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mardi 4 mars 2014

Garulfo T.1 "De mares en châteaux" - Alain Ayroles, Bruno Maïorana, Thierry Leprévost (1995)


Quand je lis les Aigles Décapitées, je me dis que le temps n'est pas aussi puissant qu'on a tendance à le croire, car il n'a absolument aucun impact sur l'efficacité des différents albums de la série. Pourquoi ? Sans doute parce que la période médiévale n'a jamais été autant mise à l'honneur qu'aujourd'hui, et parce que les scénaristes usent d'une langue qui marie notre présent au présent de l'action. Le tout, sans lésiner sur l'humour, quand il faut et comme il faut. 

Il en est de même pour Garulfo. Ce soir, j'ai découvert le tome 1 d'une série vieille de vingt ans, en pensant qu'elle était beaucoup plus récente. Eh oui, l'oeuvre d'Ayroles et de Maïorana est un classique de la bande dessinée, et pourtant je n'en connaissais rien. Ce n'est pas faute d'avoir croisé les différents albums dans les CDI, bibliothèques, librairies, etc. Mais non. A vrai dire, le dessin de m'attire pas _ ce qui ne veut pas sire que c'est moche ou râté ; mais pour mes yeux, les Garulfo qui peuplent un bac à BD ne sortent pas du lot, bien que le dessin ait pour lui cette finesse du détail que j'apprécie d'habitude. Allez savoir. 

Aujourd'hui, pourtant, on dirait bien qu'on a brisé la glace et qu'on a même sauté le pas. 





Garulfo T.1 "De mares en châteaux" 

Oh, non, ça n'a pas vraiment été un coup de foudre tardif. Juste une gamine du club "Découvertes au CDI" _club lecture pour les intimes : chacun sait qu'au bout d'un certain temps personne ne se donne plus la peine d'être sexy _ qui a présenté cet album lu pendant les vacances, et... j'ai tellement rien compris à ce qu'elle nous en a dit que ça m'a intriguée. Vite fait j'ai calculé que ça tournait autour d'une grenouille, mais ça s'est arrêté là. Cela dit, elle a fait l'effort de lire et de présenter son interprétation de l'oeuvre, et c'est tout à son honneur ; puis l'intrigue n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît pour un élève de 6°.

Sitôt récupéré, sitôt embarqué ! 

Garulfo est une grenouille mâle (pour lui, c'est très important) aussi fascinée par les humains que dépitée par sa condition de batracien minuscule et vulnérable. Malgré les mises en garde de son ami Fulbert le canard, il passe son temps à observer les "admirables" "bipèdes" en se jurant, sans vraiment y croire, qu'un beau jour il sera un homme, lui aussi ! il foulera enfin de ses deux pieds la terre du Royaume de Brandelune.
C'est alors que...

Ah, quatre pages déchirées, c'est bon à savoir...

... C'est alors qu'il rencontre une sorcière avec qui il fait un marché : si elle parvient à le métamorphoser en prince, il lui fera profiter de son pouvoir. Séduite, la vieille lui jette un sort ; s'il parvient à embrasser une femme, il se transformera en un être humain plein d'assurance et de noblesse. Garulfo se lance aussitôt à l'assaut du château de Brandelune, où se trouve forcément la princesse à embrasser et/ou à épouser.   


L'homme, cette drôle de bestiole 

Ce n'est pas faire offense aux autres artistes impliqués dans cette BD que de dire qu'Ayroles a bien contribué au succès des six tomes de Garulfo. En effet, comme je le disais tout à l'heure, le scénariste apporte une fraîcheur au texte tout en conservant les tournures d'époque. L'insupportable princesse Héphylie est à mi-chemin entre la capricieuse d'autrefois et la chieuse d'aujourd'hui, comme nous le montrent ses paroles pour notre plus grand bonheur. Si vous retrouverez sans problème cette libre poésie dans De Capes et de Crocs, il y a des chances pour que vous ne la retrouviez nulle part ailleurs.

Un ton somme toute représentatif de l'humain tel qu'on veut nous le présenter ici : admirable en apparence, et pourri à l'intérieur, tout en contrastes et en paradoxes. A la cour, aussi naïf et pur, aussi ignorant des codes sociaux que peut l'être une grenouille larguée dans un château, il n'en attire que mieux la méfiance d'un roi calculateur et les foudres de Noémie, la nourrice de la princesse dont repousse les avances d'un violent coup de pied au cul. Ce prince Garulfo qui se prend encore à se déplacer à sauts de grenouille rappelle forcément Perceval au début de sa quête, encore nis* et nostalgique des jupes de sa mère.


Remember le BAC...

Les auteurs de l'album "De mares en châteaux" se sont bien évidemment amusés avec les codes du conte, et c'est ce qui ressort le plus souvent lorsque vous cherchez des critiques de cette BD, parce que c'est plutôt bien réussi : la grenouille n'est pas un prince ensorcelé mais un amphibien mal dans sa peau ; la vieille sorcière se laisse séduire et son oiseau de malheur se fait bouffer par un loup (qui lui même ...). La princesse joue les rebelles et fait des virées à cheval à la tombée de la nuit. Seule la nourrice ne sort pas du lot : elle a autant d'autorité que celle de Juliette ou que celle d'Antigone. Comment ça, Roméo et Juliette et Antigone ne ne sont pas des contes ? Oui, et alors ! On s'en branle !  

"Juliettaaaaaaaaaaa"
Miriam Margolyes - Romeo + Juliette


Certes, le prince-grenouille Garulfo ne cherche pas le Graal, mais sa quête de virilité, de puissance et de connaissance de ces humains tant idéalisés pourrait bien aboutir à un tout autre résultat que celui espéré. Il va découvrir l'existence du mensonge, des magouilles, de la drague plus ou moins subtile, des pauvres _ceux qui tuent pour manger, des riches _ceux qui tuent pour le plaisir, puisqu'ils "chassent". Alors non, les hommes ne se mangent pas entre eux... mais parfois c'est tout comme. Si le pessimiste Fulbert avait eu raison ?

Cette BD serait sans doute à exploiter avec des collégiens dans le cadre d'un débat d'éducation civique ou autre. Là comme ça, j'ai pas d'idée précise mais il faudrait prendre le temps d'y réfléchir. Dans mon collège, Garulfo est assez peu lue et empruntée _sauf par les élèves qui ont déjà dévoré toutes les autres_ peut-être parce que le mélange poésie-termes anciens-langue moderne leur parle peu, peut-être pas. Je ne saurais dire pourquoi, au juste. Il se trouve que notre public est assez peu attiré par les univers médiévaux, de manière générale.  

Ayroles, Alain ; Maïorana, Bruno. Garulfo 1. De mares en châteaux. Delcourt, 1995. Coll. Terres de Légendes. 48 p. ISBN 2-84055-045-8

______________________

*en Ancien Français : personne naïve à tendance neuneu.   
  



mercredi 26 février 2014

Un dimanche de craquage livresque à Bordeaux - 2- Adieu la chair - Julia Kino (2007)



Quand j'ai repéré le roman Adieu la chair dans la fameuse bouquinerie dont je vous parlais l'autre jour, au rayon littérature pour ados, j'ai aussitôt pensé au petit trio flippant qui sévit dans mon collège.

Imaginez deux filles et un mec, élèves dans la même classe 4°, inséparables, respectivement 1m50 / 1m30 / 1m20 à tout casser, l'air sombre, du genre "calmes mais prêts à exploser" : en somme, trois infaillibles vecteurs de stress pour ma pomme au quotidien.

Imaginez les deux filles, une rousse et une brune corbeau, assises face à face à la table la plus proche de votre banque de prêt (de votre bureau, quoi, mais une fois n'est pas coutume, soyons professionnels). Le mec, debout à côté d'elles, la capuche de son sweat remontée à tel point qu'elle lui bouffe la moitié du visage et vous évoque aussitôt le Nom de la rose... 


"_ E**, la capuche, s'il te plaît !
_ ... 
Pour toute réponse, un bruit de capuche PARTICULIÈREMENT stressant. 
_ Meeeerci E** !"
(Vous voyez, j'ose même pas mettre les prénoms)


... le mec, donc, vous dévisage de ses yeux de fouine en chasse dans un demi-sourire, tandis que ses potes font mine de se plonger dans leur ouvrage favori : Se droguer, c'est risqué. Mais si jamais il vous prend l'envie de vous lever de votre chaise et d'aller voir ce qui se passe à l'autre bout du CDI _ce qui, à mon avis, est préférable quand on accueille des élèves_ sachez que vous ne partez pas seul ! Leurs yeux vous suivent. Tous. Jusque dans les recoins les plus sombres. D'ailleurs, si leurs billes avaient une fonction "feux de croisement", ce serait bien pratique. Tels ceux des chouettes, leurs corps ne bougent pas mais leurs cous semblent doués d'une prodigieuse mobilité.




Attention, je ne suis pas en train de me faire des films en m'inspirant simplement et gratuitement de leur tête et de leur attitude : il se trouve qu'ils sont à l'origine de pas mal de conneries plus ou moins malsaines dans l'établissement et que, forcément, il demandent une attention particulière. La réalité du métier fait qu'on s'habitue à rencontrer tous les jours des "situations-type" pour lesquelles on se construit des réactions "toutes faites". Par exemple, vous êtes parfois confrontés aux bourrins qui rentrent par six en gueulant dans la bibliothèque. Vous les faites ressortir et rentrer "mieux que ça". Compter aussi avec ceux qui sont susceptibles de se prendre la tête au sens propre comme au figuré durant l'heure. Vous les renvoyez, vous faites un rapport, vous les collez, vous en profitez pour les fracasser au nom de la sécurité de tous, depuis le temps que vous en rêviez !. Il y a aussi ceux qui essaient de chourer dans les sacs des autres, l'air de rien. Vous rassemblez tout le monde à 2min de la sonnerie, et "tant qu'il manque quelque chose à quelqu'un, personne ne sort !". Dans tous les cas, c'est con mais ça marche.

Puis il y a les situations extra-ordinaires, voire surréalistes. Il faut bien les gérer aussi, même lorsqu'on n'est pas vraiment psychologue dans l'âme. Mais comment ? Comment faire face à l'imprévu ? Vous avez l'impression que si la rousse et la brune se lèvent brusquement au même instant, c'est parce qu'elles projettent de se griffer la gueule ou de se rouler une pelle, selon l'humeur. Quand le gars se baisse, vous ne savez pas s'il va sortir un doudou de son sac ou un poignard de son slip. Ou inversement. Je précise que jusqu'à maintenant, tout cela n'est jamais arrivé _même le doudou, mais ça pourrait, et c'est précisément ça qui est flippant. Encore plus qu'une sortie scolaire !

La brune s'avance tel un oiseau de mauvais augure, me ramenant à ma viscérale peur de ces poupées qui ouvrent de grands yeux bleus quand on les tient à la verticale.

"Madame ? 
_ Oui ? 
_ Je peux utiliser un ordinateur ? 
_ Peut-être. Pourquoi faire ? 
_ Chercher des images de morts. Pour le cours d'arts-plastiques. 
_ Euh... C'est quoi, votre consigne de travail, exactement ? 
_ ... 
Elle garde le silence et me regarde, outrée, comme si je venais d'insulter sa mère.
La rousse intervient, comme pour calmer le jeu. 

_ Non mais c'est pas vraiment ça. En fait, on cherche plutôt des cranes..." 


"Et sinon, le bouquin ?"

Revenons à nos Chamois Niortais et au roman de Julia Kino, Adieu la chair. Il raconte l'histoire d'un groupe de lycéens déjà blasés par la vie et encore bien incapables de donner un sens à leur existence dans un monde qui les oppresse quotidiennement. Se retrouver tous les six pour fumer, boire, s'embrasser pour rire, échanger leurs pensées drôles ou obscure est leur seule joie. Pour ne pas dire le moment qui les rattache à la vie : une situation des plus communes, en somme.

Angie (la narratrice), Ingo, Berdeen, Malt, Bianke et Coeur-Coupant forment une belle brochette de jeunes paumés qui cherchent à tous prix à se distinguer des "pingouins", ces multitudes de gens ordinaires qui les écoeurent. Un soir, le "gang" se retrouve dans un parc histoire d'essuyer leur peine dans l'herbe ; un homme passe. Ingo se lève sans prévenir et lui fracasse sa bouteille sur la nuque. L'homme s'écroule devant six jeunes fascinés par la facilité avec laquelle on peut éteindre une vie. Pour eux, c'est un déclic : eux, les ados insignifiants, ont le pouvoir de décider qui va vivre et qui va mourir, et même mieux, d'utiliser le meurtre comme exutoire à leur douleur lancinante. C'est le début d'une série d'assassinats, d'un carnage qu'ils vont baptiser "carnaval" : jusqu'où iront-ils ?




Attention, spoiler ! 

Si vous comptez lire le livre, je pense qu'il vaut mieux que vous n'alliez pas plus loin ; mais libre à vous de continuer ou pas.



"Et puis d'un coup, j'ai compris. Nous étions semblables à tous les lycéens _ nous venions juste d'avoir une plus mauvaise idée que les autres." 

 L'écriture de Julia Kino est magique ; enfin, disons que j'y suis particulièrement sensible. Adieu la chair tape sur le lecteur et tape juste, à coups de phrases nominales, de traits d'esprit, de références culturelles plus ou moins intello mais toujours à propos, de descriptions de scènes du quotidien qui nous parlent à tous, mais qu'un rien peut rendre complètement surréalistes... Voilà, je pense que d'entrée, on adore son style ou on le déteste. Personnellement, j'ai rarement autant cité de phrases d'un roman sur Babelio !

Si le début de l'histoire et son explosion de jeunes cœurs trop longtemps engourdis m'a bien emballée, la tournure que prennent les événements m'a laissée pleine d'interrogations. Mais c'était peut-être le but. Au bout de quelques temps, le "gang" décide d'arrêter de tuer gratuitement des gens au détour d'une rue, la satisfaction qu'ils y trouvaient étant épuisée. Pourtant, rien ne les empêche de continuer : pas trace d'enquêtes ni de soupçons autour de "leurs" morts dans cette petite ville de "Here" dans laquelle ils se repèrent les yeux fermés. Mais non. L'été venu, ils prennent le train et partent en vacances sans destination précisée, avec dans leurs poches l'argent prélevé sur les dépouilles de leurs victimes _ ne cherchez pas de morale et de justice dans ce livre, vous n'en trouverez pas ! L'un d'eux se fait la malle en chemin, les cinq restants achètent un grand appart à Budapest, et décident d'y rester pour une durée indéterminée. Petit à petit, les jeunes vont réfléchir à leurs meurtres, leurs vies, renaître et se reconstruire dans une ville et une société qu'ils ne connaissent pas et qui ne les connaît pas assez pour les juger...avant de se séparer. Cette seconde partie du roman est plus lente, plus posée, moins énergique, même si elle diffuse une force différente : là encore, on aime ou on n'aime pas.

La première partie de Adieu la chair reste pour moi la plus intéressante, parce qu'elle parle de cette zone trouble où l'on peut passer à l'acte comme ne pas y passer : c'est souvent un détail qui fait la différence, une étincelle qui met le feu aux poudres ou qui se perd dans l'air, au choix. Rien à voir avec les fusillades dans les écoles aux Etats-Unis, qui sont souvent préméditées, calculées... Mais plutôt l'éclair de folie qui amène quelqu'un à pousser son semblable sous un métro, comme ça, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi après coup. Au fond, les exploits sanglants des six personnages de Julia Kino sont tellement... possibles !

La dernière fois que j'ai eu un sentiment comparable, c'était en lisant Un roi sans divertissement de Jean Giono. Ceux qui ont passé un Bac L aux alentours de 2004 comprendront à peu près de quoi je parle. Les autres un peu moins, sans doute.



La scène se déroule au milieu du XIX°siècle, dans un village retiré de la région de Grenoble où l'on s'ennuie ferme mais où il se passe tout de même des choses. Un jour, Frédéric, le propriétaire de la scierie du coin, découvre un cadavre dans le grand hêtre tout proche de son lieu de travail. C'est celui d'une des jeunes filles disparues quelques temps plus tôt ; il donne l'alerte et fait appel à Langlois, une sorte de gendarme qui s'installe dans le village et découvre à quel point c'est mort. Cela dit, il finit par repérer et tuer le coupable, si mes souvenirs sont bons. Sauf qu'à cette occasion il se découvre un goût particulier pour le meurtre et le sang qui va l'effrayer et le bouffer. Il est possible que je vous dise des grosses conneries parce que ma lecture de ce premier volet des "Chroniques" de Giono remonte à dix ans, d'autant plus qu'à l'époque j'avais pas tout capté du premier coup. Mais l'idée générale de l'oeuvre était que les gens qui s'ennuient sont capables de tout pour sortir de l'ordinaire : aller à la messe, chasser et tuer son voisin sont des manières comme d'autres de s'occuper l'esprit et les mains. Je me souviens que ma prof de littérature avait fait plein de rapprochements avec les Pensées de Pascal, c'était super intéressant ! J'espère bien pouvoir m'y replonger un jour.

Le mot de la fin : je ne mets pas Adieu la chair au CDI ; déjà, le roman s'adresse plus à des lycéens, et en plus, je ne voudrais pas que ça donne des idées ! Certains en ont déjà bien assez ! Ah ah !

Références citées ici : 

GIONO, Jean. Un roi sans divertissement. Gallimard. Coll. Folio. éd.2004. 244p. ISBN 2-07-036220-5 
Ouvrage publié en 1948 
Première édition dans la collection Folio : 1972 
Exemplaire utilisé : 2004 

KINO, Julia. Adieu la chair. Sarbacane. Coll. Exprim'. 2007. 186 p. ISBN 2-84865-158  



jeudi 29 novembre 2012

Clin d'oeil à Lucio Dalla


Dans la chaleur de la salle, nos esprits confinés n'avaient d'autre choix que de somnoler. Ils ne demandaient pas mieux que de sortir de leur léthargie, mais n'en voyaient pas l'issue.

"Perché piange la signora della canzone ?

_ Forse il professore gli a detto che lei cantava male ...

Quelques rires dans la classe. 

_ Si, è possibile, ma c'è une altra raggione, più probabile. 

_ ...

_ Conoscete la vita delle cantatore Caruso ?

_ ...

_ Caruso era un cantante lirico, un tenore. Infatto, gli a detto che lui a un cancro alla gola. Pero lei è molto trista e piange.

_ Aahh  

En écoutant l'émission "Du grain à moudre", diffusée sur France Culture le 4 mars 2012, j'ai appris la mort du chanteur et compositeur Lucio Dalla. Oui, je sais, ça fait déjà quelques temps. Il n'avait trouvé aucune place dans le carton de 45 tours de ma mère, et pas plus dans les playlists de mes stations de radios préférées. Alors il a fallu que j'attende d'être au lycée, d'apprendre l'italien, et d'avoir une de ses chansons en texte d'appui au programme du bac pour connaître sinon son existence, au moins son aura dans le panorama culturel de la grande botte. Comme tout le monde, je connaissais Caruso, dont on retient souvent l'interprétation de Luciano Pavarotti, sans savoir qu'il en était l'auteur. Ce sont les paroles de cette chanson que nous avons étudiées pendant quelques semaines automnales, les lundis et vendredis de 17 à 18 heures, dans la lumière jaunâtre d'une salle de cours aux murs déjà crème, tandis qu'à l'extérieur il faisait aussi sombre que sur la vecchia terrazza davanti al golfo di Surriento. 

"Andiamo. Ascoltate bene."

M. Roger (allez, on peut bien le nommer, après tout ! s'il passe par là, il pourra peut-être corriger mes fautes, j'ai tellement perdu de mon niveau depuis le temps) mettait en route le lecteur CD.

Qui dove il mare luccica e tira forte il vento 
su una vecchia terrazza davanti al golfo di Surriento 
un uomo abbraccia una ragazza dopo che aveva pianto 
poi si schiarisce la voce e ricomincia il canto.

Te voglio bene assaje 
ma tanto, tanto bene sai 
è una catena ormai 
che scioglie il sangue dint'e vene sai.

Vide le luci in mezzo al mare 
pensò alle notti là in America 
ma erano solo le lampare e la bianca scia di un'elica 

sentì il dolore nella musica, si alzò dal pianoforte 
ma quando vide la luna uscire da una nuvola 
gli sembrò più dolce anche la morte 

guardò negli occhi la ragazza, quegli occhi verdi come il mare 
poi all'improvviso uscì una lacrima e lui credette di affogare.

Te voglio bene assaje 
ma tanto tanto bene sai 
è una catena ormai 
che scioglie il sangue dint'e vene sai. 

Potenza della lirica dove ogni dramma è un falso 
che con un po' di trucco e con la mimica puoi diventare un altro 
ma due occhi che ti guardano, così vicini e veri 
ti fan scordare le parole, confondono i pensieri

così diventa tutto piccolo, anche le notti là in America 
ti volti e vedi la tua vita come la scia di un'elica

ma sì, è la vita che finisce ma lui non ci pensò poi tanto 
anzi si sentiva già felice e ricominciò il suo canto. 

Te voglio bene assaje 
ma tanto tanto bene sai 
è una catena ormai 
che scioglie il sangue dint'e vene sai


Le silence fermait toujours la marche à la triste mélodie, et j'avais un peu la gorge nouée. Peut-être à cause des paroles, peut-être à cause d'autres choses aussi.

Puis j'ai découvert L'anno che verrà", qui est de loin ma chanson préférée de Lucio Dalla, bien que je ne prétende pas connaître toute son oeuvre.




Voici un petit hommage marrant, made in Audiacity*, en souvenir des sales années passées, et en l'honneur du présent qui est tellement mieux !

* Faut cliquer sur Download ;-)

mardi 14 août 2012

Les Aventuriers de la Mer - 2 - Le navire aux esclaves. Robin Hobb (1998)




Malgré les tension familiales, les conflits d'intérêts et les risques de la mer, les navires ont repris de large, emportant avec eux les héros des Aventuriers de la Mer.




Où est-ce qu'on en était ? 

Kyle Havre est désormais le nouveau propriétaire de Vivacia, la vivenef de la famille Vestrit. Il entend utiliser le vaisseau magique pour se lancer dans le commerce des esclaves, et commet ainsi un sacrilège dans l'univers des Marchands de Terrilville. Son fils aîné, Hiémain, l'accompagne dans son sinistre voyage vers le port de Jamaillia ; or, le jeune mousse enrôlé de force pour ses capacités à communiquer avec la Vivacia, n'entend pas faire carrière dans la marine car il se sent destiné à la prêtrise. 

Althéa Vestrit, l'héritière légitime du vaisseau magique, s'est engagée sur un navire-abattoir spécialisé dans la chasse à l'ours. Pour se faire embaucher plus facilement, elle décide de se travestir et de se faire appeler "Athel". C'est tout à fait par hasard qu'elle va retrouver à bord du sanglant Moissonneur Brashen Trell, le marin qui a promis à son père de veiller sur elle.

Kennit, l'antipathique capitaine de la Marietta jouit d'une gloire inattendue. Lui, le pirate au coeur de pierre qui voulait attaquer les navires transportant des esclaves dans le seul but de s'enrichir, se voit unanimement qualifié de bienfaiteur de l'humanité lorsqu'il réussit dans son entreprise ! Il profite donc un maximum d'une situation qui gonfle son ego... bien que les remerciements, les louanges de son équipage et des esclaves libérés ne tardent pas à l'agacer.

A Terrilville, la tradition veut que les femmes restent à terre ... Ronica Vestrit et Keffria s'y sont pliées depuis longtemps, contrairement à la rebelle Althéa. En chef de famille assumée, malgré le désaccord d'un Kyle bien plus conservateur que ses aïeux, Ronica se démène pour honorer ses dettes et veiller au bon fonctionnement de la maison, en faisant fi de ses chagrins multiples. Mais la bonne volonté ne suffit pas toujours. Keffria prend l'eau comme une vieille barque : dépitée par l'inflexibilité d'un mari qu'elle avait idéalisé et par son manque d'autorité face à la petite Malta, elle sait plus faire grand chose d'autre que fondre en larmes et rêver du passé.


Le piège des traditions 

Robin Hobb a pris le parti de nous présenter l'évolution parallèle de multiples héros disséminés aux quatre coins des Rivages Maudits, pour le plus grand bonheur du lecteur en quête de dynamisme : passant d'un décor à un autre, il n'aura guère le temps de s'ennuyer et d'oublier un pan de l'action dans un coin de se cervelle. Si les liens entre les différents protagonistes se dessinent sans être encore très clairs, les dialogues entre les serpents de mer paraissent encore bien énigmatiques ; plus pour longtemps, sans doute. Pour l'auteur, cette technique d'écriture dont le nom conventionnel m'échappe, et que j'appellerai donc "multiplex narratif" pour l'occasion, a un autre avantage pour nous comme pour elle : le respect quasi parfait de la chronologie. L'efficacité du procédé n'est d'ailleurs plus à démontrer dans le domaine de l'heroic fantasy puisque Tolkien l'a déjà utilisé en écrivant Le Seigneur des Anneaux, et ce, dès la dissolution de la Communauté de l'Anneau (fin du tome 1, "La Communauté de l'Anneau").

Le multiplex narratif, donc, souligne l'un des grands messages que la (trop) bien pensante Megan Lindholm alias Robin Hobb tient à faire passer dans son ouvrage : qu'on soit à Terrilville, à Jamaillia, à Chandelle ou à Cresson (!), sur terre ou en mer, une femme ne vaut rien et n'a pas plus d'espace vital qu'une poule pondeuse d'élevage, ou que madame Ingalls. Voyez vous-même : elle a tellement peu d'importance dans l'action que j'en ai oublié son prénom. Mais là n'est pas le problème.

Heureusement, Robin Hobb est là pour faire régner la justice : féminisme à prix discount bonjour ! Enfin, on se moque, mais c'est quand même mieux que rien, lorsqu'on sait que la série s'adresse à un public d'adolescents et de jeunes adultes. Dans L'Assassin Royal, la question ne se posait pas : les Six-Duchés étaient une terre où l'égalité des sexes régnait. D'ailleurs, les premières allusions faites au champ de bataille de Fitz et compagnie émanent des marins du Moissonneur que sont Brashen et Reller : elles évoquent le statut de la femme et l'existence des dragons comme autant de faits légendaires qui restent à prouver !
Le travail sur le brouillage des genres est intéressant : entre l'univers marin où il faut sans cesse afficher sa virilité, la vie des femmes restées à terre comme autant de biches sans défenses inquiètes pour leurs maris et terrifiés par eux, Althéa et Hiémain sont des rebelles qui ont bien du mal à trouver leur place.
 
Ephron Vestrit a toujours permis à Althéa de se conduire comme un garçon, au grand regret du reste de la famille, qui y a toujours vu une attitude inconvenante. C'est pourtant grâce à son travestissement réussi que l'héritière légitime de la Vivacia va pouvoir s'intégrer sur le Moissonneur ... jusqu'à ce que sa véritable identité la rattrape, la faisant dégringoler au rang de moins que rien. La feinte est originale, mais sans plus. Pensons au Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, où le travestissement d'une jeune femme à bord du navire de Bougainville avait tenu la route jusqu'à ce qu'elle pose un pied sur le sable tahitien, et que les mecs autochtones lui tombent dessus comme des morts de faim sans se soucier une seconde de son apparence. Ce petit ouvrage donnait lieu à tout un débat sur le statut de la femme, il serait bon de faire une lecture parallèle des deux histoires.


Au programme du Bac L en 2004

Par contre, l'attirance de Brashen pour Althéa, en partie parce qu'elle se voile sous une allure et des vêtements d'homme, et plus originale. Cela dit, restons soft : Althéa n'est pas homo. D'un air gêné puis agacé, elle repousse les avances des serveuses lors de ses haltes à terre. On apprend même qu'elle a commencé à coucher à 14 ans avec un marin de la Vivacia, ce qui lui a valu de se faire traiter de pute par Keffria. Allons-y doucement. Rebelle ok, dépravé, non !  

Hiémain apporte la touche philosophique du roman ; il a une formation de prêtre au service de Sa, la divinité locale. Par définition, il n'est pas viril, ne fait pas de blagues salaces, et ne trempe pas sa queue dans la choppe du capitaine pour se venger d'un affront. Montrer aux autres qu'il est un homme, alors que ça ne se voit pas, et qu'en plus, son physique d'enfant ne lui déplaît pas forcément, n'est pas une tâche facile. Son premier voyage en tant que mousse lui vaut des moqueries qu'il ne comprend même pas. Exaspéré par son attitude, le capitaine Kyle lui renvoie un portrait de lui-même où sa tante Althéa apparaît, portant les mêmes déviances que lui :

" Pourquoi ne faites-vous pas cette offre à Althéa ? " Demanda Hiémain. La douceur de sa voix interrompit net le flot d'interrogations de son père. 
Les yeux du capitaine étincelèrent comme des saphirs. " C'est simple : c'est une femme. Et toi, par tous les démons, tu vas devenir un homme ! Pendant des années, j'ai du supporter de voir Ephron Vestrit traîner sa fille derrière lui et la traiter comme un garçon ; et puis, tu es revenu avec ta robe brune, tes muscles de fillette,  tes manières de mouton et ta timidité de lapin, et je me suis alors demandé : "Ai-je mieux fait que lui ?" car devant moi se trouvait mon propre fils qui ressemblait plus à une femme qu'Althéa elle-même."  (pp. 35-36, Flammarion J'ai Lu Fantasy n°6863)

Même si la vie de marin a peu à peu raison de son tempérament calme et de son existence pure, Hiémain n'a qu'une envie : retrouver le monastère dont on l'a extrait de force. Peu lui importe d'être un homme, une femme, ou autre chose puisqu'il est avant tout au service de Sa et des autres. On peut dire que tout l'oppose à sa petite soeur Malta, dont le caractère est profondément imprégné de mouvements hormonaux divers... et que Kyle Havre considère ouvertement comme "sa préférée". L'enfant est déjà une femelle manipulatrice en puissance, au-delà même de ce qu'une caricature pourrait nous présenter : agaçante, en conflit constant avec sa mère et sa grand-mère si démodées et si peu soucieuses de ses désirs vestimentaires, elle obtient tout ce qu'elle désire de son cher père au nez et à la barbe de Keffria. Tant que sa pensée ne va pas plus loin que la belle étoffe et le beau Cerwin Trell, elle se comporte selon lui comme une femme telle qu'on devrait pouvoir la définir à Terrilville. Lui, si étroit d'esprit, ne semble pas sentir le poids des traditions sur un territoire où le moindre geste et une simple robe peuvent dire beaucoup des intentions d'une femme ou d'une famille entière...

   
  
  • Hobb, Robin. Les aventuriers de la mer. "Le navire aux esclaves". Paris. Flammarion. Coll. "J'ai lu". 1998. 381 p. ISBN 2-290-33705-6



mardi 1 mai 2012

Soyons sérieux : les Travaux Personnels Encadrés



             "Le mardi matin, à partir du deuxième trimestre, vous aurez deux heures de TPE", nous avait dit la prof d'espagnol vraiment barrée à qui on avait confié la mission de communiquer les emplois du temps de l'année scolaire. Comme on ne savait pas vraiment l'étendue des tâches que ces trois lettres recouvraient, elle crut bon d'ajouter : "Les TPE sont spécifiques aux classes de 1ère et de Terminale. Ce sont des "Travaux Personnels Encadrés", autrement dit : le rendez-vous des tir-au-flanc. Théoriquement, ça doit vous apprendre à agir en groupe, mais on sait bien comment ça se passe en réalité ; des groupes de trois, y en a un qui bosse et deux qui foutent rien." 

               Le pire, c'est que sa vision des choses n'était pas si fausse. Pourtant, les objectifs à atteindre lors de la réalisation des TPE n'avaient rien à voir avec la valorisation d'un élève au sein d'un groupe, ni avec l'art de faire semblant de travailler ! Histoire de vous montrer à quel point l'intention de départ était différente, je vous ai fait une petite fiche.

Je savais bien que je l'utiliserais un jour !


Apparition et évolution des TPE 

C’est dans le texte de réforme du lycée Un lycée pour le XXI° siècle (1999), proposé au Conseil Supérieur de l'Education par le Ministère de l’Education Nationale et de la recherche, que les “travaux personnels encadrés” sont évoqués pour la première fois en tant qu’”axe de la réforme”. Durant l’année scolaire 1999-2000, quelques classes de Première choisies dans chaque académie expérimentent ce nouveau dipositif. Les TPE posent un “cadre de travail” différent permettant au lycéen d’aborder les savoirs d’une manière autre que frontale, de s’exprimer et de progresser par le travail de groupe et par la mise à disposition de plusieurs professeurs. Ils s’inscrivent dans la préoccupation ministérielle d’exploiter la diversité des pratiques pédagogiques en rendant l’élève acteur du capital culturel et scientifique qu’il se construit et en raisonnant en terme de “savoirs” plus qu’en terme de “matières” :  “pour la première fois, une véritable plage de travail pluridisciplinaire est ainsi potentiellement créée au lycée.” D’ailleurs, dans ce texte, les TPE sont mis sur le même plan que les “modules” et “l’aide individualisée en Seconde”.   
 

C’est en 2000-2001 qu’ils sont généralisés, toujours en classe de première. L’année suivante, soit en 2001-2002, les TPE sont intégré au titre d’épreuve facultative au bac pour les élèves de terminale. Tous les élèves s’impliquent dans ce dispositif avant de décider ou non de présenter leur production à l’oral en tant qu’épreuve pour le bac. S’ils décident de ne pas faire de leur travail une note de bac, ils ne sont alors plus tenus d’être assidus lors des deux heures hebdomadaires mises à leur disposition dans l’emploi du temps. Pour les élèves de première, les TPE restent obligatoires et sont un “entraînement” pour l’année suivante.

Ce fonctionnement perdurera jusqu’en 2005-2006, où on les supprime en classe de terminale ; les TPE redeviennent un dispositif spécifique aux 1ère, et constituent une épreuve anticipée du bac. 

  

Fonctionnement actuel 

A présent, les TPE sont réalisés par les élèves de première. Les élèves profitent des deux heures hebdomadaires consacrées à ce dispositif pour travailler en groupe et pour choisir un sujet en lien avec les thèmes nationaux qui leur sont proposés. Ils sont alors encadrés par plusieurs professeurs représentatifs des thématiques communes et spécifiques à chaque filière, et très souvent par le professeur documentaliste. Les enseignants guident les groupes dans le choix du sujet avant de les valider définitivement ; leur rôle est d’aider, de conseiller et de valider. La concertation est le maître mot d’un projet réussi : le dialogue entre les membres du groupe et entre les professeurs et les élèves est primordial.

Les TPE sont matérialisés par la réalisation d’une production écrite et d’une production orale (10 minutes par élève). Ils font partie des épreuves obligatoires anticipées à prendre en compte pour la délivrance du baccalauréat général. S’il s’agit bien d’un travail collectif, l’évaluation demeure individuelle. Elle tient compte de : 

- la démarche de l’élève 
- l’investissement 
- la qualité de la présentation orale

La note de TPE regroupe l’évaluation du travail effectué et l’évaluation de la présentation orale. 
- Evaluation du travail effectué : faite par les profs qui ont encadré l’élève (8/20)
- Evaluation de la présentation orale : faite par un jury (12/20)

Les élèves tiennent un carnet de bord, de préférence individuel, et produisent un dossier écrit. Ils peuvent également proposer d’autres documents sur des supports divers qui seront autant d’outils d’évaluation (diaporama, transparents, maquettes). 


Thématiques pour l’année scolaire 2011/2012

Thématiques communes aux ES,L,S :

- Contraintes et libertés
- Ethique et responsabilité
- Santé et bien-être 

Thématiques spécifiques aux ES :

- La consommation
- La crise et le progrès
- Pouvoirs et sociétés 

Thématiques spécifiques aux L :

- Formes et figures du pouvoir
- Héros et personnages
- Représentations et réalités 

Thématiques spécifiques aux S :

- Avancées scientifiques et réalisations techniques
- Environnement et progrès 
- La mesure 



Les TPE et le professeur documentaliste, aspects pratiques


Les professeurs documentalistes rapprochent très logiquement les travaux personnels encadrés de tous les autres travaux de recherche donnant lieu à une production écrite, orale ou les deux. Dès les débuts du dispositif, il est dit que “le CDI constitue une source incontournable d’accès à l’information. Les rôle des documentalistes est essentiel...” et que “l’utilisation des TIC est “encouragée”. Il leur arrive donc de proposer des méthodes en plusieurs étapes pour aborder les différentes tâches de façon organisée et efficace, tels que celle rédigée par Madeleine Aboual (Lycée Camille Sée, Paris) : 

- Formation aux outils et aux automatismes à acquérir, notamment au niveau du carnet de bord
- Questionnement du sujet (heuristique ou systématique)
- Le choix du sujet et la cohésion du groupe
- La recherche documentaire
- L’autoévaluation et les productions écrite et orale 

Des ressources locales et régionales utiles à la réalisation des TPE sont disponibles dans les différents CRDP, bien qu'on ne pense pas forcément à ces centres de ressources au premier abord, maintenant qu'on a pris l'habitude de se jeter sur Internet pour un oui ou pour un non. Les enseignants font appel aux TIC pour communiquer aux élèves des informations, des rappels sur la méthode à avoir pendant la phase de recherches. D’autant plus que les élèves sont amenés à utiliser Internet dans la plupart des cas. 

Le professeur documentaliste peut faire partie du jury d’évaluation orale. 



Perception des TPE dans le monde de l’éducation 

Pour Philippe Meirieu, les TPE sont significatifs d’un renouveau pédagogique : les élèves sont motivés par leurs expériences et apprennent à travailler en groupe, mais aussi en autonomie. Loin d'avoir la prétention de dire que son point de vue semble répondre à un idéal théorique, nous nous permettrons d'y opposer le regard de l'expérience vécue d'une enseignante, qui montre que tout n'est pas si simple pour tous les élèves. Il est bon de soulever les points de désaccord pour faire perdurer le progrès.  

Tous les avis méritent d'être entendus. Personnellement, c'est le statut de l'épreuve TPE au BAC  me laisse perplexe. Mon point de vue est que l'idée d'avoir supprimé les TPE en Terminale pour en faire une épreuve anticipée en Première n'est pas bonne. On a beau faire travailler de plus en plus les élèves en groupes, les amener à être à la fois autonomes et complémentaires lorsqu'ils réalisent un "produit" commun, les Travaux Personnels Encadrés demeurent une épreuve à laquelle un lycéen n'est pas pleinement préparé. Comme pour n'importe quelle épreuve (même optionnelle !) évaluée au BAC un galop d'essai demeure nécessaire. Il est important de bien tomber dans tous les panneaux possibles avant de se jeter "pour de vrai" dans ce travail de longue haleine.

"Vendredi, c'était la folie ! me racontait Isabelle pas plus tard qu'au début du mois de février, avec la date butoir des remises de dossiers de TPE, tout le monde a séché l'étude pour aller imprimer et relier in extremis !" Eh ben, ça a du être beau, la présentation orale ! Quoique travailler dans l'urgence ne nuise pas toujours à la qualité, d'ailleurs.     


Références utilisées



  • MINISTÈRE DE L'EDUCATION, DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE. Un lycée pour le XXI° siècle. 4 mars 1999. 21p.


dimanche 12 février 2012

Les Aigles Décapitées - Tome 4 - L'hérétique - Jean-Charles Kraehn - 1989



Jamais trois sans quatre ! Le "Cycle de l'Imposteur", composé des trois premiers tomes des Aigles Décapitées, fait place au "Cylcle de l'Hérétique" (tomes 4 et 5). Contrairement aux albums précédents, Jean-Charles Kraehn est à l'origine à la fois des dessins et du scénario dans "L'hérétique".


"... dans ton canap' on est bien"


Où est-ce qu'on en était ? 


Deux ans après le retour vainqueur d'Hughes et Sigwald aux commandes du château de Crozenc, la paix est revenue et la vie a repris son cours. Pourtant, le jeune seigneur est en lutte constante avec sa conscience : il sait que la place qu'il occupe n'est pas légitimement la sienne, et que Dieu lui réserve sans doute quelques embûches en contrepartie. Soucieux de racheter son âme avant que les ennuis n'arrivent, Hughes s'habille en mendigot entreprend un pèlerinage à pied au Mont Saint-Michel. Il y entraîne un Sigwald quelque peu réticent ; après des jours de marche et de prière, les deux aventuriers décident de rentrer par des moyens plus confortables. Parce que bon, c'est bien beau d'éprouver les mêmes déboires que Jésus, mais faut pas abuser quand même !

Il leur faut partir en bateau du Mont Saint-Michel jusqu'à Saint-Malo-de-l'Isle, où ils trouveront à la banque la somme mise de côté pour le retour en terre poitevine. Pendant le voyage, une tempête éclate et le bateau coule en pleine nuit. Hughes, Sigwald et Albizzi, un marchand juif avec qui ils sont sympathisé, s'échouent sur des récifs et sont bien obligés d'y rester jusqu'à marée basse. Le lendemain matin, alors qu'ils se croient sauvés, les trois rescapés se font capturer par une bande de petits naufrageurs déguenillés. Ces gosses obéissent aveuglément au très douteux frère Goliard et à Nolwenn, sa jeune "favorite".    

Un album riche en références historiques 


Plus encore que les précédentes, la BD de Kraehn nous amène au coeur de l'Histoire de France. Albizzi, nouveau personnage central, nous permet de prendre conscience de l'antisémitisme de rigueur dans le pays au XIII° siècle, qu'on a à peine tendance à ne pas évoquer lorsqu'on étudie cette période à l'école. En effet, le marchand juif sauve la mise d'Hughes et Sigwald, prisonniers du frère Goliard, parce qu'il représente l'espoir pour le prêtre hérétique d'obtenir une importante rançon auprès du puissant armateur Hélie de Boisboissel.

Photo Scenario.com

L'intrigue des Aigles Décapitées se construit sur un contexte historique très précis, qu'il faut absolument connaître et comprendre pour mesurer la teneur des événements : la ligue hanséatique, le gouvernement de la Bretagne, les hérésies et les croisades de pastoureaux... A défaut d'être évident, tout est très bien expliqué. Mais des recherches en parallèle peuvent tout de même s'avérer éclairantes. La série se destine de plus en plus destiné à un public adulte, non pas pour la hardiesse des scènes représentées qui reste finalement dans le correct, mais pour ses références pointues. Par ailleurs, Jean-Charles Kraehn a eu le bon sens de consacrer la dernière page de son album à un petit lexique des richesses linguistiques qu'on pouvait entendre à Saint-Malo au Moyen-Age.

Conflits d'intérêts et femmes fatales 

On avait déjà pu le constater dans les autres volumes, les ambitions personnelles des personnages se heurtent et se font ici barrage, plus que jamais. Goliard l'hérétique terré dans le sable domine et utilise une bande de gosses pour rassembler un magot nécessaire à sa fuite. Sa maîtresse Nolwenn ne supporte pas qu'il la trompe avec Aria, une autre donzelle sourde et muette et souhaite se venger de lui lorsqu'elle prend conscience de ses projets malhonnêtes : c'est pourquoi elle décide de délivrer les trois prisonniers de son mentor. Elle est le symbole de la facilité à passer du statut de chasseur à celui de gibier, et inversement. Elle, l'objet, la fille manipulée, se sert de la blessure de Sigwald, pour à son tour devenir détentrice d'un pouvoir. C'est sans scrupules qu'elle use du chantage pour faire avancer Hughes dans les marais, et pour le traîner jusqu'à l'autel : "si tu ne m'obéis pas, si tu ne m'épouses pas, ton ami meurt". Il faut dire que Nolwenn est une fille de caractère, tout comme la blonde Alix qui trotte toujours dans la tête d'Hughes. L'une est riche et blonde, l'autre est pauvre et brune, et ces contrastes primaires sont aussi nets que les deux filles sont intérieurement assez similaires : toutes deux se disent "dures à cuire", mais manifestent une fragilité désarmante face au danger. Devant Hughes, toutes deux refusent de se brader bien qu'elles n'en cachent pas non plus leur envie. Enfin, elles parviennent toujours bon gré mal gré à obtenir ce qu'elles veulent. En conclusion, elles se ressemblent tellement que c'en est un peu dommage : puisqu'on ne voit que deux personnages féminins évoluer en première ligne, pourquoi en faire des clones ?    
 

KRAEHN, Jean-Charles. Les Aigles Décapitées. Tome 4 : "L'hérétique". Glénat. 1989. Coll. "Vécu". 46 p. ISBN 2-7234-1031-5



dimanche 5 février 2012

Les Aigles Décapitées - Tome 3 : Les Eperons d'or - Patrice Pellerin, Jean-Charles Kraehn - 1988



Revenons à la bande dessinée Les Aigles décapitées et parlons maintenant du troisième tome du cycle de l'imposteur : "Les éperons d'or". Publié en 1988 par le duo Kraehn - Pellerin, cet album vient clore momentanément les mésaventures poitevines d'Hughes et de Sigwald.


"Tu veux ma photo ?"


Où est-ce qu'on en était ? 


Lancé à la poursuite du Bâtard de Cuzion, le ravisseur d'Alix, Hughes court dans la neige comme un dératé. Il n'a pas fallu plus de quelques minutes d'inattention du pseudo-fils de Renaud pour que la jeune fille téméraire soit rattrapée par le pervers auquel elle venait d'échapper. Il parvient à la déloger des griffes du bonhomme lubrique et de ses compagnons tout aussi vicieux mais s'en tire avec une grave blessure due à une flèche reçue dans l'épaule.

Alix retrouve in extremis le convoi en route pour Poitiers et persuade Ravenaud d'amener Hughes à l'abbaye de Fongombault pour qu'il puisse bénéficier des soins des moines. Le blessé ne va pas revenir à la raison avant la fin de l'hiver, et sa convalescence durera jusqu'au mois d'avril 1242.

Ce troisième tome nous offre un autre point de vue : celui d'Hughes. Contrairement aux deux premiers épisodes qui ne présentaient que les indications d'un narrateur extérieur à l'action, les planches sont ici ponctuées par le regard du héros sur les événements. Ses impressions personnelles apparaissent dans différentes vignettes, notamment au début. Encore plus riche que les précédents niveau action, le texte occupe un espace moins important au profit de l'image, pour un ensemble plus aéré.


L'engagement du héros 

Rappelons-nous la dimension historique des Aigles décapitées. En effet, il faut bien noter une que le héros, Hughes, finit par s'engager pour une cause dont il se moque royalement. Alors qu'il était resté en marge des événements, soucieux de ses intérêts personnels, les dernières vignettes le montrent dévoué au roi Louis IX dont il devient le chevalier. Pourtant, peu lui importe que les terres qu'il parcourt soient gouvernées à distance par un roi basé à Paris, ou par Lusignan et le reste de la noblesse locale. Il n'entre jamais réellement dans le débat, et c'est seulement pour venger Saturnin, empoisonné à sa place, pour venger le messager de Blanche de Castille, pour venger la mort de Renaud le seigneur de Crozenc, en gros, pour s'opposer à Enguerran, qu'il choisit de servir le roi. Si on est tenté de retenir la magie du héros "sans-nom" capable d'influencer l'Histoire pour défendre l'âme de ses amis, il faut aussi remarquer que sa conviction personnelle n'a pas fait l'objet d'un questionnement ; un peu comme quand on vote pour quelqu'un dans le seul but d'éloigner un autre de la victoire. Même lorsqu'il arrive au pouvoir à Crozenc, Hughes n'a rien d'un personnage politiquement engagé. Il est simplement le vassal de Saint Louis, il est fidèle à Alphonse de Poitiers... parce que c'est comme ça.



La quête de l'identité

Il faut dire que le jeune Hughes a bien d'autres préoccupations. Il a tardivement appris de la bouche de Sigwald qu'il n'était en rien le fils du seigneur Renaud de Crozenc, et qu'il n'avait aucune raison de revendiquer un quelconque pouvoir. Pire, il s'est rendu compte qu'il avait un outil forgé par Sigwald pour nuire à Enguerran. Tous ses projets s'effondrent, laissant place aux questionnements propres à tous les jeunes de son âge et de sa condition, alors que dans son cas ils n'avaient plus lieu d'être : qui suis-je, d'où est-ce que je viens, où est-ce que je vais, que vais-je faire de ma vie ? Hughes est forcément troublé et perturbé. Après la phase de déni de Sigwald, son père de substitution qui a le mérite de lui avoir fourni un destin clés en main, il ne sait plus quoi faire de sa vie. Lorsque le frère Saturnin lui demande : "Que vas-tu faire maintenant ?" il répond vivement : "Je sais pas ! "

Ce faux statut de noble dont il s'est cru digne pendant des années lui a cependant permis d'acquérir une grande confiance en lui et en ses qualités. C'est bien connu : bon sang de saurait mentir. Même après avoir découvert qu'il n'est "rien", il continue d'utiliser la devise familiale de Renaud de Crozenc pour se donner du courage ; et ça marche. "Les éperons d'or" transmettent plus fortement un message d'importance : la valeur d'un homme siège dans sa cafetière, et pas dans son sang. Lorsque tous accueillent avec joie le "fils de Renaud", dont la bonté est d'avance assurée par son lignage, ils ne savent pas qu'ils s'asservissent à un enfant abandonné aux portes d'une abbaye. Certes bien guidé par Sigwald Tranchecol et ses projets de vengeance, il est surtout arrivé au sommet rêvé par tout "jouvencel" du XIIIe siècle parce qu'il a cru en lui et s'en est donné les moyens.



Frôler la mort et se réveiller


Si Hughes craint tellement le retour de manivelle à la fin du cycle, c'est non-seulement parce qu'il ne se sent pas légitime, parce qu'Alix lui manque, mais aussi sans doute parce qu'il sait que la mort peut frapper rapidement et de bien des manières.

Comme beaucoup d'autres bellâtres du Moyen Age, le blondinet a d'une part goûté de la flèche. Dans l'Assassin Royal, Fitz se voit diminué considérablement par le blessure d'une flèche empoisonnée. Le souvenir très vague que j'ai de la série animée Prince Valliant me permet quand même de dire que le héros se retrouve lui aussi quelques jours dans le gaz à cause d'une mauvaise flèche entre l'épaule et les pectoraux. Tous sont en proie à des délires et à des hallucinations plus ou moins fréquentes pendant ce temps. Leur récurrence semble montrer que l'arc et les flèches ont un rôle bien particulier dans l'univers médiéval tel qu'il nous est présenté en littérature : peut-être celui de l'attaque mesquine, silencieuse et souvent fatale après une longue souffrance, surtout lorsque le projectile est pourvu d'un bout empoisonné. Ici, la flèche est décochée par un insignifiant larbin du bâtard de Cuzion.

D'autre part, il sait qu'il a échappé de peu à la coupe de vin empoisonnée par les soins du borgne Galin. Les attaques des petits bijoux de toxicologie ne sont pas non plus connues pour être des plus honorables, et FitzChevalerie, l'empoisonneur au service du roi, en sait quelque chose. Il sait très bien que son statut de "bâtard semi-noble" l'a directement affecté aux tâches utiles mais ingrates de l'assassin qui ne se tâche jamais les mains.



L'album se termine de manière un peu trop précipitée, même s'il laisse entendre qu'une suite est possible, et même probable. A les abandonner ainsi aux portes du bonheur, on pourrait croire que Kraehn et Pellerin ne sont pas fâchés d'en finir vite avec Hughes et Sigwald ! Les dernières planches, dans lesquelles la petite histoire se mêle très nettement à la grande, auraient presque pu faire l'objet d'un quatrième volet si leur contenu avait été développé. Mais la poursuite de Galin, la rencontre du messager à l'agonie puis de Saint Louis sont finalement expédiées. Lorsqu'on apprend que le quatrième tome des Aigles décapitées est l'oeuvre de Kraehn pour les dessins comme pour les scénario, on comprend mieux : les auteurs avaient sans doute des tas de raisons de terminer l'ouvrage de cette façon-là.

PELLERIN, Patrice ; KRAEHN, Jean-Charles. Les Aigles Décapitées. "Les éperons d'or". Glénat. 1988. Coll. "Vécu". 46 p. ISBN 2-7234-0904