mercredi 19 août 2009

Tubiche


Posted by Picasa

vendredi 7 août 2009

Les Pauvres Gens - Dostoïevski (1846)


Fin du XIX° siècle, à Saint-Pétersbourg : c’est déjà la crise. Un fonctionnaire d’âge mûr et une jeune bourgeoise déchue entretiennent une correspondance assidue et enflammée. L’attachement de la jeune fille, manifestement plus mesuré, contrebalance les folies de son soupirant, qui par amour dépense sans compter ce qu‘il n‘a pas, jusqu‘à tomber dans la misère la plus totale. Il faudra bien choisir entre sagesse et romantisme!


A travers les dialogues sentimentaux des deux héros, Dostoïevski dépeint la vie quotidienne du peuple russe, le système bureaucrate qui permet à peine de survivre, l’idiotie des codes sociaux incrustés dans l’âme de la multitude des fonctionnaires. Comme à chaque fois qu’on rencontre l’écriture de Dostoïevski, on a envie de dire : dépressifs, s’abstenir… pourtant, ce petit ouvrage, qui au passage n’est pas n’a un pavé et se lit très vite, nous est tellement actuel!

mardi 4 août 2009

La Vie de la Vieille - Le Loto


La Vieille et sa voisine, son unique et dernière amie, sortaient du café où elles venaient de descendre une bière. Elles arpentaient en titubant les trottoirs du village. La voisine retenait avec peine sur son crâne déplumé un large chapeau de couleur orange, dans un ton extrêmement vif, à mi chemin entre le modem et la DDE. Elle l'avait noué sous son menton, mais à force de parler et de boire, le lacet s’était relâché et pendait dans le vide.

«Faisons équipe!» Proposa la Vieille, car DDE woman venait de lui dire qu’elle était souvent chanceuse aux jeux de hasard.

_ Pourquoi pas. Mais comment? Peut-on prendre un carton pour deux?

Elles se rendaient toutes les deux au Boulodrome, à la sortie du village, où avait lieu le grand loto annuel des derniers jours de juin, qui célébrait le début de l’été et des vacances. On disposait tables et chaises sur le terrain de pétanque, à l’ombre des châtaigniers. Pour les collégiens, c’était l’occasion de se retrouver une dernière fois avant la fin des cours et de se foutre des vieux qui jouaient au loto. La Drôle comptait bien y aller aussi, de son côté, et songeait à part elle à un moyen d’éviter la Vieille, car elle savait qu’elle viendrait. Mais pour rien au monde elle n’aurait manqué une soirée avec ses potes, d’autant plus que la quine était suivie d’un grand concours de chant. Ils allaient bien rire en comptant les canards.

_ Partageons les lots, plutôt. Si l’une de nous gagne, elle donnera une partie du gain à
l’autre. »

Les jeunes n’avaient qu’à traverser la route en sortant du collège, et qu’à s’asseoir sur les bords du terrain de boules pour regarder la valses des cartons et des grains de maïs, en faisant ce qu’ils aimaient le mieux, c’est-à-dire rien du tout. La Drôle et sa bande de copains s’en lassèrent assez vite. A dix huit heures déjà, ils s’ennuyaient et partirent derrière les buissons qui cernaient le boulodrome.

L’un d’eux avait fait une trouvaille chez lui ou ailleurs, peut-être vaut-il mieux ne pas le savoir : des cisailles à métaux, destinées à la base à découper les grillages et autres fils de fer. Ils décidèrent de l’expérimenter sur le feuillage des buissons, puis sur les branches, puis sur le petit cheval de bois rouge à crinière jaune monté sur un ressort, interdit aux cavaliers de plus de cinq ans.

La crinière et le ressort avaient été broyés sans peine, alors maintenant, qu’allait-on faire? Vingt minutes de passées, et voilà qu’on s’ennuyait de nouveau. Fucking petit village! Une trentaine de mètres plus loin, l’animateur spécialisé en festivités de ce type égrenait les nombres égrenait les nombres, faussement enjoué.

_ Quine! Rugit la Vieille, pendant que sa petite fille se tournait les pouces avec ses amis, s’arrachant les cordes vocales à l‘occasion. On entendit plutôt « qui » que « quine » mais c’était valable quand même. Bingo eût mieux fonctionné. _ Et pour madame, répondit l’animateur à la voix chaude, pour madame… Il cherchait le lot. _ … Un superbe lot pour madame…

La Vieille venait de remporter un très coquet lot de cinq strings. Justement ce qui lui manquait, même si elle en avait déjà plein.

C’est d’ailleurs ce que sa voisine et équipière lui fit remarquer lorsque vint le temps des partages, quelques secondes plus tard. Mais la Vieille entendait à présent garder pour elle seule la marchandise. _ Le prochain, le prochain nous le partagerons. Là c’est impossible, tu vois bien qu’il y en a cinq, et que si nous coupons en deux, l’une de nous sera flouée! De toute façon, ça ne te va pas à toi, ces choses là. _ Qu’en sais-tu? Rétorqua la voisine, repositionnant ses lunettes à verres progressifs, piquée. _ C’est vrai, ce n’est pas toi qui pourrais le dire, Marcelle! Fit le père du boucher, et il insinua derrière sa moustache grise que ces petits objets n‘étaient adaptés à aucune des deux. Comme c’était bête d’avoir remporté un tel prix.
 _ Qu’il est vieux jeu!
 _ Sois réaliste! Tu feras donc la pute toute ta vie!

Il restait le garage à vélos. Comment n’y avaient-ils pas pensé plus tôt? Ces cisailles étaient vraiment au poil. Chacun avait massacré son antivol, la Drôle s’était montrée particulièrement adroite dans l’opération, en frappant le sien d‘une coupe nette et franche, et y avait gagné beaucoup de respect. Puis ils n’en prirent aux arceaux rouillés, prenant soin d’en détacher les vélos, les mobylettes qu‘ils retenaient, et de les entasser à l’abri des buissons. La poignée de fiers à bras avaient découpé puis tordu les arceaux du parking à vélos de façon à en faire des tiges à peu près droites. Tous en avaient une dans la main et ils ne tardèrent pas à s’échanger quelques coups amicaux dans le visage et à se picoter les tablettes de chocolat. Tout cela les amusait beaucoup, et la Drôle n’y allait pas non plus de main morte. Elle embrocha le beau gosse de sa classe avec tant d’enthousiasme qu’elle perça son polo DDP au niveau de la poitrine. Elle l’avait d’un coup fatal rendu indragable et il lui fit comprendre que cela allait lui coûter cher. La Drôle lui répondit qu’elle n’en avait absolument rien à foutre de ses menaces et profita de ce qu’il mesurait l’ampleur des dégâts, passant un doigt dans l’accroc, pour appuyer ses deux mains sur sa chevelure visqueuse de gel, réduisant à néant tous les efforts qu’il avait fournis le matin pour faire ressembler son crâne à un tapis de fakir. Seuls les gens qui ont déjà passé deux heures à se faire des pics avec du gel, prenant le risque d’empester l’huile de jojoba toute la journée, peuvent ressentir la détresse du cheveu qui retombe aussi vite qu‘un château de cartes. Aussi tous les jeunes se jetèrent sur la Drôle, commençant à la bousculer rudement. On riait moins, juste un peu pour ne pas attirer l’attention des mamies attablées pour la grande quine, au loin. La fille du groupe réussit à leur échapper et entra dans le local de l’association des boulistes, laissée libre pour l’occasion. On y avait entassé les lots, et les candidats au concours de chant y avaient répété tout l’après midi. A cette heure-ci, il n’y avait plus personne. C’était un maisonnette rudimentaire : deux pièces; une table et des chaises, un évier et un placard mural dans la salle principale. A n’en pas douter, un bureau et la caisse dans la seconde pièce, derrière la porte close. La fenêtre était restée fermée, il fallait que la fraîcheur reste pour que les jambons tiennent le coup et ne prennent pas les mouches.

Le ton montait, et chacun ajouta son grain de sel à la conversation. Les concurrents aux jambons se levèrent de table et vinrent se parler de plus près, se tenant par les manches. Le loto était interrompu et le micro sommait en vain les joueurs de se calmer et de se rasseoir. Il faisait beau et chaud, à la tombée du soir; le jardinier resté lucide à grand peine proposa de prêter son tuyau d’arrosage et de le relier au robinet du local pour asperger d’eau fraîche tous ces fous de lingerie, afin de leur remettre les idées en place : après tout, c’était très efficace quand on voulait séparer des chiens qui copulent, alors... Le maire donna son accord, et, mieux, trouva l’idée bonne, et la comparaison meilleure encore.

La clé pendait au placard mural. Le nain à moustache du groupe ouvrit la porte, constata qu’il était vide, à part quelques bouteilles, un service à whisky, mais d’ailleurs, peu importe, et suggéra à ses amis de pousser la Drôle dedans. Ce fut très facile, elle s’y jeta presque d’elle-même, sous la pression des tiges rouillées. Ils fermèrent la porte à double tour et se saisirent de la clé, pendant que la fille insultait leurs aïeux jusqu’à la septième génération et les castrait à distance de sa langue de feu. A l’étroit dans son placard, elle tentait tout de même de jeter des coups d’épaules dans la porte, plus pour signifier à ses petits camarades qu’elle aussi avait de la force, que pour casser la porte. Sortir, était-ce souhaitable, étant donné ce qui l’attendait dehors? Les gars bourraient la porte de coups de baskets, grognant comme des loups et criant wazaaaa. Remarquant un décalage entre le plancher et la porte du placard légèrement surélevé, ils s’agenouillèrent et lui asticotèrent les pieds en passant les barres de fer dans l’espace, gloussant de plus belle lorsqu’elle tentait de bloquer leur petit jeu en écrasant les barres de tout son poids. Soudain lassés, ils firent passer la clé sous la porte : c’était elle qui l’avait maintenant, alors, qu’elle se débrouille avec!

Bien entendu, la clé du placard lui était absolument inutile, et cette dernière plaisanterie la fit enrager. Le rire s’évapora subitement; elle n’entendit plus rien que le silence, et les pas précipités de ses camarades, ce qui ne manqua pas de l’étonner.

De sa prison dont elle seule avait l’outil de délivrance, elle tendit l’oreille. Dehors, le loto battait son plein, mais le brouhaha ne manqua pas de l’étonner. Les lots devaient être particulièrement intéressants ce soir-là. Plus tôt dans l’après-midi, des collégiens avaient assuré qu’on entassait près du terrain de boules une cargaison phénoménale de barils de lessive.

Puis de lourds pas précipités et énergiques, de nouveau, mais ceux-là se dirigeaient vers elle.

« Où est ce putain d’évier? »

Le type dût le repérer facilement, car ses pieds tournèrent sur eux-mêmes pendant quelques secondes avant de l’amener dans le coin de la pièce. Rien à voir avec ses potes; il était sûrement digne qu’on lui file la clé.

« Sortez moi de là! »

Le gars était déjà reparti.

« Mais quel con!

_ Quoi? »

Non, il était toujours là, en fait, mais elle ne l’avait pas vu visser un tuyau d’arrosage emprunté au jardinier sur le robinet. Cette opération lui demandait une certaine concentration et l’avait rendu silencieux jusque dans ses jurons.

_ Y a quelqu’un?

_ Oui, dans le placard, ils m’ont fermée! Prenez la clé et faites pas l’andouille avec, s’il vous plaît.

_ Laisse-moi deux secondes, que j’ouvre le robinet à fond. Y a des vieux à calmer, dehors. Qui ça, ils?

_ Des fils de pute.

La clé tomba sur le plancher, il la ramassa et la fit tourner dans la serrure. La porte s’ouvrit, le sauveur en tee shirt jaune cocu vit passer une ombre et entendit un « merci » légèrement teinté d’agacement. Il haussa les épaules et retourna à son robinet. L’eau coulait à flots dans le tuyau en caoutchouc percé à plusieurs endroits. A l’autre extrémité, sa femme avait arrosé un par un les papys qui se tenaient au collet, la bave aux lèvres, mamies aux langues venimeuses et aux canes aiguisées, dont la Vieille et sa voisine au chapeau du Modem. Par mégarde, l’eau était venue tremper la conséquente cargaison de lessive, d’une valeur de 200 euros, qui n’avait pas encore été remportée.

Lorsque la Drôle s’extirpa enfin de la petite maison moisie, le boulodrome était couvert d’un blanc manteau de mousse et embaumait Le Chat spécial blancheur pour plus de douceur. Balayant du regard l’attroupement de ses voisins plus ou moins âgés grouillant dans la mousse et échangeant très fort des mots hostiles, elle reconnut l’un de ses geôliers boutonneux, qui avait pris parti dans les débats. Dans la panique générale, elle put se rapprocher de lui assez discrètement pour qu’il ne remarque pas sa présence et empoigner sa cheville et la tirer en arrière. L’agitation était telle qu’on n’aurait pas bronché même si on avait un ours sortir du buisson. Il glissa et tomba face contre terre, le nez fracassé sur le gravier humide du boulodrome. Elle posa ses pieds sur la colonne vertébrale du pote et sauta à pieds joints sur lui, par deux fois. Autour de lui, la mousse se colora de rouille, alors elle estima qu’il avait eu sa dose pour la journée. En prenant la fuite, elle ne put s’empêcher de faire manger du savon à un vieux qui avait perdu sa canne, lui faisant perdre l’équilibre d’un simple coup de pied sournois dans la cheville, parce qu’après tout, il fallait bien qu’elle s‘amuse, elle aussi. Il paraît qu’une fois rentrée à la maison, elle fit payer à sa famille ses mésaventures de la journée et prit grand plaisir à les emmerder.

Les strings s’étaient perdus dans la bataille, sans doute noyés dans les bulles de savon. Sur décision commune du maire et de l’animateur, qui céda son micro au premier pour l’occasion, la Vieille et sa voisine furent priées de déguerpir sans le lot escompté. Il faudrait aussi penser à un plus que probable dédommagement après cette catastrophe surnaturelle.

« A propos de dédommagement » , grogna la Vieille, outrée par un dénouement trop pacifique à son goût, « je veux au moins qu’on me rembourse mon carton! » C‘était bien la moindre des choses, non? La mousse montait à mi-hauteur des thuyas, et les décorait joliment. Cependant la scène était terriblement inhabituelle pour les villageois, aussi se sentaient-ils tous mal à l‘aise, et pas seulement les vieux, comme on aurait pu le croire, bien au contraire. On ne les avait pas vus aussi fascinés et effarés depuis la tempête de 1999 : il serait difficile de maintenir les parties de boules dans les prochains jours.

lundi 27 juillet 2009

Contes et récits - Oscar Wilde (1888 - 1891)


Cette édition regroupe trois recueils parus séparément, à la base :

  • le Prince Heureux
  • une Maison de Grenades
  • le Crime de Lord Arthur Savile

LE PRINCE HEUREUX ET AUTRES CONTES (1888)

Les cinq contes du Prince Heureux nous accrochent immanquablement par leur fantaisie ; la légèreté des animaux parlant rend la gravité, voire la cruauté des situations plus tranchante encore. Si vous aimez les oiseaux prêts à se sacrifier pour une statue déprimée ou un étudiant aux lourds soupirs, un meunier aveuglé par son cœur trop grand, des feux d'artifice vivants et querelleurs, un géant repenti, vous ne ferez qu'une bouchée des cent premières pages du livre.

UNE MAISON DE GRENADES (1891)

Bienvenue dans un monde de malaise! Un berger devenu roi, esthète et fasciné par un luxe qu'il découvre, rencontre dans un mauvais rêve les injustices du monde qui l'entoure. Un jeune prince abandonné et recueilli par un bûcheron règne en tyran sur ses petits frères, misérables authentiques, leur rappelant sans cesse ses origines. Il fait écho à la capricieuse infante d'Espagne amusée par la laideur d'un nain insouciant. Une reprise inversée du conte de la petite sirène, un peu lassante lorsqu'elle raconte les démêlés d'un pêcheur et de son âme, mais non dépourvue d'originalité : il n'y a bien que chez Oscar Wilde qu'on remonte des sirènes dans un filet de pêche.


LE CRIME DE LORD ARTHUR SAVILE ET AUTRES HISTOIRES (1891)

Troisième volet, et nouveau changement de tonalité. Le public visé est restreint, hormis le fantôme de Canterville, histoire souvent adapté pour les enfants, et de loin la plus comique du corpus.

Le Crime de Lord Arthur Savile porte un regard amusé et critique sur la société mondaine que l'auteur fréquentait. C'est lors d'une réception chez une amie de la haute que Lord Arthur Savile apprend, suite à la prédiction d'un chiromancien, qu'il ne pourra épouser sa fiancée avant d'avoir commis un meurtre. Par amour, le jeune homme part en quête d'une cible facile. Mais il n'est pas si simple de tuer un homme.

Le Sphinx sans secret : une femme aux allures mystérieuses se rend dans un hôtel, croise son amant sans le voir et lui assure le soir-même qu'elle n'a pas quitté sa demeure. Que cache-t-elle? A-t-il rêvé?

Le Fantôme de Canterville n'a pas le sous-titre de "fantaisie" pour rien. Lorsque la famille du ministre américain Otis s'installe dans le domaine de Canterville, personne ne se soucie du fantôme qui y sommeille. Ni l'un ni les autres ne sont décidés à quitter les lieux.

Le Millionnaire Modèle : histoire dans laquelle un dandy généreux plus que de raison se rend compte que l'habit ne fait pas le moine.

Le Portrait de Mr W.H revisite les Sonnets de Shakespeare. Erskine refuse de croire à la théorie de son amie Cyril, qui semble avoir trouvé le mystérieux W.H dédicataire des Sonnets de Shakespeare : il s'agirait d'un comédien, Will Hughes. Il demande une preuve irréfutable de l'existance de cet acteur, afin d'être convaincu. Incapable de la lui fournir, Cyril fait peindre un faux portrait de Will Hughes, qu'il dira avoir trouvé par hasard, en achetant un meuble d'époque.

Illustration : Oscar Wilde, Contes et récits, Edition Le Livre de Poche, Préface et notes de Pascal Aquien, 382p., 2008

samedi 25 juillet 2009

L'adieu aux armes - Hemingway (1929)

Pendant la Première Guerre Mondiale, Henry, jeune médecin américain, s'engage volontairement dans le secteur médical de l'armée italienne. Il devient officier à Gorizia.



L'histoire commence pendant une période plutôt « calme » mais indécise d'une guerre que personne ne craint vraiment, qui n'en est encore qu'à ses débuts et qui paraît si lointaine qu'on pense qu'elle va finir avant même d'avoir commencé... A moins qu'elle s'éternise et que les armées végètent pendant des années. Toujours est-il qu'Henry et les infirmiers sous ses ordres sont tenus à l'écart du danger, confinés dans leur caserne, ne sortant que pour de menues responsabilités, leur temps libre réparti entre vin et nuits passées auprès des prostituées.

Accompagné d'un ami, Henry rencontre Catherine, une infirmière anglaise avec laquelle il sympathise. C'est un personnage assez étrange, contradictoire, à la fois responsable et folle, mettant tout en oeuvre accrocher le regard du médecin américain, le repoussant aussitôt lorsqu'elle y parvient, voulant lui signifier par là qu'elle accepte ses avances, manifestant à chaque réplique un irrépressible besoin d'amour, quitte à paraître un peu collante ou nunuche. Un peu la Nadja de Breton, mais en moins pire quand même ^^. Cela semble lui convenir tout à fait, à Henry ; du reste, on n'en sait rien. Il me semble qu'une des particularités des personnages d'Hemingway est de paraître un peu amorphes, indifférents à tout, pas vraiment héroïques, pas mauvais non plus, juste « humains » par leur imperfection, voire un peu débiles quand il leur prend l'envie de répéter plusieurs fois la même chose. Henry fera tout pour Catherine, il se jure de se mettre en quatre pour elle une fois qu'elle sera à ses côtés, d'accord, mais ce sera à condition qu'il sauve sa propre tête. Pendant les combats, c'est bel et bien à lui qu'il pense, pas la peine de se voiler la face avec du faux sentimentalisme à la gomme. Ni du patriotisme. Chaque chose en son temps, et chacun pour soi.

Evidemment, l'histoire pourrait finir comme ça, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants, mais ce serait oublier que l'Adieu aux armes est quand même un roman de guerre. Les combats commencent, et au cours d'un déplacement apparemment sans danger, Henry est assez gravement blessé au genou. Il est transféré à l'hôpital de Milan où, surprise, comme de par hasard, Catherine s'est arrangée pour être infirmière et tient absolument à prendre en charge le service de nuit ^^ . Evidemment, leur relation ne passe pas inaperçue et est assez mal vue des autres infirmières, en particulier de la directrice, à qui l'on attribuera la palme de meilleure rombière acariâtre du récit, et qui poussera le vice jusqu'à accuser le médecin blesser de «simuler» quelque peu sa blessure pour échapper au combat; le tout en étant consciente que les blessures volontaires aboutissent souvent à une condamnation à mort. 

C'est encore convalescent et la mort dans l'âme que Henry reprend ses fonctions, ayant à peine le temps de promettre un futur mariage à Catherine, qui lui annonce qu'elle est enceinte. Il n'aura plus qu'une idée en tête, déserter dès que possible, récupérer sa fiancée et passer en Suisse pour commencer une nouvelle vie.

C'était plutôt osé de construire un roman à la fois avec des récits de combats et une histoire sentimentale, sans que l'un prédomine sur l'autre. Les deux intrigues se tiennent très bien et s'entremêlent sans tomber dans la description de cadavres sanglants permanente, ou dans l'épopée fleur bleue. De toute façon ni l'un ni l'autre n'intéressait l'auteur, pour qui l'homme est un animal comme un autre, avec ses éclairs de génie et ses faiblesses, sa stupidité.

Edition utilisée : 
HEMINGWAY, Ernest. L'adieu aux armes. Folio, 2008. 

La Vie est un songe - Calderon (1635)

Pièce de théâtre de Pedro Calderon de la Barca, écrite en 1635. Traduction de Damas-Hinard, 1845

La scène se situe en Pologne. Le roi Basilio se sent vieillir et pense de plus en plus à annoncer à son peuple qui sera son héritier. Vraisemblablement, le choix balance entre son neveu Astolphe et sa nièce Estrella. Pour être sûr de na pas finir dindon de la farce, Astolphe a déjà prévu de se marier avec Estrella, qui part avec un léger avantage dans la course au trône. Tous ignorent que Basilio a un fils caché, enfermé à l'écart de toute société dans une grotte. Il est surveillé attentivement par Clotaldo, un vieillard.
Pourquoi un tel traitement envers Sigismond, ce fils unique considéré comme une bête sauvage? Simplement pour une question d'étoiles. Basilio a ses faiblesses : il est fou d'astrologie, c'est un savant dans ce domaine. Il a ainsi lu dans les cieux que son fils, s'il régnait, serait un véritable despote et ne causerait que des malheurs. Il fallait donc éviter ce désastre et de le distancier le plus possible de la cour. Un peu comme Oedipe et les prédictions qu'on essaie en vain d'éviter.
Sigismond, le principal intéressé, ne connaît évidemment rien de l'histoire, et, une fois devenu adulte, il passe son temps à se demander la raison de cet isolement forcé, ce qui le rend quelque peu nerveux. A tel point que son gardien n'ose pas trop l'approcher, de peur que le prince déchu ne le « broie en le pressant contre sa poitrine ». Le seul moyen de le contrôler est de l'endormir avec un antidote.
Un beau jour, arrive Rosaura, tel un cheveu sur la soupe, déguisée en chevalier et décidée à se venger d'Astolphe, son amant qui l'a quittée par opportunisme, donc. Accompagnée du bouffon Clairon, qui va apporter une note de comique à la pièce, elle tombe involontairement dans l' « enclos » de Sigismond et se fait enguirlander par Clotalde (« propriété privée, mince alors! »), avant que ce dernier découvre la supercherie et reconnaisse en elle sa fille, qu'il avait perdu de vue depuis des années. Le monde est petit (surtout dans les pièces de théâtre)! Clotalde, qui en fait, l'a plus ou moins abandonnée (on le comprend au bout de quelques scènes), essaie de se racheter en lui promettant de la venger en plantant deux ou trois bons coups d'épée dans les tripes d'Astolphe.
Basilio a bien réfléchi et rassemble sa cour : il laissera sa chance à l'héritier direct, le solitaire Sigismond. On n'aura qu'à l'endormir pour l'amener sur le trône, et si son comportement est mal approprié ou laisse percevoir les signes d'un futur tyran, on aura qu'à le rendormir, le ramener dans sa grotte et lui faire croire qu'il a rêvé. De cette manière, pas de risque de rébellion de sa part. Astolphe et Estrella tirent un peu la tronche, forcément, mais ils font bonne figure.
Sigismond se réveille dans une chambre princière, et, habitué à moins de luxe et de liberté, il en profite un maximum sans se poser de questions. Elevé à l'écart de sa société, il se comporte en brute, jetant par la fenêtre du château un valet qui lui résiste, et s'apprête à sauter sur la première fille qu'il voit, à savoir sa cousine Estrella. Cette réaction impulsive n'est pas sans nous rappeler Perceval. Apercevant Clotalde, son geôlier, il tente également de l'assassiner; c'est Astolphe qui s'interpose et lui sauve la vie : difficile maintenant de récupérer l'honneur de Rasaura en lui ôtant la sienne.
Basilio accourt afin de calmer ses débordements, mais ne fait qu'accentuer sa rage. Tout est clair pour nous : s'il est aussi agressif, c'est parce qu'il ne comprend pas pourquoi il a été rejeté aussi longtemps, et veut rattraper le temps perdu, se venger et faire payer à tous ses mauvaises conditions de vie. C'est en voulant éviter la prophétie des étoiles que Basilio a permis à Sigismond de se forger un caractère de despote, c'est à lui de voir s'il vaut mieux qu'elle se réalise complètement, ou qu'elle s'arrête, quitte à fausser la traditionnelle passation de pouvoir ...
Vous pouvez lire La vie est un songe de Calderon en ligne.