie d'ouvrir une série "Histoire de canassons" consacrée aux romans pour la jeunesse où il est question de chevaux et/ou d'équitation. On a tous, dans notre entourage, une copine qui aime les chevaux ; moi oui, en tous cas :) et la passion prend souvent sa source dès l'enfance. Du coup, ça pourra peut-être vous servir.

Par contre, autant vous prévenir tout de suite : je ne sais rien des chevaux, et j'ai longtemps eu une représentation négative du sport qu'est l'équitation. A savoir, une activité de richous. Merci Sacha ! qui m'a permis de m'accrocher plus longtemps que prévu à ce cliché. Sacha, c'était un petit bourge du Mirail qui m'a beaucoup emmerdée pendant toute une année scolaire. Ce connard en herbe (ou en avoine, ahah) était un ange avec le reste du personnel éducatif, ce qui lui assurait de pouvoir me faire des sales coups sans qu'on le soupçonne une seule seconde. En contrepartie, je le surnommais Sachatte, pour son plus grand agacement. Ce gamin excellait dans ce sport ; il s'entraînait dur et ça payait. Il n'en était pas peu fier, et il pouvait se le permettre ; je le lui accorde. Bref, s'il ne s'est pas fait aplatir la tronche par un bec de gaz, il doit avoir dans les 18-19 ans. Alors, Sachatte, si tu passes un jour par là... n'oublie surtout pas de te raser, et n'abuse pas du Jockey !


Salut Sachatte !

Afin d'inaugurer cette série d'"histoires de canassons", il sera question du roman Je m'appelle Holly Starcross, écrit par Berlie Doherty, prof anglaise et auteure de nombreux romans pour enfants. Après l'avoir lu, je me rends compte qu'il n'est pas très représentatif dans sa catégorie, mais... ce petit ouvrage a des qualités insoupçonnées et il est beaucoup plus profond que je ne le pensais !



L'histoire 



Holly a quatorze ans et, comme beaucoup d'enfants de son âge, elle ne sait pas vraiment qui elle est. Qu'est-ce qui cloche chez elle ? Alors que tout pourrait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, elle se rend bien compte que son humeur maussade ne la quitte jamais vraiment. Tout l'énerve et personne ne lui paraît digne de confiance. Pourtant, lorsqu'on a une mère présentatrice de télé connue et admirée dans toute l'Angleterre, un beau-père qui joue les potes, des petits frères et soeurs pénibles par définition mais pleins de vie, une meilleure copine qui tient la route et un ordinateur connecté à Internet dans sa chambre, est-ce qu'on a le droit de se plaindre ? On pourrait dire que non... à première vue. En réalité, Holly souffre de l'absence de son père. Huit ans plus tôt, ses parents se sont séparés et sa mère a subitement fui la maison familiale pour s'installer avec un autre homme, l'emmenant avec elle sans lui donner aucune explication. Depuis, la pilule ne passe pas pour la fille du premier mariage. Elle ressent le besoin d'en savoir plus sur ce père dont elle n'a plus aucune nouvelle, et s'efforce vainement de comprendre la logique de sa mère à l'époque. Mais la célèbre Mrs Murray s'enferme à double tour dans le silence lorsque Holly la questionne... Heureusement, le mystérieux Zed et ses e-mails rassurants parviennent, à mettre un peu d'ordre dans le bazar infernal qui l'agite. Un jour cependant, la terreur envahit les couloirs du collège : des filles remarquent qu'un rôdeur passe ses journées près de l'école, planqué dans sa vieille voiture cabossée. Il paraît qu'il cherche une certaine Holly...


Et sinon, quand est-ce qu'on parle canassons ? 

"Où est le cheval dans l'histoire ?" me direz-vous plutôt, si vous êtes du genre poli. On y vient, on y vient. Le type qui tourne autour de l'héroïne n'est autre que son père, qui semble enfin avoir retrouvé sa trace après des années et des années de recherches infructueuses. Avec l'accord de sa fille, il l'"enlève" afin de la ramener "à la maison". La maison, c'est la ferme isolée de Noedale, dans le Derbyshire où il élève ses chevaux avec passion. Il y mène la vie simple et sans surprise qui lui plaît mais qui a fini par rendre sa femme malheureuse, petit à petit, jusqu'à ce qu'elle pète un câble... Holly n'a plus beaucoup de souvenirs de cet endroit ; la plupart renaîtront au fil de leur périple, notamment celui de la jument Dixie. Elle se rappelle alors le bien être qui l'envahissait lorsqu'elle était au milieu de ces grandes bêtes et qu'elle copinait avec Rosa, "son" poulain. O combien, déjà, elle les préférait à sa mère ! L'escapade de la jeune Holly et de son père prendra fin à l'issue d'une balade à cheval riche en émotions pour tout le monde.

Sur ce, interlude Petit Poney.
Désolée, j'ai encore trop de mal à ne pas me moquer. Mais j'y bosse ! 


Pire que les gosses 

L'inévitable confrontation entre Diane, la mère, et Phil, le père, sera l'occasion de souligner une réalité souvent peu osée en littérature de jeunesse : l'immaturité des adultes. En effet, les parents de la jeune Holly Starcross sont tous deux des enfants : l'un vit dans son monde de chevaux, l'autre veut punir son ex-mari d'avoir fait passer les animaux avant son confort en se barrant avec leur fille et en imposant à cette dernière d'"oublier" son père. En réponse à cela, le premier enlève la gamine pour que son ex-femme "voie ce que ça fait". C'est par pur égoïsme que Diane a refusé que Holly garde contact avec son père ; l'ultimatum qu'elle pose ensuite à sa fille, à savoir, choisir de vivre avec son père ou avec sa mère, ne vise qu'à piéger l'éleveur de chevaux : pour sûr, il ne s'en sortira jamais avec une ado à charge ! Le fait est que l'homme prend la fuite avant que leur fille ait pu donner une réponse, pour la plus grande joie de la mère qui se met à pérorer "ah, tu vois ! pas de couilles au cul !" Dans certains cas, la conciliation n'est pas possible, même des années après le divorce ! Alors la seule qui puisse faire son choix, de façon neutre, en tenant compte de ce qu'elle veut, elle (car ça, tout le monde s'en fout apparemment...), c'est Holly ! Pour quitter en paix le monde de l'enfance, elle a besoin de connaître son histoire, et celle de sa famille ; son père aura le mérite de bien vouloir répondre à ses questions (et d'être en mesure de le faire), même si l'homme de la campagne n'est pas exempt de tout reproche.

Ok, ils ont su se mettre d'accord pour appeler leur fille Houx.
 Par contre un divorce à l'amiable c'était trop pour eux...

Le choix  

Ok, Phil ne s'embarrasse pas de manières et offre même une bouffée de zénitude plus qu'appréciable pour l'adolescente sous pression : on va ou on veut, et après on verra. Voilà un style de vie auquel Holly n'est pas vraiment habituée, elle qui doit s'occuper des jumeaux, de Zoé, elle qui doit se montrer digne de sa mère, elle qui est bien trop grande pour qu'on la console quand elle pleure. L'espace de quelque jours, elle redevient la fille unique d'un père qui lui dit qu'elle lui a manqué, qu'elle est jolie, que ses idées sont super... Bref, la revoilà au centre de l'attention, et ce n'est pas pour lui déplaire. Mais, aussi improbable que ce soit, Holly a vite la nostalgie de la maison ; et surtout de Zoé, la petite dernière de la fratrie. Elle s'en ouvre à ce père qu'elle connaît si peu, introduisant avec classe et justesse la question du handicap. Lorsqu'on apprend à travers son regard qui se cache derrière le mystérieux Zed, on se dit que le choix de la raison s'impose... Sauf qu'on n'est pas à sa place. A vrai dire, ce roman est curieux : on a l'impression que tous les éléments sont réunis pour que le destin de l'héroïne tourne à la catastrophe, et le choix de la première personne dans la narration renforce cette idée : des ados insouciantes, un rôdeur qui les mate, un mystérieux correspondant virtuel bon pour les déclarations d'amour, une voiture en panne, des gares désertes, un hôtel mal-famé... Et pourtant... rien ne se passe. Les seules aventures dignes de ce nom sont celles appartenant à la "mémoire familiale" des ancêtres de Holly Starcross, que son père lui transmet petit à petit, à chaque étape de leur parcours.. Que va décider Holly ? Retourner chez sa mère ou rester à la campagne avec sa famille paternelle ? Le voilà, le suspense...

Vous l'aurez compris, j'ai été très agréablement surprise par ce petit roman que je pensais orienté sur le nombril d'une ado geignarde amie pour la vie avec les chevaux... et qui s'est révélé à mes yeux comme une quête d'identité, une réflexion sur le passage à l'âge adulte. Ne vous arrêtez pas à la couverture, qui est très jolie mais qui sonne un peu midinette, et plongez-vous dedans !

Je m'appelle Holly Starcross a fièrement gagné son badge Licorne de Brume, le label des jeunes lecteurs et lectrices perchés qui cogitent !




DOHERTY, Berlie. Je m'appelle Holly Starcross. Le Livre de Poche Jeunesse, 2005. Coll. "Mon bel oranger". ISBN 2-01-322018-9




mardi 4 février 2014

Des miettes au fond de la tasse


Il paraît que ça ne se dit pas, mais le motif de la madeleine de Proust m'a toujours inspiré de gros foutages de gueule. Pas plus tard qu'hier matin, alors que j'étais conviée au même titre que d'autres documentalistes de l'Académie de Créteil à un stage du PAF, j'ai testé ma blague habituelle auprès d'une collègue que je sentais assez réceptive à mes conneries. Pour poser le contexte, je précise que nous venions d'être fort bien accueillies dans un collège du 93, avec force café, gâteaux et madeleines, et que nous en étions au moment précis où tout le monde s'arrache le thermos des mains.


"C'est marrant, quand Proust trempe sa madeleine dans sa tasse de thé, ça lui rappelle des trucs. Moi, quand je tente l'expérience, j'ai même pas le temps de croquer dedans que ça fait déjà de la merde au fond de ma tasse !" 


(C'est pas de moi !) 


Aussi, vous m'excuserez, mais pour faire remonter mes souvenirs, j'évite de jouer avec la bouffe. Le meilleur moyen est encore de prendre sa pelle et d'aller retourner son cerveau tout seul comme un grand.

  

Septembre 2001

Il est LE redoublant de la classe, celui qui nous guide dans le lycée, les premiers jours, et nous aide à ne pas confondre les salles de physique-chimie _situées dans l'"Aile de la Cité" et les salles de SVT _qui sont planquées dans l'"Aile de la Vallée". A l'entrée du couloir, au troisième étage, il nous montre l'énorme photo satellite de la Terre collée au mur. 
"Vous avez qu'à mater le poster ! Quand vous le voyez, ça veut dire que vous êtes du côté bio." 
Estelle est folle de lui, au moins pour les quinze prochains jours. 
"C'est mon voisin ! Au collège, c'est moi qui lui portais ses devoirs quand il était malade !"  
Il est tout blanc, avec des pics au gel sur la tête. Il se fout très ouvertement de la gueule d'Estelle. 





En TP de bio, il est le voisin et Sabrina et tous deux brillent par leur capacité à se moquer des profs à travers des chansons connues. 
"Chouzy, Chouzy !" Font-ils en choeur, au passage du barbu en blouse blanche qui fait semblant de ne rien entendre. 
Et lui d'enchaîner aussitôt : 
"Monsieur, j'ai entendu sur NRJ qu'un gars s'était tellement retenu de pisser que sa vessie avait explosé ! Vous croyez que c'est vrai ? 
_ Oh, non ! Répond "Chouzy", une vessie, ça n'explose pas comme ça !" 



Mai 2002 

Après l'ultime contrôle de physique (ou chimie ?) de l'année, il jette sa copie sur le bureau de Jean François, le prof. JF fronce son unique sourcil et le fusille de ses yeux rapprochés, en vain. Il a déjà passé la porte du labo comme si de rien n'était. S'ensuit un prodigieux pétage de câble de part et d'autre, dont on n'a jamais connu le dénouement.

J'adorais caricaturer ce prof.


Septembre 2002 

Ils parlent tous les deux, un peu à l'écart du groupe, et j'écoute la conversation, l'air de rien. Il me semble qu'il prend souvent un malin plaisir à retourner le couteau dans la plaie de la fille qui est en face de lui. 
"Alors tu n'as pas pu t'inscrire en italien, finalement ? 
_ Non, on ne peut pas débuter en 1ère. Il aurait fallu que j'en fasse depuis l'année dernière. Du coup, je dois prendre Anglais Renforcé et ça me fait chier.  
_ C'est vraiment con. Mon frère était dans le même cas que toi il y a deux ans, et ils ne lui ont posé aucun problème. Il a pu débuter l'italien sans problème en 1° et même faire une option facultative maths. Meuf, t'as pas de chance, toi, en fait ! 
Il rit. Il m'énerve ! 


Quelque part en 2003... 

Il aperçoit la voiture de sa mère, et ne sait s'il doit rire ou s'inquiéter lorsqu'il voit le pare-choc avant défoncé, la plaque d'immatriculation qui pendouille et produit un cliquetis sur le goudron, à chaque tour de roue. Elle ouvre la vitre tandis qu'ils se penche vers elle, appuyé à la portière. 
"Qu'est-ce qui s'est passé ?
_ Un type m'a reculé dedans, apparemment. J'ai rien vu, j'étais au boulot. Il a laissé ses coordonnées. 
_ Espérons qu'elles soient pas bidons !" 



Avril 2003 

On part en Italie pour une semaine avec tous les pèlerins qui ont choisi la fameuse option LV3 italien, par goût ou par stratégie. Au programme, Vicence, Vérone, Padoue, Venise, Ferrare. Tout le monde est là, même ces petits cons de 2nde qui se la pètent avec leurs bandanas rouges dans les cheveux, et leur curieuse passion pour l'équipe de foot de Monaco. Dans le bus, il est à côté de Fabrice, qui s'endort avant-même qu'on ait passé les frontières de la Dordogne. Il est aussi le premier à détecter les ronflements et à suggérer à Benjamin qu'il les immortalise, lui qui possède un portable à fonction dictaphone. Un petit SONY tout bleu avec écran couleur qui fait un peu craquer tout le monde. Benjamin saute sur l'occasion et colle l'appareil près du visage de Fabrice. Il en fait même sa nouvelle sonnerie.

Il me tend le joint qui tourne depuis tout à l'heure. On est toujours en Italie, et la moitié de la classe s'est posée sur la terrasse de notre chambre d'hôtel. A peine douteux !   
"Adeline, tu fumes pas ? 
_ Non, je suis très allergique à la fumée, je peux finir à l'hosto si j'en respire. 
_ Bah ! 
Sabrina intervient. 
_ Moi aussi, je suis asthmatique et je fume quand même ! 
_ Ouais, ça dépend des gens. Mais j'ai pas envie de prendre le risque, là maintenant ! Ca gâcherait le voyage et ça vous attirerait des emmerdes. 
_ Mais sinon, t'aurais fumé ? 
_ Oh ben oui ! 
Il se tourne vers Benjamin, déjà en mode albinos sous l'effet du shit, et lui envoie un grand coup de coude.  
_ Eh, t'as vu Benji ! Elle est à deux doigts de fumer, la petite Adeline !"




Septembre 2003 

On a commencé depuis quinze jours à peine, et je suis déjà persuadée que je capterai jamais rien à la philo. Ni à la méthodo, ni au contenu. Savoir distinguer de ce qui est "certain" de ce qui n'est que "probable" ne me passionne pas des masses. Dans cette histoire, de toute façon, si on n'est pas en mesure de développer à la seconde les définitions et les divers sens possibles de tous les mots qu'on lit, on est sûr de se noyer dans l'abstraction. Même pas la peine de plonger. Bien sûr, ce con de pseudo prof qui nous dispense plus de pauses que de cours a cru bon de m'interroger, et j'ai répondu des trucs au pif, histoire de ne pas laisser entrevoir le vide intersidéral qui sert de champ de bataille à mes deux neurones.

Je me suis défoncée dans l'impro, et de manière tout à fait inattendue, il m'encourage juste après. Lui qui est toujours aussi blafard et qui a l'air presque blond depuis qu'il ne met plus de gel dans ses cheveux.
"Eh, pas mal du tout, ta réponse ! Apparemment c'était pas trop ça, mais à ta place, j'aurais répondu que dalle ! T'as la technique déjà !" 
Il était dit que la seule remarque sympathique que j'obtiendrais jamais de lui serait celle-là !   


Quelque part en 2004

En histoire-géo, il se prend souvent la tête avec M.Rodrigues ; le prof a un fort accent portugais qu'il cultive au quotidien, comme s'il craignait de le perdre. Un jour, répondant à une énième provocation de ce très grand gamin, il se retient de justesse de le traiter de con. 

"Espèce de......" 

Rodrigues plisse les yeux et se contient. La phrase demeurera inachevée. 

"Dommage, j'attendais que ça, qu'il m'insulte ! On aurait pu le faire virer !"


Avril 2004 

Je suis au CDI, avant-dernière "alvéole" de travail _la mienne ; elle donne sur cette sale bétaillère de cantine et sur le parking des profs. En bas, les internes regagnent leur chambre, chaperonnés par un surveillant. Je me fais un arbre généalogique et un tableau de correspondances avec les personnages de Perceval, d'abord parce que sans ça je m'y perdrais, et ensuite parce que ça me passionne. Ironie du sort, j'en suis tout pile au Sénéchal Keu, bien connu pour son côté langue de pute, lorsqu'il passe devant moi, longeant les rayons du CDI.

"Laaapin , kk kk ! Laapin, kk kk !"

Il repasse en sens inverse en me regardant, affichant son plus charmant sourire de faux-cul. 

"Laapin, kk kk ! Laapin, kk kk !" 



Depuis quelques semaines, il me fait des blagues, des allusions que je ne comprends pas vraiment mais dont je devine le sens global. Quand je suis seule, comme là, peu importe ! Grand bien lui fasse de rire à mes dépends s'il le souhaite ! Mais lorsque je parle à une pote et qu'il siffle en passant derrière nous, c'est terriblement rageant et pas dénué de conséquences sur mes relations amicales. A présent, il fait partie de ceux que j'aurai plaisir à ne plus croiser tous les matins, quand nous en aurons fini avec "J. de B". Pff !  


Mai 2004   

"Tu fais quoi, l'année prochaine ? 
_ Je pars six mois au Texas, chez ma tante ! 
_ Sérieux ? 
_ C'est presque calé. Sinon, je ferai une fac d'anglais !"  
Oui, c'est ça. Pars. Loin ! 


Juillet 2004 

J'ouvre Sud Ouest et je vais à la page des résultats du BAC ; hier, la plupart des candidats passaient les oraux de rattrapage. Il est dedans : il l'aura donc eu, au final. J'aurais bien voulu qu'il se plante, ça lui aurait fait les pieds, à ce con. Mais non, faut toujours qu'il s'en tire bien, lui

Quoi qu'il en soit, on ne se verra peut-être plus jamais de notre vie, qui sait ...? 

Le souvenir de ces pensées négatives est tellement précis qu'il vaut bien non pas une madeleine, mais un carton de gâteaux Bijou à lui tout seul. Je doute de m'en débarrasser, désormais.  

En effet, on ne se reverra plus...