mercredi 7 août 2019

Lecture de vacances : L'étoile d'Indigo - Hilary Mac Kay (2004)


Cadmium, Safran, Indigo, Rose... Dans la famille Casson, les quatre enfants portent le nom d'une couleur : encore une idée saugrenue de leurs parents artistes peintres, très gentils mais complètement inutiles en matière d'éducation ! Bill, le père, a récemment levé l'ancre et s'est installé à Londres pour y travailler plus à son aise. Quant à Ève, la mère, si elle est physiquement restée à la maison, sa tête est toujours dans les nuages. Personne ne semble souffrir de cette existence dans la campagne anglaise où rien n'est jamais grave, un peu en retrait de la société : au contraire, Caddy et les plus jeunes ont appris à faire face aux problèmes sans l'aide des adultes, ce qui les a soudés et rendus autonomes. 

Les aventures des Casson font l'objet d'une série de six romans pour la jeunesse, écrits par Hilary Mac Kay entre 2001 et 2011. Sauf erreur de ma part, seuls deux titres de The Cassons Family Books sont disponibles en français ; il s'agit des deux premiers : Saffy et l'Ange de pierre / Saffy's angel (2001) et celui dont il est question aujourd'hui : L'étoile d'Indigo / Indigo's star (2004). Dommage, leur sort aurait pu intéresser pas mal de jeunes lecteurs. 


Bon, apparemment tout le monde n'est pas d'accord sur l'orthographe du nom de l'auteur...
    
L'histoire 

Ce deuxième volet de la série _évidemment, j'ai pas lu le premier ! est consacré à Indigo. Indigo a treize ans et c'est le seul garçon de la portée ; il est sur le point de retourner en cours après avoir été éloigné sur collège pendant un trimestre à cause d'une méchante "mononucléose infectieuse". Enfin ça, c'est la raison officielle. Derrière elle se cache le vrai problème, à savoir une situation de harcèlement qu'il subit :  que ce soit en classe ou dans la cour, Tony le rouquin et sa bande de "suivistes" lui mènent la vie dure. En cette fin d'année scolaire, Indigo est partagé entre l'envie de renouer contact avec le monde extérieur, et la hantise de devoir supporter cette bande de têtes de nœud pendant encore de longues semaines.

Heureusement, les sœurs veillent au grain. Si "Caddy" (Cadmium) est partie à la fac et ne fait que des passages épisodiques à la maison, accompagnée parfois d'un nouveau copain qui finit par prendre peur devant cette famille de fous, "Saffy" (Safran) et sa meilleure copine Sarah vont aussi au collège et font des rondes plus ou moins discrètes dans les couloirs. Rose, la dernière de la fratrie, tente d'insuffler à Indigo la force de caractère qui lui manque tant. Elle n'a que huit ans, mais son esprit critique et sa grande répartie surprennent les adultes ou les jeunes en excès de confiance ! Beaucoup lui demandent son avis avant de prendre une décision importante...


"Lis la question suivante ! ordonna Safran.
_ Que diriez-vous à Toutankhamon si vous tombiez sur lui dans la rue ?
_ "Pardon" ! riposta aussitôt Sarah. Mets ça ! 
_ Il faut répondre avec des phrases entières. 
_ Pardon, mais c'était votre faute ! Vous marchiez en biais !" Caddy, je peux avoir une banane, moi aussi ?"


La garde rapprochée rend bien service mais ne suffit pas toujours ! D'ailleurs, quand on a treize ans, est-ce qu'on ne préfère pas se faire enfoncer la tête dans les chiottes par la petite frappe du coin qu'être défendu par sa grande sœur ?

L'arrivée de Tom, un nouvel élève venu des États-Unis, va changer la donne et chambouler cette classe de 4ème. Avec un père astronaute, une mère scientifique spécialiste des ours, un caractère de cochon et une étonnante facilité à se mettre à dos profs et élèves, Tom a tout du punching-ball idéal. Il en est conscient, et contrairement à Indigo, il vit plutôt bien son statut de victime car il n'a pas peur de se défendre. Même lorsqu'il sait qu' à dix contre un, le combat est perdu d'avance. Bientôt, le binôme  Tom / Indigo se forme inévitablement : quand on a les pieds dans le même bourbier, autant se serrer les coudes et faire face ensemble. De là à parler d'amitié...

"... Je ne savais pas que tu étais ami avec Tom. 
Indigo s'apprêtait à dire que lui non plus n'était pas au courant, mais il se ravisa. Ils pouvaient devenir amis. Ils étaient du même côté. Pourquoi ne pas être amis ?
_ Pourquoi on serait pas amis ? dit-il tout fort à Saffy."


Une situation de harcèlement 

L'Etoile d'Indigo ne porte pas exclusivement sur des déboires d'Indigo au collège ; disons que c'est un fil rouge qui nous permet de suivre l'évolution de la famille Casson et de Tom ... qui en deviendra vite une pièce rapportée. Je fais le choix d'insister lourdement sur ce point parce qu'ici la question du harcèlement à l'école est traitée dans sa complexité, et cela m'a paru intéressant d'insister là-dessus. En effet, Hilary Mac Kay montre que :
  • Tous les élèves qui se font emmerder n'ont pas forcément le même profil. Exit la figure du binoclard aux cheveux gras qui heureusement apparaît de moins en moins souvent dans les œuvres de fiction. On ne sait pas grand chose du physique d'Indigo, si ce n'est qu'il a grandi de quinze centimètres pendant sa convalescence ; concernant sa personnalité, il nous est présenté comme sensible, juste, altruiste, un poil trouillard et peu combatif. Tom est très différent de lui : il cherche les embrouilles, les trouve, encaisse les coups et recommence. Il est ébahi et agacé de voir Indigo se laisser marcher sur la tronche à longueur de journée. Oscillant entre l'envie de l'achever et l'instinct de lui filer les billes nécessaires à sa survie, il va lui être d'un grand secours... mais n'aura rien d'un ange gardien. Leur amitié va se construire progressivement, par l'intermédiaire de Rose la bavarde, Rose la fouineuse toujours pleine de bonnes intentions : elle va conquérir Tom, ce drôle d'Américain un peu méfiant qui lance des balles en caoutchouc sur les gens pour se détendre et qui aime jouer de la guitare sur les toits. 

"T'as un problème, Indigo ?" 

  • Le harceleur ne ressemble pas forcément un méchant de dessin animé. Tony Albinoni est roux, ce qui aurait bien pu le faire passer dans le camp des victimes. On sait bien que de tous temps, les rouquins ont été associé au diable et à la puanteur. Pourtant, personne ne lui cherche de noises au collège. Il a même son petit gang de "suivistes" débiles et plus costauds que lui dont il a besoin plus qu'autre chose. Tom l'atteint à plusieurs reprises au cours de l'histoire, mais lui non plus ne se démonte pas. Saffy et Sarah lui arrachent des touffes de cheveux, mais il s'obstine et garde la face. Il tient à son statut de casse-couilles en chef comme à la prunelle de ses yeux. 
  • On parle beaucoup des suiveurs et des passifs, qui voient, savent, subissent parfois les coups de pression et les dommages collatéraux, mais ne disent rien. Il y a aussi les "intouchables", ceux à qui on ne s'attaque jamais, c'est comme ça, allez savoir pourquoi. Indigo a du mal à gérer les situations où il voit le rouquin et ses comparses s'en prendre à un autre gosse, signale, et voit la victime se retourner contre lui. C'est trop pour lui, même si dans la réalité, on sait bien que ce schéma se reproduit hyper souvent. 


Il n'y a point de vérité générale dans le harcèlement scolaire, même si on peut s'accrocher à certains signes récurrents, je dis pas le contraire ; c'est en partie pour cela qu'il est si difficile à repérer. Dans L'étoile d'Indigo, les adultes brillent par leur inefficacité, y compris ceux qui font preuve de bonne volonté. Certes, Bill et Eve Casson sont tellement à l'ouest qu'ils ne se doutent pas une seconde du calvaire que vit Indigo, et on a l'impression qu'ils n'en prendraient pas la mesure même si ça se passait sous leur nez. Pourtant, ils sont tellement sympas qu'on n'arrive pas à leur en vouloir, alors qu'on sait très bien que dans la vraie vie, on aurait placé leurs gosses en famille d'accueil depuis bien longtemps ! Même le principal du collège ne flaire la puanteur du dossier qu'à la toute fin du roman, bien qu'il semble soucieux du bien être de ses élèves : il bataille pour que Tom arrive à s'intégrer dans l'établissement, mais passe à côté des plus gros dysfonctionnements. Cette fiction ne propose pas de solution clé en main à cette question épineuse, mais invite les enfants à relever la tête, à découvrir quelles sont leurs meilleures armes, et à les utiliser à bon escient. 




Une belle surprise que ce roman pour enfants (classé 10 ans et +), que je supposais léger, mais qui ne l'est pas tant que ça. Les Casson et leurs amis accommodent la réalité pour la rendre plus sympa, ce qui ne veut pas dire qu'on est au pays des Bisounours. Disons que beaucoup de passages à forte tension dramatique sont "rendus" drôles par la justesse des personnages ; d'où l'édition de L'étoile d'Indigo dans la collection "Humour" du Livre de Poche Jeunesse.

J'aurais presque pu écrire un Téma la bibliothèque autour du deuxième opus des aventures de la famille Casson, car un chapitre est consacré à une escapade de Tom et d'Indigo sur le toit de la bibliothèque municipale : ce moment où "Indy" passe du côté de la clandestinité, en dépit de ses peurs, sonne comme la consécration de leur amitié.

Je comprends qu'on puisse ne pas considérer ce roman comme le chef d'oeuvre jeunesse des quinze dernières années, mais j'ai eu un petit coup de cœur dessus.

"Papa chéri
C'est Rose. 
La cabane a besoin de nouveaux fils électriques maintenant que tout a sauté.
Caddy ramène à la maison des petits amis qui touchent le fond pour voir s'ils conviendraient pas à maman. Pour te remplacer. 
Bisous, Rose." 

Hilary Mac Kay. L'étoile d'Indigo. Le Livre de Poche Jeunesse, 2004. Coll. "Humour". 253 p. ISBN 2-01-322273-4


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