samedi 12 novembre 2016

Larme de Rasoir Spéciale Couverture Déprimante ! Le garçon au sommet de la montagne - John Boyne (2016)


L'auteur du Garçon en pyjama rayé semble avoir voulu tailler dans la même veine en composant son dernier roman intitulé Le garçon au sommet de la montagne. D'ailleurs, la mention à ce magnifique ouvrage que je n'ai toujours pas lu _ne hurlez pas, c'est en partie parce que j'en ai beaucoup trop entendu parler !_ apparaît en bas de la première de couverture, juste au-dessus du nom de l'auteur.




LA couverture déprimante 

Oh, on aurait très bien pu se passer de cette discrète opération publicitaire tant le roman n'aura guère de mal à se vendre, étant donné la qualité de son contenu. Saucissonné dans des stries de fil de fer barbelé, le titre occupe les trois quarts de la page, en grosses lettres blanche sur un fond rouge sang. En bas, on devine la montagne plus qu'on la voit, comme assombrie au coucher du soleil. Le garçon _qu'on ne connaît pour l'instant que par le mot qui le désigne ! peut bien être au sommet des neiges éternelles s'il le souhaite, il ne respire par la liberté pour autant.. Contrairement à lui, un rapace prend son envol, tranquille.

Voilà une belle couverture déprimante comme on les aime ! Tournons les pages, à présent...



De quoi ça parle, sinon ? 

L'histoire débute en 1936. Pierrot Fischer, 7 ans, vit à Paris avec sa mère Emilie. Sa famille s'est disloquée quelques années plus tôt, lorsque son père s'est suicidé : en effet, cet ancien soldat allemand n'avait jamais réussi à se remettre complètement du traumatisme de la guerre de 1914 - 1918 et a fini par se jeter sous un train après avoir sombré dans la dépression. Depuis, Emilie travaille comme serveuse dans le restaurant de M. Abraham, tandis que son fils passe ses journées avec son copain Anshel, un petit Juif muet qui aspire a devenir écrivain. Mais ce semblant d'équilibre dure pas ; Emilie tombe malade et meurt à son tour. Pierrot est balancé dans un orphelinat orléanais.

Là, on se dit : bienvenue chez Charles Dickens ! D'ailleurs, le narrateur lui-même y fera allusion au détour d'un chapitre.. Eh bien, on se trompe. Pierrot ne fera pas ami ami avec Oliver Twist ! Le destin qui lui est réservé s'annonce bien pire, d'une certaine façon...

"Les gars, je crois que la soupe au choux est en train de remonter !"

Alors qu'il s'intègre bon an mal an au milieu des gosses abandonnés, sa tante Beatrix se manifeste et demande à en avoir la garde. Si Pierrot était au courant que son père avait une soeur, il s'était souvent demandé pourquoi il ne l'avait jamais vue ; il fallait croire que le moment était venu...

Le voilà parti pour l'Allemagne, et, après un voyage éprouvant où il se fera bousculer par un soldat nazi puis par quelques ados des jeunesses hitlériennes, il découvre la grande maison au sommet de la montagne qu'il habitera désormais, et dont Beatrix est la gouvernante. Tout le monde se montre plutôt sympa avec lui, que ce soit Ernst, le chauffeur, Emma la cuisinière, ou encore Herta, la "deuxième chef des bonnes". Mais il doit se plier à des consignes strictes qu'il ne comprend pas et contre lesquelles il se braque : ne parler ni de sa mère française, ni de la folie de son père, et encore moins de son ami juif. Pourquoi ? Parce que cela pourrait déplaire à Monsieur. Monsieur est le propriétaire des lieux, et même s'il est rarement là, sa menace pèse sur les épaules de tous.

Cependant, on comprend assez vite que le mystérieux Monsieur n'est autre que Hitler. Ceci explique cela.

A lire également : tous les "Dickie" de Pieter Von Poortere !

Après une ellipse d'un an, on retrouve un Pierrot -ou plutôt un Pieter_ bien changé... En quelques mois, le dictateur n'a eu aucun mal à laver le cerveau de l'orphelin fragile et déboussolé qui ne cherchait qu'un repère et une figure à admirer. Lorsque le Führer lui offre son premier uniforme de nazi en herbe, l'enfant se sent "adopté", pris au sérieux par cet homme capable de se montrer à la fois si doux et si dur avec lui _un peu comme son défunt père. Il ne voit pas que l'enflure est en train de faire de lui le plus fidèle des indics. Sa fascination aveugle pour l'odieux personnage va l'emmènera de plus en plus loin. Jusqu'à se retourner contre ceux qui ne lui voulaient que du bien. Jusqu'à prendre en note, sans vraiment comprendre _mais un peu quand même... les plans des camps de concentration. Froidement. Sans la moindre empathie. Car là où Pierrot se salit les mains, Pieter ne fait que son devoir de patriote.   

En racontant la descente aux enfers d'un gamin faible, malléable et désireux de faire enfin partie d'un groupe, Le garçon au sommet de la montagne est un de ces romans qui réveillent. Il gagnera à passer entre le plus de mains possible, d'autant plus qu'il s'adapte à très bien des contextes autres que celui de l'Allemagne nazie. Moi qui aime bien me moquer des livres tristes, je le recommande à tout le monde, jeunes et vieux, pour le lire, simplement ou pour l'étudier, si possible...


Voilà, la dame du CDI a tranché !

Du coup, notre interprétation de la couverture prend un chemin plus sûr ; on y retrouve les trois couleurs du drapeau nazi _rouge, blanc, noir.. Le lecteur contemple la neige depuis un camp entouré de fil de fer barbelé. Ah, il est à son aise, le Führer, là haut dans la montagne _ au passage, il s'agit d'un montage d'une photo du Mont Blanc. Au point où on en est, on peut partir du principe que l'oiseau qui vole au-dessus du titre est un aigle, symbole facho s'il en est. Il plane au-dessus de la tête du "garçon au sommet de la montagne", emprisonné dans ses idées arrêtées et serré de près par le maître "si généreux" qui a bien voulu le "recueillir" lorsqu'il était dans la difficulté... On remarquera que personne n'est représenté, même si tout est suggéré ; voilà qui colle bien à l'époque dont-il est question, Pierrot n'a-t-il pas vu sans voir, dit sans dire et fait semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre ? L'illustration se poursuit sur la tranche et sur la quatrième de couverture, pour une finalisation parfaite de ce bel objet.



Ne dis jamais que tu ne savais pas. (...) Ce serait le pire de tous les crimes."

Prozac d'or bien mérité pour cette oeuvre 



John BOYNE. Le garçon au sommet de la montagne. Gallimard Jeunesse, 2016. 272 p. ISBN 978-2-07-066996-7

vendredi 11 novembre 2016

Les Cités des Anciens 1 - Dragons et serpents - Robin Hobb (2010)


Ah ! Enfin la suite de l'Assassin Royal et des Aventuriers de la Mer ! Bon, le premier tome de cette "nouvelle" série à succès de Robin Hobb est sorti il y a six ans au moins, mais le plaisir de la découverte ne d'en trouve pas amoindri.   




Les Rivages Maudits, quelques années plus tard... 

Souvenons-nous de la fin des Aventuriers de la Mer et de ses principaux personnages : la dragonne Tintaglia avait fini par lier un pacte avec les hommes du Désert des Pluies. Il s'agissait pour elle d'accompagner les serpents de mer vers leur terrain d'encoconnage afin qu'ils puissent passer l'hiver à l'abri et devenir des dragons à leur tour. La portée de reptiles volants assurerait la défense des peuples du fleuve et des Terrilvilliens contre la menace des galères Chalcèdes. En contrepartie, les humains devraient vénérer les jeunes dragons et subvenir à leurs besoins. 

Une poignée de marchands, de marins, une vivenef et quelques citoyens du Désert des Pluies avaient rendu possible cette périlleuse entreprise par leur persuasion et leur courage. Ainsi le navire Parangon, commandé par Althéa et Brashen, avait joué les intermédiaires entre la dragonne volante et ses petits cousins immergés sur la route de la terre promise. Puis tous trois avaient mis les voiles vers d'autres horizons. 

Les Cités des Anciens débutent alors que les jeunes dragons brisent leur cocon sous les yeux émerveillés de la population locale. Mais tous se rendent compte peu à peu que, malgré leur soif de vivre et l'agressivité qu'ils manifestent, ces rejetons ne sont pas à la hauteur des espérances. Estropiés, faiblards et mal formés pour beaucoup d'entre eux, mentalement retardés pour quelques autres, ils paient le prix fort d'une trop longue errance en mer et d'un encoconnage tardif.

Par conséquent, Tintaglia semble s'en désintéresser et laisse les "bébés" au bons soins des humains désemparés... et effrayés ! Car si les dragonneaux n'ont pas la prestance de leurs ancêtres, ils ont quand même un ventre à remplir ! Les "chasseurs" payés pour leur fournir leur viande quotidienne peinent à suivre la cadence de leurs estomacs ; ne risquent-ils pas de dévorer à belles dents la main qui n'arrive plus à les nourrir ?

Voyant que Tintaglia ne donne plus signe de vie _ et pour cause ! Elle est bien trop occupée à s'accoupler avec Glasfeu, le dragon des Glaces que Fitz et sa bande ont libéré dans le tome 12 de l'Assassin Royal !!, le Conseil du Désert des Pluies et les marchands de Terrilville décident de rompre le contrat qu'ils ont passé avec elle. Une décision radicale est alors prise : éloigner les dragons des hommes, et les emmener dans un endroit où ils ne pourront plus nuire qu'à eux-même. Mais qui va devoir se charger de cette tâche aussi ingrate que dangereuse ?  




L'épopée des inadaptés 

Que fait-on lorsqu'on veut éviter d'avoir à faire le sale boulot ? On s'en décharge sur les cassos et autres illuminés, sur les gens incapables de refuser ou encore sur des particuliers désespérés au point de trouver votre corvée super intéressante ! Dans Dragons et serpents, ces profils-là seront incarnés par Alise, Sédric, Thymara,Tatou... et peut-être le marin Leftrin, capitaine de la vivenef Mataf.  

Robin Hobb a choisi, comme dans les Aventuriers de la Mer, une narration à la troisième personne où l'on voit évoluer parallèlement des personnages qui ne se connaissent pas mais qu'on devine amenés à se rencontrer à plus ou moins long terme. D'abord Leftrin, secrètement détenteur d'un bloc de bois sorcier. Puis Thymara, une jeune fille née dans le Désert des Pluies et porteuse des stigmates qui auraient justifié un abandon à la naissance si son père ne l'avait tant aimée : des griffes et des écailles. Sans avenir à cause de son physique disgracieux, elle est rejetée par tous et doit se méfier de sa mère qui a déjà tentée de la tuer, l'air de rien. Seuls son vieux daron et le jeune Tatou, un ancien esclave tatoué, semblent l'apprécier pour ce qu'elle est... 

A Terrilville, on retrouve avec joie le quotidien des Marchands, toujours engoncés dans leurs traditions, leurs protocoles et leur souci du qu'en dira-t-on. On se souvient d'Althéa et de son non conformisme, on découvre avec Alise une autre manière de contourner le système quand on est une femme moche et instruite. Après s'être associée d'un commun accord avec un marchand imbu de lui-même qu'elle méprise ouvertement et qui n'attend d'elle qu'un héritier, elle parvient à le manipuler assez bien pour lui arracher l'autorisation d'entreprendre un voyage au Désert des Pluies. Pour cette passionnée de dragons, c'est un rêve qui se réalise. Elle partira à condition d'être chaperonnée par le secrétaire de son mari, le gentil Sédric ; qu'importe le peu de confiance qu'on lui accorde, elle échappe ainsi à sa triste condition de femme de marchande et c'est déjà pas mal.  


"Je suis peut-être moche, mais moi un richou me paye ma croisière ! 


De leur côté, les jeunes dragons sont en panique. Grâce au souvenir des générations passées qu'ils portent en eux, il ont pleinement conscience de leur faiblesse. Ils savent d'instinct qu'ils ne sont pas tels qu'ils devraient être, et les rapports au sein de leur "couvée" d'infirmes s'en ressentent. Même si les tensions règnent entre eux, tous trouvent insupportable l'idée de vivre au crochet de pitoyables humains...  

Ce premier volet marque le début de ce qui ressemble fort à une épopée de bras cassés ! Ah, on est bien loin du fier marin, du preux chevalier et du majestueux dragons lanceur de flammes... Même Crocmou blessé était plus convaincant que Sintara, Ranculos (ahah... sans doute un prototype de ratage à mi-chemin entre un enculé et un spéculos ? désolée..) et les autres !  

Les fans de l'Assassin Royal et des Aventuriers de la Mer adoreront forcément, puisque l'histoire s'inscrit dans le même univers _dommage qu'on n'ait plus la carte des Rivages Maudits, d'ailleurs ! et que Robin Hobb arrive toujours à nous relater un contrat de mariage dans son intégralité sans nous perdre en route. Cela dit, il devient plus que jamais nécessaire de savoir où on met des pieds avant de se lancer dans la lecture des Cités : autant on pouvait lire les Aventuriers de la Mer sans connaître Fitz, autant lire les deux cycles de l'Assassin Royal en faisant l'impasse sur les Aventuriers ne risquait pas de gêner la compréhension, autant il me paraît compliqué d'"attaquer" l'oeuvre de Robin Hobb par Dragons et serpents. Si les personnages ne sont pas les mêmes dans dans les précédentes saga, la "mythologie" est posée et considérée comme acquise par le lecteur. On a l'impression que l'auteure a écrit pour son lectorat habituel avant tout... ce qui peut se comprendre, et ce qui nous arrangera bien, nous les groupies. 

le prof Gilderoy Lockart,
homme à fans dans Harry Potter 2 - La chambre des secrets 

Enfin, ce n'est que mon avis ! Si vous en avez d'autres, laissez un commentaire ! 

Vivement la suite ! 

Robin HOBB. Les Cités des Anciens 1 - "Dragons et serpents". Pygmalion, 2010. 336 p. ISBN 978-2-7564-0287-1

samedi 5 novembre 2016

Ils sont parmi nous !!! SuperS 1 "Une petite étoile juste en dessous de Tsih " Maupomé, Dawid (2015)


Les générations daronnes, dont l'avis est par définition respectable, considèrent que leurs enfants tiennent plus de l'extraterrestre que du terrien. Possible. Mais les petits héros de la bande dessinée SuperS battent des records d'étrangeté, ce qui ne manquera pas de ravir les jeunes lecteurs. 

SuperS - 1 - "Une petite étoile juste en dessous de Tsih" Maupomé / Dawid (2016) 

"Mais qu'est-ce que c'est que ce titre ? Ca sent la prise de tête, cette BD !" me suis-je dit en lisant une critique plus que laudative dans je ne sais plus quelle revue professionnelle bien daronnesque elle-aussi _ je crois que c'était InterCDI... Pourtant, en voyant le livre "pour de vrai", la couverture m'a immédiatement séduite et je m'y suis accrochée comme une grosse mouche à merde se prend au piège sur du papier adhésif... 



Mat, Lili et Benji sont des "nouveaux" : ils viennent d'arriver dans une petite ville et tentent de s'intégrer tant à l'école que dans leur environnement local. Si cette tâche n'est évidente pour aucun enfant, elle est d'autant plus difficile lorsqu'on cache un lourd secret et qu'on doit composer avec. C'est le cas de ces trois enfants qui viennent en fait d'une autre planète et qui, pour des raisons obscures, ont été "largués" sur Terre par leurs parents. Livrés à eux-même, aidés seulement dans leur vie quotidienne par une sorte de robot-gestionnaire aux faux airs de jouet d'éveil pour nourrissons, ils doivent à tous prix se fondre dans le décor et cacher aux yeux des humains les super pouvoirs dont ils sont pourvus... sous peine de devoir déménager de nouveau ! Pour Mat, l'aîné, perdu dans l'univers impitoyable d'un petit collège où les élèves populaires ne sont pas décidés à lui faire une place au soleil, la situation va être difficile à vivre. D'autant plus que Lili et Benji lui font péter un câble par leur imprudences _ne serait-ce qu'en utilisant la lévitation pour ranger les boîtes de raviolis dans la cuisine, face à la fenêtre, sans se rendre compte que n'importe quel passant pourrait les voir... 

Faut jamais me dire "ravioli"... 


Fait pas bon être un super-héros ! 

Ceux qui connaissent l'histoire de Superman, ou qui ont lu le roman Numéro Quatre s'amuseront à reconnaître dans SuperS les travers du héros condamné à vivre comme un diamant planqué dans une bouse de vache : le gros bras qui n'accepte pas qu'on tourne autour de sa copine et qui lui en colle une sans qu'il puisse répliquer (alors qu'il pourrait le casser en deux d'une pichenette...), le train d'avance de l'extraterrestre, au niveau scolaire, qui suscite autant de méfiance que d'admiration, l'absence terrible des parents, la peur permanente d'être démasqué par une presse locale au taquet... Mais au lieu de les calquer purement sur des histoires à succès, les auteurs se les réapproprient pour mieux les ancrer dans la réalité un peu cruelle du petit collège : dans ce monde-là, la carte de cantine de Mat ne marche pas, les professeurs vannent "le nouveau" autant que les élèves, le personnel éducatif n'a pas vraiment le sens de l'accueil et la jolie Jeanne, son seul rayon de soleil, préfère l'antipathique Franck... Heureusement, la famille est là ! La force de cette bande dessinée est, à mon avis, en plus de ses qualités esthétiques indéniables, le traitement de la relation entre frères et soeurs. Tous trois sont très différents : Mat joue les exemples au delà de ce que ses frêles épaules lui permettent de porter, Lili apporte une touche zen qui ne se refuse pas, et Benji galère à canaliser sa nature bagarreuse ; mais tous trois souffrent du même manque de leurs parents, dont seul l'aîné semble avoir un souvenir précis. 

Benji me fait penser à Benjamin, le petit frère de... Matthias dans le manga Lucile, amour et rock' n' roll..
Bon ça date..  

Les dessins de Dawid, séduisants depuis la couverture jusqu'à la dernière page, transpirent à eux-seuls cette tendresse familiale ; les couleurs chatoyantes situent l'histoire dans une province chaude où on voudrait tous vivre _si seulement la mentalité de ses habitants s'accordait avec la beauté du paysage. Quant aux trois personnages principaux, ils ont de bonnes bouilles qui nous donnent presque envie de les adopter.  
          
A lire quel que soit votre âge : vous vous régalerez forcément des clins d'oeils à la société d'aujourd'hui qui parsèment les vignettes. Cette BD peut-être intéressante pour travailler sur le harcèlement à l'école, car certaines scènes sonneront plutôt justes aux oreilles des collégiens. Pour info, le tome 2 va sortir bientôt, à moins que ce ne soit déjà fait ?.. 

Extrait de la page 8

MAUPOMÉ ; DAWID. SuperS - 1 - "Une petite étoile juste en dessous de Tsih". Les Editions de la Gouttière, 2015. 112 p. ISBN 979-10-92111-25-5







mardi 1 novembre 2016

Djedré de Cavillon - Patrick Joquel (2016)


Merci aux Editions du Jasmin et à Babelio pour l'envoi tout frais du dernier roman de Patrick Joquel : Djedré de Cavillon, dans le cadre de l'opération Masse Critique Jeunesse. A chaque fois que la chance m'a été donnée de recevoir un ouvrage, j'ai toujours eu de bonnes surprises ; c'est encore le cas cette fois-ci. 




En écrivant cette histoire destinée aux jeunes lecteurs, Patrick Joquel s'est livré à un exercice sans doute aussi passionnant que difficile : celui de reconstituer la vie de Djédré, une femme préhistorique morte 24000 ans plus tôt aux environs de l'actuelle Vintimille en s'appuyant sur les minces éléments historiques dont il disposait. A savoir, un squelette et des atours, une sépulture décorée de coquillages et de dents d'animaux, un dessin sur la paroi de la grotte où elle a reposé pendant si longtemps... Qui était-elle ? Quelle statut occupait-elle auprès de ses semblables ? Quelles mésaventures ont bien pu déglinguer son squelette ? Qui décida que sa dernière demeure serait la grotte du Cavillon ? Encore aujourd'hui, on n'est pas en mesure de répondre à ces questions. Pourtant, avec un peu d'imagination et beaucoup de documentation, l'auteur a réussi à donner un aperçu poétique mais plausible ! des derniers mois de cette dame que les archéologues ont longtemps désignée comme "l'Homme de Menton".


Ca s'est passé par là... 


L'histoire 

L'hiver approche. Comme tous les ans, le chasseur Segure et sa tribu ont pris pris la direction des falaises pour affronter le froid, bien à l'abri dans les grottes. La marche a été longue et fastidieuse, surtout pour Djedré, la sage guérisseuse à la jambe estropiée ; heureusement, ils seront bientôt arrivés. Tout dans son corps lui rappelle qu'elle est une vieille femme, mais elle garde pourtant le sourire en se nourrissant de l'espoir que lui donnent les trois adolescents du groupe, pleins de vie et unis comme les doigts de la main : Rousso, le vigoureux chasseur, Scalza le suiveur et Scarassan, l'artiste rêveur plus prompt à dessiner sa proie qu'à l'alpaguer avec une lance... Djedré de Cavillon nous fait vivre cet hiver à leurs côtés ; en quelques mois, leur vie va prendre un tournant important. Entre deuils, passage à l'âge adulte et ébauche de projets d'avenir, ils se demandent à juste titre si leur fraternité ne va pas d'effriter avec le temps...

Le cycle de la vie 

A mon avis, certains jeunes vont se lamenter du manque d'action _malgré la narration de quelques scènes de chasse rondement menées par le trio infernal de la tribu. Pas de courses poursuites à dos de bison au programme ; oh, les chevaux sont bien là, mais ils n'ont pas été encore domestiqués : on ne les monte pas, on les tue et on les mange. Éventuellement, on les dessine sur le sol ou dans la pierre... Nous ne sommes pas ici spectateurs d'aventures. Nous passons l'hiver aux côtés des personnages, et l'espace de quelques heures, nous découvrons leur philosophie de la vie. Beaucoup seront surpris de la vision de la vie et de la mort que pouvaient avoir les hommes à cette époque, et qui nous apparait à travers les pensées des adolescents et de la "vieille" Djedré _qui s'est éteinte à 37 ans, en fait. Parce que l'existence était plus brève, parce que la survie était la principale préoccupation des tribus, les hommes se prenaient moins la tête en futilités et accueillaient la mort comme une ultime étape de la vie. Ce n'est pas pour autant qu'ils étaient bourrins au point de ne pas s'inquiéter des faibles _ le chef Segure se préoccupe de la veuve Ciappa, malade et dépressive, tandis que les jeunes prennent soin de Djedré en la sentant faiblir. Bien sûr, Patrick Joquel a écrit un roman, par un livre documentaire. Mais la sépulture de la Dame du Cavillon témoigne de l'estime que ses semblables devaient lui porter. Qui sait, peut-être n'est-il pas tombé si loin de la réalité ? On peut rêver, puisque l'auteur nous en donne généreusement les moyens !


"C'est l'histoire de la viiiie"

Différences  

Le jeune Scarassan, plus malingre que ses deux amis et moins habile à la chasse, se distingue des autres. Mais pas dans le mauvais sens. Il n'est pas un faible que Mère Nature n'a pas réussi à éliminer. Il n'est pas un poids pour la tribu, que les autres ont envie de railler et dont la virilité est remise en cause. En effet, tous savent que, si Scarassan est "différent" des autres, il a aussi des atouts que d'autres n'ont pas _ou qu'ils n'ont pas découverts : le sens de l'observation et le goût des arts. Il réfléchit avant d'agir et fait gagner du temps aux autres en leur faisant profiter de ses talents apparemment secondaires. "Dans un groupe, les connaissances se partagent"Bien sûr, Sigure émet des craintes quant à la vie future du jeune homme et s'en ouvre à Djedré _comme d'habitude. Elle lui répond de fort belle manière :

"Cependant je m'interroge Djedré. Si Rousso et Scalza taperont les mains sur leurs cuisses quand je leur annoncerai, est-ce que Scarassan se réjouira ? Il est si différent des autres.
_ Moi aussi je suis différente. La différence, ça n'empêche pas de vivre ensemble."   

La guérisseuse décide alors de le prendre sous son aile et de le former afin qu'il soit capable de prendre sa suite lorsqu'elle ne sera plus. Il ne pourrait trouver de mentor plus encourageant en la personne de cette femme âgée et affaiblie, au bras et à la jambe brisés, qui sert pourtant de gouvernail à toute la tribu sans que personne ne trouve rien à redire. Même si ce n'était pas forcément le but du jeu, un collégien pourra y lire un beau pied de nez fait à l'intolérance ! Bientôt, en plus de ses dons, Scarassan possèdera le plus précieux des biens : le savoir.


De Noûm à Scarassan 

La lecture de Djedré de Cavillon m'a ramenée en sixième, lorsque nous avions étudié, en bons Périgourdins, Les Cavernes de la Rivière Rouge de Claude Cénac avec notre professeur de français. Vous savez, celui qui nous a fait écouter le Petit Prince... On avait fait une sortie à Cap Blanc, avec questionnaire à remplir, rédac à la clé et tout le barda... Enfin bon, Lascaux et l'Homme de Cro Magnon sont un peu nos fiertés locales, en même temps ! Tout ça pour dire que, j'ai trouvé autant de similitudes que de différences entre Djédré de Cavillon et les Cavernes de la Rivière Rouge. Dans la première oeuvre, Scarassan, voué à devenir guérisseur _ mais intégré socialement, puisqu'il se lie à une femme et garde son statut de chasseur, ne cherche pas à cacher sa particularité. Dans la seconde, nous avons le jeune Noùm ; ce dernier est lui aussi amené à suivre un enseignement auprès du sage Abaho, Mais il ne le fait pas de gaîté de coeur : l'adolescent a eu la malchance de se blesser avant le début de la "migration" d'hiver de ses semblables et ne peut donc pas les suivre. Il n'a pas de prédisposition particulière à cette fonction, il a simplement loupé le coche d'une intégration réussie : pas de gloire à la chasse, pas d'amis avec qui s'amuser, et même la jolie Tsilla lui passera sous le nez. Qui voudrait d'un canard boiteux (absent) ? Pas les parents de la fille, en tous cas. A la fin du roman, Noùm est partagé entre la satisfaction de servir enfin à quelque chose dans la tribu, tout comme son maître Abaho, et la frustration de voir sa copine avec un autre gars _moche, en plus.

Ah, que de bons souvenirs ! Il faudra que je lise la suite des Cavernes de la Rivière Rouge, un jour, tiens !



Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé Djedré de Cavillon, depuis la superbe couverture sur laquelle la Dame est représentée à partir des éléments du squelette dont on dispose _bravo Mme Claire Vergniault _ jusqu'au clin d'oeil des ultimes pages dont je ne dirai rien, en passant par les photos d'ornements retrouvés près de la sépulture...


Djedré, à ne pas confondre avec Giedré !

Patrick JOQUEL. Djedré de Cavillon. Editions du Jasmin, 2016. 136 p. ISBN 978-2-35284-171-5


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