jeudi 31 juillet 2014

Festival du Titre à la con : Banana Spleen - Joseph Incardona (2006)



Comme à chaque fois que je viens passer quelques temps en Dordogne, je me cale une journée pour faire les boutiques à Périgueux avec ma soeur. Après moultes concertations, nous avons décidé de nous retrouver samedi dernier _jour de passage du Tour de France dans la ville. Autant dire qu'on n'avait pas choisi la meilleure date pour être au calme. 

Avec le site qui va bien, s'il vous plaît !


Tour de France ou pas, le passage à Marbot était inévitable. On y est resté deux bonnes heures en fin de matinée, alors qu'à l'extérieur l'ambiance montait en même temps que le soleil, les Périgourdins commençant sérieusement à se fixer aux barrières de sécurité. Marine est allée voir le rayon Rap/RnB, tandis que je me suis mise à faire un truc que j'adore : repérer les titres à coucher dehors sur les couvertures des livres. Une fois n'est pas coutume, l'exercice à donné lieu à quelques craquages, dont celui-ci :     


Banana Spleen, mais quelle idée !
D'entrée, un coup de sécateur aux mauvaises langues : c'est le titre qui m'a accrochée, pas la couverture. Quoique, au vu du contenu, ça aurait valu la peine d'y accorder un peu d'attention avant de me lancer dans la lecture...


L'histoire

Genève, 2000.
André Pastrella, un écrivain trentenaire alcoolique et agile de la queue, avait presque réussi à se ranger grâce à la belle Gina. Elle lui avait donné la force de lâcher la bouteille de temps en temps, la motivation pour s'accrocher à son boulot de prof remplaçant, l'envie de faire des projets et de se poser au milieu d'une belle famille chaleureuse. C'était trop beau pour durer. Un matin, on lui apprend la mort de sa copine dans un accident de la route. Alors forcément, André perd pied et retombe dans la spirale infernale, entraîné par ses vieux démons.

Banana spleen nous raconte la réaction d'un homme après un choc de taille : comment peut-on continuer à vivre ? à quoi peut-on se raccrocher pour éviter le dérapage malencontreux qui peut nous détruire et laminer notre entourage ?  



Regardez le petit Suisse qui s 'embourbe !


André Pastrella va successivement perdre son travail, se brouiller à moitié avec sa belle famille, faire n'importe quoi avec son fric, quitter son appart sans savoir où aller, pointer au chômage, s'inscrire à un stage de reconversion où il va faire la rencontre de la charmante Judith. Pendant cette longue descente aux enfers qu'il provoque lui-même faute d'être bien entouré, rares sont les points de repères qui le relient bonheur passé : la ville de Genève, où se déroule l'histoire, l'alcool, sa queue, l'écriture et son meilleur pote, Pablo le brocanteur.      

Qui dit brocante, dit... 


Je ne sais pas quoi penser de Banana Spleen. Beaucoup de critiques lues sur Internet décrivent ce roman comme "émouvant" et "plein d'humour"*, et je veux bien les croire. Mais personnellement, ça ne m'a ni touchée, ni fait rire. Certaines situations se veulent cocasses, c'est évident. Par exemple, peu après la mort de Gina, André se réfugie dans la foi pendant quelques temps : il affiche l'image de Jésus dans sa salle de classe, s'achète une statue de Saint Antoine et récite l'Évangile à qui veut l'entendre (ou pas). Tous les ingrédients du comique étaient réunis, et allez savoir pourquoi, quand je l'ai lu, c'est tombé à plat. Je devais pas être dans un bon jour, car l'écriture de Joseph Incardona est très agréable à lire, alors pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas ? A vous de vous faire votre propre idée en le lisant...  

L'air de rien, on a bien envie de savoir ce que ce anti-héros atteint d'une poisse presque kafkaïenne va devenir, sur quelle peau de banane il va glisser, s'il va s'en relever. Est-ce qu'on veut qu'il s'en sorte ? Pas sûr. André Pastrella n'est pas un personnage attachant, avec son humour à deux balles, son peu de considération pour toutes les femmes qui ne sont pas Gina, son comportement d'adolescent en crise. Cependant, cet homme esseulé qui aimerait faire son deuil et qui n'y parvient pas, faute de savoir comment s'y prendre, est tout aussi crédible qu'un veuf qui se liquéfie.




Auteur ? Narrateur ? Au pire... 

L'écriture est quand même l'antidépresseur numéro 1 de l'écrivain, en principe. Encore que... Ici, Joseph Incardona a eu la bonne idée de nous faire partager le processus créatif de son personnage. D'ailleurs, on se doute bien que l'auteur a crée un héros à son image : où s'arrête Joseph et où commence André ? On ne le saura pas, et c'est ça qui est bon. Personnellement, après un semestre passé sur Du côté de chez Swann (Proust) à la fac, j'ai beaucoup trop joué aux 7 différences entre "Marcel" et "Marcel" me avoir la force de me pencher sur la question. Toujours est-il que, tous les jours, André compose des nouvelles. Elles ont forcément un lien, de près ou de loin, avec sa dernière mésaventure, sa dernière conduite à risque : ici une jeune fille qui fait du stop, là un homme qui force sa femme à faire du sport parce qu'il aime l'odeur de sa transpiration, ou encore des enfants qui se lancent des défis sur la voie ferrée... Ces morceaux d'histoire nous en disent beaucoup plus sur l'état d'esprit du personnage, sur sa manière d'affronter la mort.


C'est parti pour le Quart d'heure Coincé du Cul, désolée ! 



Je n'aime pas jouer la rabat-joie de service, mais trop de cul tue le cul. Si Banana Spleen (aussi, avec un titre pareil, c'était obligé...) est un ouvrage plus profond qu'un roman érotique, les scènes de sexe sont bien au rendez-vous, pas de doute là-dessus. Les machos en manque apprécieront, les autres un peu moins, peut-être.

Que Joseph Incardona prenne soin de nous décrire son héros en train de se faire sucer par une fille à un moment bien précis du roman, passe encore : le lecteur comprend rapidement que cet acte aura des conséquences directes sur la suite de l'histoire ; par conséquent, détailler la pipe du début à (un peu avant) la fin est tout à fait légitime. Mettre en scène un personnage principal ouvertement porté sur la chose, pourquoi pas ? Y a pas de mal à ça. Mais nous annoncer gratuitement, toutes les deux pages, que Pastrella est en train de se branler avec un string de sa copine, qu'il bande au réveil, ou en visitant un appart dans lequel il s'imagine déjà baiser ici et là, ça ne sert à rien et je ne vois pas vraiment qui ça pourrait exciter. A part des mecs plongés dans le récit au point de se confondre avec "Dédé", éventuellement.



Au fait ! 

Second roman de Joseph Incardona, Banana Spleen est la suite du Cul entre deux chaises, dont André Pastrella est déjà le héros.


INCARDONA, Joseph. Banana Spleen. Pocket,  Paris. 2009. 345 p. ISBN : 978-2-266-16436-8 

* Au dos de l'édition Pocket, on peut même lire "Jubilatoire !!!", mais là, honnêtement, c'est vraiment trop...

   

mardi 29 juillet 2014

Quelques tags...

Hier, j'ai repéré quelques tags dessinés près du canal de l'Ourcq, au niveau de l'écluse de Sevran. Ca valait le coup de les immortaliser avant qu'ils ne soient recouverts par d'autres...









lundi 28 juillet 2014

Larme de rasoir : Wonder - R.J. Palacio (2012)


Et qui c'est qui vient vous parler d'école 
en plein milieu des grandes vacances ???

C'est bibi !!!!

Pour vous servir ! 

Après avoir lu intégralement Mon ami Dahmer (Derf Backderf) à la FNAC des Halles, j'étais tellement retournée que, tel un gosse, je me suis dit qu'il me fallait absolument un cadeau pour me consoler ! 

Après lecture des première pages, j'ai opté pour ceci :   

Wonder - R.J. Palacio
Oui, je sais, ma légende ne sert à rien, c'est déjà marqué.

L'histoire 

August Pullman est un garçon presque comme les autres : il aime les jeux vidéos, sa Xbox, Star Wars, le foot et faire du vélo. Tout irait bien si un chromosome récalcitrant et une succession de bugs génétiques ne l'avaient pas fait naître avec un visage difforme. Résultat, du haut de ses dix ans, il effraie bien malgré lui tous ceux qu'il croise sur sa route.. Difficile de se faire des amis dans ces conditions.

Afin de le protéger de la maladresse et de la cruauté des autres enfants, ses parents ont choisi de ne pas l'inscrire à l'école primaire. Mais ils sont également conscients qu'August devra un jour ou l'autre affronter la réalité pour espérer se sociabiliser malgré sa face ravagée. Alors, puisqu'il a l'âge d'entrer en 6°, ils décident finalement de l'inscrire dans un collège pas trop grand et tout proche de chez eux ; le petit Quasimodo des temps modernes est cent fois plus flippé que les autres élèves de 6°. Survivra-t-il jusqu'au prochaines grandes vacances ? Wonder retrace ses efforts quotidiens pour s'intégrer dans son bahut malgré son physique repoussant.

Et là, vous vous dites : "Mais c'est n'importe quoi ! il va se faire laminer, insulter, arracher ce qui lui reste de potable sur la gueule, cracher dessus, taper, et ainsi de suite jusqu'à nous faire au mieux une phobie scolaire, au pire une fusillade !Petite précision : ça se passe aux Etats-Unis. Comme le dit très bien Nate, le père d'August, plutôt contre l'idée de voir son petit monstre quitter le cocon familial au début du roman, on a l'impression que le jeune héros est entraîné dans son école "comme un agneau à l'abattoir".

Histoire de bien vous achever avant de commencer à lire vous-même le livre, je vous fais partager quelques bribes de la présentation d'August par lui-même, dans le premier chapitre :

"... je me sens normal. Au-dedans. N'empêche, lorsqu'un enfant ordinaire entre dans un square, les autres enfants ordinaires ne s'enfuient pas en hurlant." [...] "J'aimerais pouvoir marcher dans la rue sans que tout le monde me regarde et puis détourne les yeux à toute vitesse." [...] "Je ne me décrirai pas. Quoi que vous imaginiez, c'est sans doute pire."

Alors oui, pleurez, pleurez ! Vous pisserez moins.





Mais attendez un peu avant de vous pendre 

Si on lui enlève sa tête, la vie n'est pas si moche que cela pour August : chouchouté par une famille aimante, plutout bien richouze, surveillé de près par une grande soeur très protectrice, il ne manque de rien matériellement, et il est très intelligent. De plus, si son entrée au collège est truffée de réactions négatives _de la part des enfants comme des adultes, on repère vite son naturel positif et sa faculté à ne pas se laisser abattre.

Evidemment, on devine que tout ne va pas être rose pour lui, car la bonne volonté a toujours ses limites ; et il faut reconnaître que ses jeunes années passées à l'écart des autres l'ont maintenu dans une certaine immaturité qui le dessert. August va accueillir de nombreuses brimades, se faire trahir par ses "amis", expérimenter diverses déception et faire les frais de coups en douce.. comme n'importe quel autre collégien, en somme. Au fil des pages, on s'aperçoit que sa différence pèse de moins en moins dans la balance, même si elle crève l'écran et demeure en toile de fond... mais il faut bien faire avec !

Quoiqu'il en soit, ne craignez pas de vous déshydrater des yeux : Wonder raconte une histoire réaliste sur la différence et la prise en compte du regard de l'autre, mais finalement drôle et optimiste. Sa grande force réside, à mon avis, dans la polyphonie : les aventures d'August sont organisées en différentes parties, écrites tour à tour par le héros lui-même, puis par Via, sa soeur, par Summer et Jack, ses amis, par Miranda et Justin, les amis de Via. Cette alternance des points de vue nous permet d'avoir des versions différentes d'un même événement et facilite la compréhension ; du coup, le lecteur en sait plus que le héros à certains moments du récit, et ça ne manquera pas de le tenir en haleine jusqu'à la fin de l'histoire.

Quant à la profondeur et la justesse des personnages, elle participe au succès grandissant de ce "petit" bouquin que 500 pages qui se lit très facilement. Personnellement, en cinq heures de train c'était "plegat", comme dirait la mémé, et je ne suis pas une rapide.

Chacun des personnages principaux fait l'objet d'un rapide portrait en début de chapitre.
August 
Je ne veux pas trop en dire sur lui, afin de vous faire votre propre idée du personnage. Tout ce que je peux dire, c'est qu'on a la chance d'avoir une illustration _même incomplète_ de lui pour nous guider dans la représentation mentale qu'on peut s'en faire. Quand j'ai lu que la fête préférée d'August, c'était Halloween, parce que forcément, il n'avait pas besoin de se cacher ce jour-là, j'ai aussitôt pensé au film Quasimodo D'el Paris. En particulier à la scène en boite de nuit, où Quasimodo va faire la fête en douce, au milieu d'un peuple festif tout déguisé. Sans ces petits dessins, j'aurais donc lu tout le livre en imaginant le héros avec la tête de Patrick Timsit, vous vous rendez compte ?


"C'est la fêêêête"

Via, la soeur d'August
Eh ben ! C'est elle qui aura réussi à me faire pleurer en lisant un livre, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans, et ces putains de Hauts de Hurlevent ! Via a 15 ans, elle vient d'entrer au lycée ; si elle adore August et passe son temps à le protéger, elle souffre de l'inévitable manque d'attention de ses parents. Ils sont trop occupés par la santé et le bien-être du plus jeune pour remarquer toutes ses qualités. Alors, forcément, elle est contente de se faire de nouveaux amis au lycée et de pouvoir commencer à vivre pour elle-même, mais elle culpabilise aussi : n'est-elle pas, elle aussi, en train de rejeter son frère ?
Via est le personnage le plus complexe et le plus réussi de Wonder.   

Summer, la meilleure copine d'August
Elle le prend sous son aile dès le premier jour de classe, et lui fait remarquer qu'ils ont tous deux des "prénoms d'été". Complètement barrée, elle me fait penser à Cythia, la copine de Malcolm, dans Malcolm, donc.



Jack 
Ah, Jack ! On en a connu plein, des comme ça ! Le gars faussement modeste mais charismatique, que toute la classe aime bien, et qui a réussi à rentrer la population mondiale dans la poche de son blouson en jean. A tel point que le principal du collège lui-même lui a demandé d'accompagner August durant les premiers jours de classe pour l'aider à s'intégrer. Du coup, Jack joue son rôle de tuteur auprès du petit Elephant Man local, qui pense avoir trouvé en lui un véritable ami. Sauf que, tout beau gosse qu'il est, Jack est pris entre deux feux : d'une part, il se prend au jeu et s'attache réellement à ce nouvel élève hors du commun ; et d'autre part, il sait très bien que s'il s'affiche trop souvent avec August, classé d'office dans les loosers pestiférés du collège vu sa tronche, sa popularité va en prendre un coup et il va perdre la plupart de ses copains. Cruel dilemme que d'assumer ou pas la sympathie qu'on a pour quelqu'un ! Nombreux sont ceux pourraient méditer là-dessus, bien qu'ils aient quitté le collège depuis longtemps !


Remise des prix et distinctions en tous genres 

Si j'ai cru bon de le classer dans la catégorie "larme de rasoir", je ne compte pas lui attribuer le "Prozac d'or".



Bien qu'il soit émouvant, bien qu'il sonne juste, Wonder est un roman pour enfants plein d'espoir. Seul bémol, la fin de l'histoire est un peu trop niaise à mon goût, et mérite à elle seule le label Monde des Bisounours.


Allez, je n'en dirai pas plus pour pas spoiler.

Une histoire à lire à tout âge, à faire lire tout le monde, bref, à mettre entre toutes les mains ! 


PALACIO R.J. Wonder. Pocket Jeunesse. 2012. 506 p. ISBN : 978-2-266-24962-1


mercredi 23 juillet 2014

L'effet Dikkenek



"Mélanie Laurent Dikkenek"
"la grosse dans Dikkenek"
"dikkenek"
"mélanie laurent nue Dikkenek"
... 

A chaque fois que ce film est diffusé à la télévision, le nombre de visites du blog s'envole : 



Tout ça, c'est à cause d'eux !





dimanche 20 juillet 2014

Private Liberty, T.1 "L'échelle de Kent" - Djian, Nérac (2014)


Parce qu'il faut bien se remonter le moral après tant de poésie, passons à la BD. 

Private Liberty fait partie de la sélection proposée lors de l'opération Masse Critique de Babelio (que je ne vous présente plus depuis longtemps, cliquez sur le tag, au pire ) au mois de juin. Ce sont les éditions Vagabondages, basées en Normandie depuis quelques années, qui me l'envoient. Merci ! 




L'histoire 

Officiant pour la presse locale aux alentours de Bayeux, Jean Fanal est un reporter frustré : l'actualité à la campagne n'a rien de passionnant. Solitaire, cynique, brouillé avec son père, récemment éconduit par sa copine fliquette, ce Dr House version journaliste enchaîne les verres de calvados avec son meilleur ami-psychologue avant de rentrer chez lui seul comme un con pour torréfier son aigreur.

Un matin, un drôle de fait divers vient bousculer son quotidien tout pourri. En effet, en "se promenant" sur la plage, il fait la rencontre du cadavre d'un colosse à moitié enfoui sous une voiture visiblement tombée du ciel. C'est glauque, c'est mystérieux, c'est pour lui : le voilà décidé à mener l'enquête en parallèle des policiers très vite agacés par sa présence constante sur les lieux du crime. Parmi eux, Claire, sa fameuse ex, essaie de le convaincre de lâcher l'affaire : c'en est douteux.

Jean Fanal découvre rapidement que ce meurtre est le tout dernier d'une liste conséquente de mecs imposants décimés sans raison précise. De plus, ce père distant dont il n'a plus de nouvelles depuis des lustres vient de disparaître en laissant sa maison sens dessus-dessous. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il est directement concerné par ces sombres événements qui le passionnent et qui l'interrogent. Le voilà tombé dans un drôle de guêpier : celui de son passé familial.  


Montagnes de muscles et plages du débarquement


Eh oui, même si rien ne nous met la puce à l'oreille ni sur la couverture, si dans le résumé de l'éditeur, dites-vous que les aventures de Fanal tombent à pic avec la célébration des 70 ans du débarquement en Normandie qui s'est déroulée en juin dernier. Là, vous voyez mal le lien qu'on peut faire avec l'intrigue purement policière que j'ai essayé de vous présenter plus haut, avec plus ou moins de clarté, j'en conviens. Private Liberty T.1 "L'échelle de Kent" n'est pas une BD historique telle qu'on en connaît tous, mais elle n'est pas non plus une enquête policière ancrée dans présent. A vrai dire, et comme dans l'Histoire en général, les mares de sang du XXI° siècle trouvent leur source dans les décennies précédentes. S'il veut mener à bien son enquête, le "gratte-papier" va devoir devoir remonter le temps.



Attention, spoiler ci-dessous !
Cliquez ou pas sur le bouton ! 









"L'échelle de Kent", premier volume d'un triptyque en cours de réalisation, met en scène la "petite" histoire dans la "grande" avec efficacité. A mon avis, cette dimension historique fait que le lecteur pas très fan de polars ne va pas s'ennuyer royalement, voire même se prendre au jeu : ici, on est plus dans Cold Case que dans les Experts. Et comme dans Lost, plus on en sait, moins on comprend, mais on continue à regarder. Désolée de passer mon temps à faire des parallèles avec des séries télévisées aujourd'hui, mais, je ne sais pas pourquoi, le personnage de Fanal m'y pousse. J'ai lu des critiques plus enclines à comparer Private Liberty aux comics, ce que je veux bien croire, mais je n'en sais pas assez pour l'affirmer moi-même. Après avoir lu les propos de Nérac, l'un des scénaristes (l'autre étant Djian), je dirais que c'est probable.

En tous cas, il y a de l'action, c'est complexe mais facile à suivre, et le héros est drôle : que demander de plus ? Ah, peut-être des personnages secondaires un peu plus vivants ? En tous cas, vivement la suite, vraiment !

On peut noter comme particularité de l'album qu'on y aborde la question de la mémoire sous ses différentes formes : individuelle, parfois floue, mise en doute et même difficilement crue, partagée et cachée _aux principaux intéressés ; collective, internationale, locale, conservée _par un flic amateur de phénomènes inexpliqués.

Autant dire que le scénario ne manque pas de flashbacks, au contraire : on bondit d'une décennie à une autre aussi rapidement que Superman saute d'un gratte-ciel à l'immeuble voisin, alors accrochez-vous ! Heureusement, grâce à une mise en couleur différenciée des époques, on ne s'embrouille pas : des teintes chaudes font briller la ville de Bayeux de nos jours, le décor est assombri lorsqu'on se plonge dans les heures précédent le débarquement, tandis que les souvenirs de Georges, le flic-archiviste de l'étrange, sont jaunis comme de vieilles photos. Merci Kanigaro, donc, si je ne me trompe pas dans la répartition des tâches.      

   
Ici, c'est la Basse-Normandie



Cependant, l'essentiel de l'action a lieu de nos jours, dans le Calvados ; si tout n'est que fiction, les décors s'inspirent de lieux bien réels _et bien représentés :

- Omaha Beach, Colleville-sur-mer



- la place Charles de Gaulle à Bayeux

- la forêt de Balleroy (ou de Cerisy, il semblerait qu'elle ait deux noms)


- La batterie de Longues-sur-mer



Normandie power ! J'ai rencontré des Normandes cette année (Amélie** et Marion***), il faut croire que les gens sont sympas là-bas parce qu'elles ont bien égayé mon quotidien ! Tout ça m'a fait penser à elles, même si je ne sais plus de quel coin elles sont, exactement.

DJIAN, Jean-Blaise ; NERAC ; TERNON, Cyrille ; KANIGARO. Private Liberty, tome 1 : L'échelle de Kent. Éditions Vagabondages. Bayeux, 2014.  56 p. ISBN : 978-2-9181-4319-2


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* Private = soldat de deuxième classe, si j'ai bien compris
** Coucou !!
*** Bonsooiiir !!

jeudi 10 juillet 2014

Vivre sa vie et autres poèmes - Jan Baetens (2014)


Quelques sueurs froides grâce à l'opération Masse Critique de Babelio _et un peu à moi-même, il faut bien le reconnaître ! A force de cocher au pif tous les livres de la loongue liste d'ouvrages proposés pour être quasi sûre d'en recevoir un "à la maison", je me suis retrouvée avec ce qui pouvait m'arriver de pire : de la poésie ! 


Eh merde !

Au même titre que la musique et le théâtre, la poésie est un art qui me laisse de marbre, inexplicablement ; j'ai eu beau tenter de m'y intéresser de gré ou de force, de l'étudier, le fait est que je ne ressens absolument rien quand je m'y frotte. C'est balo !  

Tout ça pour dire que ça va être raide de faire une critique de l'ouvrage réceptionné cette fois-ci, étant donné que mon défi perso était d'arriver à lire le recueil jusqu'au bout. Aussi la suite des événements relèvera-t-elle du facteur chance. Si jamais je parviens à me faire un avis quelconque sur Vivre sa vie et autres poèmes, et surtout, si j'arrive à l'exprimer, ça veut dire que vous êtes tous cocus. Oui. Tous.  



Ok ! J'arrête de vous raconter ma vie ! Parlons du bouquin _et de son auteur. 


Jan Baetens est un prof, écrivain et critique littéraire flamand qui a choisi de composer ses vers en français ; ces dernières années, il a coiffé sa casquette de poète à plusieurs reprises et s'est montré assez prolixe en publiant plusieurs recueils : Vivre sa vie, une novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard, Slam ! Poèmes sur le basketball, Cent ans et plus de bande dessinée, Cent fois sur le métier... 
  
Sorti en 2014, Vivre sa vie et autres poèmes est une anthologie essentiellement composée de poèmes publiés dans Vivre sa vie, donc, mais aussi dans Autres nuages, Cent ans et plus de bande dessinée et Cent fois sur le métier. De plus, Jan Baetens a eu la bonne idée d'accompagner ses créations de réflexions sur sa manière d'écrire et sur sa vision de la poésie : voilà de quoi nous donner quelques pistes de lecture.  


Vivre sa vie et autres poèmes, une anthologie en quatre temps

Le recueil s'ouvre sur une sélection de poèmes publiés dans Autres nuages (2012). Abordant les thèmes de l'inspiration et du travail d'écriture poétique, les vers sont illustrés de plusieurs copies en noir et blanc des gravures sur bois d'Olivier Deprez.

Une gravure sur bois d'Olivier Deprez, trouvée ici

C'est une belle entrée dans l'aspect "concret" du "métier" d'écrivain, tel que Jan Baetens veut nous le présenter, à plusieurs chapitres qui évoqueraient presque la notice d'un meuble IKEA : "1. Comment les sujets viennent aux poètes" ; "2. Thèmes et variations", "Étude de nuage I", "Étude de nuage II"... Le tout, sans avoir la prétention de nous faire rêver, sans nous ménager :

"Le poète au chômage se recycle.
Combien rapporte le passage à la prose ?" 
"Étude de nuage IV", p.54   

Comme vous l'avez compris, le nuage, emblème de tous les poètes et autres gens à l'ouest, est disséqué, passé à la moulinette, associé à toutes les phases de l'écriture _et même à l'angoisse de la page blanche, jusqu'à être aussi frais qu'une barbe à papa abandonnée en plein soleil.

Désolée, j'ai pas pu m'en empêcher !

Suite à cette série d'"étude de nuage", finalement assez parlante, même pour moi !, Jan Baetens a disposé une dizaine de poèmes inspirés d'oeuvres diverses : des tableaux (Le 16 septembre de Magritte), des textes (Forests, essai de Robert Pogue Harrison), des films (Taxi Driver de Martin Scorsese), des photos (Photographies, Kiarostami). Autant de pièces sublimes qui vous passent complètement au-dessus si vous n'avez pas vu / lu les livres, films ou tableaux auxquels l'auteur fait référence.

Car ce qui est marrant, dans un texte littéraire, c'est son côté "mille-feuilles" : tu découvres le sens premier, tu grattes un peu la peinture et puis tu trouves une signification implicite, voire plusieurs. Mais ça ne fonctionne que tu as les bons outils pour interpréter, l'attention requise, et souvent, les bonnes références culturelles. Quand tu ne les as pas, tu es frustré comme quand tu te retrouves au milieu d'un groupe de gros cons de bourges dont tu ne partages pas les centres d'intérêt ; c'est d'autant plus désagréable que tu n'as pas de motif assez puissant pour te permettre de leur latter la gueule une bonne fois pour toutes. Enfin, la culture, elle est récupérable, elle !    

Cela dit, Vivre sa vie et autres poèmes trouve peut-être sa force dans son côté "hypertexte", dans le sens où il nous renvoie à d'autres formes d'arts, à d'autres artistes : comme quoi, on peut se plier à des contraintes de formes lorsqu'on écrit de la poésie, donner à son poème l'apparence d'un saucisson soigneusement ficelé, sans l'emmurer pour autant !
   
Et encore... Comptez pas sur moi vous vous dire si c'est un sonnet, définir la richesse des rimes et faire des petits ponts pour dénombrer les syllabes, mais à vu de nez, Jan Baetens est volontairement assez free dans sa manière de mettre en forme ses poèmes, et joue avec notre souffle en privilégiant les vers courts, sans trop tenir compte de la ponctuation.


Continuons avec "Vivre sa vie", dont les différentes pièces font partie du recueil du même nom, publié indépendamment en 2005.

Oui, la critique suivra l'ordre des différents chapitres de l'anthologie !
Mes profs disaient toujours : "Evitez l'analyse linéaire, la paraphraase, sinon vous allez être tentés de séparer le fond, la fooorme, gnagnangna..." Ils n'avaient pas tort, mais là, je galère trop. Et puis, oh ! on est en vacances ou on n'est pas en vacances ?? Merde ! Pourtant, je devrais suivre le conseil ; car, dans sa postface, Estelle Mathey* insiste sur le sens qui émerge de la forme des poèmes de Cent fois sur le métier, aussi bourrés de contraintes, aussi laborieux que les professions dont ils nous parlent.


Jan Baetens a écrit Vivre sa vie en pensant fortement au film du même nom réalisé par Jean-Luc Godard en 1962. Que je n'avais jamais vu, évidemment, bien que ce soit un "classique". Enfin, je veux pas faire ma gosse, mais avouez que ça donne pas trop envie, quand même :

Allez, n'ayons pas peur de le dire : c'est perché !


Du coup, je l'ai regardé, et je compte me pencher un peu mieux dessus une fois que j'en aurai fini avec cette critique. Petit rappel de l'histoire au cas où il y aurait plus inculte que moi : Nana est une jeune femme apparemment très seule. Elle a besoin d'argent. Comme personne n'a pu lui prêter 2000 francs, elle se fait jeter de son logement et se retrouve à la rue. Elle tombe alors dans la spirale de la prostitution.

Les poèmes de "Vivre sa vie" trouvent leur source dans les différents "tableaux" qui composent le film de Godard, mais savent s'en détacher : pour Baetens, le but du jeu n'est pas tant de "mettre en vers" les scènes du film que capter tout ce qui relève du "quotidien" de Nana et de s'en emparer.

"un kleenex taché de rouge
à lèvres un rapide baiser
avant après un baiser blanc
un kleenex blanc puis après
la lèvre la candeur jouée" 

 
Les pièces du grand puzzle de Baetens "sélectionnées" dans Cent ans de bandes dessinées et Cent fois sur le métier sont moins nombreux mais méritent tout autant d'attention.

Les uns font référence à de nombreux scénaristes et dessinateurs belges, américains ou français, ce qui plaira beaucoup aux connaisseurs et laissera un peu les autres sur la touche... Mais là, encore, c'est l'occasion de rendre cette anthologie utile pour faire ses propres découvertes.

"Hal Foster, 1,2 ... X

Dans 200, 2000 ou 20000 ans, 
quand l'homme enfin
Homme 
au carré 

se retournera
sur les cris, le cache-sexe, la coiffure
et la protosémiotique
de ce qui sera devenu un postsciptum

du 
pithécantrope
Americanus 
(variante oubliée : 

Amen Icarus), quels montages
 déploira-t-il 
d'ingéniosité
pour distinguer 

le père de Tarzan de l'inventeur 
du Retour
du réel (MIT Press, 1996) ?"
"Cent ans de bandes dessinées", p.163

Les autres abordent une multitude de métiers, toujours associés plus ou moins directement à la démarche d'écriture du poète ; le titre du chapitre y fait d'ailleurs référence : "cent fois sur le métier" rappelle l'incitation de Boileau, dans son Art poétique, à remettre "vingt fois sur le métier" son texte à fin de l'améliorer au maximum. Vous croiserez ici des professions sont plus parlantes que d'autres, mais toutes logées à la même enseigne : roi, concierge, "pleinairiste", démonstrateur du salon des arts ménagers, philosophe, garagiste...

"Le douanier

Mots et valises, 
Je vous déclare
Mari et femme."
Cent fois sur le métier, p.200
  


On limite la casse 

Ouf ! Comme m'a dit Mélina, en feuilletant ce livre tout de noir vêtu, tandis que je lui exposais mes profondes angoisses face à tout ce qui se distingue un tant soit peu de la prose : "ça aurait pu être pire !"**

En effet, Jan Baetens dit s'être imprégné de l'oeuvre de Francis Ponge, LE mec qui a écrit Le parti pris des choses, portant aux nues des objets du quotidien et ce, sans faire de vers, et qui failli me réconcilier avec la poésie. Failli, parce que bon, faut pas déconner. Mais c'était pas loin ! Pour le poète flamand, la littérature en général a un vraie place dans la société actuelle, et la poésie ne fait pas figure d'exception ; forcément "utilitaire", le travail d'écriture est une tâche laborieuse, et l'oeuvre, un "produit fini" dont la valeur est déterminée par le temps qu'on y a passé. Jan Baetens s'ancre volontairement dans la réalité et ne la perd jamais de vue. Connaître ses sources d'inspiration m'a apporté une grande aide pour la lecture, la rendant beaucoup moins pénible et beaucoup plus sensée (souvent, ça marche ensemble...). C'est une approche vivante de la poésie que Jan Baetens nous propose ; qu'on aime ou pas, le fait d'essayer de nous sortir des représentations qu'on se fait de genre littéraire bien... spécial est une intention louable : valorisons-là !

Écrire en français 

Dans la vie, Jan Baetens s'exprime en néerlandais mais il préfère écrire en français. Personnellement je trouve ça plutôt admirable de composer dans une langue étrangère avec autant d'aisance (parce que, franchement, si on ne le sait pas, on ne peut pas le deviner), mais lui semble ne pas être à l'aise avec son choix : dans la préface comme dans la postface, il ne cesse de s'en justifier _ et enchaîne les arguments jusqu'à se contredire !

Il semblerait qu'il ait pris soin de ramener régulièrement le sujet sur la table par crainte de créer un scandale diplomatique dans une Belgique en pleine crise d'identité, et d'être accusé de "trahison" par ses compatriotes flamands. Mais on soupçonne derrière un malaise plus personnel, qui l'amène à remettre "cent fois sur le métier" sa décision -ou non-décision linguistique. Enfin, on le sent, mais rien ne le prouve. Je me fais peut-être des films.

A moins qu'il ait juste voulu se faire mousser !


BAETENS, Jan. Vivre sa vie et autres poèmes. Espace Nord, 2014. ill. 256 p. ISBN 978-2-930646-79-4




Merci à Espace Nord et à Babelio !

* Prof de littérature française à l'Université Catholique de Louvain.
** C'est bien ça que tu as dit ? Désolée si j'écorche tes propos, mais c'est l'effet RER B !




   

lundi 7 juillet 2014

Bonnes vacances...

... A ceux qui en ont. Courage aux autres !