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mardi 16 août 2022

[TÉMA LA BIBLIOTHEQUE] La tête sous l'eau - Olivier Adam (2018)

L'autre jour, nous nous sommes fait une frayeur, au collège. Un gosse de cinquième demi-pensionnaire s'est volatilisé juste avant la reprise des cours de l'après-midi. Il faut savoir qu'à ce moment de la journée, les assistants d'éducation guettent les allées et venues des petits et qu'il est impossible de sortir sans autorisation écrite. Vraiment, ça ne rigole pas. L'élève, qui est d'ailleurs connu pour son exemplarité, était au CDI lors de la pause du midi _soit juste avant l'évaporation, et il en était ressorti en même temps que les autres. Du coup, en le voyant noté absent lors de la première heure, j'ai craint d'avoir loupé quelque signe annonciateur d'un malaise. Je ne voyais que ça comme possibilité ! En fait, il était tout bonnement rentré chez lui, pour on ne sait quelle obscure raison. Par l'intermédiaire de ses copains, nous avons appris qu'il n'avait pas trop la pêche de jour-là, sans plus.  

Depuis, il est revenu régulièrement au CDI, toujours calme et souriant ; bien des fois j'ai eu envie de lui demander ce qu'il lui avait pris, mais il m'a semblé que ce n'était jamais le bon moment, et que c'était intrusif. Piétiner les consciences avec de gros sabots n'est jamais productif ; il vaut mieux laisser venir, et accepter le fait que, parfois, on n'est pas le plus apte à recueillir la parole. 


Quelques jours après son escapade, le psy-EN m'a demandé s'il était possible de proposer au gamin en question des BD et romans "sur la thématique du traumatisme". Je me suis prêtée à l'exercice de sans problème, parce que ça par contre, c'était dans mes cordes.  

Très régulièrement, on se retrouve face à des enfants qui vivent des situations ultra-glauques sans qu'on puisse le deviner, parce qu'ils ont l'art de garder la face, et/ou parce que l'école est pour eux le seul moyen de couper avec la réalité. Cela donne le vertige de se dire qu'on doit commettre de nombreuses boulettes porcasses.  

Bref, c'est en faisant une recherche de livres dans ce contexte-là que je suis tombée sur le livre La tête sous l'eau d'Olivier Adam. 


L'histoire

Une famille de Parisiens déménage à Saint-Malo, s'adaptant ainsi au projet professionnel du père, journaliste et écrivain à ses heures. Ils sont quatre : les deux parents, et leurs deux enfants, âgés de quinze et dix-sept ans, ou dans ces eaux-là. Les adultes sont ravis de quitter le tumulte de la capitale pour le bord de mer, ou du moins jouent le jeu, mais pour Léa, la fille aînée, c'est très compliqué. Elle laisse derrière elle toute sa vie sociale ; la ruralité ne lui correspond pas... Elle se met à tirer la gueule H24. Quant à son frère Antoine, il s'en fiche un peu : être un geek asocial en Île-de-France ou en Bretagne, c'est bien pareil. 

Un soir, Léa disparaît, comme aspirée dans la foule du festival auquel elle assistait. Elle va être recherchée pendant de longs mois, plongeant sa famille dans l'angoisse et la stupeur. Chacun va gérer la situation comme il peut : la mère va se barrer avec son amant, le père va tomber dans l'alcool et la dépression, le fils va lâcher le programme de seconde pour se réfugier dans le surf, un sport qu'il ne connaît pas du tout et dans lequel il ne semble pas avoir d'aptitudes particulières. 

Après quelques mois d'attente, Léa est retrouvée, en apparence saine et sauve. En apparence seulement. La jeune fille a été séquestrée et maltraitée pendant des jours, ce qui l'a brisée de l'intérieur. Ses proches ne savent comment s'y prendre pour rétablir un lien digne de ce nom avec elle, car son mutisme, son regard vide et ses crises de panique les désarçonnent complètement. Médecins et psys recommandent de laisser faire le temps, mais tant qu'elle ne parle pas, l'enquête ne peut avancer et son agresseur est toujours dans la nature. 

Attention SPOILER, des moments-clés du livre vont être dévoilés dans les paragraphes suivants. 

En regardant tous ces personnages déprimés et à bout de nerfs s'écharper, culpabiliser, attendre, faire leur introspection, chercher des solutions... je me suis dit que La tête sous l'eau pouvait faire un bon Larme de Rasoir, et même concourir pour les Prozac d'Or

Mais non, on va plutôt le classer dans Téma la bibliothèque, pour les raisons qui suivent... 

Ah mais c'est celui-làààà !  

Milieu-fin du roman. Après un gros travail effectué avec la psy, sa copine et son frère, Léa a réussi à pousser la porte du commissariat pour dénoncer son agresseur. Elle leur raconte tout ce qu'elle a vécu entre la soirée du festival et sa libération, et donne aux policiers assez d'éléments pour qu'ils puissent faire un portrait robot. Bien que ces informations soient confidentielles _ même les parents et le frère n'ont aucune idée de ce qui s'est dit pendant l'entretien de Léa avec les flics_, la fuite ne peut être évitée et tout est déballé en long et en large dans la presse locale. 

Antoine est au lycée ce jour-là, et un sous-entendu qui lui est fait en classe à propos de sa soeur lui fait péter un câble. Il quitte le cours comme un gros schlag qu'il n'est pas, et va se planquer au CDI. Riche idée ! 

A ce moment du récit, chacun pourra apprécier le portrait très peu élogieux qui est fait de la prof doc de l'établissement malouin. Bizarrement, il a tout de suite suscité chez moi un air de déjà lu... 

Mais où donc était-ce ? 

Ah, ça me revient ! Bien sûr !! C'est celui-là, le "fameux" roman d'Olivier Adam qui a fait si grand bruit dans la communauté des profs docs il y a quelques mois, au point d'être boycotté dans certains centres de documentation !! Je n'avais pas fait le lien entre La tête sous l'eau et cette affaire jusqu'à la lecture de la page 153.    

Ok, ça pique un peu. Mais n'oublions pas que l'auteur a posé comme narrateur un adolescent de quinze ans... par définition pas indulgent avec les représentants de l'autorité, quels qu'ils soient. D'ailleurs, même si on en a moins parlé, le CPE prend sa race, lui aussi, sur la page précédente.

Olivier Adam aurait pu aller bien plus loin dans le cliché et tailler le système plus violemment. 

"Je passe devant l'infirmerie fermée puisqu'on n'est pas mardi matin de 9h à 10h30 et continue jusqu'au CDI faute de mieux. La documentaliste me laisse m'asseoir sans poser de question car elle dort vu qu'elle n'a rien à faire cette feignasse. C'est une grosse femme triste et sans âge, qu'on imagine sans vie, avec sa vieille maman retraitée de l'EN et qu'on prend pour sa petite sœur, ses livres de la Comtesse de Ségur en journée et Harlequin le soir et ses chats qui cannent un par un depuis qu'elle a investi dans une voiture sans permis, sans doute à tort. Ah, Antoine reconnaît qu'il est en proie à quelques idées reçues, tout n'est pas perdu. Quelle maturité ce gosse. Le seul truc qui la gêne, c'est le bruit qui la réveille en sursaut, après quoi elle se transforme en dragon et te mange. Tant qu'on ferme sa gueule et qu'on reste bien sagement à sa table à lire ou devant l'ordinateur à se branler discrètementelle ne moufte pas " car elle filme. 

Vous voyez bien qu'il n'est pas si méchant !

Même si j'ai tendance à provoquer les collègues en disant qu'il n'y a jamais que la vérité qui blesse, je comprends les réactions outrées : le seul point du portrait qui m'ait fait tiquer se situe quelques pages plus loin, où il est dit que la documentaliste sent la transpiration et le déo bon marché. La raison à cela est claire : voilà plus de dix ans que je travaille avec des collégiens, et voilà plus de dix ans que je m'entends dire que je pue.. Ce qui n'est pas foncièrement faux, mais que voulez-vous, notre odeur corporelle est une des multiples facettes de notre identité. 

Bref, il est légitime de se sentir vexé par ces quelques tournures, quand on enchaîne les semaines à s'investir sur tous les tableaux (EMI, lecture, gestion documentaire, ouverture culturelle...) pour finalement constater dans un roman grand public _et à succès, je pense_ que l'image du métier est toujours aussi désuète. L'eau va glisser sur l'un et s'infiltrer en l'autre, en fonction de son parcours. 

Le kiosque presse de l'horreur

Abordons rapidement le lieu CDI. Identifié par le jeune Antoine comme un lieu-refuge, il ne remplit vraiment ce rôle-là dans La tête sous l'eau ; en revanche, il répond parfaitement à sa vocation d'accès à l'information d'actualité, à travers la presse nationale et régionale notamment. Le centre de documentation est une sorte de zone mixte entre le cocon protecteur du lycée et la dure réalité du monde extérieur. Le héros en ressort l'estomac allégé (puisqu'il gerbe sur les journaux, ooooh comme cette situation me parle !), mais l'esprit enrichi de nouvelles connaissances. Des connaissances dont ils se serait bien passé, je vous le concède... mais auxquelles il allait devoir faire face dans tous les cas.  

Toujours est-il que les révélations électrochoc vont engendrer chez lui un raz-de-marée de colère ; sa détermination renouvelée va se diriger vers les méandres du darknet, cette zone de non droit qu'il n'avait pas encore explorée jusque là. Comme quoi, la documentaliste a beau être ce qu'elle est, son boulot de mise à disposition de l'info est un vrai catalyseur de l'action, un maillon de la chaîne qui conduira à l'agresseur de Léa. Bref, c'est grâce à la prof doc que le livre finit bien, ni plus ni moins ! 

C'est pas ça qu'on appelle un page-turner ? 

Passées les considérations propres au CDI, revenons sur l'impression générale que cette lecture me laisse ; elle est plutôt positive !  

Voilà bien longtemps que je n'avais pas plié un livre en une seule journée, même en vacances ; pourtant ce fut le cas avec ce roman d'Olivier Adam. Cet écrivain _que je ne connaissais que de nom jusqu'alors, a l'art de tenir son public en haleine, y compris lorsque l'issue de événements racontés est un peu (beaucoup) prévisible. 

Cela vient sans doute du fait que les jeunes personnages racontent leur histoire à hauteur d'enfants, si l'on peut dire, avec leurs mots ; l'enchevêtrement du récit d'Antoine et des lettres teintées de mystère écrites par Léa avant sa disparition nous mettent en position d'enquêteur ; pour nous aussi, le puzzle ce reconstitue peu à peu. J'ai toujours été très fan de ces procédés de malins et des textes à plusieurs voix ! La sensibilité des personnages enfants et la fragilité des adultes est traitée en profondeur ; la figure de Jeff (l'oncle hyper bien intentionné mais gravement irresponsable) ne doit pas être très courante en littérature car pour ma part je ne pourrais en citer d'équivalent. Ou alors je lis pas les bons trucs, ce qui est possible aussi. 

"Le Gué de l'âne" Saint-Germain du Salembre.
Et : non, ça n'a rien à voir avec le sujet. 

Si je voulais faire ma chieuse, je dirais qu'en fin d'ouvrage, les événements s'enchaînent un peu rapidement et on a l'impression que toutes les ramifications ne sont pas exploitées à fond : la codétenue de Léa, la circulation des vidéos sur Internet, le mobile de l'agresseur... Après, ce sont des choix de l'auteur, il n'est pas prévu de les remettre en question. Pas mal de critiques parcourues sur Internet font état d'un roman qui emprunte beaucoup à ceux déjà écrits par Olivier Adam, mais comme je n'en ai lu aucun, je ne le ressens pas. 

Etant donné les thématiques abordées et la prévalence de jeunes personnages, je dirais que La tête sous l'eau parlera particulièrement aux collégiens (4°-3°) et lycéens ; mais ce n'est pas un livre exclusivement réservé à la jeunesse. A découvrir, donc ! 

Olivier ADAM. La tête sous l'eau. Robert Laffont. Coll. R. 218 p. ISBN 978-2-221-21517-3

dimanche 18 juin 2017

Larme de rasoir spéciale couverture déprimante : Le Petit Criminel - Christophe Léon (2013)


Ah, là je suis tombée sur du lourd en terme de couverture déprimante ! 
Parlons aujourd'hui de l'ouvrage de Christophe Léon intitulé Le Petit Criminel



Autopsie de la couverture

Pour commencer, saluons l'artiste : l'illustration est signée Gilles Rapaport, dont vous pourrez admirer les travaux à cette adresse. Elle met en scène un gamin aux mains et au visage blafards, figé sur un fond rouge sang. Parce qu'il semble dénué de vie et parce que son expression reflète la détresse et le malheur, ce personnage attire notre attention. D'une main faiblarde, il tient un flingue trop gros pour lui tandis que son autre bras pend dans le vide, inutile si ce n'est à maintenir son équilibre général. Malgré la taille du pistolet, et bien que le garçon occupe à lui seule la moitié de la page, notre regard est inexorablement attiré par sa tête blanche... ou saturé par le fond écarlate ; tout dépendra de l'observateur. Enfin, remarquons que le "petit criminel" semble en cours d'effacement : les contours de son corps sont un peu flous, tandis que le bras qui tient l'arme est mangé par le rouge ambiant. Le "crime" qu'il a commis est-il en train de le tacher ? est-il en train de prendre le dessus sur son âme, au détriment de tout ce qui avait fait sa consistance jusqu'alors ?

En bref, une bonne couverture qui file bien le cafard, comme on les aime... et une belle illustration à admirer, à étudier...

... et à récompenser d'un Prozac d'Or !

L'histoire 

Du coup, j'ai lu le livre : il fallait bien s'assurer que l'histoire soit à la hauteur de la couverture ! 

Marc vit avec sa mère et son beau-père dans un appartement miteux de Sète ; à seulement quatorze ans, il a déjà plusieurs vols d'autoradios à son actif et d'autres conneries de moindre envergure au compteur. Le collège ? Il n'y va plus depuis quelques temps. Un jour, alors qu'il rentre chez lui, sa mère lui prend la tête car elle a trouvé un pistolet planqué sous une pile de vêtements et le soupçonne d'avoir introduit l'arme au domicile familial. Il dément, à la fois troublé et agacé. Quelques heures plus tard, le téléphone sonne et Marc décroche le combiné : au bout du fil, une jeune femme se présente, prétendant être sa soeur. Une soeur dont il ignorait complètement l'existence jusque là.

Le sang du garçon ne fait qu'un tour : Marc quitte l'appartement, emportant avec lui le mystérieux flingue. Au hasard des rues de Sète, et après avoir erré sur le port, il braque une parfumerie en parfait amateur pour cinq cent francs et... en profite pour acheter un shampoing pour sa mère, tant qu'il y est. Oui oui, "acheter" ; parce qu'il ne faut pas tout mélanger, dans la vie. Les billets en poche, le "petit criminel" quitte la boutique. En oubliant son shampoing. 

Au coin de la rue, Gérard, un policier, le guette ; il remarque aussitôt que Marc n'a pas la conscience tranquille et, sous prétexte de le raccompagner au collège, l'engage à monter dans sa voiture. Tous deux se connaissent bien : Gérard suit le dossier du jeune depuis longtemps, et s'est donné pour mission de l'aider à réussir dans la vie. Pourtant, lorsque le policier arrête le véhicule et demande de vider ses poches, Marc n'hésite pas à pointer son pistolet sur lui. Le pouvoir change de camp : l'homme au képi devient le taxi d'un adolescent qui vient de se fixer un nouvel objectif : retrouver sa soeur cachée !


Un film adapté en livre 

Le Petit Criminel est avant tout le titre d'un film réalisé par Jacques Doillon en 1990, dont l'oeuvre de Christophe Léon est une adaptation romanesque. On remarquera que la typographie du titre utilisée pour la bande annonce a été conservée sur la couverture du livre. 



L'histoire est la même, et il nous est indiqué sur le quatrième de couverture du livre que "L'ensemble des dialogues est extrait" du long métrage... ce qui au passage est inexact me semble-t-il, enfin là n'est pas la question. Adapter un film en livre est, quoi qu'il arrive, une prouesse à applaudir ; habituellement, la transposition se fait dans le sens inverse. 

On retrouve bien, dans le roman, le côté road movie qui a fait la force du film : avalant des kilomètres pour retrouver Nathalie la grande soeur, puis pour retourner à Sète, les personnages s'ouvrent les uns aux autres, apprennent à se connaître et à mettre des maux sur leurs vies ratées. Peut-être, à eux trois, arriveront-ils à recréer un semblant de noyau familial et ces repères qui leur manquent tant ? La grande différence entre le film et le livre reste le traitement du personnage de Gérard, beaucoup plus développé dans le roman. A tel point qu'il gagne dans la version écrite une place de dindon de la farce qui nous a moins sautée aux yeux lors du visionnage du film de Jacques Doillon : "le flic" est celui qui, pour avoir voulu aller au-delà de sa mission bête et méchante, se retrouve dans une situation improbable ; il est pris en otage par un gamin qui le force à le calécher où il l'exige et qui lui crache à la gueule tout son mal-être d'adolescent.

Lorsque Nathalie entre dans la partie, la voiture devient une sorte de cellule psychologique, un lieu où l'on parlemente, où l'on se menace à l'approche d'une situation de crise ; le plus souvent, deux personnages du trio restent à l'intérieur pour échanger tandis que le troisième est isolé, sciemment ou non. De la machination aux craintes et aux confidences, les deux jeunes gens insaisissables et bien incapables de savoir eux-même ce qu'ils veulent vont faire tourner en bourrique le policier... qui le leur rendra bien !

Ma mère avait la même, peinte en vert.
Toujours en panne, le bordel...

Je ne sais trop quoi penser du Petit Criminel, qu'il s'agisse du film ou du livre ; la peinture de l'adolescence tumultueuse et incompréhensible aux yeux des adultes me paraît réussie et mérite d'être lue, vue et étudiée. Mais l'histoire a quand même un peu vieilli. Ce n'est guère étonnant puisque le film date de presque trente ans ! Tout n'était pas rose dans les années 90, certes, mais si l'on devait transposer la situation de départ dans un cité, de nos jours, voilà ce que ça donnerait :



FLIC "_ Eh, y a quoi dans tes poches ?
JEUNE _ Un flingue ! Tu veux voir de plus près ? 
FLIC _... 

PAN ! 
Le flic s'effondre. 
 Ses douze collègues tombent sur le jeune et lui enfoncent une matraque dans le cul. 




A vous de voir ! 


LEON, Christophe. Le Petit Criminel. Seuil, 2013. 236 p. ISBN 978-2-02-109374-2



samedi 12 novembre 2016

Larme de Rasoir Spéciale Couverture Déprimante ! Le garçon au sommet de la montagne - John Boyne (2016)


L'auteur du Garçon en pyjama rayé semble avoir voulu tailler dans la même veine en composant son dernier roman intitulé Le garçon au sommet de la montagne. D'ailleurs, la mention à ce magnifique ouvrage que je n'ai toujours pas lu _ne hurlez pas, c'est en partie parce que j'en ai beaucoup trop entendu parler !_ apparaît en bas de la première de couverture, juste au-dessus du nom de l'auteur.




LA couverture déprimante 

Oh, on aurait très bien pu se passer de cette discrète opération publicitaire tant le roman n'aura guère de mal à se vendre, étant donné la qualité de son contenu. Saucissonné dans des stries de fil de fer barbelé, le titre occupe les trois quarts de la page, en grosses lettres blanche sur un fond rouge sang. En bas, on devine la montagne plus qu'on la voit, comme assombrie au coucher du soleil. Le garçon _qu'on ne connaît pour l'instant que par le mot qui le désigne ! peut bien être au sommet des neiges éternelles s'il le souhaite, il ne respire par la liberté pour autant.. Contrairement à lui, un rapace prend son envol, tranquille.

Voilà une belle couverture déprimante comme on les aime ! Tournons les pages, à présent...



De quoi ça parle, sinon ? 

L'histoire débute en 1936. Pierrot Fischer, 7 ans, vit à Paris avec sa mère Emilie. Sa famille s'est disloquée quelques années plus tôt, lorsque son père s'est suicidé : en effet, cet ancien soldat allemand n'avait jamais réussi à se remettre complètement du traumatisme de la guerre de 1914 - 1918 et a fini par se jeter sous un train après avoir sombré dans la dépression. Depuis, Emilie travaille comme serveuse dans le restaurant de M. Abraham, tandis que son fils passe ses journées avec son copain Anshel, un petit Juif muet qui aspire a devenir écrivain. Mais ce semblant d'équilibre dure pas ; Emilie tombe malade et meurt à son tour. Pierrot est balancé dans un orphelinat orléanais.

Là, on se dit : bienvenue chez Charles Dickens ! D'ailleurs, le narrateur lui-même y fera allusion au détour d'un chapitre.. Eh bien, on se trompe. Pierrot ne fera pas ami ami avec Oliver Twist ! Le destin qui lui est réservé s'annonce bien pire, d'une certaine façon...

"Les gars, je crois que la soupe au choux est en train de remonter !"

Alors qu'il s'intègre bon an mal an au milieu des gosses abandonnés, sa tante Beatrix se manifeste et demande à en avoir la garde. Si Pierrot était au courant que son père avait une soeur, il s'était souvent demandé pourquoi il ne l'avait jamais vue ; il fallait croire que le moment était venu...

Le voilà parti pour l'Allemagne, et, après un voyage éprouvant où il se fera bousculer par un soldat nazi puis par quelques ados des jeunesses hitlériennes, il découvre la grande maison au sommet de la montagne qu'il habitera désormais, et dont Beatrix est la gouvernante. Tout le monde se montre plutôt sympa avec lui, que ce soit Ernst, le chauffeur, Emma la cuisinière, ou encore Herta, la "deuxième chef des bonnes". Mais il doit se plier à des consignes strictes qu'il ne comprend pas et contre lesquelles il se braque : ne parler ni de sa mère française, ni de la folie de son père, et encore moins de son ami juif. Pourquoi ? Parce que cela pourrait déplaire à Monsieur. Monsieur est le propriétaire des lieux, et même s'il est rarement là, sa menace pèse sur les épaules de tous.

Cependant, on comprend assez vite que le mystérieux Monsieur n'est autre que Hitler. Ceci explique cela.

A lire également : tous les "Dickie" de Pieter Von Poortere !

Après une ellipse d'un an, on retrouve un Pierrot -ou plutôt un Pieter_ bien changé... En quelques mois, le dictateur n'a eu aucun mal à laver le cerveau de l'orphelin fragile et déboussolé qui ne cherchait qu'un repère et une figure à admirer. Lorsque le Führer lui offre son premier uniforme de nazi en herbe, l'enfant se sent "adopté", pris au sérieux par cet homme capable de se montrer à la fois si doux et si dur avec lui _un peu comme son défunt père. Il ne voit pas que l'enflure est en train de faire de lui le plus fidèle des indics. Sa fascination aveugle pour l'odieux personnage va l'emmènera de plus en plus loin. Jusqu'à se retourner contre ceux qui ne lui voulaient que du bien. Jusqu'à prendre en note, sans vraiment comprendre _mais un peu quand même... les plans des camps de concentration. Froidement. Sans la moindre empathie. Car là où Pierrot se salit les mains, Pieter ne fait que son devoir de patriote.   

En racontant la descente aux enfers d'un gamin faible, malléable et désireux de faire enfin partie d'un groupe, Le garçon au sommet de la montagne est un de ces romans qui réveillent. Il gagnera à passer entre le plus de mains possible, d'autant plus qu'il s'adapte à très bien des contextes autres que celui de l'Allemagne nazie. Moi qui aime bien me moquer des livres tristes, je le recommande à tout le monde, jeunes et vieux, pour le lire, simplement ou pour l'étudier, si possible...


Voilà, la dame du CDI a tranché !

Du coup, notre interprétation de la couverture prend un chemin plus sûr ; on y retrouve les trois couleurs du drapeau nazi _rouge, blanc, noir.. Le lecteur contemple la neige depuis un camp entouré de fil de fer barbelé. Ah, il est à son aise, le Führer, là haut dans la montagne _ au passage, il s'agit d'un montage d'une photo du Mont Blanc. Au point où on en est, on peut partir du principe que l'oiseau qui vole au-dessus du titre est un aigle, symbole facho s'il en est. Il plane au-dessus de la tête du "garçon au sommet de la montagne", emprisonné dans ses idées arrêtées et serré de près par le maître "si généreux" qui a bien voulu le "recueillir" lorsqu'il était dans la difficulté... On remarquera que personne n'est représenté, même si tout est suggéré ; voilà qui colle bien à l'époque dont-il est question, Pierrot n'a-t-il pas vu sans voir, dit sans dire et fait semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre ? L'illustration se poursuit sur la tranche et sur la quatrième de couverture, pour une finalisation parfaite de ce bel objet.



Ne dis jamais que tu ne savais pas. (...) Ce serait le pire de tous les crimes."

Prozac d'or bien mérité pour cette oeuvre 



John BOYNE. Le garçon au sommet de la montagne. Gallimard Jeunesse, 2016. 272 p. ISBN 978-2-07-066996-7

samedi 27 août 2016

Larme de rasoir - Spéciale couverture déprimante : Depuis ta mort - Frank Andriat (2004)



Amis visiteurs, veuillez activer immédiatement votre option "second degré" sous peine de très mal vivre le billet du jour...

En cette fin de vacances scolaires, il m'importait de vous envoyer du lourd pour notre grand rendez-vous de la littérature de jeunesse déprimante ! 

Depuis ta mort - Frank Andriat (2004) 

Le jeune Ghislain (condoléances, c'est quand même pas évident à porter en 2002 !) vient de perdre son père. La mort a fauché sournoisement cet homme de 42 ans sans accorder d'attention aux trente six mille projets qu'il avait encore à réaliser. Il conduisait tranquillement sa voiture lorsqu'il a été pris d'un malaise cardiaque, et voilà. The end. Une fin tellement brutale, nulle et injuste que, trois mois plus tard, son fils n'arrive toujours pas à accepter. Alors Ghislain décide de devenir brutal et injuste lui aussi. Brutal avec son père décédé, à qui il en veut d'avoir abandonné sa famille, et avec sa mère, qui vit son deuil à sa manière. Injuste avec ceux qui veulent l'aider, et qu'il rabroue sans ambages : ses copains de lycée, ses profs, la psychologue de l'établissement, et son parrain _psy lui aussi. 

  
Illustration de Kaïn

A travers ce court roman, il semblerait que Frank Andriat ait voulu traiter l'expérience du deuil à travers un adolescent de seize ans, en mettant en évidence les phases inévitables que sont le déni, la colère et l'acceptation. Je ne saurais dire s'il le fait de manière juste et réaliste ou pas, car j'ai la chance de ne pas avoir perdu mes parents _même si c'est déjà passé près ; cela dit, il a le mérite de s'être attelé à la tâche et ça ne peut qu'être bénéfique pour les jeunes lecteurs. On tiquera un peu, cependant, de voir que le parrain psychologue arrive à déjouer assez aisément les mécanismes tordus de l'orphelin, et de s'apercevoir que l'arrivée d'une fille dans le champ de vision du jeune homme suffit à lui faire passer deux ou trois caps importants... 

Depuis ta mort vaut le coup d'être lu... même si, en observant la couverture du roman, on se rend compte que presque tout est déjà dit ! L'illustration se compose de deux parties distinguées par la ligne verticale qui semble marquer le coin d'une pièce ; sur l'espace de gauche, large, apparaît un buffet à tiroirs surmonté d'une photo du défunt disposée dans un cadre et d'un vase de tulipes rouges. L'homme photographié, tout sourire et lançant un regard flou, est André, le père aimant et adoré de son fils et de sa femme. On pourrait croire qu'on a rangé dans les tiroirs du meuble tous les souvenirs familiaux, et qu'on a mis sa tête par dessus comme pour dire : "Bon, tout ce qui se rapporte de près ou de loin à ce type se trouve ici.".

Plus restreint, la zone de droite est consacrée aux informations textuelles telles que le titre du roman et son auteur, ainsi qu'à la représentation d'un visage jeune, triste... et exclu de l'univers de son père par la ligne verticale délimitant le mur. Ils s'agit sans doute de Ghislain, le narrateur, le fils éploré qui jette un regard au cadre lorsqu'il passe devant ; cette illustration fait d'ailleurs référence à une scène bien précise du roman ; une scène qui marquera le début d'un retour à la vie, la vraie, pour la famille d'André. 

Auchan, la vie, la vraie !

Dès la couverture, la parole est donnée au fils survivant : "Depuis ta mort" sont ses mots, ceux qu'il adresse à son père... qui n'a plus que du vide au-dessus de sa tête, lui, puisqu'il ne fait plus partie de ce monde. Lui n'a plus que le monopole de l'amour des vivants et leur vénération ; droit sur son temple, il est l'ange auréolé par l'éclat que lui renvoie le vase de fleurs. Il est celui qui a apporté tellement de bonheur aux autres que sa représentation iconographique-même produit plus de chaleur que de tristesse ! 

Ou alors, l'ambiance tamisée du salon est simplement due au fait que le roman ait été publié dans la collection "Lampe de poche". Allez savoir. 

Edition utilisée : 
Frank ANDRIAT. Depuis ta mort. Grasset Jeunesse, 2005. Coll. "Lampe de Poche". 126 p. ISBN 2-7511-0090-2

jeudi 21 juillet 2016

Larme de rasoir, suivie d'une pause vampire ! Le Manoir - 1 - Liam et la carte d'éternité - Evelyne Brisou-Pellen (2013)


Fin 2014, je me moquais gentiment de la sélection 5°/4° du Prix des Incorruptibles en disant qu'on ne pouvait guère proposer aux enfants de romans aux thématiques plus déprimantes (maladie, mort, fantômes en souffrance, dépérissement irréversible de la Terre...). Parmi les titres en question figurait Le Manoir 1, Liam et la carte d'éternité, premier tome d'une série écrite par Evelyne Brisou-Pellen.

Alors forcément, en lisant le nom de l'auteure, la nostalgie a pris le dessus sur le cynisme et j'ai eu un peu moins envie de grincer des dents : Evelyne Brisou-Pellen, a également écrit Un si terrible secret, une histoire dans laquelle, si je me souviens bien, une petite fille enquêtait sur la mort douteuse de ses grands parents. Il avait fallu qu'elle passe au crible les journaux intimes de sa grand-mère et qu'elle remonte dans la noirceur du début des années 1940 pour trouver des réponses à ses questions. Ce livre lu il y a presque vingt ans ! dans le cadre des "Parcours Diversifiés" programmés en 5° était passé comme une lettre à la poste et il est resté un de mes très bon souvenir de lecture en tant qu'élève.
 


Oh, j'aurais sûrement adoré Le Manoir aussi, même si l'intrigue se situe à des lieues du roman sus-cité. Liam, 15 ans, se remet tranquillement d'une longue maladie. A sa sortie de l'hôpital, il se retrouve en convalescence dans un établissement qui tient plus du manoir hanté un peu glauque que de la maison de repos. Pourquoi pas ! Mais, comprenant qu'il n'est ni autorisé à sortir, ni à avoir de visiteurs, et que ses voisins de chambre sont tous aussi illuminés les uns que les autres, il prend peur et cherche à s'enfuir à tout prix. Or, nul n'arrive au Manoir par hasard, et nul n'en sort sans s'être posé les bonnes questions...  




En bon maître des lieux, le Dr Roy fait mine de ne pas comprendre les inquiétudes de son patient et ne lui fournit que des renseignements évasifs sur la durée de son séjour et sur les activités qui lui sont autorisées. Il n'empêche que Liam n'a pas envie de se montrer conciliant face à un homme plutôt agressif qui se prend pour un guerrier grec, une couturière d'autrefois qui cherche vainement sa fille ou à des gamins complètement mythos. Sans compter les conditions de vie qui lui sont imposées. Oh, il ne manque de rien : la nourriture est bonne et il a de l'eau chaude pour prendre son bain. Mais comment se passer de télé, d'ordi et de téléphone portable lorsqu'on vit avec son temps ? N'importe quel ado taperait sa crise !

Puisque personne ne veut l'aider à quitter ces lieux sinistres, puisque tout le monde semble ligué pour lui faire des cachotteries, il se débrouillera seul ! Sauf que, passer le portail du Manoir n'est pas une chose aisée... surtout lorsque celui-ci s'amuse à disparaître quand on le cherche. Bientôt, Liam n'aura d'autre choix que celui de tourner en rond ; et si la clé de la vérité se trouvait tout simplement dans le bureau du Dr Roy... ou juste à côté ? Faute d'une meilleure alternative, il décide de mener l'enquête entre les murs du château... et tombe sur la Carte d'éternité.


Euh, c'est un vrai enfant ? 



Reconnaissons-le, même l'auteure sait capter notre attention par son écriture légère et agréable, notre exploration du manoir à travers les yeux du héros nous a paru un peu fastidieuse dans un premier temps. Bien sûr, il est nécessaire que les lecteurs aient connaissance du contexte ; on a besoin de s'étonner de l'absence d'électricité dans les différentes pièces de cette curieuse "maison de convalescence" surannée ; on comprend que Liam soit désarçonné par l'excentricité de ses voisins de chambre, et que toutes ses observations soient des plus détaillées. Mais, comme ce petit malade en quête de confort et de tranquillité ne nous est pas spécialement sympathique, les remarques dont il nous fait part nous agacent rapidement. On le trouvera râleur, un poil intolérant ?, et drôlement scolaire pour un ado de quinze ans ! Le voilà qui nous parle histoire, SVT, latin et... encore histoire. Encore heureux qu'il ait été largué dans le Manoir ! S'il avait atterri dans un collège REP, c'eût été une toute autre affaire ! Il aurait eu accès à Internet, mais il se serait aussi fait traiter de gros bouffon en moins de deux.

Or, il s'agit-là d'un avis purement personnel ; le côté "historien" de Mme Brisou-Pellen est passé par là, et s'il me plaisait beaucoup lorsque j'avais 12 ans, le charme ne fait plus vraiment effet, ce qui est somme toute logique. Les amateurs de vieilles bâtisses hantées et truffées de pièces secrètes telles qu'on peut en rencontrer dans les Harry Potter ou dans L'île du crâne d'Anthony Horowitz prendront plaisir à errer avec Liam dans le Manoir.

A lire aussi ! 

Puis l'action s'accélère et prend une dimension fascinante avec la découverte par Liam d'une incroyable Carte d'éternité, une sorte d'écran qui lui permet de voyager dans l'espace et dans le temps. Il peut aussi bien visualiser un endroit _à la Google Street View_ en indiquant les coordonnées temporelles et géographiques adéquates, que s'y rendre pour de bon. En apprenant à utiliser ce véritable miroir du passé, il va trouver une réponse à toutes les questions qu'il se pose depuis le début de son séjour : qui sont les pensionnaires du Manoir ? qu'est-ce qui les a amenés en ces lieux ? quel rôle est-il censé jouer auprès d'eux ? sont-ils des psychopathes ou... des fantômes ? Mais attention ! comme n'importe quel autre outil, la carte présente des dangers si l'on ne s'en sert pas avec prudence... Lui qui a toujours rêvé d'être détective a du pain sur la planche.

Dans les ultimes chapitres, le voile se lève sur bien des mystères, et le lecteur pourra s'amuser à reprendre les premières pages à la lumière des informations dont il dispose à la fin. Il comprendra à quel point il s'est bien fait avoir !



Ce beau roman riche en éléments historiques n'est pas si triste que ça, finalement ; par le ressort humoristique même, il amènera les jeunes lecteurs à réfléchir sur la maladie, la différence et l'acceptation de la mort. Les amateurs de fantômes et d'âmes tourmentées y trouveront aussi leur compte ; d'ailleurs, pour la petite histoire, Le Manoir 1 a remporté le prix des Incorruptibles 2014/2015 pour la sélection 5°/4°... Sachez que derrière ce premier volet, cinq ou six volumes vous attendent, alors ne perdez pas de temps ! A vos bésicles et au boulot !


Evelyne BRISOU-PELLEN. Le Manoir 1 - Liam et la carte d'éternité. Bayard Jeunesse, 2013. 368 p. ISBN 978-2-7511-0514-2


Allez, puisqu'on y est, restons du côté des morts avec Vampire Diaries !!!  Voici un petit résumé de l'épisode 2 de la première saison, dont la dernière diffusion doit dater d'une éternité ! Ahah.



Episode 2 - "La nuit de la comète"

"Fallait bien qu'elle sache, pour ta syphilis..."

Les habitants de Mystic Falls avaient presque réussi à oublier les phénomènes paranormaux qui caractérisaient leur petite bourgade. Mais l'attaque récente de plusieurs personnes, vraisemblablement due à "une bête sauvage" pourrait bien réveiller les vieilles croyances populaires. Stephen craint que les choses tournent mal pour lui, et peste contre son frère : n'est-ce pas lui qui s'en est pris à Vicky, la soeur de Matt ? Pour ne pas ébruiter l'événement, le vampire repenti s'introduit dans la chambre d'hôpital de la jeune serveuse et l'hypnotise afin qu'elle ne puisse répondre autre chose que "c'est une bête sauvage qui m'a attaquée" quand on lui posera la question. Qu'à cela ne tienne, personne ne l'empêchera de se reconstruire et de sortir avec Elena. Mais ses pouvoirs sont trop faibles _la faute au manque de sang humain_ et le sortilège n'aura pas l'efficacité espérée.

"Ok ok, c'est un bête sauvage. Tu me fous la paix maintenant ? Et puis d'abord t'es qui ?"

De son côté, Damon semble bien décidé à faire capoter ses projets : en bon vampire charmeur et sadique, il séduit Caroline et s'empresse de parler à Elena du passé sentimental de Stephen. Celle-ci fait un peu la gueule, forcément. Et hop, Damon vous apprend à casser le coup de votre frère en moins de deux avec les ingrédients suivants : un corbeau, du brouillard, quelques bons mots et trois minutes d'avance sur l'autre mouligas blafard, avec sa banane, là. Prenez-en de la graine. En parallèle, vous pouvez assister à un combat de coq entre le petit Jeremy, dingue de Vicki, et Tyler, deux têtes et deux ans de plus que lui, qui veut juste la baiser mais qui n'est pas partageur pour autant.

Ahah, et ce n'est que le début !! :-D :-D 


mercredi 28 octobre 2015

Larme de rasoir - Spéciale Couvertures Déprimantes : le Redoublant - Claire Mazard, Rester vivante - Catherine Leblanc, Iqbal. Un enfant contre l'esclavage - Francesco D'Adamo


L'année dernière, nous nous étions beaucoup amusées, ma collègue de français et moi, à lire les quatrièmes de couverture des ouvrages exposés au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse à Montreuil : entre les héros orphelins ou défigurés lors d'un accident, les histoires d'amour entre ados gravement malades, les journaux de jeunes dépressifs essayant de se remettre d'un viol et de la discrimination raciale qu'ils vivent au quotidien, les amitiés naissantes entre enfants battus et animaux maltraités, nous avions remarqué que les petits lecteurs avaient un choix de folie en terme d'histoires réalistes.



Tous ces reflets des malheurs du monde nous ont déprimées, alors nous avons choisi d'en rire _nerveusement, certes. C'était un peu trop. Aussi bête que cela puisse paraître, on a senti qu'il fallait qu'on se protège et qu'on puisse apprécier les oeuvres tout en fixant une espèce de périmètre de sécurité. L'existence de la catégorie "Larme de rasoir" de ce blog rejoint cette idée de "protection" face à la gravité de ces récits que je respecte si je ne les aime, et que je ne cesse de mettre en valeur auprès des élèves.


Si la quatrième de couverture nous propose parfois du cafard en barre, l'illustration de la première de couverture peut aussi donner envie d'aller se terrer huit jours au fond de son lit. Voici quelques exemples.


Encore une fois, ne prenez pas ce billet comme un manque de respect envers les auteurs et les illustrateurs ; et n'hésitez pas à laisser un commentaire si vous considérez que je vais trop loin. 


1) Le redoublant - Claire Mazard




Sylvestre n'a pas de chance ; en plus d'être redoublant, c'est aussi un enfant battu. Aussi, pendant la récréation, il préfère s'isoler et observer de loin les jeux des autres marmots. Romain aimerait bien en savoir plus sur ce garçon taciturne et mystérieux : pourquoi pas s'en faire un pote ? Alors, en toute logique, il se met à le harceler quotidiennement. Après un échange de bons mots et de coups (ah bon, c'est pas comme ça que ça marche ?!), des excuses vite fait et un exposé en binôme savamment bidouillé par une prof clairvoyante, leur amitié prend forme, contre toute attente. Sylvestre s'ouvre sur la nature des blessures qui couvrent son corps et qu'il badigeonne de mercurochrome pour une plus grande discrétion : son beau-père le cogne régulièrement. Ne sachant sur qui briser le sceau du secret, Romain commence à déprimer et prend conscience que certains adultes sont capables de taper sur des enfants au point de les envoyer à l'hosto.

A présent, remarquez la parfaite adéquation entre l'ambiance du roman et l'illustration de la couverture : au premier plan apparaît un garçon légèrement roux, adossé à un arbre comme à un poteau d'exécution. Il a visiblement l'arcade pétée, et à force de raser le mur de l'école, son pull a pris une couleur similaire. Derrière lui, on devine les ombres de ceux qui lui font face et qui se foutent de lui ouvertement. Alors, on fait quoi ? On ouvre le bouquin ou on va directement accrocher la corde ? Tout sourire et propres sur eux, les deux autres personnages principaux essaient de nous persuader que non, tout n'est pas encore perdu : "regardez : nous, ça va !"


2) Rester vivante - Catherine Leblanc.

Ah, Actes Sud Junior et ses couvertures dignes des interludes d'Arte...

Bim bam boum ! 

Est-ce qu'elle joue à cache-cache ? Est-ce qu'elle pleure ? Est-ce qu'elle pleure en jouant à cache-cache parce que, comme par hasard c'est toujours elle qui compte ? Est-ce qu'elle s'est québlo comme une conne entre les deux cloisons en essayant de se taper la tête contre le mur ? Quelqu'un pour mettre un peu de déco dans cet espace passé à la chaux, aussi triste que les couloirs d'un bahut neuf ?

Dans tous les cas, elle ne respire pas plus la joie de vivre que Josepha, l'héroïne de Rester vivante. Jo, seize ans, est au bord de la dépression : rien ne la motive plus, si ce n'est l'envie de décrocher son bac pour pouvoir s'affranchir de son gros dégueulasse de père qui mate des pornos devant elle dès onze heures du matin. Evidemment, elle se trouve moche et plate _dans tous les sens du terme, et désespère de se faire tringler par un mec dans un avenir proche ou lointain ; à vrai dire, c'est peut-être l'idée de mourir avec son hymen tout fripé par la vieillesse qui la déprime et la ronge le plus. Malgré le souvenir marquant de son atterrissage raté dans une soirée échangiste organisée par ses parents lorsqu'elle était petite, la lycéenne a la dalle comme jamais.

Spoiler : finalement elle baise, et ça lui plait bien.

Même si c'est avec un mec qu'elle ne verra plus jamais.
D'ailleurs tant mieux, puisque rien ne lui importait plus que d'en finir avec cette virginité qu'elle avait l'impression de porter sur sa gueule ; un peu comme les jeunes personnages de Loveless, ce yaoi dans lequel les puceaux arborent de belles oreilles de chats, histoire de bien se taper l'affiche.

"Salut, on cherche l'homme qui murmure à l'oreille des puceaux !"
Comment ça, je raconte la fin de l'histoire ? Pas du tout : y a pas d'histoire !

Non, soyons sérieux deux minutes.

Catherine Leblanc est psy pour enfants et pour ados, et on le perçoit bien dans sa manière de décrire avec beaucoup de justesse le dialogue intérieur de Josepha, une lycéenne lambda perdue dans ses angoisses : très souvent, ces petites connasses lui susurrent de rester cloîtrée dans sa chambre, mais le dégoût que ses parents lui inspirent finit toujours par avoir le dernier mot. Alors, son repli, c'est la rue, et parfois son unique amie Laurence, une fille posée et pas contrariante pour deux sous. Un jour, une copine de classe l'invite à une soirée, où une surprise l'attend !

Bonjour ! 

Ce roman est l'occasion de comprendre à quel point peut être compliqué le quotidien des jeunes qui n'ont pas encore trouvé de sens à sa vie et qui redoutent plus que tout le regard des autres ; en cela, il présente un fort intérêt pour les jeunes lecteurs et pour les professionnels de l'enfance. On ne peut pas lui enlever ce mérite. Par contre, on regrettera que certains personnages soient esquissés plus que décrits, alors qu'ils auraient pu être approfondis ; on pense à la belle et populaire Amina, qui s'éteint instantanément en présence de ses grands frères intégristes et/ou grincheux, ou à la gentille Laurence qui gère son entourage sans que personne ne se soucie jamais d'elle.

A mon avis, Rester vivante s'adresse plus à des lycéens qu'à des collégiens, car l'ouvrage laisse une grande part au non-dit, à l'implicite et sollicite l'interprétation du lecteur. Aussi, les jeunes qui le liraient sans accompagnement pourraient bien racler le bitume et se manger trente mètres de premier degré en comprenant que baiser est la solution à tous les problèmes, et que cet acte sacré est ce qui permet de "rester vivant". Je ne prends pas les enfants pour des cons, loin de là, mais lorsque l'héroïne broie du noir depuis des lustres, va à une soirée à reculons, rencontre un beau mec expérimenté qui lui apprend comment on allume la machine, et que bam ! le lendemain le moral est revenu... on est tenté de faire un lien direct.


3) Iqbal. Un enfant contre l'esclavage - Francesco D'Adamo

Quel collégien des années 1990-2000 n'a pas été marqué par le parcours extraordinaire et la fin tragique d'Iqbal, le petit Pakistanais qui se battait pour la reconnaissance des droits des enfants dans son pays ? Vingt ans après sa mort, la fascination et le respect des élèves pour le jeune rebelle ne faiblit pas : un gosse qui a le cran de se dresser contre les adultes, ça impressionne toujours, et ça nous montre que c'est possible ! Bon attention, hein, n'oublions pas qu'il agissait pour la bonne cause, lui !

Lorsque Iqbal est acheté par l'effrayant Hussein pour travailler dans la fabrique de tapis avec les autres enfants esclaves, la petite Fatima et ses copains d'infortune s'affairent sans relâche devant le métier à tisser depuis trois ans déjà. Ils perçoivent aussitôt dans le regard du nouvel arrivant une lueur insaisissable qu'ils croyaient avoir oubliée depuis bien longtemps : l'espoir. Pourtant, quand l'enfant tente d'instiller en eux des idées d'évasion et de rébellion, ils le prennent pour un fou et lui déconseillent de faire des vagues... Il faut dire que le garçon leur balance en pleine face des vérités qu'ils ne voulaient plus entendre : eux qui croyaient ferme qu'ils redeviendraient libres lorsqu'ils auraient comblé la dette de leurs parents savent maintenant que cette histoire de remboursement est complètement bidon et ne sert qu'à les faire taire. Beaucoup choisissent de tourner le dos à ce rabat-joie qui a l'air de vouloir les peiner à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Seule Fatima choisit de croire en sa bonne foi ; elle devient sa confidente. Or un événement va les amener à comprendre qu'eux aussi ont droit à une vie bien à eux, à un avenir, et qu'il ne tient qu'à eux d'en prendre possession. Le tout est de s'unir pour être plus forts...

Si Francesco d'Adamo a écrit ce roman pour enfants librement inspiré de la courte vie d'Iqbal, c'est en partie pour perpétuer sa mémoire ; et aussi langue de pute que je puisse l'être, je dois bien reconnaître qu'il l'a fait de charmante manière. Simple, accessible et agréable à lire, Iqbal. Un enfant contre l'esclavage est à mettre entre toutes les mains et à citer à chaque fois qu'on parle des droits des enfants avec des jeunes. N'oublions pas qu'il s'agit d'une histoire vraie.



On ne s'attendait pas à voir des gamins se fendre la gueule sur la couverture d'un livre qui parle de l'esclavage des enfants, on est bien d'accord. Il n'empêche que le garçon dessiné sur la couverture _vraisemblablement Iqbal, même s'il ne lui ressemble pas énormément ; le vrai avait notamment des oreilles en feuille de chou _ donne l'impression qu'en plus d'avoir un coquard et d'être très fatigué, il a aussi une gastro et s'apprête à vomir sur le tapis qu'il est en train de tisser. Sauvez donc cet enfant pris au piège de sa pièce de tissu démesurément grande, pas loin de tomber dans le puits de sang formé par la figure dessinée sous ses pieds, assommé par le titre, menacé par les lecteurs qui le surplombent et vers qui il jette un regard implorant !

On se moque, on se moque, mais les illustrations d'Anne Buguet sont magiques.


A vous de voter pour le Prozac d'Or de cette sélection Larme de Rasoir Spéciale Couvertures Déprimantes ! 


(Laissez un commentaire indiquant votre choix)

1) Le Redoublant. Claire Mazard. 1997, Nathan. Coll. Pleine Lune. ISBN 9782092821107
     Illustrateur : Romain Slocombe

2) Rester vivante. Catherine Leblanc. 2010, Actes Sud Junior. Coll. Roman Ado. 112 p. ISBN 9782742791170 
Conception graphique : Christelle Grossin et Guillaume Berga.

3) Iqbal. Un enfant contre l'esclavage. Francesco D'Adamo. Trad. Emanuelle Genevois. 2002, Hachette Jeunesse. Coll. Histoires de vies. 193 p. ISBN 2013220200
Illustrateur : Anne Buguet 




vendredi 22 août 2014

Larme de Rasoir : Des fleurs pour Algernon - Daniel Keyes (1966)


Phobiques des insectes, attention : un cafard s'est glissé dans cet article ! 


Un jour, en écoutant la joyeuse bande d'Homomicro, j'ai entendu parler de ce roman de science-fiction écrit par Daniel Keyes dans les années 60. Le chroniqueur _ sans doute Eric Garnier, je ne sais plus..._ nous l'a présenté comme un classique du genre.

Charlie Gordon, un jeune handicapé mental, mène une existence sans joie ni peine ni sens, entre son emploi d'homme à tout faire dans une boulangerie et son pénible apprentissage de la lecture à l'école des adultes attardés. Sa bonté d'âme et la volonté d'être "plus intelligent" qu'il manifeste lors des cours de Miss Kinnian l'amènent à être sélectionnés par deux psychiatres pour mener une expérience à risques : permettre de faire grimper le Q.I d'un "arriéré" par le biais d'une intervention chirurgicale.

Alice Kinnian émet des réserves, mais le Dr Strauss et le Professeur Nemur lui assurent que l'opération ne présent aucun risque, puisqu'ils ont déjà testé leurs hypothèses sur une souris et que c'est une vraie réussite : Algernon _ladite souris_ a largement dépassé les capacités mentales de n'importe quel rongeur de son espèce, et parvient à se dépêtrer à une vitesse folle de labyrinthes toujours plus complexes. Du reste, elle se porte bien.



Charlie est surexcité à l'idée d'être enfin "normal" ; il ne sait pas en quoi ça consiste, mais il sait qu'être "intelligent", c'est bien. Vivement que son hospitalisation se termine, et qu'il puisse retourner laver les chiottes de la boulangerie et rire avec Frank et Joe, ses collègues-amis. En attendant, il suit à la lettre les consignes du Dr Strauss : consigner dans un carnet tout ce qui lui passe par la tête, afin qu'on puisse évaluer sa progression mentale au fil des textes.

Voilà pourquoi Des fleurs pour Algernon se présente sous la forme d'un journal de bord tenu quasi quotidiennement par le héros.




Effectivement, tout se passe bien ; à son réveil, c'est une nouvelle vie qui commence pour Charlie, même s'il ne s'en rend pas compte tout de suite. Le brouillard se lève sur le monde qui l'entoure, dévoilant une ville dont il ne soupçonnait pas l'existence, des hommes dont il ne mesurait pas les multiples facettes et la cruauté. Les souvenirs reviennent, comme des coups de massue sur l'"idiot" qu'il était. Pour son bonheur _et son malheur, il comprend tout, enfin.


Attention spoiler !
N'allez pas plus loin si vous voulez lire ce livre. 

(Mais sinon, vous pouvez.)





Charlie, Charlie et Algernon 
 
Au fur et à mesure que ses capacités augmentent, Charlie Gordon prend conscience de son humanité et découvre des sentiments qu'il n'avait jamais éprouvés : la joie, la curiosité, l'amour, mais aussi la honte et la colère.

Il ressent la joie d'être enfin ce que sa famille a toujours voulu qu'il soit, avant de l'abandonner et de le faire passer pour mort : un garçon aux facultés mentales normales.

La curiosité d'apprendre, forcément insatiable, mais aussi incontrôlable ; Charlie doit composer avec deux difficultés, puisqu'il doit d'une part rattraper son retard par la culture, et d'autre part canaliser un cerveau dont les capacités ne cessent d'augmenter. Il devient "une éponge" à savoir, apprend plusieurs langues en quelques jours, et ne conçoit pas que tout le monde ne puisse en faire de même. Mais l'homme n'aime pas se sentir inférieur : complexés, ses collègues s'écartent de lui car il est trop intelligent pour eux et il finit par se faire jeter de la boulangerie. Tout porte à croire que Charlie Gordon est fait pour vivre dans l'isolement, quel qu'il soit.

Même Alice Kinnian ne se risque pas à sortir avec lui : elle se sent tellement bête à côté de lui ! Pourtant, il sait qu'il l'aime, et qu'elle pourrait céder à la tentation ; mais il se révèle incapable de la baiser, à cause d'un blocage causé par les maltraitances d'une mère tyrannique.

Tout comme sa mère, Charlie a honte de Charlie, l'ancien Charlie ; où qu'il aille, quoi qu'il fasse, l'hallucination de Charlie l'idiot bienheureux le scrute de ses yeux ahuris. Au fil de ses comptes-rendus, le jeune homme note ses souvenirs d'enfance en parlant de lui-même à la troisième personne, comme s'il rêvait le passé d'un autre. Il ne comprend pas que ce gamin qui se chiait dessus de peur que sa mère le fouette, sachant qu'elle le fouettait systématiquement quand il se chiait dessus (ouais, c'est le serpent qui se mord la queue) ait pu être lui, un jour. Chacun de ses comportements saugrenus le couvre de gêne à présent ; il aimerait se débarrasser de cet "attardé" qu'il n'est plus, et dont il serait capable de se moquer lui-même. Le seul moyen qu'il a d'y échapper, c'est de s'en distinguer sciemment clairement via ses écrits.

La moquerie, il l'a vécue durant des années sans en souffrir, puisqu'il ne la percevait pas. "N'était-ce pas mieux ainsi ?" se dira plus tard l'homme devenu "un télijan". Lorsqu'il réalise enfin que ses amis Frank et Joe, ont passé des années à lui jouer des sales tours et à rire sur son dos, la colère le saisit enfin, sans qu'il puisse rien en faire : il lui manque l'expérience et la prise d'initiative, qui ne s'apprennent ni dans les livres, ni pendant les séances de psychothérapie.

En effet, Charlie Gordon demeure un simple cobaye pour ses médecins, au même titre que la souris Algernon. Il se prend d'ailleurs rapidement d'affection pour elle, en se disant que la destinée les a rapproche un peu. Mais il sait aussi que l'avenir d'Algernon en dira beaucoup sur le sien, étant donné qu'ils ont subi le même traitement : si un jour elle décline et meurt, il ne pourra plus donner cher de sa propre peau. L'homme revendiquera inlassablement sont statut d'humain dans l'expérimentation. Après ET avant l'opération. Il ne sera pas vraiment entendu, mais plutôt exhorté à la gratitude envers ceux qui l'ont "sauvé" de son engourdissement mental.

Chacun ses références souristiques !
 (Minus et Cortex)
C'est quand même autre chose que Hermux Tantamoq !


Perturbant 

Présenté comme une oeuvre majeure de la S.F, Des fleurs pour Algernon est particulièrement accessible à ceux qui en lisent peu. Hormis les indications scientifiques données par Charlie au sujet de l'intervention qu'il a suivie, et des effets positifs et négatifs qui en résultent, on n'est pas noyés dans le jargon médical. J'avoue avoir eu une crainte à ce sujet. Les connaissances de l'auteur en psychologie sont par contre bien visibles, et on devine à travers la peinture du héros une bonne connaissance des "simples d'esprit", comme on se plaisait à les appeler, avant. J'avais aussi peur de lire une suite de d'idées reçues agglomérées en un même personnage, mais pas du tout. Mais ce roman de Daniel Keyes (mort en 2014) est avant tout une réflexion sur la difficulté des rapports humains, sans cesse déterminés par la facilité qu'on a _ou pas_ à rentrer dans les clous.


Des fleurs pour Algernon est largement pressenti pour gagner le trophée du Cafard de Plomb spécial Rentrée Scolaire Pluvieuse, et peut-être même, qui sait ! Le prozac d'or !






Même si certaines incohérences dans la rapidité d'évolution de Charlie font qu'on a bien conscience de lire de la fiction, ce récit est bouleversant, voire perturbant. L'histoire vaut le détour, mais pas si vous êtes dans une période de déprime, car elle pourrait bien vous achever !





KEYES, Daniel. Des fleurs pour Algernon. Trad. de l'anglais par Georges H. Gallet. Editions J'ai lu. 2002. Coll."Science Fiction". 252 p. ISBN 2-290-31295-9







lundi 28 juillet 2014

Larme de rasoir : Wonder - R.J. Palacio (2012)


Et qui c'est qui vient vous parler d'école 
en plein milieu des grandes vacances ???

C'est bibi !!!!

Pour vous servir ! 

Après avoir lu intégralement Mon ami Dahmer (Derf Backderf) à la FNAC des Halles, j'étais tellement retournée que, tel un gosse, je me suis dit qu'il me fallait absolument un cadeau pour me consoler ! 

Après lecture des première pages, j'ai opté pour ceci :   

Wonder - R.J. Palacio
Oui, je sais, ma légende ne sert à rien, c'est déjà marqué.

L'histoire 

August Pullman est un garçon presque comme les autres : il aime les jeux vidéos, sa Xbox, Star Wars, le foot et faire du vélo. Tout irait bien si un chromosome récalcitrant et une succession de bugs génétiques ne l'avaient pas fait naître avec un visage difforme. Résultat, du haut de ses dix ans, il effraie bien malgré lui tous ceux qu'il croise sur sa route.. Difficile de se faire des amis dans ces conditions.

Afin de le protéger de la maladresse et de la cruauté des autres enfants, ses parents ont choisi de ne pas l'inscrire à l'école primaire. Mais ils sont également conscients qu'August devra un jour ou l'autre affronter la réalité pour espérer se sociabiliser malgré sa face ravagée. Alors, puisqu'il a l'âge d'entrer en 6°, ils décident finalement de l'inscrire dans un collège pas trop grand et tout proche de chez eux ; le petit Quasimodo des temps modernes est cent fois plus flippé que les autres élèves de 6°. Survivra-t-il jusqu'au prochaines grandes vacances ? Wonder retrace ses efforts quotidiens pour s'intégrer dans son bahut malgré son physique repoussant.

Et là, vous vous dites : "Mais c'est n'importe quoi ! il va se faire laminer, insulter, arracher ce qui lui reste de potable sur la gueule, cracher dessus, taper, et ainsi de suite jusqu'à nous faire au mieux une phobie scolaire, au pire une fusillade !Petite précision : ça se passe aux Etats-Unis. Comme le dit très bien Nate, le père d'August, plutôt contre l'idée de voir son petit monstre quitter le cocon familial au début du roman, on a l'impression que le jeune héros est entraîné dans son école "comme un agneau à l'abattoir".

Histoire de bien vous achever avant de commencer à lire vous-même le livre, je vous fais partager quelques bribes de la présentation d'August par lui-même, dans le premier chapitre :

"... je me sens normal. Au-dedans. N'empêche, lorsqu'un enfant ordinaire entre dans un square, les autres enfants ordinaires ne s'enfuient pas en hurlant." [...] "J'aimerais pouvoir marcher dans la rue sans que tout le monde me regarde et puis détourne les yeux à toute vitesse." [...] "Je ne me décrirai pas. Quoi que vous imaginiez, c'est sans doute pire."

Alors oui, pleurez, pleurez ! Vous pisserez moins.





Mais attendez un peu avant de vous pendre 

Si on lui enlève sa tête, la vie n'est pas si moche que cela pour August : chouchouté par une famille aimante, plutout bien richouze, surveillé de près par une grande soeur très protectrice, il ne manque de rien matériellement, et il est très intelligent. De plus, si son entrée au collège est truffée de réactions négatives _de la part des enfants comme des adultes, on repère vite son naturel positif et sa faculté à ne pas se laisser abattre.

Evidemment, on devine que tout ne va pas être rose pour lui, car la bonne volonté a toujours ses limites ; et il faut reconnaître que ses jeunes années passées à l'écart des autres l'ont maintenu dans une certaine immaturité qui le dessert. August va accueillir de nombreuses brimades, se faire trahir par ses "amis", expérimenter diverses déception et faire les frais de coups en douce.. comme n'importe quel autre collégien, en somme. Au fil des pages, on s'aperçoit que sa différence pèse de moins en moins dans la balance, même si elle crève l'écran et demeure en toile de fond... mais il faut bien faire avec !

Quoiqu'il en soit, ne craignez pas de vous déshydrater des yeux : Wonder raconte une histoire réaliste sur la différence et la prise en compte du regard de l'autre, mais finalement drôle et optimiste. Sa grande force réside, à mon avis, dans la polyphonie : les aventures d'August sont organisées en différentes parties, écrites tour à tour par le héros lui-même, puis par Via, sa soeur, par Summer et Jack, ses amis, par Miranda et Justin, les amis de Via. Cette alternance des points de vue nous permet d'avoir des versions différentes d'un même événement et facilite la compréhension ; du coup, le lecteur en sait plus que le héros à certains moments du récit, et ça ne manquera pas de le tenir en haleine jusqu'à la fin de l'histoire.

Quant à la profondeur et la justesse des personnages, elle participe au succès grandissant de ce "petit" bouquin que 500 pages qui se lit très facilement. Personnellement, en cinq heures de train c'était "plegat", comme dirait la mémé, et je ne suis pas une rapide.

Chacun des personnages principaux fait l'objet d'un rapide portrait en début de chapitre.
August 
Je ne veux pas trop en dire sur lui, afin de vous faire votre propre idée du personnage. Tout ce que je peux dire, c'est qu'on a la chance d'avoir une illustration _même incomplète_ de lui pour nous guider dans la représentation mentale qu'on peut s'en faire. Quand j'ai lu que la fête préférée d'August, c'était Halloween, parce que forcément, il n'avait pas besoin de se cacher ce jour-là, j'ai aussitôt pensé au film Quasimodo D'el Paris. En particulier à la scène en boite de nuit, où Quasimodo va faire la fête en douce, au milieu d'un peuple festif tout déguisé. Sans ces petits dessins, j'aurais donc lu tout le livre en imaginant le héros avec la tête de Patrick Timsit, vous vous rendez compte ?


"C'est la fêêêête"

Via, la soeur d'August
Eh ben ! C'est elle qui aura réussi à me faire pleurer en lisant un livre, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans, et ces putains de Hauts de Hurlevent ! Via a 15 ans, elle vient d'entrer au lycée ; si elle adore August et passe son temps à le protéger, elle souffre de l'inévitable manque d'attention de ses parents. Ils sont trop occupés par la santé et le bien-être du plus jeune pour remarquer toutes ses qualités. Alors, forcément, elle est contente de se faire de nouveaux amis au lycée et de pouvoir commencer à vivre pour elle-même, mais elle culpabilise aussi : n'est-elle pas, elle aussi, en train de rejeter son frère ?
Via est le personnage le plus complexe et le plus réussi de Wonder.   

Summer, la meilleure copine d'August
Elle le prend sous son aile dès le premier jour de classe, et lui fait remarquer qu'ils ont tous deux des "prénoms d'été". Complètement barrée, elle me fait penser à Cythia, la copine de Malcolm, dans Malcolm, donc.



Jack 
Ah, Jack ! On en a connu plein, des comme ça ! Le gars faussement modeste mais charismatique, que toute la classe aime bien, et qui a réussi à rentrer la population mondiale dans la poche de son blouson en jean. A tel point que le principal du collège lui-même lui a demandé d'accompagner August durant les premiers jours de classe pour l'aider à s'intégrer. Du coup, Jack joue son rôle de tuteur auprès du petit Elephant Man local, qui pense avoir trouvé en lui un véritable ami. Sauf que, tout beau gosse qu'il est, Jack est pris entre deux feux : d'une part, il se prend au jeu et s'attache réellement à ce nouvel élève hors du commun ; et d'autre part, il sait très bien que s'il s'affiche trop souvent avec August, classé d'office dans les loosers pestiférés du collège vu sa tronche, sa popularité va en prendre un coup et il va perdre la plupart de ses copains. Cruel dilemme que d'assumer ou pas la sympathie qu'on a pour quelqu'un ! Nombreux sont ceux pourraient méditer là-dessus, bien qu'ils aient quitté le collège depuis longtemps !


Remise des prix et distinctions en tous genres 

Si j'ai cru bon de le classer dans la catégorie "larme de rasoir", je ne compte pas lui attribuer le "Prozac d'or".



Bien qu'il soit émouvant, bien qu'il sonne juste, Wonder est un roman pour enfants plein d'espoir. Seul bémol, la fin de l'histoire est un peu trop niaise à mon goût, et mérite à elle seule le label Monde des Bisounours.


Allez, je n'en dirai pas plus pour pas spoiler.

Une histoire à lire à tout âge, à faire lire tout le monde, bref, à mettre entre toutes les mains ! 


PALACIO R.J. Wonder. Pocket Jeunesse. 2012. 506 p. ISBN : 978-2-266-24962-1