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vendredi 26 juillet 2024

[MANGAS] Street Fighting Cat - 1 (2017) / Ken'en, comme chien et singe - 1 - (2018)

Cet article est le 501ème...Voilà déjà quinze ans que ce blog m'accompagne, même si je l'alimente un peu plus rarement maintenant, faute de temps. 

Voici deux mangas marrants et bien survoltés qui seront au CDI à la rentrée prochaine !


Street Fighting Cat - 1

SP Nakatema

Doki-Doki, 2017 


Qui n'a jamais été réveillé au milieu de la nuit par deux chats qui se foutent sur la gueule ? 

Le mangaka SP Nakatema a fait de ce miracle de la nature une sorte de furyo animalier tout à fait distrayant.  

Lorsque les humains dorment ou ont le dos tourné, les chats de gouttière reprennent le contrôle des quartiers de la ville de Sakura. Leur qualité de vie et les rapports qu'ils entretiennent dépendent de leur place dans la hiérarchie féline, et de leur capacité à respecter les codes d'honneur. Une sorte de société de yakuzas, version chats : alors que certaines bandes ont le monopole des rues et des poubelles de restos, les faibles et les marginaux doivent s'écraser ou faire les larbins pour survivre. 

Hige, le héros, appartient à cette dernière catégorie. Il s'en prend plein la tronche et pense même à en finir avec la vie. Sa rencontre avec Nabunaga, un ancien chat domestique à la carrure colossale va lui donner un peu de répit. Tous deux vont s'associer et se compléter : le malingre va aider le petit nouveau à se repérer dans un milieu qu'il connaît mal, tandis que le costaud va s'occuper de la partie "patates et coups de griffes". 

Serait-ce l'aube d'une vie meilleure pour ce binôme des extrêmes ? Ils ne sont jamais que deux contre une multitude de durs à cuire ! 

Très sympa et sans prise de tête ; ça change des histoires de chatons inoffensifs ! Les chats sont dessinés de différentes manières en fonction des situations, allant du presque kawai au guerrier taillé en serpe. On devine un dessinateur amateur et connaisseur de félins. 

Une bonne lecture de vacances pour les grands et les petits. 

A noter que c'est une série assez courte (4 tomes) _donc particulièrement pratique pour un CDI de collège !


Ken'en - Comme chien et singe - 1 

Fuetsudo / Hitoshi Ichimura 

Doki-Doki (2018) 


Photo prise au parc des Buttes Chaumont


Japon, sans doute au Moyen-Age. 

Alors qu'il traverse le pays afin de parfaire son initiation, le jeune moine Benzon arrive dans le petit village de Mitsuke, où les habitants sont encore chamboulés par la malédiction qui vient de les frapper : un mononoke (une sorte d'esprit) leur a fait savoir qu'il ne les laisserait pas en paix tant qu'on ne lui aurait pas sacrifié une jeune fille.  

Benzon part donc en quête d'un exorciste ; on lui recommande un certain Hayate... qui s'avère être un gros chien blanc. Il est bien étonné, mais bon, pourquoi pas. Le jour de l'offrande, le chien est stratégiquement caché dans le cercueil censé renfermer la jeune fille et déposé à l'endroit prévu. 

Effectivement, quelqu'un vient : il s'agit d'un kakuen, un être vivant mi-singe mi-humain qui n'existe qu'en version mâle et qui doit donc, de temps en temps, enlever une fille pour pouvoir faire perdurer l'espèce. 

Ce kakuen-là s'appelle Mashiro, il est plutôt pacifique et n'a pas envie de se marier. Alors, quand il découvre le chien, c'est le coup de foudre : il l'adopte aussitôt, oubliant même pourquoi il était venu. Sauf que Hayate est en fait un reiken "mi-homme, mi-chien", et peut changer d'apparence en fonction de ses besoins. Mashiro va vite voir que cette bête-là n'a pas du tout envie d'être tenue en laisse !  

Nous allons suivre les aventures et les déboires de Mashiro, partagé entre son sens des responsabilités envers les autres kakuen de sa tribu et le rejet de leurs traditions archaïques. Il doit aussi gérer son attachement pour Hayate _qui le tyrannise pas mal !  

A travers ce seinen, les auteurs ont réussi à traiter des sujets profonds (le sort des femmes, le consentement, concilier ses intérêts et ceux d'un groupe, cacher son identité...) sans le dépouiller d'une certaine légèreté ! Les personnages sont attachants ; Mashiro et Hayate s'envoient vanne sur vanne, et les blagues ne manquent pas ! 

Graphiquement, les décors en pleine nature, entre mers et forêts, sont superbes. 



vendredi 19 août 2016

Les drôles de bestioles de la littérature de jeunesse...


Ces derniers mois, je suis tombée sur plusieurs ouvrages pour la jeunesse mettant en scène des animaux un peu particuliers  ; il m'a semblé intéressant d'écrire un billet sur deux d'entre eux. Ce blog n'est sponsorisé ni par la SPA, ni par WWF, mais ça pourrait ! 





Gwin, la martre à cornes dans Coeur d'Encre (2003) 

Illustration de Cornelia Funke
Meggy et son père Mo le relieur coulent une vie paisible, au rythme des livres qu'ils lisent ou qu'ils réparent. Une nuit, Doigt de Poussière, un ami de Mo, vient les chercher pour des raisons obscures. L'homme est un artiste cracheur de feu et sillonne les routes pour donner des spectacles. Il ne possède rien d'autre que son sac à dos et Gwin (j'avoue, j'ai ri), sa martre à cornes. Même si elle quitte rarement le second plan dans ce roman, lui apportant au passage une touche humoristique, la bestiole va se révéler utile aux héros ; elle s'illustrera notamment dans un rôle de messagère discrète lorsque les personnages devront se dispatcher, puis en distribuant quelques coups de dents bien placés. Mais attention, Gwin n'est pas un gentil chien chien fidèle prêt à tout pour aider son maître, bien au contraire. Elle pense à sa peau, et malheur à celui qui tente de l'approcher sans y avoir été invité _ Doigt de Poussière le premier ! la première description qui nous est offerte par Cornelia Funke annonce la couleur :

"L'animal était presque aussi grand qu'un lapin mais beaucoup plus mince, avec une queue touffue qu'il pressait contre la poitrine de Doigt de Poussière. Il enfonçait ses petites griffes dans ses manches tout en regardant Meggie de ses yeux fendus noirs et brillants et, quand il bâilla, il montra ses petites dents pointues comme des aiguilles. 
_ Je te présente Gwin, déclara Doigt de Poussière, si tu veux, tu peux lui caresser les oreilles. Elle dort encore à moitié, elle ne te mordra pas. 
_Parce que sinon elle mord ? voulut savoir Meggie. 
_Tu peux le dire ! s'exclama Mo en s'installant derrière le volant. A ta place, je ne la toucherais pas !"
Libre et chasseuse dans l'âme, la petite martre ne supporte pas le port du collier et n'hésite pas à disparaître durant des heures. Pourtant, c'est elle qui amènera Meggie à y voir plus clair malgré les mystères qui l'entourent : en la reconnaissant au milieu des illustrations du livre que son père lui cache _une martre à cornes, ça ne court pas les rues !, elle va comprendre qu'une passerelle est possible entre les histoires et le monde réel...

Pour les références du livre, voir le billet consacré à Coeur d'Encre.



Odilon, le charat dans Les Oubliés de Vulcain (1995)



Le jour de son quinzième anniversaire, Charley apprend brutalement qu'il n'est pas un être humain comme les autres, mais qu'il a été créé de toutes pièces, comme un bon petit robot doté de superpouvoirs. Choqué et dégoûté d'apprendre aussi brutalement ses origines, il fuit la Terre dans un vaisseau container d'ordures qui le largue sur Vulcain, la planète-poubelle où finissent tous les déchets des humains. Il découvre que des populations défavorisées tentent de survivre tant bien que mal avec (et malgré) les détritus de leurs voisins terriens, jusqu'à ce que la maladie de la "rouille" ne les rattrape inéluctablement... Haut des coeurs ! Heureusement, pour ne pas sombrer dans la déprime après tant de bonnes nouvelles, Charley est épaulé par Odilon, un petit animal lui aussi né d'une expérience scientifique. Cet authentique "charat" tient autant du chat que du rat, comme son nom l'indique : A maintes reprises il était allé regarder le charat à travers les parois de plasverre de la matrice artificielle. Petit à petit, il avait vu l'étrange animal se développer. Du chat, il avait gardé la fourrure soyeuse à poils longs ainsi que les petites oreilles pointues. Du rat, il avait la longue queue annelée et les pattes avant ressemblant étrangement à des mains à quatre doigts."  Soutien moral, peut-être, mais pas seulement. Sans vouloir dévoiler la fin de l'histoire, disons simplement qu'il poussera Charley à prendre une décision importante...

Au passage, ce court roman est parfait pour réfléchir aux problématiques de l'écologie et des inégalités sociales avec les élèves de fin de primaire ou avec les collégiens.

Edition utilisée : 
Danielle MARTINIGOL. Les oubliés de Vulcain. Le Livre de Poche Jeunesse, 2005. coll. "Mondes imaginaires". 189 p. ISBN 2-01-01902-4


Hoak, le cochon parlant dans le manga Seven Deadly Sins




Avec Seven Deadly Sins, vous aurez la joie de découvrir un shônen médiéval complètement tiré par les cheveux ! Le "petit" Méliodas tient le "Boar Hat", une taverne ambulante où la bière est aussi bonne que la bouffe y est dégueulasse. Peu importe les critiques et les moqueries des clients qui se laissent berner par son apparence juvénile : son travail lui permet de recueillir assez vite les ragots du royaume de Britannia ! Le lecteur apprend en même temps que le héros qu'il s'en passe de belles à la cour : les Chevaliers Sacrés ont mis le roi à l'écart et jouissent à présent des pleins pouvoirs. Ils ne gênent pas pour jouer les brutes épaisses lorsqu'il s'agit d'effrayer et de faire payer des impôts aux plus faibles. On devine qu'ils fomentent une guerre...

Un jour, le tenancier voit débarquer un immense chevalier masqué sous son armure métallique... et rouillée. Tous les assoiffés prennent la fuite sans se faire prier : ils ont reconnu en lui l'un des Seven Deadly Sins, une bande de chevaliers mercenaires redoutables qu'on n'a pas vu depuis dix ans dans le secteur de Britannia mais qui, malgré tout, font encore l'objet d'un avis de recherche. Méliodas ne s'y laisse pas prendre : il devine rapidement que quelqu'un se cache sous la grande carapace métallique. En effet, la personne qui a revêtu l'armure n'est autre que la princesse Elizabeth, fille du roi réduit au silence ! Afin de sauver son père des griffes des Chevaliers Sacrés, elle s'est mise en tête de retrouver les fameux Seven Deadly Sins. Elle ne pouvait pas mieux tomber, car il se trouve que le jeune patron du Boar Hat a justement fait partie de la fameuse équipée, il y a fort longtemps...




On peut bien vanter son expertise en alcool et son sens de l'accueil, Méliodas ne serait rien sans Hawk, son fidèle cochon. Si, à première vue, l'animal ressemble fort à ses pairs, on s'aperçoit bien vite qu'il a deux particularités : d'une part, il a le derrière orné d'un trèfle à quatre feuilles ; d'autre part, il parle ! Et pas pour ne rien dire... Plus qu'une simple mascotte, il est la voix de la sagesse, celle qui tente de remettre son jeune patron sur le bon chemin à coups de sermons ! Lorsque Méliodas se laissera aller à tâter les seins de la princesse ou à la mater de trop près, ce qui arrivera somme toute assez souvent.. _ Hawk sera là pour le réprimander, soyez-en sûrs ! Pourtant, le cochon extraordinaire ne se cantonne pas à un rôle de moraliste : quand il s'agit de jouer un bon tour aux Chevaliers Sacrés en revêtant l'armure d'Elizabeth pour les éloigner, il relève le défi sans se faire prier.




Ne préjugez pas non plus de son dynamisme et ne pointez pas du doigt son surplus de gras : il bat au sprint n'importe quel brigand des alentours, une fois qu'il est lancé à pleine vitesse. Pour Méliodas et pour la gentille princesse, Hawk est capable de précipiter l'ennemi dans le ravin d'un coup de groin, et ce, sans le moindre scrupule ! Un véritable ami, quoi !




Pourtant, malgré ses nombreux talents, ce cochon hors du commun _encore que les gorets capables de parler soient plus courants à Britannia qu'ailleurs, puisque Elizabeth dit en "avoir demandé un à Noël" (ok ok...) souffre d'un grand manque de reconnaissance. C'est à lui que revient la lourde tâche de manger tout ce que les clients recrachent lorsqu'ils se risquent à taper dans la tourte de viande de Méliodas. C'est ça ou finir en rôti, alors bon...  De toute façon, toutes les régurgitations du royaume ne suffiraient pas à rassasier un tel porc de compétition !

Peppa Pig n'a qu'à bien se tenir !


Edition utilisée : 
Nakaba SUZUKI. Seven Deadly Sins. 2014, Pika Edition. Coll. "Shônen". 192 p. ISBN 978-2-8116-1356-3


La maman dans Ma mère est un hamster 

Oui oui, parfaitement !



Bahia voit d'un mauvais oeil l'arrivée de Madame Fribule, la nouvelle voisine du dessus : cette vieille dame ressemble vraiment trop à une sorcière, avec ses cheveux blancs, sa verrue, ses talents de guérisseuse et ses animaux de compagnie hors du commun. Lorsque sa mère l'invite à prendre le thé, la petite fille décide de simuler un mal de tête pour éviter toute confrontation, et part faire une sieste. A son réveil, elle réalise avec stupeur qu'elle est seule dans l'appartement... ou presque : un hamster s'agite à ses côtés, pris au piège entre les pattes du chat Patoche. Bahia est intriguée et inspecte le rongeur : d'où peut-il bien venir ? Au bout de quelques instants, elle reconnaît dans les cris de l'animal la voix de sa mère... Un parcours du combattant commence pour "Baba", complètement lâchée par le reste de sa famille : son frère Mathurin est en classe verte et son père est parti en Chine pour des raisons professionnelles. Cerise sur le gâteau : la mère-hamster n'est absolument pas consciente de son état ! Comment lui annoncer la nouvelle ?

Ce court roman illustré crée par Agnès de Lestrade et Fanny Denisse est plein d'une énergie communicative ! Comment s'adapter à une situation improbable _qui relève même du fantastique, l'air de rien ? et garder la pêche dans l'adversité ? Bahia apprendra à réfléchir à toute vitesse pour faire en sorte que sa mère ait une vie décente malgré son état ! Peu importent les apparences, même couverte de poils, sa maman reste sa maman. Or, comme un hamster reste aussi un hamster quoi qu'il arrive, la tâche ne sera pas simple... L'histoire pourra intéresser les profs des écoles et de 6°-5° qui souhaitent mener un débat sur les idées reçues et amener leurs élèves au-delà des préjugés. Ce n'est pas pour rien qu'elle est édités chez Talents Hauts, collection "Livres et égaux".

Bref, à mettre entre toutes les mains, mais hors de portée des matous !


De Lestrade, Agnès. Denisse, Fanny. Ma mère est un hamster. Talents Hauts, 2016. Coll. "Livres et égaux". 64 p., ill. ISBN 978-2-36266-149-5

lundi 1 août 2016

L'assassin royal - 10 - Serments et deuils - Robin Hobb (2003)


D'un jour à l'autre, on se révèle plus ou moins bien inspirés lors de nos prises de décisions, d'initiatives ou de paroles : ce n'est pas FitzChevalerie qui nous dira le contraire. La lecture du dixième tome de l'Assassin Royal, "Serments et deuils" ne manquera pas de nous rappeler, à plusieurs reprises, à quel point il est frustrant de ne pouvoir remonter le temps pour gommer un acte commis dans la précipitation ou une parole maladroite. Depuis le début de la série, c'est sans doute cette partie de l'épopée des Loinvoyant qui met le plus à mal l'affect de la fine fleur de Castelcerf : confinés en attendant l'arrivée du printemps et le départ du Prince Devoir pour sa quête insensée du dragon Glasfeu, la reine Kettricken, Umbre, Astérie et les autres font tourner en bourrique le "Bâtard au Vif", qui ne sait plus où donner de la tête ! Entre conflits d'intérêt, souci du peuple, desseins personnels et loyauté envers la famille royale, il n'est pas besoin de braver la montagne ou la forêt pour tourmenter son âme : rester dans l'enceinte du château suffit. Rien de tel qu'on bon huis clos bien malsain pour faire resurgir et mijoter les vieilles rancoeurs...    




Où est-ce qu'on en était ? 


Les Secrets de Castelcerf s'était achevé sur le défi lancé au prince Devoir par sa fiancée Outrîlienne Elliania de se rendre sur l'île d'Aslevjal au printemps suivant pour y couper la tête du légendaire dragon Glasfeu. En attendant que les beaux jours reviennent, Fitz a de quoi occuper son hiver _car oui, il fera évidemment partie de l'expédition_ : dénicher les vifiers espions présents à la cour, en finir avec Laudevin et les autres Pie, remettre son fils sur le droit chemin, constituer et surtout former le clan d'Art du prince !

Ce programme déjà chargé sera plombé d'une série d'embûches plus ou moins prévisibles ; Fitz a perdu la moitié de son acuité sensorielle en même temps que son compagnon de Vif, ce qui le met en difficulté. De plus, il va être une fois de plus victime d'un de ses violents accès de colère et tuera trois ennemis d'un coup, manquant d'y laisser sa peau par la même occasion. Mais on se souvient que l'assassin royal est déjà ressuscité deux fois par le passé, et comme on le dit souvent : jamais deux sans trois !

D'artiseur imparfait, l'homme-lige des Loinvoyant va devenir contre son gré professeur et chef d'orchestre d'un clan d'Art bancal composé du prince, d'un serviteur handicapé mental et d'Umbre. Heur ne s'assagit pas, bien au contraire ! Sa relation avec la jeune Svanja lui donne des ailes et il est tenté de s'envoler loin de ses motivations premières, à savoir l'apprentissage du métier d'ébéniste.


ATTENTION ! Les prochains paragraphes donnent des informations sur la suite de la série !! 
     



Révélation, Hésitation, Fascination, Acceptation : le tome de toutes les différences 

"Ca va parler de nous ??"
Euh non non, c'est juste pour la blague ! 
"Ok, bah on repart, hein !!"

A plusieurs reprises, j'ai regretté que Robin Hobb fasse le choix de prêter à ses personnages principaux des attitudes particulièrement bienveillantes et des propos trop bien pensants ; mais ce n'est pas le cas ici. Fitz est confronté à deux situations où son ouverture d'esprit est sollicitée, et à deux reprises, c'est un fiasco _il essaiera de redresser le tir, hein ! c'est quand même un gentil_ : la déclaration d'amour du fou, qu'il repoussera sans ménagement et sans cacher son dégoût à se savoir aimé d'un gars (à supposer que c'en soit un), et l'inclusion de Lourd, un serviteur déficient mental, dans le clan d'Art qu'il est censé former autour du Prince Devoir. L'assassin royal se déroule dans un univers médiéval où il eût été difficile d'imaginer des types gay friendly et soucieux d'intégrer à la cour les personnes porteuses de handicap. On ne s'étonnera pas que Fitz essuie des remarques homophobes et que Lourd se fasse racketter par ses pairs dans l'enceinte-même du château. Or la phase d'acceptation viendra contre toute attente, et c'est pourquoi les livres de Robin Hobb savent nous redonner la patate en quelques lignes ; Devoir et Fitz s'adapteront progressivement à leur compagnon artiseur et le prendront rapidement sous leur aile pour améliorer ses piètres conditions de vie.

Les leçons d'Art racontées par l'auteur seront l'occasion de peindre des portraits psychologiques profonds des personnages sans que cela nous paraisse fastidieux ; en particulier celui d'Umbre Tombétoile, l'ancien mentor de Fitz que l'on suit depuis les tout premiers chapitres de la saga mais que l'on découvre ici sous ses aspects les plus noirs : ambitieux et avide de pouvoir, refusant de vieillir, compétiteur, calculateur, capable de vendre père et mère pour arriver à ses fins. On savait depuis toujours qu'il n'avait aucun scrupule à mener son apprenti assassin pour "la bonne cause", mais dans Serments et deuils, il devient carrément antipathique. 

Contrairement à la reine Kettricken qu'il conseille _mais dont il jalouse de plus en plus le trône, l'empoisonneur semble avoir beaucoup de mal à masquer son mépris des vifiers, également nommés membres du "Lignage". Faire venir à la cour des sujets porteurs de cette "magie" lui paraît saugrenu et dangereux ; il est vrai que, dans cet univers cruel où un homme est acclamé en héros parce qu'il a tué trois hommes pour une "bonne raison", la souveraine donne l'impression de sortir tout droit du monde des Bisounours. Son discours politique est une suite de mesures totalement désintéressées, plus symboliques de tolérance et d'égalité les unes que les autres ! Encore une fois, on fait fi des différences et on apprend à vivre ensemble ! Youhou, deux ou trois licornes pailletées et le tableau sera parfait !



Je ne sais pas si les lecteurs de L'Assassin royal auront un avis unanime à ce sujet _et si ce n'est pas le cas, tant mieux ! mais la conversation houleuse entre Fitz et le Fou est à mon sens la plus émouvante sur les dix premiers tomes. D'une part, parce que le Bâtard au Vif avoue qu'il perd pied en comprenant qu'il ne connaîtra jamais à cent pour cent son seul véritable ami, et d'autre part parce que la déclaration d'amour du Fou est à la fois sobre et déchirante de désespoir.

"Nous aurions pu vivre toute notre existence sans avoir cette conversation. Tu viens de nous condamner à ne jamais l'oublier" 

  
Malgré la stagnation des aventuriers à Castelcerf, la tension ne se relâche pas et les épées sortent des fourreaux sans se faire prier quand c'est nécessaire. Les différentes formes de magie se téléscopent jusque dans les rêves de Fitz et de sa fille Ortie. Il ne manque plus que les dragons ! Mais ça, c'est pour le prochain épisode... A suivre mais sans se précipiter, car il ne reste plus que trois volumes à lire avant la fin... 





Robin Hobb. L'Assassin Royal 10. "Serments et deuils". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions J'ai Lu, Coll. "Fantasy", 2014. 412 p. ISBN 978-2-290-34439-2
Illustration : Vincent Madras

dimanche 3 juillet 2016

L'assassin royal - 8 - La secte maudite - Robin Hobb (2003)


Encore une année scolaire qui se termine, avec, du côté de l'équipe éducative, ce traditionnel chapelet de départs pour cause de "mutation" si caractéristique des établissements du 93... Pourtant, il faut croire que les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas : habituellement, je suis triste et nostalgique avant l'heure de voir partir mes collègues vers d'autres horizons, au point de larmoyer en pensant au vide qu'ils vont laisser derrière eux. Mais ces derniers temps, allez savoir pourquoi ? Est-ce que je m'endurcis ? Est-ce que j'ai fini par comprendre que personne n'était irremplaçable et qu'un très bon prof succédait toujours à son prédécesseur ? Est-ce que je suis contente qu'il y ait de moins en moins d'adultes pour entretenir la mémoire de mes débuts laborieux ?... Parmi tous ceux à qui l'on a souhaité bonne route jeudi soir, il y en avait que j'étais vraiment contente de voir partir, et dont je me suis payée le luxe de ne pas signer la carte. Etre une championne de l'hypocrisie n'empêche pas d'avoir des principes de temps en temps.   

Bizarrement, je me suis sentie frustrée de ne pouvoir partager ma satisfaction avec qui que ce soit dans le collège : ces personnes ont beaucoup donné pour les enfants et ont acquis le respect et la reconnaissance de tous les adultes au fil du temps, ce qui rendrait mon aversion pour eux bien incompréhensible aux yeux des autres, si elle venait à être révélée. Ne pas les pleurer, c'est déjà cracher dans la soupe... Alors, affirmer ouvertement qu'on est content qu'ils s'arrachent revient à se tirer une balle dans le pied. Vous savez, dans un collège ou les enseignants ont en moyenne dix-quinze ans de plus que les élèves, confier le fond de sa pensée à une personne aboutit au même résultat qu'un affichage en règle sur le tableau de la salle des profs...   

Dans ces moments-là, j'avoue qu'il ferait bon avoir un loup comme celui de FitzChevalerie, une bête pleine de sagesse et toujours à l'écoute, avec qui je pourrais partager mes impressions sans me risquer à parler...      


Ahah, transition de ouf !! 

Où est-ce qu'on en était ?  

Sous le ciel des Six-Duchés, avoir le Vif n'a jamais été bien vu ; Fitz en sait quelque chose. Dans son enfance déjà, il avait appris à ses dépens que son don inné de se connecter avec des animaux pouvait le reléguer au rang de paria et causer sa mort. Plus tard, il avait rencontré un groupe d'hommes et de femmes semblables à lui, et il avait appris grâce à eux à gérer sa relation fusionnelle avec Oeil-de-Nuit. A présent, sa nouvelle mission royale le replonge dans les travers d'une société qu'il n'avait pas quitté sur un simple coup de tête : il doit ramener au bercail le prince Devoir qui s'est enfui de Castelcerf pour d'obscures raisons. Il semblerait que le fils de Kettricken et de Vérité soit lui aussi un "vifier", et qu'il n'en ressente aucune honte ; or, son statut ne le préservera pas de la torture et de l'exécution si ces soupçons viennent à se confirmer. Raison de plus pour remettre la main dessus au plus vite. Sous leurs faux nom de "Tom Blaireau" et de "Sire Doré", Fitz et le Fou suivent la trace du jeune homme...  


La secte du Vif 

Le tome 8 de L'Assassin royal s'intitule "La secte maudite" ; or, par chez nous, qui dit secte dit...


...Témoins de Jéhovah, alias ces gens qui toquent à ta porte en lisant la Bible pour t'extorquer des sous ;
et qui, de surcroît, refusent de se faire vacciner ! 
On ne voit pas bien le rapport, me direz-vous, alors je vous explique. Dans cette ambiance tendue pour eux, quelques vifiers du peuple se regroupent et dénoncent les nobles atteints de la même "tare" qu'eux afin de les faire chanter et de se faire entendre : pourquoi les paysans seraient-ils exécutés et brûlés pour sur simple dénonciation d'usage du Vif alors que, lorsque la même magie touche le haut du panier, on se contente de la dissimuler bien comme il faut ? Prenant pour emblème le Prince Pie, un Loinvoyant exclu et tué pour avoir utilisé le Vif à mauvais escient, ce groupuscule utilise le chat de Devoir pour l'attirer dans un traquenard et le prendre en otage...


Loup enragé  

Evidemment, le fils de Vérité, du haut de ses quinze bananes, n'y a vu que du feu. A la veille de ses fiançailles arrangées avec une gamine des îles d'Outre-Mer, l'adolescent se laisse prendre au jeu d'une passion dévorante pour une femme mûre qu'il n'a jamais rencontrée, mais qui communique avec lui par le biais de sa compagne de Vif : la marguette qui lui a été offerte par la famille Brésinga de Myrteville... chez qui séjournent Fitz, le Fou et Laurier, la grand-veneuse de Kettricken. C'est grâce à ce passage à Myrteville, à la relation d'Art qui se développe entre Fitz et Devoir, et surtout au dévouement du loup Oeil-de-Nuit que la fine équipe met assez rapidement la main sur le prince en fuite, au grand dam de ce dernier. Convaincu que sa belle l'attend, il refusera d'abord d'entendre les désagréables révélations de Fitz, agacé, ne mâchera pas ses mots : il n'y a pas de bonne femme au bout du chemin, seulement une joyeuse troupe de Fidèles du Prince Pie.    

En effet, le héros n'a pas gagné en patience avec l'âge... Par deux fois dans ce roman, on le voit saisi d'une rage incontrôlable qu'on lui connaît peu, doublée d'une intention de tuer qui ne sera déboutée qu'in extremis... De plus, et pour la première fois depuis le début de la série, le Fou et Oeil de Nuit reconnaissent avoir eu peur que la situation ne leur échappe, et se sont effrayés que le Bâtard au Vif soit pris d'une telle soif de sang. Bizarrement, j'ai beaucoup aimé ces moments de perte de contrôle et de vivacité meurtrière, presque bestiale, et pourtant si différente de la sagesse de son brave loup : ils ont su redonner de la consistance à ce personnage qui a tout juste passé la trentaine mais qui ne cesse de se prendre pour un vieillard moche engagé sur une pente descendante.



Vieillissement, mort et autres réjouissances 

Si, dans le volume précédent, on avait fait la fine bouche en se plaignant du trop peu d'action et du grand nombre de gros plans sur Fitz en train de se couper du fromage ou de faire infuser sa tisane, tout cela est aujourd'hui bien loin. "La secte maudite" nous emmène partout, du domaine de Myrteville à la forêt, dans une caverne puis en ville, en passant par la fameuse île des Autres qui ouvre la série des Aventuriers de la Mer. Fitz y trouvera d'ailleurs des plumes de bois... peut-être celles qui s'adaptent à la couronne trouvée par Ambre dans "Les marches du trône" ? Partout, oui, mais en traînant la patte, tout de même. Oeil-de-Nuit est usé jusqu'à la corde, et, comme on pouvait s'y attendre, l'inévitable se produit. L'assassin royal se retrouve seul de nouveau, en tête à tête avec une peine qu'il ne peut partager avec personne, et qu'on lui laisse : à force de voir le loup souffrir, baver de fatigue, grincer des articulations depuis cinq cent pages, le lecteur vit presque la mort de l'animal comme une délivrance... Devoir perd lui aussi sa compagne de Vif : possédée par l'âme d'une femme qui refusait de mourir, l'enveloppe de la marguette s'était consumée à grande vitesse.

L'acceptation de la disparition de l'autre sera laborieuse pour les deux autres, qui apprennent au fil du temps à se connaître. Un peu naïf et empoté sur les bords, le jeune Devoir finit par comprendre que Tom Blaireau n'est pas seulement le serviteur bourru de Sire Doré, mais ne parvient pas à mettre le doigt sur son identité réelle. Troublé par la soudaine curiosité du fils de Kettricken, Fitz se fait violence pour le laisser dans le flou ; moins il en saura, mieux ce sera pour tout le monde...

Comme d'habitude, un livre parfait pour tous les amis des animaux, les amateurs de bastons dans la forêt et de tempêtes dans les cerveaux !

Robin Hobb. L'Assassin Royal 8. "La secte maudite". 2001, parution française en 2003
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2004. 450 p. ISBN 2-7441-6893-9
Illustration : Stephen Youll 









   
      

mardi 4 mars 2014

Garulfo T.1 "De mares en châteaux" - Alain Ayroles, Bruno Maïorana, Thierry Leprévost (1995)


Quand je lis les Aigles Décapitées, je me dis que le temps n'est pas aussi puissant qu'on a tendance à le croire, car il n'a absolument aucun impact sur l'efficacité des différents albums de la série. Pourquoi ? Sans doute parce que la période médiévale n'a jamais été autant mise à l'honneur qu'aujourd'hui, et parce que les scénaristes usent d'une langue qui marie notre présent au présent de l'action. Le tout, sans lésiner sur l'humour, quand il faut et comme il faut. 

Il en est de même pour Garulfo. Ce soir, j'ai découvert le tome 1 d'une série vieille de vingt ans, en pensant qu'elle était beaucoup plus récente. Eh oui, l'oeuvre d'Ayroles et de Maïorana est un classique de la bande dessinée, et pourtant je n'en connaissais rien. Ce n'est pas faute d'avoir croisé les différents albums dans les CDI, bibliothèques, librairies, etc. Mais non. A vrai dire, le dessin de m'attire pas _ ce qui ne veut pas sire que c'est moche ou râté ; mais pour mes yeux, les Garulfo qui peuplent un bac à BD ne sortent pas du lot, bien que le dessin ait pour lui cette finesse du détail que j'apprécie d'habitude. Allez savoir. 

Aujourd'hui, pourtant, on dirait bien qu'on a brisé la glace et qu'on a même sauté le pas. 





Garulfo T.1 "De mares en châteaux" 

Oh, non, ça n'a pas vraiment été un coup de foudre tardif. Juste une gamine du club "Découvertes au CDI" _club lecture pour les intimes : chacun sait qu'au bout d'un certain temps personne ne se donne plus la peine d'être sexy _ qui a présenté cet album lu pendant les vacances, et... j'ai tellement rien compris à ce qu'elle nous en a dit que ça m'a intriguée. Vite fait j'ai calculé que ça tournait autour d'une grenouille, mais ça s'est arrêté là. Cela dit, elle a fait l'effort de lire et de présenter son interprétation de l'oeuvre, et c'est tout à son honneur ; puis l'intrigue n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît pour un élève de 6°.

Sitôt récupéré, sitôt embarqué ! 

Garulfo est une grenouille mâle (pour lui, c'est très important) aussi fascinée par les humains que dépitée par sa condition de batracien minuscule et vulnérable. Malgré les mises en garde de son ami Fulbert le canard, il passe son temps à observer les "admirables" "bipèdes" en se jurant, sans vraiment y croire, qu'un beau jour il sera un homme, lui aussi ! il foulera enfin de ses deux pieds la terre du Royaume de Brandelune.
C'est alors que...

Ah, quatre pages déchirées, c'est bon à savoir...

... C'est alors qu'il rencontre une sorcière avec qui il fait un marché : si elle parvient à le métamorphoser en prince, il lui fera profiter de son pouvoir. Séduite, la vieille lui jette un sort ; s'il parvient à embrasser une femme, il se transformera en un être humain plein d'assurance et de noblesse. Garulfo se lance aussitôt à l'assaut du château de Brandelune, où se trouve forcément la princesse à embrasser et/ou à épouser.   


L'homme, cette drôle de bestiole 

Ce n'est pas faire offense aux autres artistes impliqués dans cette BD que de dire qu'Ayroles a bien contribué au succès des six tomes de Garulfo. En effet, comme je le disais tout à l'heure, le scénariste apporte une fraîcheur au texte tout en conservant les tournures d'époque. L'insupportable princesse Héphylie est à mi-chemin entre la capricieuse d'autrefois et la chieuse d'aujourd'hui, comme nous le montrent ses paroles pour notre plus grand bonheur. Si vous retrouverez sans problème cette libre poésie dans De Capes et de Crocs, il y a des chances pour que vous ne la retrouviez nulle part ailleurs.

Un ton somme toute représentatif de l'humain tel qu'on veut nous le présenter ici : admirable en apparence, et pourri à l'intérieur, tout en contrastes et en paradoxes. A la cour, aussi naïf et pur, aussi ignorant des codes sociaux que peut l'être une grenouille larguée dans un château, il n'en attire que mieux la méfiance d'un roi calculateur et les foudres de Noémie, la nourrice de la princesse dont repousse les avances d'un violent coup de pied au cul. Ce prince Garulfo qui se prend encore à se déplacer à sauts de grenouille rappelle forcément Perceval au début de sa quête, encore nis* et nostalgique des jupes de sa mère.


Remember le BAC...

Les auteurs de l'album "De mares en châteaux" se sont bien évidemment amusés avec les codes du conte, et c'est ce qui ressort le plus souvent lorsque vous cherchez des critiques de cette BD, parce que c'est plutôt bien réussi : la grenouille n'est pas un prince ensorcelé mais un amphibien mal dans sa peau ; la vieille sorcière se laisse séduire et son oiseau de malheur se fait bouffer par un loup (qui lui même ...). La princesse joue les rebelles et fait des virées à cheval à la tombée de la nuit. Seule la nourrice ne sort pas du lot : elle a autant d'autorité que celle de Juliette ou que celle d'Antigone. Comment ça, Roméo et Juliette et Antigone ne ne sont pas des contes ? Oui, et alors ! On s'en branle !  

"Juliettaaaaaaaaaaa"
Miriam Margolyes - Romeo + Juliette


Certes, le prince-grenouille Garulfo ne cherche pas le Graal, mais sa quête de virilité, de puissance et de connaissance de ces humains tant idéalisés pourrait bien aboutir à un tout autre résultat que celui espéré. Il va découvrir l'existence du mensonge, des magouilles, de la drague plus ou moins subtile, des pauvres _ceux qui tuent pour manger, des riches _ceux qui tuent pour le plaisir, puisqu'ils "chassent". Alors non, les hommes ne se mangent pas entre eux... mais parfois c'est tout comme. Si le pessimiste Fulbert avait eu raison ?

Cette BD serait sans doute à exploiter avec des collégiens dans le cadre d'un débat d'éducation civique ou autre. Là comme ça, j'ai pas d'idée précise mais il faudrait prendre le temps d'y réfléchir. Dans mon collège, Garulfo est assez peu lue et empruntée _sauf par les élèves qui ont déjà dévoré toutes les autres_ peut-être parce que le mélange poésie-termes anciens-langue moderne leur parle peu, peut-être pas. Je ne saurais dire pourquoi, au juste. Il se trouve que notre public est assez peu attiré par les univers médiévaux, de manière générale.  

Ayroles, Alain ; Maïorana, Bruno. Garulfo 1. De mares en châteaux. Delcourt, 1995. Coll. Terres de Légendes. 48 p. ISBN 2-84055-045-8

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*en Ancien Français : personne naïve à tendance neuneu.   
  



samedi 14 septembre 2013

Sélection de contes pour les élèves de 6° : 14 contes de Russie - Robert Giraud (1999)

Sélection, sélection... C'est vite dit ! 

Disons que les classes de 6° du collège où je bosse sont toutes en pleine étude de contes de fées, et que par conséquent nous nous devons de mettre à leur disposition de quoi compléter leur connaissances ! Pour ce faire, il faudrait déjà que je sache quels ouvrages constituent le rayon dédié... Alors c'est parti pour une session lecture de contes, accompagnée d'un compte rendu critique et d'une présentation destinée aux enfants.  

Comme ils lisent tous déjà Charles Perrault en classe, et qu'ils vont en bouffer jusqu'au BAC, la mise en perspective psychanalytique en prime _ parce que, pour ceux qui ne le savaient pas encore, le loup ne rôde dans la forêt que pour baiser le Petit Chaperon Rouge, autant leur proposer d'autres univers.

Aujourd'hui, sortez les moufles et tondez vite le Père Castor pour vous faire un bonnet car nous partons en Russie !


Comme vous pouvez le voir, la photo vient le blusch.fr !


14 contes de Russie - Robert Giraud 



Nous voici plongés dans un monde où les animaux sauvent le monde : les brochets magiciens savent se montrer reconnaissants pour ceux qui ne les extirpent pas des eaux glacées, où le renard est aussi fourbe que partout ailleurs, où la vache devient protectrice de l'orpheline. Mais les poupées ne sont pas en reste, et les pommes magiques pèsent leur poids dans la vie des hommes. Face à tant de féérie, l'homme paraît bien futile, tout fils de tsar soit-il ; si bien que dans les 14 contes de Russie, on se passe d'autant plus de morale que tout ne finit pas toujours bien !

Dites-le moi si je me trompe, mais les histoires populaires russes sont rarement arrivées jusqu'à nous lorsque nous étions enfants. Sans doute est-ce pour cette raison que mon choix s'est d'abord porté sur des recueils de contes de tous horizons, dont celui-ci, adapté par Robert Giraud en direction des jeunes lecteurs. Chacune des 14 photos de paysages sibériens qu'il nous expose ici sont précédées d'un petit paragraphe explicatif afin que nos lacunes face à la culture russe ne freinent pas notre lecture : ainsi, on ne s'étonnera pas de la récurrence du prénom Ivan au fil des textes, des noms de peuples plus exotiques les uns que les autres, de certains traits de caractère de la sorcière-ogresse Baba Yaga et du fait que les papys dorment systématiquement sur le poêle. Personnellement, j'ai apprécié certaines précisions, moi qui étais partie à la cool dans ma lecture, mise en confiance par une poignée d'ouvrages de Dostoïevski.

Le recueil se divise en trois parties très inégales : 9 "contes du peuple russe", 2 "contes des peuples d'avant" _ ancêtres des Russes, 2 "contes des peuples d'à côté _populations de Sibérie, du Caucase. Si le premier grand chapitre a pour décor l'univers des tsars, des princesses et des guerriers, les deux autres mettent à l'honneur des héros tout droit sortis de la plèbe.    

Le résumé pour les gosses (vous allez voir, j'aime bien les prendre pour des neuneus) :

Tous les pays, toutes les cultures ont leurs contes. Lorsque vous lirez les 14 contes de Russie, vous saurez comment on vivait, là bas, autrefois. N’hésitez pas à venir les découvrir car on ne vous a sans doute jamais raconté les histoires qui sont écrites dans ce livre! Pourtant, elles sont amusantes, effrayantes, pleines de magie, elles aussi, surtout lorsqu’elles se déroulent dans la forêt ou dans les déserts enneigés. Ce sera l’occasion pour vous de savoir ce dont la sorcière Baba Yaga est capable, d’entendre parler des animaux, et de voir ce qui arrive aux gens qui pensent que rien n’est plus important que l’argent !   



Bon, j'en ai encore quelques uns à lire, alors j'y retourne ! Si vous avez des suggestions... 

GIRAUD, Robert. 14 contes de Russie. Flammarion. Coll. "Castor Poche". 1999. 160 p. ISBN : 2-08-164406-1



mardi 14 mai 2013

Jane, une poule bien dans ses plumes




On n'arrivait pas à la prendre en photo, alors on l'a filmée ! 

Grâce à M2P, nous avons pu immortaliser un instant de communion avec Jane, une petite Cou-nu du Forez coupée de Bantam de Pékin. Si cette poulette se montre ici très sociable, c'est parce qu'elle a été en contact avec des humains dès son plus jeune âge, littéralement : elle a brisé sa coquille d'oeuf sur notre radiateur, et elle est restée parmi nous jusqu'à ce qu'elle soit entièrement couverte de plumes.

Notre grande crainte était que, n'ayant jamais été en contact avec des animaux de son espèce, elle se sente perdue et décalée en arrivant au poulailler. Mais Jane (à ne pas confondre avec Jeaaaaanne) s'est fort bien acclimatée ; toujours aussi peu impressionnée par nos grandes mains, elle s'est constitué un petit cercle d'amis. Sa faculté d'adaptation est exceptionnelle : un poulet élevé à l'écart du groupe reste souvent un solitaire une fois réinséré dans son milieu naturel, à moins de devenir un tortionnaire ou une victime pour ses semblables.

    

dimanche 31 mars 2013

A défaut d'oeufs...



Joyeuses Pâques à tous ! 

jeudi 14 mars 2013

mardi 25 décembre 2012

Premier Noël pour King Kraby et Fifitness


Avec l'aide de mon cher M2P, nous avons pu immortaliser les fêtes de Noël, cette année.


La chambre de King Kraby : un espace aménagé dans un placard, histoire de passer des nuits tranquilles.


Fifitness, le calme avant la tempête



Mickey, un habitué 

jeudi 23 août 2012

Les trois poulets rôtis




Les trois poulets rôtis


Tout est bien qui finit bien ! On enterre aujourd'hui deux lambeaux de viande qui hier encore étaient des chevaliers. Je n'ai pas pour habitude de tirer un plaisir quelconque de la mort d'un homme, l'autre en haut me pardonnera. Du moins je l'espère, car leur trépas m'a donné une raison d'applaudir la justice du Diable.
Ils étaient encore bien vivants, ces braves combattants, l'autre soir, lorsqu'ils ont mis les pieds dans notre chaumière. Ah ça, je peux vous l'assurer.

La soirée s'annonçait calme, pourtant. Ma soeur finissait de forger une cotte de mailles pour son coquelet favori, tandis que je m'efforçais de faire entrer une poulette égarée dans l'antre de ses congénères déjà endormies. Une fois qu'elle aurait bien voulu se laisser dompter, tout notre avoir et notre bonheur serait là, réuni dans le vaste poulailler d'intérieur, dressé entre les murs où nos aïeux étaient nés. Ces poules, aussi chères à nos yeux que nous l'étions pour notre mère, occupaient la moitié de l'habitacle. Seule une cloison de bottes de paille séparait leur vie de la nôtre. Par beau temps, nous les laissions aller à leur gré au dehors, mais nous prenions soin de toutes les ramener au bercail à la tombée de la nuit. D'ailleurs, beaucoup nous devançaient et regagnaient d'elles-même leur perchoir.

Chacune avait son nom, beaucoup étaient habillées comme des dames et comme des courtisans _ il faut dire que le temps que je passais aux champs laissait à ma soeur assez de piécettes pour s'équiper d'un peu de tissu et de fer, et assez de temps pour la confection de ces apparats. Mais je m'égare.

Ce soir-là, ma soeur s'était montrée d'humeur courroucée à mon égard, car elle me pensait un peu trop laxiste sur le couvre feu des poules.

« Dépêche-toi, par pitié ! Quand tu auras ramené Pourpre Poitrail auprès de ses amies, attrape-moi donc le Beau Sire, que je lui enfile sa vêture de guerrier ! Puisqu'il supporte déjà très bien sa coiffe-de-crête métallique, et que je l'ai pris à se mirer dans l'abreuvoir tout à l'heure, j'ai bien envie de l'équiper dès ce soir de ses plus beaux atours !

Sur ces mots, auxquels je n'avais pas répondu, la porte s'était ouverte et deux hommes de forte stature étaient entrés.

« _ Petite paysanne, donne-nous des oeufs et deux ou trois de tes galinettes. Nous avons fait un long voyage et n'avons point dîné.

Ils ne m'avaient pas vu, et devant le visage catastrophé de ma soeur, j'intervins, laissant Damoiselle Pourpre Poitrail à son escapade nocturne. Je me campai devant l'homme qui avait formulé la demande.

_ Mes seigneurs, je comprends fort bien l'initiative que votre panse vous souffle à l'esprit ; mais voyez par vous-même : nos galines ne sont pas mangeables. Sans quoi elles ne vivraient pas parmi nous et ne picoreraient pas leur grain toutes habillées.

Désarçonnés par les raisons de notre refus, les chevaliers se regardèrent, ne sachant que répondre. Il y eût un silence gêné. Mais ils retrouvèrent vite l'aplomb et la fierté propre à leur rang, préférant croire à une plaisanterie. Le second Chevalier perdait patience.

_ Cessez de vous payer notre tête, petits semeurs abandonnés. Vos têtes, vos murs et vos bêtes appartiennent tous au seigneur de ce pays, et, par extension, ils sont aussi à nous, ses chevaliers. Alors, n'essayez pas de nous endormir avec vos histoires d'animaux costumés et de sensibleries mal placées. Donnez nous deux belles gélines, ainsi que des oeufs ; et le coq aussi.

Nous ne voulions pas céder des animaux, mais les deux hommes s'avançaient vers l'objet de leur visite, guidés par les gloussements des volailles. Dans le poulailler, des grognements de bêtes féroces étouffèrent leurs jurons.

_ Votre chien voudrait-il bien trancher le pain et dresser la table ? Railla l'un des deux.
_ Nous n'avons pas de chien. Sur ma vie, vous n'accèderez pas à l'antre des poulettes ! Vous êtes déjà fort gras, si bien qu'un mois de jeûne ne vous ferait que le plus grand bien.

_ Fieffée garce ! Je crois bien que ton nez de fouine va goûter de mon lard.
De sa main gantée, il lui asséna un terrible coup de poing, et elle tomba toute flasque contre le sol, le nez saignant, la conscience évaporée aux quatre coins de dans l'atmosphère chaleureuse de la chaumière.

Les grognements se turent pour faire place à un rugissement de bête agacée.

L'autre empoigna mes cheveux d'une main, mon oreille de l'autre et rapprocha ma figure de ses lèvres.

_ Maintenant, fais taire ton chien et sors-le d'ici ; j'ai pas envie de me faire bouffer par un pouilleux enragé.

On n'avait pas de bête autre que nos poules, et je n'avais aucun doute là-dessus ; or, j'étais tout comme eux persuadé qu'un fauve était tapi dans le poulailler ! D'autant plus que les gélines étaient coites comme on peut l'être au beau milieu d'une nuit calme. Voilà qui était étrange. Mais bon, sous la menace des deux colosses métalliques, je me gardai bien d'en faire la remarque !

J'entrai dans la deuxième pièce de notre maisonnette _ l'antre des volailles, donc. Les poules s'étaient éveillées et piétinaient sur le perchoir, aux aguets, trébuchant les unes sur les autres. Cependant, elles étaient silencieuses. Le Beau Sire trônait au milieu d'elles, et son couvre-crête tout juste forgé luisait dans le rayon étoilé qui traversait le chaume.

Ni chien, ni lion, ni licorne aucune dans l'antre nocturne des poules, où seule la lune semblait pouvoir s'introduire. Les chevaliers s'adressèrent un regard entendu et haussèrent les épaules : tout cela n'était guère compréhensible, mais après tout, qu'importe ? La faim les tiraillait, il était grand temps de se servir. Le premier saisit Pourpre Poitrail et sa voisine Cendrille, tandis que le second prenait notre fier coq dans les bras, et en avait déjà plein le dos. L'obscurité rendant leurs yeux à peu près inutiles, les bêtes n'opposèrent aucune résistance. Ils partirent aussi vite qu'ils étaient arrivés et nous laissèrent là, blessés et attristés.





Que devinrent nos poulets après leur enlèvement ? Nous le savons bien, et le moins inventif des jouvenceaux pourrait le deviner aisément. Par quel chemin arrivèrent-ils à l'issue de leur destinée ? Nous n'en avons qu'une vague idée, formée grâce au langues vivaces des paysans, des commerçants de la cour, d'un petit écuyer, et des derniers compagnons de table des ravisseurs affamés.

Les chevaliers rapportèrent leur butin au château, où le cuisinier s'étonna fort du gibier qu'on venait lui confier :

« _ Pourquoi avoir tué des poulets d'un honnête paysan, puisqu'on en sert quasiment tous les jours à la table du seigneur et de son entourage le plus proche ? »

Certes, on était en droit de s'attendre à des viandes plus exotiques de la part de chevaliers revenus de la chasse ou d'un long périple ! Ils s'en justifièrent sans ambages et sans craindre le ridicule. La faim, la légitime faim d'un voyageur privé de bien des douceurs, les avait poussé à quémander un peu de viande sur les terres de son suzerain. Mais, après le vol, les choses s'étaient compliquées de façon inattendue ; les deux hommes s'étaient d'abord battus sur la manière de sacrifier les animaux, l'un souhaitant les saigner afin de recueillir le sang pour en faire une sauce, et l'autre préférant les égorger. Ils avaient finalement saigné les bêtes, mais un autre problème s'était posé : ils ne savaient absolument pas griller une poule et n'arrivaient pas à maintenir un feu assez vif pour cuire de la viande. Enfin, le fait que les poules portent une robe et le coq un couvre-crête en métal ne pouvait que donner une drôle d'impression, quoi qu'on en dise.

Le cuisinier emporta les volailles en hochant la tête.

« _C'est pourtant pas bien compliqué. »

Il les déshabilla, les pluma avant de les vider et de les faire rôtir sur des broches. Pauvres bêtes, il paraît qu'elles furent à leur goût, bien grasses et savoureuses.


OOO

Ce dîner idéal n'autorisa certainement pas leur mauvaise conscience à troubler leur sommeil. Cependant, il était dit que cette nuit-là, ils n'en verraient jamais la fin. Dans la chambre que partageaient les deux compagnons, le calme plat allait sous peu laisser exploser une violente tempête. Une paire de petits pas légers parcouraient le plancher, à la recherche des dormeurs alités, avant de se surélever dans un souffle d'air et de se poser sur le ventre chaudement couvert du plus imposant des deux chevaliers.

« Mais quelle bête du démon se permet-elle de marcher sur ma panse ? Hurla le guerrier. Il se redressa et jeta sa courtepointe au bas du lit. Leur chute provoqua l'envol de quelques plumes de poule arrivées on ne sait trop comment jusqu'à leur litière. Il regarda autour de lui et s'aperçut que la sensation chatouilleuse d'un oiseau sautillant sur la peau avait disparu. Encore un mauvais rêve causé par un repas trop copieux, sans doute. Il se recoucha, sur l'autre côté, la face contre le mur, et se rendormit.

L'écuyer d'abord alarmé en fit de même. Un nuage n'avait pas encore voilé le clair de lune que la désagréable impression qu'un passereau voyageait sur sa couenne l'avait retrouvé. Les griffes n'étaient plus aussi finement chatouilleuses, mais appartenaient à une patte calleuse et robuste qui lui labourait les chairs.

_ Descends de là, oiseau de mauvais augure ! Si seulement je pouvais te voir, et pas seulement sentir l'effet de tes salles patins de bestiole ensorcelée !

Il n'obtint en réponse un rugissement venu de nulle part _ lui aussi ! Qui n'eût pour intérêt que de le surprendre et de réveiller pour de bon son voisin de chambre et le petit écuyer.

_ Mais qu'as-tu, à geindre dans ton sommeil ! J'aimerais me reposer en toute quiétude !

Par chance, l'écuyer, plus lucide, s'était déjà jeté sur son maître dans l'espoir vain de mettre à distance la volaille invisible.

_ Délivre-moi de ce charognard, bougre d'âne, histoire qu'il comprenne que je suis encore bien vivant !

_ Messire, je ne peux qu'éponger vos plaies pour l'instant ! Je ne sais de quel animal vous parlez, car je ne le vois point. Ah ça ! Vingt torches n'y changeraient rien ! Sauf votre respect, je n'y croirais même pas si je ne voyais pas votre chemise se déchirer par endroits, se couvrir de sang et de chair comme par magie.
Le jeune homme s'efforçait pourtant d'agiter ses mains au dessus du ventre de son maître, comme pour chasser un volatile sautillant. Il suivait à la trace le chemin formé par les écorchures. Ajoutées les unes aux autres, elles formaient à présent une blessure vive et profonde.

_ Aide-moi, toi aussi ! Hurlait le chevalier tétanisé par la douleur et la panique de vivre une agression purement inexplicable. Bientôt, ses cris agacés devinrent des gémissements pleins de souffrance vite remplacés par les râles de l'agonir. Ses mouvements se limitaient à détourner le regard vers son double un peu moins gras. Mais ce dernier ne pouvait ni agir, ni répondre, car il était également mal en point.

Ses quatre membres gisaient à l'écart de son tronc, par le fait d'une franche découpe. Alors que l'écuyer allait de l'un à l'autre, épongeant le sang et freinant les hémorragies avec des mouchoirs et des lambeaux de chemise, une ouverture se fit à la base de sa gorge, créant une nouvelle fontaine rouge sombre. Comme si la mutilation n'était pas complète, son torse fut divisé en deux parties en fonction d'un axe vertical partant de l'abdomen pour s'éteindre au niveau de la poitrine. Quelqu'un, quelque chose l'avait tranché tout vivant comme un gibier prêt à cuire.

Le jeune survivant demeura quelques secondes hébété, perdu à mi-chemin des deux corps morcelés que la vie avait abandonnés. Il prit alors conscience d'une odeur bestiale, mêlée de sang humain et de plumage. Dans cette chambre voguait une âcre senteur de poulailler habité. Lui, qui dans son application à venir en aide aux hommes en difficulté avait perdu la notion de ses propres sens, retrouvait peu à peu la perception des bruits, des mouvements et des cris d'animaux qui avaient ponctué le carnage. Au fur et à mesure que la vie quittait les corps, cette agitation sonore, d'autant plus effrayante qu'elle ne formait l'écho d'aucune enveloppe charnelle, perdit de l'intensité et finit par disparaître en le laissant seul avec ses morts.

Ce petit écuyer que nous connaissions bien dans notre campagne, il fut heureusement épargné par les volailles fantomatiques. Longtemps, il avait craint, sans vraiment prendre le temps d'y penser, que le sort s'acharnerait sur lui une fois que ses deux supérieurs auraient été réduits en bouillie. Mais il n'en fut rien ; après quelques heures de réflexion, en dépit de l'épuisement et du choc de ce qu'il avait vu et indirectement subi, il choisit de créer un lien entre le vol des poulets et ces trépas surnaturels. Il en déduisit aisément que, n'ayant pas pris part au repas des poulets habillés et habités d'une conscience, il n'avait aucune raison de faire l'objet de leur vengeance. D'aucuns tentent de l'accuser du double meurtre des chevaliers, car ils ne croient pas à la diabolique cause de leur mort. Mais il tiendra bon, car il en a bien trop vu pour se laisser déstabiliser par de simples mortels. Peut-on seulement songer à de telles scènes avant de tuer deux hommes ? Sans doute pas. S'il ment, tant pis pour lui ; il mourra dans une souffrance bien moindre que celle de ses maîtres, et aura assez de répartie pour défendre sa place au paradis.

OOO

Ca y est, la cérémonie est terminée. Nous l'avons suivie de loin, non par compassion pour l'âme des défunts, mais pour faire notre deuil de cette mésaventure. Comme si nous avions besoin d'être sûrs et certains de l'enfermement définitif de ces deux corps de brutes. Des gamins endimanchés parcourent le rang d'oignons que forment la noble ascendance familiale des chevaliers voraces, et crient au fantôme. Ils disent avoir entendu des cris de bête aux alentours des stèles et tentent de convaincre quelques damoiseaux de la véracité de leurs dires, sous leurs regards amusés.

_ J'ai entendu un chien aboyer dans le cimetière, et un coq chanter.

_ Non, c'était un chat sauvage !

_ Certainement pas.

_ Oh, je jurerais que c'en était un, pourtant. Mais une chose est sûre, un coq a chanté.

Il va de soi que les mystères sont destinés à le rester pour toujours ; aussi ma soeur, l'écuyer, les villageois et moi-même ne saurons jamais rien du fin mot de l'histoire. On ne peut que supposer l'éclosion de phénomènes indépendants du bon sens de la nature et de la volonté de Dieu : Beau Sire était-il hanté par une bête féroce, ou avait-il le pouvoir d'en appeler une à son secours ? Les âmes de ses dames ont elle cédé à la tentation de faire connaître aux corps des deux chevaliers des souffrances pareilles aux leurs ? Personne ne peut l'assurer, mais personne ne se risque à avancer d'autres théories...

« Et l'écuyer ? Me direz vous, n'a-t-il pas cédé à la folie de tuer ses maîtres et de se cacher derrière une histoire de sorcellerie farfelue ? » Oh, à vrai dire, je ne le pense pas. Il n'aurait trouvé aucun intérêt à agir ainsi, même sur un coup de tête. Aucune arme humaine n'a été utilisée pour aucun des deux meurtres, et sa description est tellement précise qu'on n'en peut douter. Depuis, il erre à moitié fou à travers le village, contant son histoire partout et passant ses nuits à veiller. S'il est un jour jugé coupable et condamné à mort, son exécution ne pourra être qu'une délivrance de son âme ; pour l'heure, il convient d'avoir pitié de lui, au lieu de l'accuser.

Lorsque ma soeur a contemplé, la nuit dernière, et ce matin encore, les trois tristes espaces vides sur le perchoir déserté par nos chers martyrs, elle s'est consolée en espérant que leurs fantômes prennent le temps d'errer encore un peu parmi nous, afin de venger leurs frères.