dimanche 10 janvier 2010

L'Australie collée au cul


« L’amour nous rend parfois bien malin », pensait Bernard en regardant son derrière dans la glace, le visage retourné au point de s'en provoquer un torticolis. Lorsqu’il avait rencontré sa femme, au cours d’un voyage en Australie, sa vie avait basculé dans un mélange d’euphorie et de sérénité enivrante ; à tel point qu’un beau jour il avait décidé de se faire tatouer le cul d’une carte de la terre sacrée des koalas. L’opération avait duré plusieurs heures mais le résultat était là : madame était fort contente.


Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Quelques années plus tard, Bernard se retrouva seul et dut reconnaître que son arrière train customisé n’avait plus de raison de vouloir se distinguer des autres. Il était même devenu un peu trop personnalisé pour tout le monde, et il avait précipité à lui seul la fin de plusieurs idylles pleines de promesses ! En effet, les copines de Bernard se succédaient avec une cadence soutenue, car il n’était pas si laid, dans la force de l’âge, un peu déplumé du crâne, un peu moustachu, un peu alcoolique aussi… mais il paraît que les filles aiment bien ça ! Pourtant, elles étaient toujours effrayées la première fois qu’elles le voyaient sans son slip kangourou : pensant d’abord qu’il souffrait de problèmes d’ordre gastrique, elles osaient par la suite, un brin hésitantes, lui demander s’il vivait bien cette tâche de naissance qui s'étendait de part et d'autre de la raie. Aussitôt, le spectre de l’ex hantait la chambre pour une bonne partie de la nuit.

Evidemment, ça ne pouvait plus durer ! Bernard s’adressa à un spécialiste du décollage de tatouage, qui ne put rien faire, car l’Australie…C’est le jeu ma pauvre Lucette ! Tous les rayons laser du monde seraient sans efficacité, c'était écrit, et même dessiné!!

Heureusement, Roger, le meilleur pote de Bernard depuis toujours, était là ! Il avait momentanément disparu de la circulation après une opération de chirurgie esthétique, si l’on peut dire : Roger avait était gâté par la nature, puisqu’il était né avec un appareil génital sur la tête (en plus de l’autre placé comme il se doit), ce qui l’avait obligé à porter constamment un bonnet pendant toute sa jeunesse. Par chance, il avait rencontré un savant charlatan diplômé en médecines douces qui avait su alléger son poids. Un miracle ! Son crâne était tout lisse – il avait du sacrifier ses cheveux par la même occasion, mais c'était un moindre mal.

Peut-être pourrait-il aider Bernard, également!

Roger et Bernard se rendirent dans l’heure au cabinet, ou plutôt à la cabane au fond du jardin du digne charlatan. C’était un vieux bonhomme fort bavard et on ne peut plus accueillant. Il leur paya une bière maison et leur exposa l’issue possible au problème de l’homme au derrière colorié.

Le processus était simple : il fallait s’asseoir dans la neige pendant 4 heures d’affilée. Mais à certaines conditions ! Bernard devrait attendre la prochaine pleine lune, sortir par une nuit neigeuse et se poser au milieu du Miroir d’eau bordelais gelé et recouvert de flocons, de préférence, sur les coups de 2h du matin. Il était important qu’il ne bouge pas d’un poil jusqu’à 6h. Après ce traitement, le tatouage aurait entièrement disparu, c'était certain. Evidemment, il pouvait prévoir un thermos et de quoi passer le temps et éviter de s'endormir. Après leur avoir donné ces consignes, le savant leur raconta les bienfaits du froid – il leur assura entre autres qu’avoir des rapports sexuels dans la neige était un très bon moyen de contraception, car les spermatozoïdes étaient rapidement pris d’éternuements, ce qui les rendait inaptes à la fécondation pour telle et telle raison, etc...

Bernard n’était pas très chaud mais se sentait prêt à braver le froid pour retrouver son derrière d’origine. Les premiers jours de janvier furent froids, neigeux et pleine lunaires : toutes les conditions étaient réunies ! Une nuit, un peu avant 2h, Roger et Bernard longèrent les quais et marchèrent sur le Miroir d’eau pour choisir le lieu de congélation. Roger avait prévu une glacière avec des sandwichs, et des magazines à public ciblé, histoire de s'occuper un peu. Au bout d'un quart d'heure, il eut pitié de Bernard, qui ressemblait maintenant à un bonhomme de neige posé sur le trône. Alors, par pure solidarité, il se fit une place dans la neige et adopta la même position que son pote, bien qu’il n’eut aucun aucun tatouage à faire disparaître. Il voulait simplement que Bernard se sente moins seul dans sa souffrance.

Cette nuit là, entre deux et six heures du matin, certains purent s’étonner de voir deux gars assis à moitié à poil dans la neige, au beau milieu du Miroir d’eau, saupoudrés de flocons.

A six heures, Bernard se leva comme il put. Roger, qui luttait contre l’hypothermie et avait remis son bonnet, réagit à peine aux manifestations de joie de son pote : son cul était entièrement bleu, et, de fait, le tatouage avait disparu ! Quelle victoire ! Il faisait des petits tours sur lui-même en admirant sa réussite. L’autre ne se relevait toujours pas, et pour cause : par je ne sais quelle fait de la nature, son derrière avait gelé différemment et il était maintenant pris dans la glace et collé de force au miroir d’eau enneigé. Le moindre mouvement lui causait une douleur épouvantable.

Il fallait attendre que la glace fonde pour se relever, et ça prendrait peut-être plusieurs heures ! A moins qu’en versant un peu d’eau chaude dans la neige tout autour de lui…

« Bernard ! Tu pourrais aller me chercher un peu d’eau chaude ? Bernard ! Tu m’entends ? »

Mais Bernard avait vidé les lieux ! Il s’était rhabillé depuis longtemps et était déjà parti fixer un rancart à l’autre bout de la ville, sans se préoccuper du sort de Roger, chantant la joie de sa peau retrouvée! Il faut croire que ce bonheur-là ne se partage pas…

Morale de l’histoire : Régis est un con, mais Roger est trop bon trop con …

Morale sans rapport avec l’histoire : Qui baise dans la neige congèle un bébé.