jeudi 26 mars 2020

[COMICS] Ms Marvel - Tome 1 - Métamorphose - G. Willow Wilson ; A. Alphona (2014)

Ne plus se serrer la main ; rester à distance d'un mètre les uns des autres. 
Il y a quelques jours encore, on trouvait ça aussi drôle qu'incongru. 
J'en riais devant les gosses, à gorge déployée.
"Mais range ton masque, enfin, c'est inutile !" 
J'ai pesté contre l'annulation du semi-marathon de Villepinte : celui de Paris, OK, mais celui de VILLEPINTE ! Comme si on allait être 5000 ! 
J'ai cru, moi aussi, que c'était juste une "mauvaise grippe" qui n'allait toucher que les personnes très fragiles. Il faut le reconnaître : on s'est bien plantés ! 


MS Marvel - Tome 1 - Métamorphose



L'histoire 

Jersey City, de nos jours. En dépit de ses seize ans, Kamala Khan a des allures d'enfant modèle : elle va au lycée, ne fait pas de vagues, respecte ses parents. Ses deux meilleurs amis ne sont pas populaires mais ils sont aussi fiables que de bonnes fréquentations peuvent l'être. Après les cours, elle passe ses soirées à écrire des fanfictions autour des Avengers, ces super-héros dont elle se prend à rêver les yeux ouverts. En les publiant sur Internet, elle semble bénéficier d'une notoriété qu'elle est bien loin d'avoir dans la vie réelle ! 

Kamala fait en effet partie d'une minorité aux yeux des jeunes qu'elle croise tous les jours : elle est musulmane pratiquante, ce qui leur suffit à l'associer à toute une valise de clichés plus réducteurs les uns que les autres. Elle a beau être patiente, les remarques tantôt maladroites, tantôt vicieuses de ses camarades de classe commencent à lui taper sur les nerfs ! La colère monte, tranquillement mais sûrement. L'envie de s'intégrer et de s'émanciper aussi. Quitte à gommer certaines facettes de son identité pour mieux rentrer dans le moule. 

Une BD aux couleurs chaudes comme cette soirée de bâtards sur les quais !

C'est ainsi que Kamala se retrouve à faire le mur, un soir, pour aller à une soirée ambiancée et alcoolisée sur les quais, histoire de tenter sa chance. Très vite, elle déchante : Zoé la peste locale se fout de sa gueule ouvertement et lui dit qu'elle pue le curry ; Josh le playboy relou essaie de lui faire boire de l'alcool en lui faisant croire que c'est du jus d'orange. Fiasco total, Kamala décide de rentrer à la maison, mais se retrouve prise dans un nuage de brume tératogène et tombe dans les pommes.

Quelque chose d'étrange se produit alors ; en rêve, elle rencontre son héroïne préférée Captain Marvel, accompagnée de ses acolytes Avengers. On ne sait pas encore trop s'il s'agit vraiment d'une sorte de "visitation" de ses "dieux", ou simplement d'une incarnation de sa petite voix intérieure, celle qui l'engage à se faire confiance et à se demander ce qu'elle veut, dans la vie. En tous cas, elle en profite pour leur faire part de ses désillusions et pour confier à Captain Marvel son envie de lui ressembler : si seulement elle pouvait être blonde et puissante, elle aussi ! La super-héroïne consent à lui filer un coup de pouce et à lui partage ses pouvoirs, tout en l'encourageant à croire en ses propres ressources. 

A son réveil, Kamala est métamorphosée en super-héroïne, et se lance dans une première opération sauvetage. Grâce à elle, l'insupportable Zoé échappera à la noyade sous les yeux embrumés de son copain complètement cuit : voilà de quoi prendre confiance... 


Mutation inopinée  

... ou pas... Chez les Khan, on aime bien la discrétion ! Kamala sait bien qu'une super-héroïne dans la famille laisserait tout le monde un peu perplexe : son père est tendu rien que d'imaginer que des garçons non-musulmans puissent l'approcher en dehors des cours ; sa nouvelle nature n'est pas raccord avec les traditions défendues par sa mère. Quant à son grand frère... il est juste en train de se radicaliser, au calme, sous les yeux de ses proches qui ne le prennent pas au sérieux et se foutent de sa gueule en attendant que ça lui passe. 

Pour elle, la question ne se pose pas : exposer ses pouvoirs à qui que ce soit n'est pas envisageable. Ils doivent rester secrets, si tant est qu'on puisse garder quelque chose de secret à l'ère du téléphone portable ! 

Evidemment, quelques curieux en mal de sensationnel se sont chargés de filmer le remontage de Zoé sur la terre ferme. Le lendemain, toute la ville a bien conscience qu'une nouvelle Miss Marvel est née. 



Vive les masques et la mutation physique en blonde qui accompagnent ses pouvoirs : ils ont offert à Kamala un dernier rempart à sa vie privée... pour cette fois-ci. Car, à la manière du carrosse de Cendrillon après les douze coups de minuit, ils peuvent s'en aller aussi vite qu'ils sont venus, et pas forcément au moment opportun. Apprendre à contrôler ses transformations, ses bras qui s'allongent à l'infini, cette super-héroïne qui pousse en elle _ sans être tout à fait elle_ va être une de ses priorités : il ne s'agirait pas de devenir son propre ennemi. Une vraie galère. L'adolescence, mais en pire. 


Bruno, l'asperge qui vous veut du bien 

Le piège serait de croire que Ms Marvel est simplement l'histoire d'une "super-héroïne musulmane". Même si c'est l'une des données qui contribuent au caractère original de l'oeuvre _l'islam semble assez peu présent dans les comics, du moins de ce que j'en connais... la religion de Kamala n'est pas un sujet central. Le sujet est bien présent, à travers la famille de la lycéenne et des rapports qu'elle entretient avec eux, il est bien présent dans le cercle d'amis, puisque sa meilleure amie Nakia est pratiquante, alors que son pote Bruno ne l'est pas ; mais pas déterminant. C'est plutôt d'une quête d'identité, de façon plus générale, qu'il est question dans Métamorphose : on suit la transformation progressive d'une jeune pakistanaise rêveuse et complexée par ses origines, en "sauveuse" de plus en plus puissante, de plus en plus sûre d'elle. 




Le chemin est semé d'embûches ; par chance, Kamala n'est pas seule pour les affronter. Bien sûr, Nakia est là, plus grande, plus forte, connue pour son sérieux... rassurante. Mais Bruno n'est pas en reste. A l'image d'Alex dans Buffy contre les vampires, ce personnage "secondaire" représente le bon copain sympa, sans charisme, sans pouvoir, mais dont le soutien moral et logistique est complètement indispensable à la réussite de la "vraie star". Bien entendu, il aime secrètement Kamala, au point d'être un peu trop protecteur à son goût ; elle le maltraite en conséquence. Dans ce premier tome où il est croqué par Alphona et son trait fin, Bruno est un grand type dégingandé, fort apprécié des parents Khan _c'est lui qui poucave "pour son bien" lorsqu'elle disparaît dans la brume, le fameux soir de fête_, qui travaille dans une cafétéria pour payer ses études, sous l'oeil condescendant de ses copains de classe bourges. On a hâte de voir comment il va tourner dans les prochains volumes.   

Après avoir lu ce premier tome de Ms Marvel, je comprends mieux pourquoi mon collègue prof d'arts plastiques le met systématiquement en valeur lorsqu'il présente des comics aux élèves : tous les affres de l'adolescence y sont décrits, assortis de l'espoir d'en sortir vivant.


G. WILLOW WILSON ; A. ALPHONA. Ms Marvel - Tome 1 - Métamorphose. Panini Comics. Coll. "All New Marvel Now !", 2014. ISBN 978-2-8094-4763-7 

mercredi 4 mars 2020

Infiniment - Marie-Françoise Montagné (2020)


Merci à Babelio et aux éditions Les Cahiers d'Illador pour l'envoi de ce recueil de poésies écrites par Marie-Françoise Montagné entre 1950 et 2016, et publié en 2020 à titre posthume. 




Il semblerait que Marie-Françoise Montagné n'ait pas composé ses poèmes dans la perspective de les publier, du moins pas de son vivant. C'est bien dommage qu'on ne puisse plus la remercier de nous avoir laissé cet héritage. C'eût été encore plus dommage qu'ils n'arrivent jamais jusqu'à nous. 

De l'enfance à l'âge d'être grand-mère, c'est toute une vie que Marie-Françoise Montagné nous raconte à travers ses textes : partant des souvenirs, de la redécouverte d'un portrait ancien, elle nous livre tous les ressentis qui ponctuent une existence. La sienne, mais pas seulement. L'artiste parle de la vie, en général, celle qu'elle observe dans son entourage, celle des inconnus qu'elle croise. Celle du quotidien. Celle des gens qui s'aiment, divorcent, connaissent l'insomnie, chantent, se sentent seuls. Ils sonnent extraordinairement juste, même pour le lecteur d'aujourd'hui. De mémoire, je n'ai jamais lu de poème qui raconte de manière aussi parlante la difficulté à trouver le sommeil !


Ô nuit, tu es si longue ! 
Il te vient des idées
Une foule d'idées 
Qui, le jour retrouvé, 
Te sembleront bien folles, 
Tu reprendras alors 
Le vieux moi tu matin 
La nuit anéantie 
Te rendra à la vie 


La figure de l'enfant est un peu le fil rouge de l'oeuvre de Marie-Françoise Montagné : dans le cadre d'une vieille photo, dans un souvenir, dans le visage de sa petite fille, dans le ventre de la mère qui attend l'accouchement, partagée entre l'impatience et l'angoisse...   

Infiniment est sans doute l'oeuvre poétique à laquelle j'ai le plus facilement adhéré, ces derniers mois. Je ne suis sans doute pas la seule : tout le monde peut s'y reconnaître et se sentir affecté d'une douce nostalgie... A lire, donc !

Bonus ! Le recueil est parsemé de dessins de l'auteur, tout en finesse et légèreté.


Marie-Françoise Montagné. Infiniment. Les Cahiers d'Illador, 2020. ISBN 979-10-90203-24-2

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