lundi 21 décembre 2015

Ca se passe dans le 93 : Les chemins de Yélimané - Bertrand Solet (1995)


Puisqu'on s'est quittés sur un livre à couverture jaune, continuons sur notre lancée avec Les chemins de Yélimané, un roman fantastique pour enfants et adolescents écrit par Bertrand Solet.





Vacances au bled 
Yaté ne connaît pas grand chose du Mali ; pour lui, qui vit en Seine-Saint-Denis avec sa famille, son pays d'origine est avant tout un lieu de vacances. Il est très content d'y aller pendant l'été, au même titre qu'il est fier de ses parents qui ont su migrer en France quelques années plus tôt pour assurer la survie de Yélimané, sa région natale. Or l'histoire de ses ancêtres ne le passionne pas spécialement ; à vrai dire, ce qui perturbe le collégien de Montreuil ces derniers temps, c'est l'attitude surprenante de sa copine Carole. Alors qu'ils étaient jusqu'à présent inséparables, on dirait maintenant qu'elle cherche à l'éviter... et malheureusement, la sale impression se confirme vite. Après une rapide entrevue, Yaté comprend vaguement que la froideur soudaine de la jeune fille a un rapport avec sa couleur de peau et son statut d'immigré, mais... il n'en saura pas plus, car l'heure du départ annuel pour le Mali est proche ! Pris dans l'effervescence du voyage, il garde sa rancoeur et sa jalousie bien tapie dans un coin de sa tête : pas le temps de se morfondre et d'en vouloir à Michel, ce copain de classe _blanc, lui, comme par hasard ! qui tourne autour de Carole.

Bon, le soleil est là mais le coeur n'y est pas, même si le petit Malien s'en défend. Une nuit, Yaté est réveillé par un coup de tonnerre ; foutu pour foutu, il se lève et va faire un tour, et assiste, très impressionné, au foudroiement du vieux baobab. De l'arbre sacré sortent bientôt un couple de griots malicieux, Sita et le Guésséré, venus tout droit du passé pour lui faire connaître ses origines. Le vacancier n'aura pas le loisir de se demander s'il rêve ou pas, s'il veut savoir ou pas : le voilà téléporté "un peu après l'an 1000", au temps où l'empire du Wagadou prospérait...


L'histoire du Mali revisitée
Pour quelqu'un qui, comme moi, ne sais quasiment rien du continent africain, ce roman classé "à partir de 10 ans" est une excellente introduction à l'histoire du Mali. L'action se déploie sur trois strates temporelles : d'abord aux alentours des années 2000, "présent" du héros, puis au XI°siècle, temps de l'empire du Ghana, et enfin à la fin du XIX°siècle, pendant la conquête française.

Le lieu, par contre, reste le même : le "cercle" (comprendre : le groupement de villages) de Yélimané ; Yaté n'en admirera que mieux les transformations du paysage au cours des siècles, les villages devenant tour à tour champs de bataille, puis lieux de vie et de passage. Deux incursions spatio-temporelles _dont l'une, très mouvementée, au Monoprix de Montreuil feront exception à la règle.

Les temps changent, les empires s'effondrent, les pays naissent, les colons débarquent, et, par conséquent, les mouches changent d'âne. Yaté, confortablement installé sur son dromadaire, protégé par son statut de "neveu de l'Empereur de Wagadou" dans la première partie de ses aventures fantastiques, va devoir apprendre à se cacher de ses ennemis politiques, une fois catapulté en 1890.. Il accumulera assez d'émotions pour avoir l'histoire de son pays fichée à vie dans ses tripes !  

Bertrand Solet a eu la bonne idée de clore l'ouvrage par un chapitre récapitulant brièvement _et très clairement_ l'histoire du Mali, depuis l'époque faste de l'Empire du Ghana jusqu'aux flux migratoires du XX°siècle.


Quête d'identité, quête de la fille parfaite
Balancé contre sa volonté dans un passé qu'il n'a pas très envie de connaître, Yaté ne sait pas ce qui est attendu de lui ; a priori, le griot tient absolument à susciter son intérêt pour ses racines, mais ses paroles sont trop énigmatiques pour qu'il puisse en déduire quoi que ce soit. Alors il se laisse porter et suite le mouvement, jusqu'à ce qu'il rencontre LE catalyseur universel, le meilleur qui puisse exister : LA fille, celle pour qui on ferait tout. Ici, elle s'appelle Yasminha. Elle est esclave et se fait rudoyer par un chamelier plus grand et plus fort que Yaté. Mais comme chacun sait, la taille n'est rien, du moins lui n'en a rien à battre : alors il se fera son protecteur, il la sauvera de tout. De son statut de servante sans valeur ; du vice de son tortionnaire ; de la mort, même. Tel Lancelot montant dans la charrette de l'infamie pour Guenièvre, Yaté ira jusqu'à commettre un vol pour sauver sa nouvelle bien aimée. Carole ? Qui c'est, ça ?

Du coup, la mission qu'il se donne le pousse à prendre le contrôle de ses actes et de sa vie ; il ne se contente plus de suivre le convoi du marchand Moktar à dos de chameau en matant la jeune esclave. Il réfléchit, agit, apprend à demander de l'aide, et à ne plus se poser de questions. Voilà, me semble-t-il, la vraie quête d'identité du héros, plus encore que l'apprentissage de ses origines _qu'il aurait le droit de ne pas vouloir connaître, après tout.

Les chemins de Yélimané est une histoire qui m'a d'abord perturbée, de ce point de vue-là. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait à tout prix que Yaté vive le Mali de l'intérieur, ait absolument envie de se revendiquer soninke et soit le partisan de la réunification de ses semblables, aujourd'hui "tous dispersés" selon le griot. Quant à la fille couleur locale qui parvient à lui faire oublier sa pâlotte (dans tous les sens du terme) amourette du 93... c'était le bouquet ! Ce n'est qu'à la fin du roman que j'ai compris le propos de l'auteur : mettre le doigt sur une possible coopération active entre des communes françaises et des cercles africains pour favoriser la communication entre les populations, les échanges culturels, et sensibiliser tout le monde aux vraies raison de l'immigration d'une famille. Il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire en lisant de travers, de pousser le jeune lecteur à prendre un aller simple pour le pays de ses ancêtres !

Comme toute oeuvre fantastique qui se respecte, on n'aura pas toutes les réponses aux questions que Yaté se pose lors de son voyage dans les couloirs du temps ; le vieux baobab restera le seul à connaître le fin mot de l'histoire. Les chemins de Yélimané vaut le détour, vraiment. S'il s'adresse aux 10 - 14 ans en priorité, dites vous bien qu'il ne fera pas rêver que les plus jeunes...

désolée, ça faisait longtemps que j'avais pas fait une blague à la con.

SOLET, Bertrand. Les chemins de Yélimané. Hachette Jeunesse, 2004. Coll. Fantastique. 190 p. ISBN 2-01-322218-1
 

dimanche 20 décembre 2015

Intermittent de la life - Romain Noël (2015)


Rose-Marie, la CPE, et moi-même avons lancé un "Club Journal de l'Orientation" ouvert aux élèves demi-pensionnaires tous les vendredis entre 12h40 et 13h20. Le concept ? Les élèves du club créent de A à Z un journal d'information axé sur les métiers, les filières générales et professionnelles après la 3°, les systèmes scolaires, afin de sensibiliser les autres collégiens à la notion de projet professionnel et à la nécessité de se tenir au courant des contenus des formations pour faire des choix judicieux. 
Rose-Marie et moi... bah, rendons à Rose-Marie ce qui est à Rose-Marie, à la base, c'est son idée, pas la mienne hein !! Depuis, nous avons quatre élèves, deux 5èmes et deux 6èmes. Rigolez si vous voulez, ils ne sont pas nombreux mais ils sont bien là ! Du moins pour l'instant, hum.  

Le soir où nous avons travaillé sur la fiche-projet, j'ai reçu Intermittent de la life, de Romain Noël, suite à ma participation à l'opération Masse Critique spéciale BD de Babelio. Profitons-en pour remercier au passage les éditions Sol y Lune _qui m'ont aussi fait cadeau d'une mini sacoche au poil pour ranger mon Barcode Battler, de deux pins et d'une carte personnalisée, la classe ! ainsi que l'équipe de Babelio, sans qui rien n'aurait été possible !


Barcode Battler... Mes parents avaient douillé pour ça ! 

Bref, ça m'a fait rire de découvrir cet album dans lequel Romain Noël met en scène ses anciennes galères de graphiste intermittent du spectacle, car l'une de nos journalistes en herbe se proposait de faire un article sur le métier de mangaka _secteur porteur à souhait, n'est-il pas ? Si je le lui prêtais, pour voir ? En parcourant les premières pages, je me suis dit qu'il valait peut-être mieux la laisser rêver encore quelques temps, en fait...


  

La vie, c'est pas Bakuman ! 

Par le passé, nous avions évoqué le très intéressant tome 1 de Bakuman, de Takeshi Obata, où l'on avait vu deux lycéens aux caractères très différents se découvrir une passion commune pour le manga : l'un savait dessiner, l'autre avait des idées, leur collaboration allait nécessairement aboutir au succès malgré les embûches... Eh bien, si le shonen propose comme Intermittent de la life une réflexion sur le métier d'artiste, la ressemblance s'arrête là !


A travers une douzaine de sketchs généralement dépliés sur trois ou quatre planches, voire moins, Romain le diplômé d'une école d'infographie nous raconte avec humour sa vie pas toujours simple d'artiste "intermittent du spectacle". Son entrée dans l'univers de la pub, ce terrain de jeu où il va pouvoir déballer tous ses talents ? Une pure succession de baffes ! Les patrons deviennent littéralement des bourreaux _ voir ("I had a dream"), des feignasses qui abusent de leur statut ("Le monde impitoyable de la pub"), des psychopathes par qui on est bien contents de ne pas avoir été recruté, finalement ("Entretien"). Malgré les heures sup non payées, le manque de respect des chefs, et même si la métaphore de la prison est filée sur tout l'album comme une pizza trois fromages pour évoquer le lieu de travail, Romain, son gros crâne et ses lunettes de super-héros gardent la foi : "je kiffe mon taf, je kiffe mon taf", se répète sans cesse le personnage, gouttes de sueur à l'appui.


A la maison 

Enfin, toute cette torture, c'est quand la vie est belle et que le boulot tape à la porte ; donc, pas toujours. Le reste du temps, Romain est à la maison tandis que madame est au boulot _ et a priori, elle a un "vrai boulot", elle, avec des horaires et tout. Du coup les codes de la société patriarcale s'inversent et l'auteur traite superbement la situation dans le strip "Un jour comme un autre", où le graphiste lave, range et cuisine en attendant le retour de sa copine... qui voudra baiser sans tenir compte de son mal de tête et s'endormira juste après. A réinvestir immanquablement en situation pédagogique _ bon, pour les 6ème - 5ème, on pourra faire abstraction des vignettes où ils sont représentés au pieu, encore que.


Fallait oser ! 

Pour être franche, je ne suis pas hyper fan du dessin de Romain Noël, c'est ainsi. Par contre, j'ai une grande admiration pour cet artiste qui balance pas mal de vérités dures à entendre sur un univers professionnel qu'on imagine souvent édulcoré, où le non-dit et l'hypocrisie font clairement partie du jeu. Les métaphores dessinées sont aussi bien trouvées : les clients ont des têtes de pingouins, les équipes de publicitaires sont des moutons, le bureau du graphiste est une cellule de prison visitée par un bourreau,.. Le tout en gardant le sourire, s'il vous plait  _même c'est un sourire jaune cocu ; en effet, comment survivre à cette drôle de life, sinon en rigolant et en entretenant son âme d'enfant... fan de skate et de Goldorak ? Cet album petit format tout beau et tout plein de vignettes colorées se mange comme un Ferrero Rocher _bah quoi, c'est la saison ! Bravo !





NOEL, Romain. Intermittent de la life. Sol y lune, 2015. 50 p. ISBN 978-2-9542840-2-6


tous les livres sur Babelio.com
 

On s'y remet... tranquillement...


Vous allez encore me dire que je me lamente pour pas grand chose, mais je suis convaincue qu'on ne devrait jamais passer un jour sans écrire lorsqu'on en a pris l'habitude _et que ça nous plaît. Il suffit de quelques semaines d'interruption pour que le cerveau se noue, s'encrasse, et qu'on n'en puisse plus rien en tirer. 

et ça fait tellement mal !

Ajoutez à cela la peine et le choc des attentats qui m'ont sortie brutalement de mon univers enfantin en me faisant réaliser que, tandis que des innocents tombaient sous les balles, je faisais joujou avec ma palette graphique, inutile, insignifiante, dessinant des poules comme quand j'avais dix ans...

"il faut que les gens crèvent en masse à quelques bornes de chez toi pour que tu comprennes que tu es en train de regarder ta vie passer..." 

... une poignée de frustrations professionnelles...

"Ah, ces gosses ! Est-ce qu'au moins je leur sers à quelque chose ? Pas sûr"

... une impasse sentimentale qui traîne depuis quelques mois à présent et dont je n'arrive pas à m'extraire... de laquelle est née une rivalité tacite avec un pote que j'apprécie et contre qui je n'ai absolument pas envie de me "battre". 

"Pff, problème de riches ! Souviens-toi de l'époque où ton père était à l'hosto, entre la vie et la mort ! Pense à ceux qui sont partis et qui ne reviendront plus. Pense à la grand-mère. Pense au pari que tu as perdu, toi qui disais que vous fêteriez ensemble ton 20ème anniversaire, et à elle qui te soutenait que non, malheureusement... Elle a été fine joueuse, comme toujours. Il s'en est fallu de trois semaines pour que ce soit toi qui gagne. Oh, pour cette fois elle n'aurait pas été mauvaise perdante, c'est certain. Quant à toi, tu te rejoues le film de ta victoire presque tous les jours... Pense à Benoît, ce copain de lycée qui t'agaçait un peu parfois, mais qui ne méritait certainement pas de mourir à 28 ans. Pense à ceux qui n'ont pas de toit, pas de boulot, qui sont rejetés par tous, qui craignent pour leur vie. Pense à ce que tu étais il y a trois-quatre ans : une âme en perdition, noyée sous les mollards des petits bourges bordelais, obligée de fermer ta gueule pour préserver tes 600 boules par mois.




 N'oublie pas qu'il y a vingt ans, tu n'étais pas capable de courir sans risquer de t'étouffer. Ta mère pleurait souvent, ta soeur vivait l'enfer dans l'indifférence générale, si bien que justice n'a jamais été rendue, depuis. Mesure ta chance de ne pas vivre, comme elle, en victime d'un crime impuni. Ne perds pas ton temps avec une fille qui, grisée par la flatterie, va tout faire pour entretenir ta flamme. Comme les autres. Tout le monde aime plaire et se sentir irrésistible _même toi, c'est humain et tu ne peux pas lui en vouloir."

... bref, vous l'aurez compris, il est temps de s'y remettre et de pondre du constructif ; enfin de pondre, déjà, ce sera pas mal... 

Pas la peine de "graver" les mots "dans la roche" pour qu'ils prennent leur sens ; un texte en béton armé, ça suffira bien. 




mercredi 25 novembre 2015

Poulets morpions...


vendredi 13 novembre 2015

Journée de la gentillesse...


Vos merdes font-elles d'aussi jolies fleurs ?? 


La fierté tue dans l'oeuf ce qu'on pourrait vivre. 
Autant s'en débarrasser : à présent tout va trop vite, tout peut arriver n'importe quand.
On n'a plus de temps de tourner autour du pot !


samedi 7 novembre 2015

Pyralie, Corentin et Moignon

Mon petit Moignon est resté dans son coin pendant trop longtemps ! Le revoilà en compagnie de son meilleur pote Corentin et de la grande soeur de ce dernier : Pyralie alias la folle (on verra pourquoi plus tard. Enfin j'espère !)!  


vendredi 30 octobre 2015

Quelques fictions pour aborder le harcèlement scolaire au collège ...


Le 5 novembre prochain sera une journée nationale de lutte contre le harcèlement à l'école. C'est l'occasion de mettre à l'honneur quelques livres et BD qui nous permettent de poser des mots sur ce problème présent dans tous les établissements scolaires. 




Une sonate pour Rudy - Claire Gratias (2007)


Par le biais d'un échange entre professeurs documentalistes lu en diagonale sur une liste de diffusion que j'ai découvert l'existence de ce roman publié en... 2007, mine de rien ! Je regrette un peu d'être passée à côté pendant tant d'années mais comme on dit : mieux vaut tard que jamais ! Alors parlons-en !

Nicolas est nouveau au collège ; c'en est fini de la classe musique à horaires aménagés qu'il avait réussi à intégrer dans son ancien établissement. Il a serré bien au chaud sa chère flûte traversière. A quoi bon ? Puisqu'il a du renoncer à ses rêves pour suivre sa famille dans leur nouvelle vie, puisque de toute façon personne ne tient compte de ce qu'il veut, lui, autant tirer un trait sur le passé. Nico n'est pas un garçon contrariant, et il compte bien finir son année de troisième sans faire de vagues pour décrocher son brevet. Heureusement qu'il a Rudy, son petit confident, la prunelle de ses yeux ; grâce à lui, il parvient à se montrer zen et responsable en toutes circonstances.


Dans ce bahut aux airs de prison, le flûtiste résigné fait la rencontre de Sam et surtout de la belle Marie : le coup de foudre est immédiat. Or la petite frappe locale qui terrorise profs et élèves s'en rend compte et voit rouge : Marie est à lui, et ce n'est pas ce gringalet sorti de nulle part avec ses vieilles fringues qui va la lui piquer ! Désormais, Nicolas sera la nouvelle cible du dénommé Dylan. Oh, au début ce sont de petites blagues qui ne méritent que d'être ignorées : un stylo qui disparaît, des remarques assassines lancées pendant les cours, des bousculades _faites exprès ? ou pas ? le doute est encore permis... Le temps passe... Nicolas fait une démonstration de flûte en cours de musique, sa popularité monte crescendo, l'intérêt que Marie lui porte aussi, et la pression que lui colle Dylan suit le mouvement, également... Seule la patience de la victime diminue petit à petit. Tout le monde sait, tout le monde voit, mais personne n'ose parler. Personne ne veut s'en mêler. Ni Dylan, ni Nicolas ne lâcheront le morceau sans se battre. Le drame sera inévitable.    


Une sonate pour Rudy est écrit sous la forme d'un journal tenu par Nicolas après "le drame", justement. Aussi voit-on parfaitement ce qui se passe dans la tête d'un élève harcelé : le doute d'abord (Est-ce qu'il m'en veut ? Est-ce que je suis parano ?) puis la culpabilité : si j'avais de plus beaux vêtements, si je n'avais pas dit que je savais jouer de la flûte traversière, si je n'avais pas regardé Marie, il m'aurait sûrement laissé tranquille. Je ne vais pas rajouter des problèmes à mes parents, ils en ont déjà assez ; et je ne veux pas que mes amis aient des ennuis à cause de moi. A coup sûr, l'histoire de Nicolas parlera à beaucoup d'élèves ; les codes de langage des collégiens sont efficacement retranscrits _sans trop en faire, l'écriture est légère et accessible ; l'auteure a su mettre en place une atmosphère de mystère et du suspense autour d'une chute qu'on devine tragique. Avec à la clé un effet de surprise que je me garderai bien de spoiler, pour une fois !


J'ajouterai seulement qu'en tant que documentaliste _et ancienne AE, la lecture d'Une sonate pour Rudy m'a surtout fait flipper : que se passe-t-il dans mon dos, que je ne vois pas, quels sont ces micro-événements dont je ne mesure peut-être pas la gravité lorsque je reprends les élèves sur telle ou telle remarque ? Comment distinguer un chouineur _si si, vous savez, ce chieur qui cherche tout le monde et qui, étonné de se faire remballer, vient  chialer sa mère dans vos frusques. Oui oui, ça existe aussi _ d'un cas de harcèlement ? Comment intervenir quand les harceleurs sont des élèves qui ressemblent à des anges ? Les collègues ont tellement de mal à y croire que vous venez à douter vous-même.. Eh oui, tels les porcs chasseurs d'enfants, certains élèves-bourreaux prennent soin de "bien s'entourer" et de se placer au-delà de tout soupçon pour s'assurer une confortable liberté d'action.


Un roman cousin de Je mourrai pas gibier ! de Guillaume Guéraud, en plus soft mais non moins représentatif de la réalité. C'est mon coup de coeur (frippé, parce que huit ans après la sortie du livre, quand même !) de la rentrée et il forme un parfait enchaînement avec celui de l'été : Brainless, de Jérôme Noirez.  



La cicatrice - Bruce Lowery (1960) 

Pas facile d'avoir treize ans et de s'intégrer dans sa nouvelle école lorsqu'on a un bec de lièvre et qu'on ne roule pas sur l'or. Jeff en fait la douloureuse expérience ; un jour, un garçon de sa classe décide de prendre sa défense.
Article version longue


Brainless - Jérôme Noirez (2015) 
Brainless, (re)parlons-en ! 
A partir de maintenant je vais vous faire du réchauffé car tous les livres que je vais citer ont déjà fait l'objet d'un billet ici-même. Cet article est donc de la grosse arnaque.


Vermillion, une petite ville du Dakota. Jason est tellement bête que ses copains le surnomment Brainless, "le sans-cerveau". Aussi, quand il meurt accidentellement pendant l'été et ressuscite à l'état de zombie, après avoir perdu au passage pas mal de facultés mentales, personne ne voit la différence. Pourtant, il y en a une : Jason doit s'injecter quotidiennement du formol pour ne pas pourrir. Parviendra-t-il à cacher aux autres élèves son drôle d'état ?    

Article version longue


Des Fleurs pour Algernon - Daniel Keyes (1966)

Charlie Gordon fait partie de ceux qu'on appelait à l'époque "les arriérés mentaux". Il travaille dans une boulangerie où on l'a embauché plus par charité que pour ses compétences et les autres employés se paient sa tête à longueur de journée. Le jeune homme n'a pas pleinement conscience des moqueries qu'il subit et interprète les petites violences quotidiennes de ses collègues comme des marques d'amitié. Un jour, il est choisi comme cobaye par des médecins qui ont mis au point une opération capable d'augmenter le Q.I d'un être vivant ; ça a marché sur la souris Algernon. Ca marche sur Charlie. Très bien. Trop bien ?


Article version longue



Une Sonate pour Rudy, des Fleurs pour Algernon...
C'est quoi le prochain ?
Un Kebab pour ta Soeur ?
Non.


Mongol - Karin Serres (2003) 

Ludovic est un peu simplet ; il n'en faut pas plus à ses camarade de classes pour le traiter de mongol et pour le molester du matin au soir. Face aux agressions, le petit neuneu va réagir de façon tellement incongrue que les autres enfants vont s'en trouver tout désarçonnés : un beau pied de nez aux harceleurs !

Ce roman destiné aux élèves de CM peut largement être évoqué en 6° et après.



Article version longue 


L'étoile d'Indigo - Hilary Mac Kay (2004) 



Article en version longue


Cette micro-bibliographie est très loin d'être exhaustive ; n'hésitez pas à m'en proposer d'autres, ça aidera mes gosses !!!

Carrie - Stephen King




Paru en français en 1976, le premier roman du roi de l'horreur n'a pas pris beaucoup de rides. Même s'il est un peu violent pour le collège, il me semble accessible et intéressant pour des élèves de 3ème. 

Il est question de Carrie, 16 ans, qui vit l'enfer à la maison et au lycée : sa mère est très religieuse et la tient à l'écart du monde ; ses camarades de classent la harcèlent. En secret, elle s'entraîne à maîtriser son don de télékinésie, que pour l'instant elle ne contrôle pas, mais qui s'est déjà révélé ravageur; 

Le bal de fin d'année approche à grands pas... 


Camélia - Face à la meute - Cazenove  ; Bloz ; Nora Fraisse (2021) 


Camélia entre en seconde à l'internat ; pour elle, pas de grande nouveauté puisque c'est une cité scolaire où elle a déjà passé ses années de collège. Elle retrouve sa meilleure amie, devient copine avec le beau gosse de la classe ; tout pourrait bien se passer, mais Valentine et sa bande ont décidé de lui mener la vie dure. Elles vont progressivement y parvenir, poussant Camélia dans ses derniers retranchements, l'isolant toujours plus. Entre les amis qui se tiennent pas le choc et ses parents à qui elle ne peut rien dire, la lycéenne n'est pas loin de sombrer.  

Une BD réussie, assez réaliste mais teintée d'un message d'espoir, qui montre que le harcèlement peut tomber sur tout le monde. Quelques événements malencontreux, une rencontre néfaste, et nous voilà au fond du trou.

Une lecture très adaptée au collège, même si l'histoire met en scène une classe de seconde. 

L'album se clôture sur un fascicule documentaire plutôt bien fichu. 

mercredi 28 octobre 2015

Larme de rasoir - Spéciale Couvertures Déprimantes : le Redoublant - Claire Mazard, Rester vivante - Catherine Leblanc, Iqbal. Un enfant contre l'esclavage - Francesco D'Adamo


L'année dernière, nous nous étions beaucoup amusées, ma collègue de français et moi, à lire les quatrièmes de couverture des ouvrages exposés au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse à Montreuil : entre les héros orphelins ou défigurés lors d'un accident, les histoires d'amour entre ados gravement malades, les journaux de jeunes dépressifs essayant de se remettre d'un viol et de la discrimination raciale qu'ils vivent au quotidien, les amitiés naissantes entre enfants battus et animaux maltraités, nous avions remarqué que les petits lecteurs avaient un choix de folie en terme d'histoires réalistes.



Tous ces reflets des malheurs du monde nous ont déprimées, alors nous avons choisi d'en rire _nerveusement, certes. C'était un peu trop. Aussi bête que cela puisse paraître, on a senti qu'il fallait qu'on se protège et qu'on puisse apprécier les oeuvres tout en fixant une espèce de périmètre de sécurité. L'existence de la catégorie "Larme de rasoir" de ce blog rejoint cette idée de "protection" face à la gravité de ces récits que je respecte si je ne les aime, et que je ne cesse de mettre en valeur auprès des élèves.


Si la quatrième de couverture nous propose parfois du cafard en barre, l'illustration de la première de couverture peut aussi donner envie d'aller se terrer huit jours au fond de son lit. Voici quelques exemples.


Encore une fois, ne prenez pas ce billet comme un manque de respect envers les auteurs et les illustrateurs ; et n'hésitez pas à laisser un commentaire si vous considérez que je vais trop loin. 


1) Le redoublant - Claire Mazard




Sylvestre n'a pas de chance ; en plus d'être redoublant, c'est aussi un enfant battu. Aussi, pendant la récréation, il préfère s'isoler et observer de loin les jeux des autres marmots. Romain aimerait bien en savoir plus sur ce garçon taciturne et mystérieux : pourquoi pas s'en faire un pote ? Alors, en toute logique, il se met à le harceler quotidiennement. Après un échange de bons mots et de coups (ah bon, c'est pas comme ça que ça marche ?!), des excuses vite fait et un exposé en binôme savamment bidouillé par une prof clairvoyante, leur amitié prend forme, contre toute attente. Sylvestre s'ouvre sur la nature des blessures qui couvrent son corps et qu'il badigeonne de mercurochrome pour une plus grande discrétion : son beau-père le cogne régulièrement. Ne sachant sur qui briser le sceau du secret, Romain commence à déprimer et prend conscience que certains adultes sont capables de taper sur des enfants au point de les envoyer à l'hosto.

A présent, remarquez la parfaite adéquation entre l'ambiance du roman et l'illustration de la couverture : au premier plan apparaît un garçon légèrement roux, adossé à un arbre comme à un poteau d'exécution. Il a visiblement l'arcade pétée, et à force de raser le mur de l'école, son pull a pris une couleur similaire. Derrière lui, on devine les ombres de ceux qui lui font face et qui se foutent de lui ouvertement. Alors, on fait quoi ? On ouvre le bouquin ou on va directement accrocher la corde ? Tout sourire et propres sur eux, les deux autres personnages principaux essaient de nous persuader que non, tout n'est pas encore perdu : "regardez : nous, ça va !"


2) Rester vivante - Catherine Leblanc.

Ah, Actes Sud Junior et ses couvertures dignes des interludes d'Arte...

Bim bam boum ! 

Est-ce qu'elle joue à cache-cache ? Est-ce qu'elle pleure ? Est-ce qu'elle pleure en jouant à cache-cache parce que, comme par hasard c'est toujours elle qui compte ? Est-ce qu'elle s'est québlo comme une conne entre les deux cloisons en essayant de se taper la tête contre le mur ? Quelqu'un pour mettre un peu de déco dans cet espace passé à la chaux, aussi triste que les couloirs d'un bahut neuf ?

Dans tous les cas, elle ne respire pas plus la joie de vivre que Josepha, l'héroïne de Rester vivante. Jo, seize ans, est au bord de la dépression : rien ne la motive plus, si ce n'est l'envie de décrocher son bac pour pouvoir s'affranchir de son gros dégueulasse de père qui mate des pornos devant elle dès onze heures du matin. Evidemment, elle se trouve moche et plate _dans tous les sens du terme, et désespère de se faire tringler par un mec dans un avenir proche ou lointain ; à vrai dire, c'est peut-être l'idée de mourir avec son hymen tout fripé par la vieillesse qui la déprime et la ronge le plus. Malgré le souvenir marquant de son atterrissage raté dans une soirée échangiste organisée par ses parents lorsqu'elle était petite, la lycéenne a la dalle comme jamais.

Spoiler : finalement elle baise, et ça lui plait bien.

Même si c'est avec un mec qu'elle ne verra plus jamais.
D'ailleurs tant mieux, puisque rien ne lui importait plus que d'en finir avec cette virginité qu'elle avait l'impression de porter sur sa gueule ; un peu comme les jeunes personnages de Loveless, ce yaoi dans lequel les puceaux arborent de belles oreilles de chats, histoire de bien se taper l'affiche.

"Salut, on cherche l'homme qui murmure à l'oreille des puceaux !"
Comment ça, je raconte la fin de l'histoire ? Pas du tout : y a pas d'histoire !

Non, soyons sérieux deux minutes.

Catherine Leblanc est psy pour enfants et pour ados, et on le perçoit bien dans sa manière de décrire avec beaucoup de justesse le dialogue intérieur de Josepha, une lycéenne lambda perdue dans ses angoisses : très souvent, ces petites connasses lui susurrent de rester cloîtrée dans sa chambre, mais le dégoût que ses parents lui inspirent finit toujours par avoir le dernier mot. Alors, son repli, c'est la rue, et parfois son unique amie Laurence, une fille posée et pas contrariante pour deux sous. Un jour, une copine de classe l'invite à une soirée, où une surprise l'attend !

Bonjour ! 

Ce roman est l'occasion de comprendre à quel point peut être compliqué le quotidien des jeunes qui n'ont pas encore trouvé de sens à sa vie et qui redoutent plus que tout le regard des autres ; en cela, il présente un fort intérêt pour les jeunes lecteurs et pour les professionnels de l'enfance. On ne peut pas lui enlever ce mérite. Par contre, on regrettera que certains personnages soient esquissés plus que décrits, alors qu'ils auraient pu être approfondis ; on pense à la belle et populaire Amina, qui s'éteint instantanément en présence de ses grands frères intégristes et/ou grincheux, ou à la gentille Laurence qui gère son entourage sans que personne ne se soucie jamais d'elle.

A mon avis, Rester vivante s'adresse plus à des lycéens qu'à des collégiens, car l'ouvrage laisse une grande part au non-dit, à l'implicite et sollicite l'interprétation du lecteur. Aussi, les jeunes qui le liraient sans accompagnement pourraient bien racler le bitume et se manger trente mètres de premier degré en comprenant que baiser est la solution à tous les problèmes, et que cet acte sacré est ce qui permet de "rester vivant". Je ne prends pas les enfants pour des cons, loin de là, mais lorsque l'héroïne broie du noir depuis des lustres, va à une soirée à reculons, rencontre un beau mec expérimenté qui lui apprend comment on allume la machine, et que bam ! le lendemain le moral est revenu... on est tenté de faire un lien direct.


3) Iqbal. Un enfant contre l'esclavage - Francesco D'Adamo

Quel collégien des années 1990-2000 n'a pas été marqué par le parcours extraordinaire et la fin tragique d'Iqbal, le petit Pakistanais qui se battait pour la reconnaissance des droits des enfants dans son pays ? Vingt ans après sa mort, la fascination et le respect des élèves pour le jeune rebelle ne faiblit pas : un gosse qui a le cran de se dresser contre les adultes, ça impressionne toujours, et ça nous montre que c'est possible ! Bon attention, hein, n'oublions pas qu'il agissait pour la bonne cause, lui !

Lorsque Iqbal est acheté par l'effrayant Hussein pour travailler dans la fabrique de tapis avec les autres enfants esclaves, la petite Fatima et ses copains d'infortune s'affairent sans relâche devant le métier à tisser depuis trois ans déjà. Ils perçoivent aussitôt dans le regard du nouvel arrivant une lueur insaisissable qu'ils croyaient avoir oubliée depuis bien longtemps : l'espoir. Pourtant, quand l'enfant tente d'instiller en eux des idées d'évasion et de rébellion, ils le prennent pour un fou et lui déconseillent de faire des vagues... Il faut dire que le garçon leur balance en pleine face des vérités qu'ils ne voulaient plus entendre : eux qui croyaient ferme qu'ils redeviendraient libres lorsqu'ils auraient comblé la dette de leurs parents savent maintenant que cette histoire de remboursement est complètement bidon et ne sert qu'à les faire taire. Beaucoup choisissent de tourner le dos à ce rabat-joie qui a l'air de vouloir les peiner à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Seule Fatima choisit de croire en sa bonne foi ; elle devient sa confidente. Or un événement va les amener à comprendre qu'eux aussi ont droit à une vie bien à eux, à un avenir, et qu'il ne tient qu'à eux d'en prendre possession. Le tout est de s'unir pour être plus forts...

Si Francesco d'Adamo a écrit ce roman pour enfants librement inspiré de la courte vie d'Iqbal, c'est en partie pour perpétuer sa mémoire ; et aussi langue de pute que je puisse l'être, je dois bien reconnaître qu'il l'a fait de charmante manière. Simple, accessible et agréable à lire, Iqbal. Un enfant contre l'esclavage est à mettre entre toutes les mains et à citer à chaque fois qu'on parle des droits des enfants avec des jeunes. N'oublions pas qu'il s'agit d'une histoire vraie.



On ne s'attendait pas à voir des gamins se fendre la gueule sur la couverture d'un livre qui parle de l'esclavage des enfants, on est bien d'accord. Il n'empêche que le garçon dessiné sur la couverture _vraisemblablement Iqbal, même s'il ne lui ressemble pas énormément ; le vrai avait notamment des oreilles en feuille de chou _ donne l'impression qu'en plus d'avoir un coquard et d'être très fatigué, il a aussi une gastro et s'apprête à vomir sur le tapis qu'il est en train de tisser. Sauvez donc cet enfant pris au piège de sa pièce de tissu démesurément grande, pas loin de tomber dans le puits de sang formé par la figure dessinée sous ses pieds, assommé par le titre, menacé par les lecteurs qui le surplombent et vers qui il jette un regard implorant !

On se moque, on se moque, mais les illustrations d'Anne Buguet sont magiques.


A vous de voter pour le Prozac d'Or de cette sélection Larme de Rasoir Spéciale Couvertures Déprimantes ! 


(Laissez un commentaire indiquant votre choix)

1) Le Redoublant. Claire Mazard. 1997, Nathan. Coll. Pleine Lune. ISBN 9782092821107
     Illustrateur : Romain Slocombe

2) Rester vivante. Catherine Leblanc. 2010, Actes Sud Junior. Coll. Roman Ado. 112 p. ISBN 9782742791170 
Conception graphique : Christelle Grossin et Guillaume Berga.

3) Iqbal. Un enfant contre l'esclavage. Francesco D'Adamo. Trad. Emanuelle Genevois. 2002, Hachette Jeunesse. Coll. Histoires de vies. 193 p. ISBN 2013220200
Illustrateur : Anne Buguet 




jeudi 22 octobre 2015

Une doctoresse aux Alpes et autres textes - Louise Grouès alias Héra Mirtel.


Sans les Editions Autanes et l'opération Masse Critique de Babelio, je n'aurais peut-être jamais entendu parler de Louise Grouès, écrivaine et militante pour les droits des femmes, (peut-être) plus connue sous le pseudonyme de Héra Mirtel. Pourtant, la bête est à l'initiative d'une poignée de romans et d'une foule d'articles publiés dans des revues au tout début du XXè siècle. 

Edité en 2015, Une doctoresse aux Alpes et autres textes comporte un roman suivi de plusieurs extraits d'articles et de conférences visant à pointer le cheval de bataille de l'auteure : l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux carrières professionnelles. A travers l'histoire fictive, Héra Mirtel dresse un état des lieux assez consternant en montrant les difficultés d'intégration d'une doctoresse dans une communauté où même les femmes _et surtout les femmes, d'ailleurs ! auraient préféré voir un homme occuper la délicate fonction de médecin.
 



Une doctoresse aux Alpes (1907)

La situation de départ est on ne peut plus actuelle : un petit village perdu dans un recoin des Alpes peine à recruter un médecin, car personne ne veut s'aventurer dans une zone aussi enclavée. On se résout donc à y affecter l'héroïne du roman, désireuse de pouvoir exercer son métier, où que ce soit : après tout, une doctoresse c'est moins bien qu'un docteur mais c'est mieux que rien. Elle se heurte d'entrée à l'hostilité des femmes, avant même d'avoir pu faire ses preuves ; on devine rapidement que non, ça ne va pas rouler comme la charrette de Docteur Quinn.

Lorsque la doctoresse (ce terme me rappelle mon arrière-grand-mère, qui l'employait souvent, non sans un certain mépris, pour parler de la remplaçante de son médecin... Pourtant, elle avait bel et bien un nom ! "Ah, pauvre, je ne guéris pas vite cette fois-ci... Mais c'est parce que c'était la doctoresse, aussi. Mais c'est bon, je rappellerai le Dr. B. quand il rentrera de vacances...". Et là ça se passe en Dordogne dans les années 90, hein ! et croyez moi, elle n'était pas la seule à tenir ce genre de propos) Lorsque la doctoresse, donc, a enfin l'opportunité de sauver de la mort un jeune berger, se défiant de sa grand-mère qui ne veut d'abord pas qu'elle y touche, elle pense fermer le bec à toutes les commères qui la regardent en dessous. Pourtant non, bien au contraire ! Parce que l'une d'elles l'a aperçue ausculter le jeune homme, forcément à moitié à poil, on lui prête les pires rumeurs. Prouver qu'elle peut faire "aussi bien" qu'un médecin ne suffira plus, il faudra aussi qu'elle arrive à convaincre qu'elle n'est pas venue là pour se taper les garçons du village. Sous la pression, elle sera bien tentée de démissionner, mais des âmes bienveillantes lui rappelleront que sa vocation doit être la plus forte.  

Une doctoresse aux Alpes est un petit roman sobre mais édifiant, pas aussi vieillot qu'on pourrait l'attendre d'un texte écrit au tout début du XXème siècle. Il gagnerait à être connu plus largement car malheureusement, les dialogues et les petits événements qui ponctuent le quotidien de ce village de montage sont encore parlants. De nos jours, on peut le lire comme un rappel de ce qui a évolué pour les femmes dans le domaine professionnel depuis, comme un constat de ce qui n'a pas vraiment changé, et ce qui nous pend au nez si on s'assoit sur nos acquis. Une régression est toujours possible ; le chantier en cours dans l'Education Nationale visant à orienter "aussi" les filles vers les métiers scientifiques en les poussant à croire elles-même en leurs capacités, en témoigne : ce qui devrait être une évidence depuis longtemps ne l'est pas du tout.

Cherchez des images de la série Dr Quinn : jamais vous ne la voyez en exercice ! Elle est toujours dans les bras de son mec et/ou en famille. Bizarre non ? Maintenant faites la même avec le Dr Knock... 


Les "autres textes" sont des chroniques parues dans les journaux dont on n'a pas su perpétuer l'esprit, vu la difficulté que j'ai eu à trouver des informations sur L'Entente, Le Semeur, et le texte d'une conférence tenue dans le cadre du Congrès national des droits civils et du suffrage des femmes qui s'est tenu à Paris en juin 1908. J'ai peut-être juste aucune culture féministe, mais je m'inquiète en me disant que ceux qui n'en ont pas plus que moi sont encore coincés dans leur ignorance à l'ère d'Internet. Dans une écriture accessible, simple et efficace, Héra Mirtel présente ses idées et ses propositions pour améliorer la condition des femmes dans le monde du travail. D'une part, elle souligne que, d'un point de vue légal, pratiquement aucune carrière n'est formellement interdite aux femmes. Si ce sont les hommes qui occupent les fonctions de cadres, les places les mieux loties et les mieux reconnues, c'est parce que les femmes sont sous-estimées depuis leur naissance. A tel point qu'elles-même se sous-estiment, s'auto-excluent naturellement et vont même jusqu'à contester l'attitude de celles qui se rebellent contre l'ordre établi _ comme c'est le cas dans Une doctoresse aux Alpes. Louise Grouès condamne vivement l'apathie de ses consoeurs et prône le modèle des "Américaines" qui, d'après elle, ont nettement moins froid aux yeux. Déjà, au XXème siècle, des femmes dirigent des chantiers, encadrent des équipes : oui ça existe, mais c'est tellement peu médiatisé que dans les petits villages, on n'arrive pas à y croire. D'autre part, elle propose des solutions pour casser les représentations et résoudre ce problème de manque d'initiative et de confiance des femmes : entre autres, l'éducation et l'information. Bizarre, c'est exactement ce qu'on essaie de faire à l'école aujourd'hui.

Merci, donc, aux Editions Les Autanes et à Babelio pour l'envoi de cet ouvrage plus qu'instructif. A Luce Van Torre pour son travail d'édition. A Héra Mirtel pour sa véhémence et la clarté de ses idées ; pour la peine, on lui pardonne d'avoir assassiné son mari.

Une doctoresse aux Alpes et autres textes. Louise Grouès / Héra Mirtel. Ed. Luce Van Torre. Les Autanes, 2015. Coll. "Ecritures de femmes". 188 p. ISBN : 979-10-90272-13-2



mercredi 30 septembre 2015

Soyons sérieux : créer sa carte Google Maps personnalisée, tutoriel pour les élèves de 3° en recherche de stage.


Décidément, ce blog devient trop sérieux !

Comme vous le savez _ou pas, tous les élèves de 3° ou de 4° selon les endroits doivent obligatoirement effectuer un stage en entreprise d'une durée d'une semaine. Il s'agit d'un stage d'observation au cours duquel le jeune doit prendre des notes sur tout ce qui lui paraît significatif pour décrire le fonctionnement de la structure de son choix. Si l'immersion dans un milieu autre que scolaire est souvent une découverte de taille pour la majeure partie des élèves, le temps de la recherche du lieu sacré et du patron qui signera cette putain de convention qui est un vrai motif de harcèlement de la part de leur prof principal depuis septembre ! est une étape à laquelle ils ne sont pas préparés. 

C'est pourquoi, avec des collègues, nous avons mis en place des outils méthodologiques, dont celui-ci : 

Tutoriel Google Maps




Ce tutoriel a pour but de guider les élèves dans la création d'une carte personnalisée sur laquelle ils vont repérer toutes les entreprises, structures, associations et autres commerces où ils comptent postuler. Ils pourront ainsi s'organiser dans leur démarchage en regroupant les lieux proches les uns des autres, et en ajoutant des annotations propres à chaque endroit : rendez-vous pris avec l'employeur, lettre de motivation déposée ou non... 

Au préalable, la classe a travaillé sur la méthode de la lettre de motivation et a recherché les adresses exactes des entreprises sur le site des Pages Jaunes.

Si j'ai travaillé sur le tutoriel, cette très bonne idée n'est pas la mienne ! 



    




samedi 26 septembre 2015

Soyons sérieux : le classement des documents au CDI...

Un petit guide light pour expliquer la CDD et l'organisation du CDI aux 6° ; ça vaut ce que ça vaut, mais dans l'ensemble ils ont compris le principe. Après tout, c'est ce qui compte ! 


Si tu es perdu, suis le toucan !

jeudi 27 août 2015

Soyons sérieux ! Mettre en place un Learning Centre ; enjeux et problématiques (2011)

Parce qu'un malheur n'arrive jamais seul...
Soyons sérieux, encore une fois...


... Et parlons Learning Centre, en nous appuyant sur un rapport d'études paru en 2011. Il s'inscrit dans le cycle de réflexions nées du partenariat entre la Caisse des Dépôts* et les Présidents d'Universités ; ces travaux sont centrés sur le développement de l'"université numérique". Mettre en place un Learning Centre ; enjeux et problématiques reflète la tendance des établissements supérieurs à faire évoluer leurs bibliothèques vers un Learning Centre**.

Le but de ce guide est d'amener les présidents d'université à s'interroger sur la nécessité de mettre en place un Learning Centre, et de leur faire connaître les enjeux et les problématiques que cela soulève une fois qu'il se sont décidés à en faire pousser un. Notons-le bien : cet écrit propose des pistes de réflexion visant à anticiper au mieux l'aboutissement d'un tel projet, et non pas des informations pratiques. On ne se lance pas dans une telle aventure sans se poser quelques questions... Pour illustrer le flot d'idées exposées ici, les auteurs (qui relèvent de la Caisse des Dépôts) se sont appuyés sur des établissements précurseurs en la matière : les universités de Kingston, Lille 3, Poitiers, Avans, Glasgow, Lausanne, Londres... Leurs exemples sont des réussites, mais les erreurs de certains gagnent à être analysées pour ne pas être reproduites dans de futurs projets.


Dans une première partie intitulée "Un outil stratégique au service de l'établissement", on nous explique que chaque Learning Centre est différent car il est le reflet de la fac ou de l'école dans laquelle il est construit. C'est pourquoi sa place est stratégique pour les étudiants et pour les dirigeants au niveau pédagogique, social, numérique... Les chefs d'établissement ont tout intérêt à se l'approprier, car il donne une certaine image de l'établissement qu'ils gèrent ; il s'adresse à tous les services, et devient un lieu où il est possible de faire se rencontrer des personnels et usagers qui ne se croiseraient pas habituellement. Plus que la bibliothèque universitaire, le Learning Centre est LE lieu de cohésion et de travail pluridisciplinaire.

Bien que tout le monde soit concerné par ses modalités de fonctionnement, seule une équipe, composée d'un représentant des différents départements de la fac doit piloter le projet de construction et le déploiement.

Il y aurait donc autant de Learning Centres que de facs ; pourtant, quelques caractéristiques sont communes à tous :
- l'offre de service large et intégrée
- la volonté de proposer un lieu fonctionnel et convivial
- l'organisation efficace des ressources permettant une progression dans l'apprentissage.

Communiquer autour du Learning Centre est primordial, il doit être connu en interne comme en externe.


Que doit-on pouvoir trouver dans un Learning Centre, et qui est censé l'utilisée ? C'est ce qu'on essaie de savoir dans la deuxième partie du guide : "Un savant équilibre entre services et équipements". Propose-t-on la même chose à tous les usagers ? Comment agence-t-on le lieu physique et les services à distance pour répondre aux attentes ?  Dans un premier temps, il vaut mieux partir des besoins des usagers, qui sont essentiellement des étudiants. Souvent, ils recherchent un lieu à la fois calme et convivial pour travailler et échanger, et sont demandeurs d'outils méthodologiques. Mais les professeurs et les chercheurs doivent aussi y trouver leur compte, en déposant et récupérant des supports de cours, en ayant le matériel et les ressources nécessaires pour mener leurs recherches, en restant au courant des innovations pédagogiques, en ayant accès à des espaces dédiés (salles de conférence, de rendez-vous..). Enfin, le Learning Centre s'adresse aussi aux personnels, qui peuvent avoir des besoins de formation, à l'environnement économique et social local, et au grand public.

Une fois que ces besoins sont définis, les Learning Centres proposent généralement une offre orientée étudiants et profs articulée avec d'autres services qui pourront varier d'une fac à une autre (cafétéria, permanence du CROUS, espace orientation, librairies, banques..). Encore faut-il avoir un équipement de qualité qui permette tout cela. Même s'il ne faut pas oublier de mettre en place des services à distance, le lieu physique est primordial ; son implantation sur le campus et son agencement doivent faire l'objet d'une vraie réflexion. Il sera de préférence situé au centre de la fac, à un endroit où les étudiants passent beaucoup, mais pas forcément : si le LC sait se rendre indispensable par son offre, les étudiants se bougeront sans problème pour y aller. Attention ! Ce lieu convivial qui propose de nombreuses ressources peut vite être surchargé, faute d'avoir mal estimé le taux de fréquentation. Dans ce guide, il est conseillé d'anticiper l'amplitude horaire, de favoriser l'accessibilité, d'organiser les lieux en zones d'ambiance, de tenir compte du design en prenant garde qu'il ne nuise pas à l'accessibilité, de privilégier l'éco-conception... Evidemment, les installations informatiques, avec ou sans fil, doivent être pensées de manière à satisfaire quantitativement et qualitativement les usagers.




"Un modèle d'organisation privilégiant la flexibilité et la réactivité" 
On essaie ici de proposer un modèle d'organisation du Learning Centre, à supposer que ce soit possible.
Tout d'abord, il paraît judicieux d'organiser la coordination des différents pôles Sachant qu'il abrite au moins forcément le SCD et le département des TIC, et d'autres services en fonction des établissements, la question est de savoir comment faire collaborer efficacement les différentes entités : faut-il aller vers une conservation de l'autonomie de chacun, avec une claire séparation des services ? faut-il privilégier un fonctionnement selon un projet commun aux différents pôles, voire les faire fusionner ? Tout est possible en fonction du profil de l'établissement, des projets lancés, des objectifs à atteindre.

Alors comment savoir quel mode de fonctionnement sera le meilleur, sachant qu'on peut se tromper, et que pour cette raison, il faut se laisser une marge de rectification ? En se posant quelques questions incontournables : à qui le Learning Centre doit-il être rattaché, en fonction des "spécialités" qu'il propose ? Faut-il opter pour une gestion centralisée ou partagée ? Quels sont les objectifs fixés par chaque département concerné ?

L'accueil des publics s'organise, et plus seulement par les bibliothécaires, qui peuvent se consacrer à d'autres tâches. Au delà de l'accueil, on se partage le travail : chacun se voit attribuer des taches en fonction des services, afin de répondre aux besoins des usagers (méthodologie, mise à disposition des supports...). L'utilisation d'un organigramme précis (établissement d'une direction, d'adjoints, d'équipes...) semble difficilement contournable.

On en arrive justement au "rôle clé des personnels". L'évaluation des besoins en personnels nécessite une bonne connaissance du métier de bibliothécaire et de son évolution : aujourd'hui, le professionnel de la documentation et des bibliothèques effectue moins de prêt, se situe plus dans l'aide à l'usager, travaille en collaboration avec les équipes pédagogiques, élargit ses compétences aux TIC). De nouveaux métiers apparaissent, tels que "l'information specialist", qui lie la documentation et la pédagogie), ou les personnels "pros" de l'accueil et de la régulation des flux... Une fois qu'on sait ce qu'on a et ce qui manque par rapport à ce dont on a besoin, on peut se réunir pour définir le recrutement et parler des questions pratiques (quel nombre de postes demander et attribuer, combien d'heures de travail, quel salaire?).


La formation des personnels documentalistes et des "moins spécialistes" de l'information communication doit être mise en place, de façon à ce que tous puissent travailler ensemble et connaître les compétences des uns et des autres ; les métiers changent, et les carrières des uns et des autres doivent elles aussi pouvoir évoluer. Nécessité d'enseigner la base des fonctions de doc aux personnels des autres services.

"Une mise en place complexe"
Le projet de lancement d'un Learning Centre prend du temps : en moyenne trois ans. Cerner les coûts, établir des budgets distincts prend du temps. Pour prévoir au mieux et réserver un budget d'investissement et de fonctionnement, il faut pouvoir estimer le plus finement possible ce que coûte chaque secteur : équipement TIC, personnels, bâtiment... La démarche conseillée est de définir des grandes lignes de dépenses en fonction des secteurs, et d'affiner progressivement jusqu'à trouver un équilibre optimal. Des exemples de budgets alloués à différents Learning Centre nous sont donnés afin qu'on puisse avoir des repères.

Le financement de la construction des locaux demande une attention particulière : l'université doit-elle la prendre en charge et opter pour une maîtrise totale de la construction ? ou, compte tenu de la LRU, tenter de monter un contrat de partenariat pour se décharger en partie des frais ? Dans le deuxième cas, il faudra s'attacher à garder le contrôle des travaux de manière à obtenir le résultat souhaité. L'établissement reste le mieux placé pour savoir ce qui lui correspond. Pourtant, un contrat de partenariat est intéressant car il ouvre entre autres droit aux subventions publiques. Le financement de l'équipement numérique demande une réflexion particulière : il évolue vite, doit être renouvelé souvent et a un statut primordial dans le Learning Centre. Entre ressources propres, appui des collectivités et mécénat, le projet peut être financé de différentes manières.


Ce guide réalisé permettre aux chefs d'établissements de réfléchir en amont de la mise en place d'un Learning Centre réussit à s'adresser à tous les chefs d'établissements supérieurs prêts à se lancer dans l'aventure, malgré le caractère unique de chaque contexte, de chaque université. Il n'y a pas deux "Centres d'apprentissage" semblables, mais tous ont un certain nombre de points communs et doivent faire l'objet d'une réflexion : c'est un passage obligé (quels locaux, qui est impliqué, quel personnel embaucher, comment organiser le financement de la construction...).

____________

*Caisse des Dépôts et des Consignations :  institution financière publique qui effectue des missions d'intérêt général en investissant entre autres dans la construction de logements sociaux, dans le financement des PME, des universités..."Banquier du service public de la Justice et de la Sécurité Sociale", elle s'associe aux collectivités locales pour le développement du territoire.

** Learning Centre : littéralement, "Centre d'Apprentissage", le Learning Centre est, dans une fac, une structure unique qui regroupe des services et des ressources multiples autour de la culture, des TIC et de la pédagogie. C'est une sorte de bibliothèque augmentée qui met un point d'honneur à ce que l'usager _souvent un étudiant, un prof ou un chercheur, s'y sente bien et le reconnaisse comme un lieu de vie convivial et pratique autant que comme un espace de recherche et d'apprentissage.


Mettre en place un Learning Centre ; enjeux et problématiques. Caisse des Dépôts. Conférence des Présidents d'Université. 2011. 162 p. 


mercredi 19 août 2015

Tout ne s'explique pas... Route 225 - Chiya Fujino (2003) ; Mon chien est raciste - Audren, Clément Oubrerie (2015)

Entre deux tomes des Aventuriers de la mer et trois épisodes de Xéna la guerrière (oui oui, dans quelques jours, vous comprendrez pourquoi...), faisons une parenthèse romans jeunesse avec deux électrons libres tout aussi surprenants l'un que l'autre : Route 225 de Chiya Fujino, trouvé au Quai des livres à Bordeaux en même temps que Adieu la chair, il y a fort longtemps donc... et Mon chien est raciste d'Audren, découvert à Périgueux le même jour que Brainless. Les deux étaient des "seconds choix" dans mes craquages livresques, les deux ne m'ont pas déçue... même s'ils peuvent être tous deux assez déconcertants, à leur manière !  

Route 225 - Chiya Fujino (2003) 


Eriko a quatorze ans, des copines aussi frivoles qu'elle, des parents lourds, un petit frère de treize ans pré-pubère et immature (vivement qu'il ait des poils et qu'il arrête de pleurnicher !) ; en trois mots, une vie ordinaire de collégienne au Japon. Un soir, Daigo le petit frère ne rentre pas de l'école. Eriko ne s'inquiète pas outre-mesure, mais elle part tout de même à sa recherche pour éviter que leur mère ne se ronge trop les sangs. Elle avait bien raison : il n'y avait pas de quoi s'en faire ! Après avoir traversé la route nationale qui passe près de chez eux _la fameuse Route 225_, elle le trouve en train de rêvasser sur une balançoire du parc pour enfants. Tout va bien ! Mais au moment de rentrer à la maison, ils ne parviennent plus à retrouver leur chemin dans ce quartier qu'ils connaissent pourtant par coeur : tout a changé : les rues, les commerces, les personnes...
Quelle est cette ville inconnue ? Comment sont-ils arrivés là ? 
Quelques heures plus tard, ils regagnent enfin le cocon familial... et constatent que les parents l'ont déserté. 

Le sens du détail 
Daigo "le trouillard" prend peur et évoque assez rapidement la possibilité d'être passé dans un monde parallèle en sortant du parc. Eriko cherche une explication rationnelle à cette drôle de situation, car il y en a forcément une ! En vain... Entre angoisse et humour, les enfants cherchent à tâtons les frontières entre leur "nouvel" univers familier, si l'on peut dire, et ce qu'ils appellent déjà "leur vie d'avant". Oh, les différences se jouent à des détails tellement insignifiants qu'ils n'y prêteraient sans doute même pas attention si l'absence de leur parents ne venait pas leur rappeler l'incongruité de la situation : le joueur de baseball préféré de Daigo a pris de l’embonpoint, une prof sort du magasin discount du coin alors qu'elle va habituellement faire ses courses ailleurs... D'autres situations sont plus troublantes : Daigo rencontre une camarade de classe morte quelques mois plus tôt ; après un cours, Eriko est chaleureusement invitée à sortir par une copine avec qui elle était brouillée depuis longtemps. Plus tard, elle trouve dans sa chambre une lettre de réconciliation écrite par cette fille, lettre qu'elle est sûre de n'avoir jamais lue. Si bien que même Eriko la fière, la dure, l'espiègle grande soeur qui aime tant torturer son petit frère a quelques difficultés à faire belle figure.

Nous n'en saurons pas plus...
Mise à part l'incompréhensible absence des parents, les enfants souffrent surtout de ne pas pouvoir partager leur angoisse : ils savent d'instinct qu'ils seront pris pour des fous et ne tiennent pas à dévoiler leurs émotions _eh, on est quand même au Japon ! Du coup, ils vont même jusqu'à mentir à la voisine et aux proches pour masquer la désertion des adultes, et se replient sur eux-même ; ça aura au moins le mérite de les rapprocher. 

"Tu peux bien me le dire ! Eh, t'es déjà assez mystérieuse comme ça, pas la peine d'en rajouter !"
Xéna la Guerrière, saison 1, épisode 8 (Prométhée)
Ouais, j'aime bien mettre des Xéna partout sans raison en ce moment, vous voilà prévenus.

Par trois fois, Eriko et Daigo auront l'opportunité d'être en contact téléphonique avec leur mère, joignable seulement lorsqu'ils utilisent la carte téléphonique de Daigo (!), et encore... Par trois fois, pressés par le peu d'unités restantes, et par manque d'écoute réciproque, ils gâcheront leurs possibilités de dialoguer clairement et d'avoir des réponses aux questions qui les taraudent. On se croirait presque dans une histoire de Kafka... J'ai essayé dans un premier temps de quitter les yeux d'Eriko, narratrice de Route 225, pour lire avec les miens : est-ce un roman qui file la métaphore du détachement des parents que les enfants expérimentent à l'adolescence ? Parle-t-on du deuil de quelque chose ? d'une culpabilité ? mais laquelle ? Mais finalement, ces pistes ne m'ont amené à rien de convaincant _ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à voir, d'ailleurs. Je crois que Chiya Fujino a surtout voulu écrire un texte étrange, fantastique et drôle sur la relation frère/soeur éventuellement, dans lequel on se résigne à accepter l'inexplicable pour composer avec. 

Visiblement peu connu, classé littérature jeunesse mais destiné aux plus de 15 ans, sans doute parce que le côté fantastique de l'histoire pourrait dérouter les plus jeunes, Route 225 est captivant jusqu'aux dernières pages ; on en espérerait presque une suite...

FUJINO Chiya. Route 225. 2003, Editions Thierry Magnier. Trad. Silvain Chupin. 254 p. ISBN 2-84420-240-3 





Mon chien est raciste - Audren ; dessins de Clément Oubrerie (2015) 




Une telle couverture ne peut que vous faire de l'oeil quand vous passez devant le présentoir : un titre qui suscite l'interrogation, une illustration mettant en scène un petit chien blanc lorgné de près par quelques bestioles plus imposantes et colorées dans des teintes gris-noir. Cette petite boule de poils qui crève l'image, c'est Minou, le chien abandonné que Maël et ses parents ont recueilli. Bon, son arrivée n'était pas vraiment prévue : au début, lorsqu'ils l'ont trouvé, ils ont fait du porte à porte dans l'immeuble pour savoir si quelqu'un le connaissait et/ou en voulait. Si tout le monde s'est accordé à dire que la bestiole était adorable, personne ne s'est proposée pour l'accueillir. Maël, 10 ans, a donc hérité du paquet pour son plus grand bonheur. Effectivement, les deux se sont tout de suite entendus à merveille et en quelques mois, ils sont devenus très attachés l'un à l'autre.

Pourtant, un jour, Minou montre les dents à Laurent, un camarade de classe de Maël et tente de le mordre. L'oncle et les cousins de Maël feront eux aussi les frais de ses montées d'agressivité insoupçonnées. Tout le monde est très étonné, car habituellement le chien est doux comme un agneau... En l'observant mieux, ses maîtres remarquent que Minou ne s'en prend qu'aux Noirs : pas de doute, leur chien est raciste. Mais comment est-ce arrivé ? Et que faire pour le "guérir" ? 

Pourquoi et comment un chien devient-il raciste ? Maël n'en saura rien, malgré ses recherches et son introspection. Car comme on dit, tel maître, tel chien... est-ce que lui-même ne serait pas un peu raciste sans le savoir ? Comment lui faire comprendre à Minou que sa conduite est stupide ? Sa haine des Noirs est-elle comparable à celle éprouvée par le père de sa copine Emma ? Ce type exprime ouvertement sa connerie à qui veut l'entendre et personne ne le contredit vraiment ; au pire, on l'évite. Loin de vouloir créer une atmosphère d'angoisse et d'incompréhension comme ce fut le cas dans Route 225 de Chiya Fujino, Audren et Clément Oubrerie ont cherché à aborder une question grave par le biais d'une situation cocasse, histoire de révéler toute l'absurdité du racisme. En effet, rien n'explique concrètement les comportements de l'animal... car c'est un animal ! Cela sous-entendrait que ceux du père d'Emma peuvent se justifier rationnellement ? Pas forcément ! On n'aura pas de réponses...mais on aura de quoi ouvrir le débat et se poser d'autres questions : que faire face au racisme ? Comment le prévenir ? Est-il efficace de le punir ? Le psy peut-il soigner cette drôle de maladie ?

Ce petit roman, accessible dès 9-10 ans à mon avis, mais largement exploitable en 6°, est décidément une très bonne idée. Il a été écrit par Audren et illustré par Clément Oubrerie, auteure et illustrateur dont je connais la renommé mais pas l'oeuvre _enfin pas encore, merci de ne pas me brûler vive ! et il peut être lu pour lui-même ou servir de support à un débat en classe. Les personnages sont attachants, la fin est mignonne et il ne fera pas pleurer dans les chaumières _et ça c'est appréciable, de nos jours. En bref, ce livre pour enfants vaut le détour.

Audren ; OUBRERIE, Clément. Mon chien est raciste. 2015, Albin Michel Jeunesse. Ill. 112 p. ISBN 978-2-226-315555-7