samedi 29 mars 2014

Un dimanche de craquage livresque à Bordeaux - 3 : Silver Spoon T.1 - Hiromu Arakawa (2011)


Je ne crois pas avoir terminé de vous raconter ma dernière sortie livresque à Bordeaux, alors je poursuis. Après avoir écumé le Quai des Livres, donc, ce dimanche-là, j'étais allée à la FNAC pour m'attaquer aux nouveautés. Chacun sait qu'à Bordeaux, la célèbre enseigne culturelle est ouverte le jour où personne n'est censé bosser, alpaguant à peu près tous les étudiants désœuvrés, sans amis, sans famille et/ou asociaux qui auraient eu l'idée de passer dans la rue Sainte Catherine. Le succès dominical de ce vaste supermarché sans bouffe vient de la diversité de son offre d'une part, et du fait qu'il n'y ait quasiment aucun autre commerce d'ouvert aux alentours, d'autre part.      

Une fois qu'on y est, le mieux est encore de monter au deuxième étage et d'aller se poser dans le coin des mangas, du moins si c'est possible. Un tapis d'otaku étendu sur la moquette risque fort d'empêcher l'accès aux séries, mais on apprend assez rapidement à les éviter voire à les enjamber, car ils ne bougent pas d'un cheveu si ce n'est pour tourner les pages, absorbés qu'ils sont dans leur lecture.

Comme Silver Spoon fait partie des nouveautés, je n'ai même pas eu besoin de simuler une partie de Twister avec les gothiques pour accéder aux rayonnages : les trois premiers tomes de la série sont en tête de gondole.



et voilà le premier...


Afin que ce soit plus clair pour vous, j'ai fabriqué de mes mains une carte heuristique artisanale du premier volume de la série.




Silver Spoon raconte le quotidien d'un groupe d'adolescents scolarisés dans un lycée agricole perdu en pleine campagne, à travers les déboires de l'un d'eux, Yûgo, un jeune citadin qui a bien du mal à s'adapter à sa nouvelle vie.


Bouzeux power ! 

Yûgo vient d'intégrer un lycée agricole situé sur l'île d'Hokkaïdo pour étudier les techniques de production animale. A la différence de ses camarades de classe qui ont un projet professionnel bien précis dans le domaine de l'agriculture, tel que reprendre la ferme familiale, devenir vétérinaire, tester de nouveaux modes de production, il n'est pas capable de dire pourquoi il s'est inscrit ici, alors que de nombreux lycées "ordinaires" lui tendaient les bras. D'autant plus qu'à lire ses toutes premières paroles, on croit deviner qu'il n'a pas opté de son plein gré pour la vie de paysan  :

"Sérieusement... où est-ce que je suis tombé ?"

Non seulement, Yûgo ignore tout de la vie rurale et de l'importance des soins à prodiguer aux animaux de la ferme, mais en plus de ça, il affiche un mépris perceptible pour tous ces "fils de paysans" qui, selon lui, ont tout dans les bras et rien dans la tête. Enfin, pour couronner le tout, il a une bonne tronche d'intello à binocles. Alors, on se dit aussitôt qu'il va devoir revenir sur ses idées reçues et y mettre du sien pour ne pas devenir la bête noire du troupeau.



Les routiers sont sympas, mais les paysans aussi, et heureusement !

Au lycée agricole Ohezo, symbolisé on ne sait trop pourquoi par une cuillère d'argent _ d'où le titre, le citadin apprend la vie en collectivité, le travail d'équipe, les inconvénients de la vie rurale ("allô, aallô, t'emballe pas, y a pas de réseauu !") mais aussi ses avantages. Se lever à 5h du matin pour curer les étables et faire connaissance de son groupe de travail, enchaîner avec deux heures d'EPS, puis avec des cours théoriques, avant de rejoindre son club obligatoire en fin d'après-midi : si ça pue pas le parcours initiatique à plein nez, ça peut-être !



   
Le premier jour de classe, le professeur principal a divisé la classe en plusieurs groupes de travail qu'il a formés de manière purement aléatoire. A l'issue du tirage au sort, Yûgo, Shinnosuke, Tamako, Keiji et Ichirô tombent dans la même galère ; mais malgré les courbatures et les cris de douleur des uns et des autres au moment de se lever, force est de constater que l'ambiance est plutôt bonne dans cette équipe aux personnalités multiples. Shinnosuke est une douce tronche qui aspire à devenir vétérinaire et en qui Yûgo trouve à la fois un double et un rival. Posée et réfléchie, Tamako est une fille au physique peu engageant mais blindée intérieurement ; elle s'intéresse au management car son objectif est de faire évoluer l'entreprise familiale sur la scène internationale. Ichirô est le taureau du groupe, le genre de type nerveux et sportif qui a envie de tout casser, mais qui ne fait rien parce qu'il a le coeur labouré de tristesse. Il veut reprendre au plus vite la laiterie que sa mère tient à bout de bras, mais pour ce faire, il doit décrocher ce putain de diplôme qui les lui brise. En attendant le jour béni où il quittera l'école, il s'illustre dans le club de baseball.

Et enfin, Keiji. Lui, je l'aime, et pas seulement parce que l'élevage de poules est sa spécialité.

Grâce à lui, Yûgo réalise que les oeufs sortent du cul des poules : un choc dont il va avoir bien du mal à se remettre. 

Ok, ça aide, mais il me plaît surtout parce qu'il est le pendant bouseux de Bruce Harper, l'éternel remplaçant dans Olive et Tom. Le mec sympa, rigolo, mais... remplaçant, quoi ! Au pire, quand il joue, c'est parce qu'un milieu ou un défenseur s'est blessé en chutant de 15 mètres après s'être brisé le nez sur le torse de Mark Landers. Keiji est, lui aussi, un médiocre, un nul en tout _et surtout en maths, un de ceux qui n'intéressent personne mais qui amusent la galerie avec des blagues qu'on oublie aussitôt.    


J'ai même été obligée de rechercher son nom dans la liste de personnages car je n'en souvenais plus !
Tous les ingrédients du manga shônen* à succès sont bien là, puisqu'on a clairement repéré : 

- le héros en devenir 



- le beau gosse 

Ichirô


 - la moche 

Tamako


- le beauf 



  le pédé le gentil




Il ne manque donc plus que .... 

LA BONNASSE  !!!!!!!!!!!!!!!! 
Aki Mikaje

"Il fait trop chaud pour travailler !"

(Ca sonne beaucoup trop Nicki Minaj pour croire à une coïncidence)
Aki Mikaje n'est pas seulement la fille à la plastique séduisante que tous les mecs veulent se taper. Elle est avant tout une élève du lycée agricole passionnée de chevaux, plutôt mature, intelligente et ouverte. Aux autres, j'entends. Lorsque Yûgo se perd dans les bois en coursant un veau (oui, oui...), c'est elle qui le retrouve et le raccompagne au lycée, en essayant de s'intéresser à lui et à ses motivations au lieu de se foutre de sa gueule. Pourtant, il y aurait eu de quoi. Aki est la fille parfaite : jolie, serviable, toujours de bonne humeur, forte en classe et amie des animaux ; celle qui fleurit dans les manga sans même qu'on ait besoin de lui tasser du fumier au pied.


Que penser de Silver Spoon

Tout comme l'auteur, Hiromu Arakawa, le monde rural ne me laisse pas insensible. C'est tellement rare de lire une histoire pour jeunes où le lieu d'action est un lycée agricole, et où les métiers de l'agriculture sont valorisés, que Silver Spoon vaut le détour, ne serait-ce que par cette originalité. D'ailleurs, le monde rural n'est pas du tout idéalisé ici, ni vu sous son angle le plus avantageux, au contraire. Les planches où on écoute les oiseaux chanter en bronzant dans un champ sont rares : non, l'agriculture est avant tout une galère monstrueuse dont on ne peut plus se dépêtrer une fois qu'on est tombé dedans. Alors autant être passionné avant de se lancer, et ne pas passer sous silence la question de la productivité, de la rentabilité et des gouffres financiers inévitables de nos jours. De la même manière que la sélection naturelle s'opère sur la portée de porcelets qui fascine les lycéens, la loi du plus fort régit les campagnes, aujourd'hui plus que jamais.

Maintenant, je me mets à la place des gosses du collège où je travaille, et je me dis que, si ça peut plaire à pas mal de sixième, beaucoup vont profondément s'emmerder en constatant qu'il n'y a ni baston, ni aventures extraordinaires. Pourtant, un autre point du manga aurait de l'intérêt, mais il faudrait faire un travail précis dessus : Silver Spoon pose en effet la question de l'orientation professionnelle : que veut-on faire plus tard, comment y parvenir ? On sera étonné de constater que, là où les élèves de 3°/2nde vous diront qu'ils ne savent pas quoi faire de leur vie _et j'en ai fait partie il y a quelques années, les personnages de Arakawa ont une idée très précise de leur avenir professionnel. Yûgo, celui qui ne sait pas ce qu'il fout ici, qui déconsidère complètement la voie professionnelle et ne semble l'avoir choisie que pour la légèreté des programmes, fait figure d'exception. Alors que c'est juste la situation habituelle d'un élève de 3° par chez nous _ en en réalité. Je n'ai aucunement l'intention de mettre en parallèle le système éducatif français et un manga pour gosses, mais Silver Spoon peut servir de base, en classe, à une révision des idées reçues sur la voie professionnelle.    

Du coup, je vais le proposer quand même aux gosses, on verra bien.

ARAKAWA, Hiromu. Silver Spoon, la cuillère d'argent. Vol.1. Kurokawa, 2011. 192 p. ISBN 978-2351428344 

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* Shônen : manga pour garçons boutonneux, dans lequel le héros par en quête de quelque chose et évolue progressivement. On retrouve bien l'idée du parcours initiatique détectée dans Silver Spoon. Souvent, le décor du manga shônen est le lycée (comme ici), l'équipe sportive, un terrain propre à l'aventure sous toutes ses formes.    


mercredi 19 mars 2014

Dans la série "Vive le 9-3" : vue de la boulangerie de Chanteloup depuis la laverie !


Parce qu'il faut bien s'occuper pendant que les fringues partouzent dans la machine ! 

Moins Deux Pixels étant resté au vert en Dordogne, je vous présente Monikon par le biais de son premier coup de flash.

Retouché dans Picasa (N&B + Boost)

Monikon étant un appareil photo trans FtM, merci de vous adresser à lui en utilisant le masculin. 

mercredi 5 mars 2014

SPECIAL COMBO LARME DE RASOIR + TITRE A LA CON : Le cheval qui sourit - Chris Donner (1992)


Un soir, avec Bubulle, on s'est demandé ce qu'on pourrait faire si on se retrouvait avec un cheval mort sur les bras : est-ce qu'on l’incinérerait ? Est-ce qu'on l'enterrerait ? Est-ce qu'on l'offrirait à la mer et à ses poissons après l'avoir déplacé à l'aide d'une grue ? 

Sur ces belles pensées, nous nous sommes endormies, et je n'y ai plus guère repensé jusqu'à cet après-midi. 

Dans la réserve du CDI, j'ai (encore) trouvé des livres que ma collègue Joséphine n'avait pas eu le temps d'enregistrer dans le catalogue. Au beau milieu des Max et Lili (série à succès en 3°, figurez-vous !), Le cheval qui sourit essayait de se faire tout petit, en espérant que je laisserais moisir dans son carton. Aurais-je du, pour la sécurité des plus sensibles ? Verdict dans quelques jours ! 


Il suffit de voir la tête des gosses pour deviner l'ambiance....
En commençant la lecture de ce petit roman paru dans la collection "Mouche" de l'École des loisirs _ donc destiné à des enfants âgés de 7 à 10 ans, je me suis dit que j'allais bien rigoler. En effet, j'ai bien ri, non seulement parce que c'est ce que je sais faire de mieux après boire de la bière, mais aussi parce que j'ai été fort surprise ! Vous n'êtes pas sans savoir que rien ne provoque aussi bien le fou rire que le choc crée par une situation imprévisible. Mais ce n'est pas le propos. 

Je m'attendais à me taper une version dépailletée de "Mon petit poney", c'est un remix gore de Stewball qui s'est présentée à moi. J'exagère à peine. 


   

Comme un noeud dans l'estomac 

C'est l'histoire d'un petit village qui se meurt, abandonné au fil des années par sa population. Forcément, l'école se vide elle aussi, au regret du maître d'école. Celui-ci se demande comment faire pour rendre la contrée plus attractive pour les enfants comme pour leur parents : et si on achetait un cheval ? 

Évidemment, promener un cheval-mascotte de l'école et du village histoire de donner envie aux gens de rester... Pourquoi n'y avait-on pas pensé plus tôt ? 

Mais un cheval, c'est cher, et les parents d'élèves ont moyennement envie de participer à l'achat de la bête... Par chance, l'instituteur est assez généreux pour piocher dans ses propres économies et compléter la somme demandée par le propriétaire du haras local. L'histoire se gâte lorsque l'homme, comprenant que le maître d'école ne connaît absolument rien aux chevaux, empoche les sous et refile à l'école le vieux Bir Hakeim, un canasson gravement malade, pour ne pas dire prêt à crever. Au début, les enfants ne se rendent pas compte de l'état critique dans lequel se trouve l'animal ; ils constatent juste qu'il "sourit", et il ne leur en faut pas plus pour être aux anges. En réalité, ce "sourire" est une grimace de douleur ; il ne le quittera plus jusqu'à son arrivée triomphale à l'école.   

C'est alors que le cheval se met à baver méchamment. A l'agonie, il chute lourdement et irrémédiablement dans la cour de récréation, devant les gosses surpris puis effondrés. 



Le maître d'école fait appel au vétérinaire, qui suggère d'achever la bête sur le champ, histoire d'abréger ses souffrances. Vraiment ? Tout ça pour ça ? Il n'y a pas d'autre alternative ? Non, mais puisque Bir Hakeim nous a fait une occlusion intestinale, on peut toujours essayer de le déboucher et de le rafistoler, mais ça lui fera sans doute plus de mal que de bien. Le vétérinaire ouvre donc le cheval, lui sort les tripes, les nettoie, les recoud, les remet en place et referme le tout, devant les gosses qui n'en ont pas loupé une miette, évidemment. 


On achève bien les chevaux   

Non mais, les gens de l'École des loisirs, si vous voulez pousser assez de gosses au suicide pour que le mot "chômage" soit gommé du dictionnaire d'ici quelques années, dites-le clairement ! Plus sérieusement, j'en viens à me dire que ce petit livre a tout à fait sa place au collège, car il apporte une dose de réalisme à un univers souvent teinté de niaiseries ou de puissance guerrière : celui des chevaux ! On n'hésite pas à parler de magouilles et de malhonnêteté dans Le cheval qui sourit : après tout, le propriétaire de Bir Hakeim ne fait rien de moins que rouler dans la farine un instit qui cherche à réaliser un rêve collectif ! C'est une manière comme une autre de plonger les enfants dans la dure réalité... Mais en ont-ils tous vraiment besoin ?

La lueur d'espoir est bel et bien là, même si elle vacille : l'opération des tripes du cheval vient nous rappeler qu'il faut savoir bousculer un peu le destin, jouer le tout pour le tout tant qu'il reste une chance minime de se sortir d'un mauvais pas. Parfois, il faut s'y reprendre à deux ou trois fois. Parfois, la cinquième tentative est la bonne. Parfois, c'est la septième...et c'est encore la plus belle.


Allez, je crois qu'on peut récompenser Chris Donner d'un bon petit Prozac d'Or sur ce coup-là. C'est honnête, non ?




DONNER, Chris. Le cheval qui sourit. L'École des loisirs. Coll. "Mouche". 1992. 67 p. ISBN 2- 211-012-83-3
Illustrations de Philippe Dumas. 

mardi 4 mars 2014

Garulfo T.1 "De mares en châteaux" - Alain Ayroles, Bruno Maïorana, Thierry Leprévost (1995)


Quand je lis les Aigles Décapitées, je me dis que le temps n'est pas aussi puissant qu'on a tendance à le croire, car il n'a absolument aucun impact sur l'efficacité des différents albums de la série. Pourquoi ? Sans doute parce que la période médiévale n'a jamais été autant mise à l'honneur qu'aujourd'hui, et parce que les scénaristes usent d'une langue qui marie notre présent au présent de l'action. Le tout, sans lésiner sur l'humour, quand il faut et comme il faut. 

Il en est de même pour Garulfo. Ce soir, j'ai découvert le tome 1 d'une série vieille de vingt ans, en pensant qu'elle était beaucoup plus récente. Eh oui, l'oeuvre d'Ayroles et de Maïorana est un classique de la bande dessinée, et pourtant je n'en connaissais rien. Ce n'est pas faute d'avoir croisé les différents albums dans les CDI, bibliothèques, librairies, etc. Mais non. A vrai dire, le dessin de m'attire pas _ ce qui ne veut pas sire que c'est moche ou râté ; mais pour mes yeux, les Garulfo qui peuplent un bac à BD ne sortent pas du lot, bien que le dessin ait pour lui cette finesse du détail que j'apprécie d'habitude. Allez savoir. 

Aujourd'hui, pourtant, on dirait bien qu'on a brisé la glace et qu'on a même sauté le pas. 





Garulfo T.1 "De mares en châteaux" 

Oh, non, ça n'a pas vraiment été un coup de foudre tardif. Juste une gamine du club "Découvertes au CDI" _club lecture pour les intimes : chacun sait qu'au bout d'un certain temps personne ne se donne plus la peine d'être sexy _ qui a présenté cet album lu pendant les vacances, et... j'ai tellement rien compris à ce qu'elle nous en a dit que ça m'a intriguée. Vite fait j'ai calculé que ça tournait autour d'une grenouille, mais ça s'est arrêté là. Cela dit, elle a fait l'effort de lire et de présenter son interprétation de l'oeuvre, et c'est tout à son honneur ; puis l'intrigue n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît pour un élève de 6°.

Sitôt récupéré, sitôt embarqué ! 

Garulfo est une grenouille mâle (pour lui, c'est très important) aussi fascinée par les humains que dépitée par sa condition de batracien minuscule et vulnérable. Malgré les mises en garde de son ami Fulbert le canard, il passe son temps à observer les "admirables" "bipèdes" en se jurant, sans vraiment y croire, qu'un beau jour il sera un homme, lui aussi ! il foulera enfin de ses deux pieds la terre du Royaume de Brandelune.
C'est alors que...

Ah, quatre pages déchirées, c'est bon à savoir...

... C'est alors qu'il rencontre une sorcière avec qui il fait un marché : si elle parvient à le métamorphoser en prince, il lui fera profiter de son pouvoir. Séduite, la vieille lui jette un sort ; s'il parvient à embrasser une femme, il se transformera en un être humain plein d'assurance et de noblesse. Garulfo se lance aussitôt à l'assaut du château de Brandelune, où se trouve forcément la princesse à embrasser et/ou à épouser.   


L'homme, cette drôle de bestiole 

Ce n'est pas faire offense aux autres artistes impliqués dans cette BD que de dire qu'Ayroles a bien contribué au succès des six tomes de Garulfo. En effet, comme je le disais tout à l'heure, le scénariste apporte une fraîcheur au texte tout en conservant les tournures d'époque. L'insupportable princesse Héphylie est à mi-chemin entre la capricieuse d'autrefois et la chieuse d'aujourd'hui, comme nous le montrent ses paroles pour notre plus grand bonheur. Si vous retrouverez sans problème cette libre poésie dans De Capes et de Crocs, il y a des chances pour que vous ne la retrouviez nulle part ailleurs.

Un ton somme toute représentatif de l'humain tel qu'on veut nous le présenter ici : admirable en apparence, et pourri à l'intérieur, tout en contrastes et en paradoxes. A la cour, aussi naïf et pur, aussi ignorant des codes sociaux que peut l'être une grenouille larguée dans un château, il n'en attire que mieux la méfiance d'un roi calculateur et les foudres de Noémie, la nourrice de la princesse dont repousse les avances d'un violent coup de pied au cul. Ce prince Garulfo qui se prend encore à se déplacer à sauts de grenouille rappelle forcément Perceval au début de sa quête, encore nis* et nostalgique des jupes de sa mère.


Remember le BAC...

Les auteurs de l'album "De mares en châteaux" se sont bien évidemment amusés avec les codes du conte, et c'est ce qui ressort le plus souvent lorsque vous cherchez des critiques de cette BD, parce que c'est plutôt bien réussi : la grenouille n'est pas un prince ensorcelé mais un amphibien mal dans sa peau ; la vieille sorcière se laisse séduire et son oiseau de malheur se fait bouffer par un loup (qui lui même ...). La princesse joue les rebelles et fait des virées à cheval à la tombée de la nuit. Seule la nourrice ne sort pas du lot : elle a autant d'autorité que celle de Juliette ou que celle d'Antigone. Comment ça, Roméo et Juliette et Antigone ne ne sont pas des contes ? Oui, et alors ! On s'en branle !  

"Juliettaaaaaaaaaaa"
Miriam Margolyes - Romeo + Juliette


Certes, le prince-grenouille Garulfo ne cherche pas le Graal, mais sa quête de virilité, de puissance et de connaissance de ces humains tant idéalisés pourrait bien aboutir à un tout autre résultat que celui espéré. Il va découvrir l'existence du mensonge, des magouilles, de la drague plus ou moins subtile, des pauvres _ceux qui tuent pour manger, des riches _ceux qui tuent pour le plaisir, puisqu'ils "chassent". Alors non, les hommes ne se mangent pas entre eux... mais parfois c'est tout comme. Si le pessimiste Fulbert avait eu raison ?

Cette BD serait sans doute à exploiter avec des collégiens dans le cadre d'un débat d'éducation civique ou autre. Là comme ça, j'ai pas d'idée précise mais il faudrait prendre le temps d'y réfléchir. Dans mon collège, Garulfo est assez peu lue et empruntée _sauf par les élèves qui ont déjà dévoré toutes les autres_ peut-être parce que le mélange poésie-termes anciens-langue moderne leur parle peu, peut-être pas. Je ne saurais dire pourquoi, au juste. Il se trouve que notre public est assez peu attiré par les univers médiévaux, de manière générale.  

Ayroles, Alain ; Maïorana, Bruno. Garulfo 1. De mares en châteaux. Delcourt, 1995. Coll. Terres de Légendes. 48 p. ISBN 2-84055-045-8

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*en Ancien Français : personne naïve à tendance neuneu.   
  



samedi 1 mars 2014

La sélection des titres à la con : Le homard en cavale, Betsy Haynes (1999)


            Pour les semaines à venir, j'envisage de faire connaître aux élèves du collège la grande créativité dont certains auteurs se sont montrés capables lorsqu'il a été question de donner un titre à leur(s) histoire(s). Je sais très bien que, dans certains cas, les écrivains sont plus ou moins guidés ou limités dans leurs possibilités par les maisons d'édition dans cette partie de leur travail _ qui est loin d'être la plus simple, mais ça reste intéressant. 

           Très simple : je parcours les rayons du CDI en lisant les titres, et dès que j'en repère un joli, ou drôle, ou carrément chelou, je me le mets de côté. Ensuite, je les installerai bien en évidence sur une ou deux tables pour attirer l'oeil des enfants, surmontés d'une pancarte sur laquelle j'indiquerai .... 

.... 

.... euh ... 

(Un ange passe)


(Du coup, je vous propose de prendre l'apéro en attendant qu'une idée arrive...)

 ... Je n'indiquerai pas "les titres à la con du CDI", déjà... Il faut que je trouve quelque chose de plus politiquement correct, tout de même, pour que tout le monde comprenne bien pourquoi je mets ensemble des livres qui n'ont a priori rien à voir les uns avec les autres ; comme quoi, titrer est un exercice difficile. Et comme tout exercice difficile, je le remets à demain. 

"Merci de votre compréhension"

Aujourd'hui, nous nous intéresserons à celui-ci : 


Le homard en cavale - Betsy Haynes 

C'est digne des plus grands surréalistes, vous voudrez bien l'admettre !



J'ai leu ce petit roman divertissant d'un seul trait, un soir d'insomnie ; en le refermant, je me suis simplement dit : "Cette femme se drogue." Duncan, 12 ans, et Tricia, 11 ans, sont condamnés à passer les vacances de Noël chez leurs grands parents en Floride, les pauvres choux. Alors qu'ils se demandent comment ils vont faire pour survivre aux longues heures d'ennui qui s'annoncent dans la résidence pour personnes âgées où vivent papi et mamie, une autre source de préoccupation se présente à eux : le homard géant. Oui oui. Remettons les choses dans leur contexte ; un soir, peu après leur arrivée, le grand-père emmène tout le monde dans un restaurant du bord de mer, spécialisé dans la cuisine des fruits de mer et renommé pour sa mascotte, l'énorme et vieux homard Barnabé exposé tout vivant dans un aquarium. Les enfants se sentent rapidement observés, voire oppressés par le regard insistant du crustacé, et à juste titre : le homard a une dent contre Tricia et Duncan. Il n'aura de cesse de les poursuivre lorsque, dans un fâcheux concours de circonstances, il sera amené à baigner dans une substance toxique qui fera accroître son envie de les harceler.    

Le homard en cavale fait partie de la série "Froid dans le dos" de Pocket Jeunesse. Cela veut dire qu'il existe d'autres histoires toutes aussi tirées par les cheveux que celle-là ? Je pense à mes élèves, à ce livre qui n'est jamais sorti des rayons avant que je tombe dessus en me disant "c'est quoi ce titre ?", et je me demande si ça pourrait vraiment donner des frissons à un seul d'entre eux... Par contre, l'effet comique crée par certaines situations rend le livre intéressant à proposer... mais en tant que roman "humoristique". Imaginez un vieux qui conduit un hors-bord beaucoup trop vite, tout près de la plage. Imaginez les deux gosses et le deux grands parents dans l'embarcation, tout sourire, Joyeux Noël, normal. Dites-vous maintenant qu'un bateau en mer a choisi de dégazer à ce moment-là et qu'il vient d'envoyer une espèce de grosse flaque d'huile mêlée à on se sait quel produit dans la même zone, justement. Bien sûr, le vieux perd le contrôle du hors-bord, s'encastre dans LE resto où vit LE homard géant _mais personne n'a rien, rassurez-vous. Bien sûr, l'aquarium se brise, libérant la bête, qui tombe tout droit dans la flaque chimique ! Plouf ! On sent que pour Betsy Haynes, ce moment se veut fort en émotion, mais il aboutit surtout sur un passage terriblement drôle. Ah, si les aventures de Duncan et Tricia étaient adaptées à la télévision, elles créeraient un bon film du dimanche après-midi sur NRJ12 !

Sérieusement, c'est pas jojo de se moquer des enfants comme ça... mais je vais quand même le proposer en club lecture, pour rigoler. D'autant plus qu'on ressent tellement fortement la domination des personnages masculins dans ce numéro de la série qu'il peut être intéressant de s'y pencher. Duncan, le frère aîné, prend le contrôle de la situation dès que les événements tournent au vinaigre. Joe, le vieux chauffard des mers, possède le superbe bateau rutilant qui fait baver tout le monde et propose à Duncan _mais pas à Tricia_ de lui apprendre à le piloter. La grand-mère est "angoissée" la femme de Joe est la gentille qui dit deux mots et qu'on ne reverra plus jamais par la suite, Tricia s'endort pendant que Duncan tente de sauver leurs deux peaux..      

Bon, j'avoue que je suis un peu méchante avec ce petit roman pour enfants, lisez-le pour vous faire une idée par vous-même.  

HAYNES, Betsy. Le homard en cavale. Pocket Jeunesse. Coll. "Froid dans le dos", n°15. 1999. 120p. ISBN 2-266-09286-3