samedi 22 février 2020

[COMICS] A la bibliothèque : TEOTL - Tome 1 - Arahorus - Tot ; Mylydy (2011)


Parfois, le vendredi, après le travail, je vais me poser à la bibliothèque Dumont pour lire des BD et en emprunter d'autres. Je fréquentais beaucoup cet endroit lorsque je suis arrivée à Aulnay, il y a quelques années déjà ; lors de mes premiers jours sur place, cet espace m'a servi de point de repère. C'était mon terrier imperméable au temps qui passe, au bruit, à la violence du quotidien. Puis, de manière tout à fait imperceptible, je me suis mise à espacer mes temps de repli. 

Petit à petit, je me suis déportée de quelques mètres, un peu comme les vagues nous écartent de notre trajectoire sans qu'on s'en rende compte. C'est ainsi que j'ai fini à l'Orée du Parc, dont j'ai dû goûter un peu de tous les anesthésiants en plus ou moins grande quantité. Je savais bien que ce n'était pas une solution, mais je traversais une mauvaise passe et j'étais convaincue qu'il me fallait du costaud pour affronter la réalité. Est-ce que j'avais tort ou raison ? Difficile à dire, après coup. 


L'erreur n'était pas de penser qu'il serait possible de redresser la barre quand le moment me semblerait opportun. L'erreur, c'est de ne pas avoir anticipé ma solitude dans cette démarche. Je pense que même si on peut se faire aider, on est toujours seul face à son addiction. Personne ne peut résoudre le problème à votre place _ce qui est vrai à peu près pour tout. De plus, personne n'a vraiment envie que vous l'entraîniez avec vous dans le précipice _le contraire serait bien inquiétant. La maladie fait peur, l'altruisme ne nourrit pas son homme. Qui n'a jamais changé de trottoir sous les invectives d'un mec bourré ? C'est humain ! 


TEOTL - Tome 1 - Arahorus



L'histoire 

TEOTL - Tome 1 - Arahorus est le premier volume d'un curieux triptyque scénarisé par Tot et dessiné par Mylydy.  

Les Divinités ne sont pas contentes ! Non seulement, les hommes ne sont plus capables de les reconnaître et encore moins de les craindre, mais en plus, ils détruisent leur planète et passent leur temps à s’entre-tuer ! Décidément, ce 21ème siècle ne leur dit rien qui vaille ; nombreuses sont celles qui s'accordent à dire qu'il vaudrait mieux faire disparaître une bonne fois pour toutes les êtres humains, mais quelques irréductibles ont envie de leur laisser une dernière chance. C'est le cas d'Arahorus, le dieu-rapace, et de Sepatep, le dieu chien-ailé.

Tous deux misent sur la jeunesse, par définition pleine de vie et de bonne volonté ; ils s'installent incognito dans les îles Calchaz, où ils repèrent un groupe d'adolescents particulièrement remuants, drivés par un leader impulsif surnommé Tabasco. S'ils arrivent à se faire entendre d'eux, ils pourront leur transmettre une partie de leurs forces divines. Les jeunes "élus" seront alors assez puissants pour contrer les monstres chargés d'anéantir l'humanité ! Ou pas...  Arahorus et Sepatep jouent carte sur table : personne n'a jamais dit que l'aventure était sans risque ! Libre à eux d'accepter ou non la mission...

En cette fin d'après-midi ensoleillée, les jeunes en question ne se doutent pas des grands projets que les dieux aztèques ont prévu pour eux. Leur vie, c'est Street Fighter, lycée, amour et base-ball. Tabasco a passé une sale journée, et il a les nerfs en pelote ; Kurbin a l'air au bout de sa vie, et son coeur est voué à Lucie, la fille du groupe _mais c'est pas vraiment réciproque. Tous deux attendent le car scolaire. A l'intérieur, et après une violente baston pour récupérer les toujours très prisées "places du fond", ils retrouvent leurs potes gamers Lucie et Ricky. Comme ils ont tous les quatre une grande passion pour les jeux vidéos, ils se rendent dans une salle d'arcade où ils semblent avoir leurs petites habitudes.

Mais la partie de Street Fighter tant attendue ne se fera pas ; des phénomènes vraiment étranges vont se produire. Tabasco et ses amis vont faire connaissance avec un "homme à tête de poulet" des plus terrifiants, qui va leur proposer rien de moins qu'un très flippant tour du monde en 80 secondes. Après ce voyage, leur vie ne sera plus vraiment la même.


Pourquoi le tome 2 est-il aussi difficile à trouver en bibliothèque ?  

Peut-être pour cette raison-là :

Merci de prévenir ...
Je parle bien du petit avertissement concernant les "quelques" gros mots présents dans la BD. Alors, les gros mots, ça ne me gêne pas du tout, hein ! J'en mets partout sur ce blog parce qu'ils font partie de la langue à part entière, et c'est pas trois pauvres "putain de merde" qui nous crèveront les yeux et les oreilles. Vous conviendrez qu'il est bien difficile de mettre en scène une conversation d'adolescents sans en glisser quelques uns, du moins si vous voulez être un tant soit peu crédible. Mais tout est question de dosage ; dans ce tome 1 de TEOTL, il semblerait qu'on ait laissé tomber le contenu de la salière sur les premières planches.

Au tout début de la BD, Tabasco est en rogne contre son prof de maths ; alors il l'incendie. Tous les noms d'oiseaux y passent. Ok, ça se tient. Parfois, la vulgarité est le moyen d'expression d'une bonne vanne bien croustillante :

Celle-là, je vais la garder ! 

Par contre, à d'autres moments, le vocabulaire ordurier n'apporte rien et n'est pas loin de faire tache. Dans tous les cas, cela explique que les trois volets de TEOTL, bien loin d'être inintéressants, sont relativement méconnus et difficiles à mettre à disposition dans les CDI et dans les médiathèques. On leur préférera _sans doute à tort ! des ouvrages contenant des scènes beaucoup plus violentes, ou traduisant des ambiances franchement malsaines. Eh ouais, on vit dans une société où un bras tranché choque moins qu'un "va te faire foutre". Mais là, il faut presque chercher les vignettes sans terme à biper au montage, c'est vraiment trop.. Sauf erreur de ma part, seul le premier tome est disponible à la bibliothèque Dumont.

Le diamant brut 

Sous la couche d'immondices verbaux se cache une pépite. Qui connaît une oeuvre de fiction, bande dessinée ou autre, qui fait référence au Bouddha et à Krishnamurti (un philosophe dont je n'avais absolument jamais entendu parler...), qui rend hommage à la mythologie aztèque tout en peignant avec une finesse certaine les démesures caractéristiques des ados torturés ? Même si on pourra regretter que certains éléments culturels ne soient qu'évoqués, un peu comme si les artistes avaient manqué de temps pour les traiter en profondeur, ils ont le mérite d'être présents, avec leur fraîcheur et leur originalité. Des gosses qui se réveillent un beau jour avec des pouvoirs qu'ils peinent à contrôler, on en rencontre tous les deux comics qu'on croise. Des figures divines relevant du concept de Teotl, c'est beaucoup plus rare. 

Cette BD très colorée, évoluant au gré de personnages filiformes à gros yeux et à bonnes têtes qui rappellent parfois ceux de Bryan O'Malley (vite fait), gagnerait donc à être diffusée plus largement. On apprécie particulièrement les dernières planches, dans lesquelles Tot et Mylydy racontent la genèse des protagonistes, leurs influences, leurs sources d'inspiration, expliquent ce qu'ils ont voulu faire et ce qu'ils ont préféré éviter.



TOT ; MYLYDY. Teotl - Tome 1 - Arahorus. Ankama Editions, 2011. ISBN : 978-2-35910-233-8



Eh ouais, TEOTL le prouve, j'ai fini par revenir à la bibliothèque Dumont, ce qui est plutôt bon signe, je crois ! Quelques années en plus dans les pieds, quelques neurones en moins dans la tête, mais toujours motivée par le même objectif : contribuer à mettre les gosses sur les rails de la culture (oh c'est beau).   

mardi 4 février 2020

Se droguer, c'est risqué : K contraire - Sarah Marx (2020)


Depuis la réforme du collège, en géographie, les élèves de sixième découvrent ce qu'est une métropole et sont amenés à "penser la ville de demain". Pour ce faire, les professeurs de notre collège leur demandent généralement de modéliser leur cité idéale, en créant une maquette ou un plan, et en rédigeant une petit texte explicatif, histoire de verbaliser leur démarche de travail. Même s'ils doivent tenir compte de certains critères et de quelques contraintes _l'écologie, l'accessibilité, la mixité..., la part belle est faite à l'espoir, aux rêves, à l'imagination. 

Or, la liberté, ça fait peur, surtout quand on n'y est plus habitué. Chris sèche complètement sur l'écriture de son petit paragraphe. Il est en train de réaliser que sa "ville de demain", blindée de tours en gros carton peint, ressemble cruellement à celle d'aujourd'hui : voilà qui ne lui facilite pas la tâche. Il inscrit une phrase avant de se déclarer à court d'idées. 

Je jette un oeil sur le "document Sans Nom 1" ouvert sous Libre Office, curieuse de voir comment il va se tirer de ce pétrin. 

"Il y aurat des bicraveur et des ecole." 

Comme ses voisines lui donnent des coups de coude en chuchotant des "pu" pas discrets, il s'empresse, dans un soupir, d'effacer le mot qui dérange. 





L'histoire 

Ulysse (Sandor Funtek) sort de prison après y avoir purgé une peine de quelques mois pour trafic de stupéfiants. Le retour au quotidien est aussi violent qu'une deuxième naissance, pour ce petit parisien du 18ème arrondissement. Sans diplôme à 25 ans, endetté, désarmé face à la dégradation lente mais sûre de l'état de santé de sa mère (jouée par Sandrine Bonnaire), le jeune homme n'a pas le temps d'attendre ! S'il veut s'en sortir et assurer le bien-être des siens, il lui faut beaucoup d'argent, très rapidement. Il se résout donc à s'associer à son pote David (Alexis Manenti). Ce dernier a échafaudé un plan très risqué, mais qui peut leur rapporter gros : lancer un food truck, et s'en servir de couverture pour dealer de la kétamine. S'ils mènent bien leur barque, ils peuvent tous deux se tirer d'affaire, rêver à une vie où l'argent gagné honnêtement suffirait à assurer leurs besoins. S'ils se font pincer, ce sera un retour en prison sans passer par la case départ pour Ulysse, dont le plan de réinsertion semble tenir la route, même s'il n'a pas convaincu la juge pour autant.





N'est pas Pablo Escobar qui veut ! 

Entre les déconvenues propres aux amateurs, les rendez-vous manqués et la poisse qui s'en mêle, on se rend vite compte que David et Ulysse tiennent plus des Pieds Nickelés que de Tony Montana. A peine le camion loué, le binôme part dans le Poitou pour récupérer auprès d'un agriculteur la poudre qu'ils écouleront pendant un festival de musique techno. Eh oui, leurs espoirs ne reposent pas sur les effets de la fringante cocaïne, mais sur les vertus euphorisantes de la kétamine, une substance surtout utilisée comme anesthésiant par les vétérinaires : ça en jette moins, mais c'est tout aussi illégal.

L'une des forces de ce film, que l'on pourrait être tenté de classer parmi les nombreuses oeuvres qui se targuent de rendre compte de la difficulté de vivre décemment à Paris au 21ème siècle, avec une dose plus ou moins chargée de misérabilisme, est de nous permettre de remonter la "chaîne" d'un trafic, du raveur défoncé jusqu'au vétérinaire fournisseur, en passant par l'agriculteur dur en affaires et l'agent de sécurité capable de fermer les yeux au bon moment. Le tout, sans excuser ni juger. Voilà un angle de vue qui ne nous est pas souvent proposé.


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Pour ceux qui voudraient en savoir plus _n'oubliez pas : "se droguer, c'est risqué" !, voici la fiche consacrée à la kétamine sur le Dico des drogues (Drogues info service).


Parce qu'ils sont en étant de stress permanent, parce que leurs déboires personnels les mettent sur les nerfs, tous deux en arrivent rapidement au point où ils ne peuvent plus se supporter. Il suffit de les voir se chamailler pour redouter et pressentir les tuiles à venir ; car oui, au fond, on aimerait bien qu'ils réussissent leurs petits méfaits. Si David endosse le rôle du fourbe _après sa performance de méchant flic dans Les Misérables, on dirait qu'Alexis Manenti a signé pour jouer systématiquement le connard de service, espérons pour lui que la roue tourne avant que ça lui porte au casque_, Ulysse est extrêmement attachant. Il ne demande pas mieux que sortir du circuit infernal des drogues, mais il a sans cesse le couteau sous la gorge : en effet, il doit faire face à des dépenses que les aides sociales n'anticipent pas, généralement : la prise en charge d'un parent dépendant, la rémunération d'un aidant...

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Pour quelques billets de plus 

Etre réglo, c'est honorable, mais ça ne paie ni votre loyer, ni l'ex-copine qui a mis sa vie entre parenthèse pour s'occuper H24 de votre mère pendant que vous étiez en taule. Ca ne vous permet pas non plus d'obtenir la garde de votre gosse _dans le cas de David.

Je ne sais pas si ce film relativement court (1h23) restera dans les annales : l'action s'y déroule à toute vitesse et part dans tous les sens, zigzagant d'un obstacle à un autre, sans prendre le temps d'expliciter certaines séquences qui auraient pu être plus développées, à mon sens. On effleure la question de la peine de prison, la maladie de la mère, la relation qui lie encore Ulysse à son ex-copine... on devine plus qu'on ne comprend. Mais peut-être est-ce voulu. Dans tous les cas, Sarah Marx met en évidence avec assez de justesse la place prépondérante du fric dans nos vies : on ne peut rien faire sans, on ne peut rien faire si on n'en a qu'un peu.

Photo du jeu de cartes qui a boosté ma vie sociale, au lycée.

La scène du ramassage de billets dans la fagne l'illustre parfaitement. Précisions : après le festival de techno, les deux compagnons d'infortune doivent quitter la campagne poitevine prestement ; sur le chemin, ils s'embrouillent _ pour des raisons qu'on ne dévoilera pas, et en viennent aux mains. Une liasse jaillit, les billets volent dans la boue ; oubliant leur querelle, ils se mettent à ramasser, fébriles, se mettant presque à quatre pattes, les petites coupures jusqu'à la dernière. Sur le coup, j'ai trouvé cette scène extrêmement longue et peu utile ; après réflexion, je me demande si ce n'est pas le moment-clé du film.


On a aimé :

  • Sandrine Bonnaire, Sandor Funtek qu'on découvre, Sandrine Bonnaire, le fait qu'on place la question des aidants au coeur d'un film, pour une fois ! et Sandrine Bonnaire. 


On a moins aimé :


  • Le personnage de la paysanne, véritable cliché ambulant que par chance, on ne voit que brièvement. Arrêtez de regarder l'Amour est dans le pré, merde ! Tous les paysans n'ont pas forcément l'air d'être coupés de cloporte, tous ne sont pas désagréables avec ceux qui n'adhèrent pas à leur univers, tous ne circulent pas exclusivement en quad vêtus d'une combinaison kaki. Bon, comme on dit, y a pas de fumée sans feu et cette réputation ne sort pas complètement de nulle part, hein... mais tout de même, le quad, c'est trop. 
  • L'utilisation abusive du langage wesh wesh, présent à tous les coins de phrase : on sent vraiment que ce n'est pas tout à fait naturel.  


K contraire 
Sarah Marx, 2020 
85 min 
La Rumeur filme