vendredi 23 août 2019

Lectures de vacances : Nous autres, simples mortels - Patrick Ness (2016) / Le dernier des yakuzas - Jake Adelstein (2017)


Résumer le livre qu'on a aimé n'est pas toujours facile, mais ça reste plus commode que de parler de celui qu'on a un peu moins apprécié. Pourtant, il faut s'y efforcer : chaque oeuvre a doit à sa chance et mérite d'être valorisée. C'est pourquoi aujourd'hui j'ai voulu mettre en ligne un billet qui sera consacré à deux livres lus ces derniers jours ; s'ils ne me laisseront pas un souvenir indélébile, ils vous plairont sans doute. 



Nous autres, simples mortels - Patrick Ness (2017)

Ca se passe de nos jours, ou dans un futur proche..? aux fins fonds d'une petite ville des Etats-Unis. Une bande d'amis d'enfance voit l'inéluctable séparation post-bac arriver, alors ils essaient de passer un maximum de temps ensemble. Ce ne sont pas des héros, juste des adolescents lambda torturés par leurs problèmes existentiels : réussir sa fin d'année scolaire, obtenir son diplôme, pécho, choisir sa tenue pour le bal de fin d'année, pécho, tenter de se projeter dans un avenir encore brouillé, et aussi pécho, éventuellement.

A côté d'eux, d'étranges événements se produisent : des animaux blessés surgissent des forêts et finissent leur course sur des voitures ou près des habitations, tandis que des explosions se produisent, projetant de la lumière bleues. D'instinct, ils sentent qu'une catastrophe XXL se prépare mais savent qu'ils n'ont pas à s'en mêler : les pros en la matière sont plutôt les "indie kids" un groupe de jeunes sympas mais un peu étranges qui font bande à part, au lycée. Comme la génération qui les a précédés, Mikey et ses amis ont accepté le surnaturel dans leur vie : leur seule marge de manœuvre sera de se protéger assez efficacement pour ne pas figurer parmi les dommages collatéraux. Et pour eux, simples mortels, ce sera déjà pas mal. 




De Patrick Ness je ne connais que deux romans : Et plus encore depuis l'année dernière, et Nous autres, simples mortels rencontré tout récemment, donc. L'écrivain anglo-américain a publié une bonne dizaine d'ouvrages pour la jeunesse, et quelques uns pour les adultes. Il s'est surtout rendu célèbre avec pour Quelques minutes après minuit, son best-seller adapté au cinéma en 2016 _que je n'ai pas encore lu. 

Et plus encore m'avait tellement troublée que je n'ai jamais réussi à pondre un billet dessus, même un tout petit ; c'est sûrement pour cette raison aussi que Nous autres, simples mortels me paraît plus emprunté, moins puissant, si l'on peut dire. Il faut dire que le choix de Mikey comme narrateur a peut-être influencé mon jugement, car c'est quand même, à mon avis, le gars le plus névrosé et le moins attachant du groupe. Henna et Mel ont des allures de petites filles modèles, brillantes et attachées à masquer leur souffrances en étant bienveillantes avec les leurs. Jared est le bon garçon apprécié de tous, sportif, génie des maths et gay. Evidemment. Parce qu'il en faut toujours un, ou deux, ou plus. Dites-moi si je me trompe, mais je crois deviner qu'un roman de Patrick Ness sans personnage gay ou sans référence à l'homosexualité, c'est un peu comme une paella sans riz. Et c'est très bien comme ça d'ailleurs, parce qu'il arrive à traiter ce sujet très justement et sans en faire des caisses. Je n'hésiterai pas à dire que c'est la référence littérature jeunesse en la matière, actuellement.

Et plus encore - Patrick Ness
Gallimard Jeunesse

Il n'empêche que Nous autres, simples mortels manque d'"un fil rouge", d'une trame d'action qui voudrait nous amener quelque part ; c'est vrai que j'ai toujours eu du mal avec les livres ou les films qui ne racontent pas une "histoire" pourvue d'un début et d'une fin, parce que je dois être un peu formatée par des récits qui m'ont beaucoup plu, mais aujourd'hui je me permets de le souligner car c'est une critique que j'ai retrouvée dans beaucoup d'avis de lecteurs, sur Internet. Les attentats et les accidents s'enchaînent, plus ou moins prévisibles, tandis qu'en parallèle, le gentil quatuor cogite et expérimente sa palette d'émotions. Résultat : on obtient un roman curieusement cérébral... J'adhère pas plus que ça, mais au moins c'est original.

Nous autres, simples mortels vaut le détour pour plusieurs raisons : 


  • Son côté "expérimental" est intéressant. Imaginez qu'en se promenant à Londres, un Moldu assiste à un combat entre Harry Potter et Voldemort, et qu'il nous raconte la scène : il pourrait éventuellement décrire la scène, mais il ne pourrait pas mesurer l'enjeu de l'affrontement. Il saurait d'instinct qu'il se passe quelque chose d'important, de grave, mais il ne pourrait rien faire d'autre que continuer sa petite vie en se persuadant qu'il a rêvé. C'est ce point de vue que Patrick Ness a choisi pour raconter son histoire : celui des gens laissés en dehors de la confidence, des particuliers qui observent passivement les super-héros occupés à sauver le monde, là bas au loin. Peu d'auteurs prennent le risque de poser leur caméra de ce côté de la barrière, voilà pourquoi je parlais "d'expérimentation".



"Tout le monde n'est pas nécessairement l’Élu. Tout le monde n'est pas nécessairement le gars qui va changer le monde. La plupart des gens doivent juste vivre leur vie du mieux qu'ils peuvent, en accomplissant des choses qui sont grandes pour eux, en ayant des amis merveilleux, en essayant de rendre leurs vies meilleures, en aimant les gens. Tout en sachant que le monde n'a pas de sens mais en essayant d'être heureux quand même"



  • Ce livre parle des TOCs. Mikey en est atteint, et, à travers lui, l'auteur nous explique plutôt bien ce qui se passe dans la tête d'une personne touchée par cette maladie : les "boucles", les décomptes, les litres de savon et d'eau, la peau qui part en lambeaux à cause d'avoir été trop frottée. Se laver les mains des dizaines de fois, vérifier, revérifier que la porte est fermée, se relaver les mains, et avoir conscience de bout en bout que ce qu'on fait est complètement débile. Le cercle vicieux de la thérapie couplée aux médicaments, qui a pour but de vous aider à "vous en sortir", mais qui vous plonge dans une nouvelle addiction. Ceux qui portent ce fardeau, adultes ou enfants, devraient lire ce roman rien que pour ça, déjà. Y compris ceux qui ont le TOC sélectif... ;-) spéciale dédicace à mon ex !  


Patrick NESS. Nous autres, simples mortels. Gallimard Jeunesse, 2016. 335 p. ISBN 978-2-07-507458-2

Le dernier des yakuzas. Splendeur et décadence d'un hors-la-loi au pays du Soleil-Levant - Jake Adelstein (2018)

Changement de registre. On quitte la fiction, on échange la bande à Mikey contre l'univers bien réel des yakuzas. Si vous êtes fan de culture japonaise, de mythologie du grand bandistisme ou des deux, il est fort probable que ce livre vous convienne. Il y a même des chances pour que vous connaissiez déjà son auteur, Jake Adelstein, un journaliste d'investigation américain qui officie au Japon et qui en parle sans faux-semblants, à ses risques et périls. Avant de sortir Le dernier des yakuzas, il a publié Tokyo Vice, récit assez autobiographique sur ses premiers pas professionnels dans un pays dont il ne maîtrisait pas tous les codes. C'est du moins ce que j'ai compris des résumés piqués ça et là, car je n'ai pas lu ce livre. Avant de commencer, j'ai cherché la définition de "yakuza". Larousse m'a raconté que c'était, au Japon "un membre de la mafia", Wikipedia m'a dit que c'était un "membre du crime organisé", Universalis a ajouté vite fait le terme de "bandit". On a compris l'idée.



Parce qu'il s'est mis en fâcheuse posture après avoir "chié dans les bottes" d'un chef du Yamaguchi Gumi, la plus grande organisation de yakuzas du Japon, Jake Adelstein doit se trouver rapidement un garde du corps ; son choix se porte sur Saigo, dit "Tsunami", un colosse de cinquante ans qui a fait partie d'une bande rivale, l'Inagawa kai, avant de se ranger. Le problème, c'est que yakuza un jour, yakuza toujours : avant d'accepter la mission, Saigo précise bien au journaliste qu'il prend des risques énormes en le couvrant, car il redevient par extension un "ennemi" du Yamaguchi Gumi. Et donc un homme à abattre. Jake Adelstein lui demande ce qu'il peut faire pour lui, en échange de ses services ; Saigo lui demande d'écrire sa biographie, une biographie authentique qui ne fera pas l'impasse sur les aspects négatifs de cette mafia crainte mais respectée.       


Et hop, une petite pub intempestive, c'est cadeau !

Le dernier des yakuzas raconte donc la vie de Saigo, depuis son enfance auprès d'une mère américaine et d'un père japonais, jusqu'à son accès aux plus hautes cimes de l'Inagawa-kai, en passant par sa jeunesse délinquante entre gangs de motards, groupes de rock axés extrême droite, ses problèmes d'addiction à la méthamphétamine et aux soaplands (= aux putes). Sur son chemin, il croisera plusieurs grandes figures de la criminalité et se fera une place parmi eux _ou pas. Le livre suit un ordre chronologique, année par année, ou décennies par décennies, en fonction du parcours du "héros", mais quelques grands principes reviendront régulièrement avant d'être mis à mal dans les tous derniers chapitres, marquant ainsi la fin d'une époque : un yakuza ne s'en prend pas au peuple, ne tue pas les femmes ni les enfants, vole les riches, deale ce qu'il veut, fait discrètement le business qui lui chante, mais doit garder une certaine ligne de conduite coûte que coûte. 


"Au Japon on dit que l'endroit le plus sombre est au pied du phare." 

Honnêtement, j'ai acheté ce livre à la gare de Bordeaux, en attendant un train pour la Rochelle où j'allais retrouver des copines pour le week-end. J'étais encore assez optimiste pour croire qu'on allait être motivées pour lire sur la plage, et je me disais qu'il me fallait un roman policier avec un peu de baston. Finalement, comme une gamine, j'ai craqué sur celui-là parce que sa couverture donnait bien envie. Les histoires de mafieux, enlèvements et doigts coupés, c'est pas trop mon truc, et Le dernier des yakuzas ne fera pas figure d'exception. Mais il faut reconnaître que Jake Adelstein nous permet de nous immerger dans la culture japonaise du XX°siècle, n'hésitant pas à faire de longues parenthèses historiques pour bien situer le contexte de l'action. Certains diront que le style journalistique rend l'histoire dure à suivre et le livre difficile à lire, mais son auteur pouvait-il vraiment faire autrement ? Tatouages, drogue, respect des aînés et de la hiérarchie, code de l'honneur, évolution du positionnement de la police vis à vis des yakuzas... Sans les explications de l'auteur, un public non averti n'aurait pas compris certains enjeux, actions et réactions des différents personnages. 

"C'est ça, la vie de yakuza. Tu fumes où tu veux, quand tu veux. 
Le monde entier est ton cendrier"

Bien malgré lui, Adelstein nous rend les yakuzas sympathiques parce qu'il fait le choix de nous présenter leurs travers les plus puérils, leur boulettes les plus ridicules qui se concluent souvent dans un bain de sang beaucoup moins drôle ! On ne peut s'empêcher de voir dans cette horde de criminels une bande de sales gosses, de Robins des Bois qui perdent un temps fou à se faire des croche-pieds entre eux. Bref, une livre à feuilleter, ne serait-ce que pour son thème central, assez peu courant en littérature ! 

Jake ADELSTEIN. Le dernier des yakuzas. Splendeur et décadence d'un hors-la loi au pays du Soleil-Levant. Points, 2017. Trad. Cyril Gay. 384 p. ISBN 978-2-7578-7029-7

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