lundi 27 décembre 2010

Citizen Kane - Orson Welles (1941)


En 1940, aux Etats Unis.

Le journaliste Thomson enquête sur la vie et la mort de Charles Kane, une personnalité rendue mystérieuse et inconnue par sa notoriété-même.

Propriétaire d'une mine d'or, la mère de Kane le confie, alors qu'il est encore enfant, à un banquier chargé de lui apprendre à gérer sa fortune future. Quand il en prend enfin possession, bien des années plus tard, il décide de l'investir dans la presse, et s'impose à la tête du journal l'Inquirer auquel il va donner plus d'ampleur en modifiant quelque peu la ligne éditoriale et en prônant la transparence.

Le succès de cette démarche lui donne alors des ailes, et, conforté par son mariage avec la nièce du président des États Unis ainsi que par sa grande fortune, il se tourne vers la carrière politique. C'est là que les choses se gâtent : il n'a pas réalisé que sa maîtresse, une chanteuse d'opéra en devenir, pouvait être une source de scandale et créer un obstacle à sa progression.

Condamné à ne jamais atteindre un haut rang politique, il lui reste quand même sa fortune et la sus-citée bonne copine à laquelle il décide de se consacrer. Elle devient sa seconde femme, et iI entend la rendre heureuse en lui payant des trucs : cours de chant, une scène à elle, un manoir dans lequel ils se retirent tous deux. Cependant, la solitude va vite se faire sentir.

Mais plus encore que sa vie, c'est sa mort qui passionne les foules : en effet, le vieux Kane finira par expirer, seul, dans son domaine qu'il a baptisé "Xanadu", en prononçant "rosebud", "bouton de rose". Pourquoi rosebud et pas autre chose? c'est ce que Thomson voudrait savoir.

Le grand puzzle

Au début de son enquête, Thomson dispose d'une masse d'informations de type journalistiques, qui relatent les événements clé de la vie de Charles Kane, la manière dont il est perçu par la population, par la presse. Ces informations, dont nous prenons connaissances dans les premières minutes du film, lui sont proposées pèle-mêle et sans interprétation, bien qu'elles soient parfois contradictoires.

Le voilà face à une sorte de grand puzzle dans toutes les pièces sont mélangées, et qu'il doit reconstituer. A lui de faire son boulot en sachant distinguer l'information de la rumeur et de la légende, pour dresser un tableau du personnage à même de le guider vers le fameux bouton de rose. Ici, faire le puzzle, c'est non seulement lier les morceaux qu'on a sous la main, mais savoir retrouver ceux qui manquent.

Pour avancer, il comprend qu'il doit s'appuyer sur des éléments autres que ceux dont il dispose déjà. Il se lance donc dans l'étude des témoignages de ceux qui ont fait partie de l'entourage de Kane, à différents moments de sa vie : le tuteur, à travers ses mémoires, un ami, la seconde femme, le majordome du manoir de Xanadu.

Au fil des flashbacks, Thomson comprendra que la force de la mutualisation des informations a néanmoins ses limites, et qu'il arrive parfois que les pièces d'un puzzle se perdent définitivement dans la nature.

01/01/2011

Bonne année 2011! :-)

samedi 25 décembre 2010

L'hérésie du mois : le Père Noël existe!

A Périgueux, du moins. Le 24 décembre, vers 11 heures, il a été vu en train de draguer deux mamies, en terrasse d'un café (rue Taillefer me semble-t-il), après s'être manifestement incrusté à leur table. Il faut bien s'occuper entre deux livraisons.

Il n'est pas tout seul dans son costume!

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il n'y a pas un seul Père Noël, mais toute une famille de Pères Noël qui officient chacun de leur côté, comme de bons petits individualistes. Réunis en comités régionaux, le Pôle Aquitaine des Pères Noëls tient des réunions en fin d'année histoire de faire en sorte que les papys soient bien synchros, bien répartis en secteurs, afin de ne pas les voir se marcher sur les pieds lors de la distribution. Un peu comme les gens qui mènent les opérations de recensement dans les communes. Etre Père Noël, c'est avant tout une philosophie du travail bien fait, propre et efficace.


Les réunions sont bien entendu tenues secrètes, et ont lieu dans des bars en centre ville, les vendredis soir, pour plus de discrétion. Les consommations lors de ces réunions sont entièrement financées par la revente des bonbons rackettés aux gosses le soir d'Halloween.

Pour en savoir plus, adressez-vous au Pôle Emploi; eux seuls détiennent la clé du Joué Club, et peuvent vous dire si oui ou non vous en valez la peine!

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Article de Rue 89 du 22 décembre 2010 sur le beau métier de Père Noël


Attention, ces temps-ci le Père Noël est un peu susceptible. A cause du surmenage, il lui arrive de cogner et de jeter dans une vitrine les gens qui l'embêtent. Désormais il faudrait éviter d'essayer de le soudoyer pour gratter des cadeaux à la sortie des réunions arrosées, car il pourrait mal le prendre : on ne réclame pas, mal élevé! Vous pourriez récolter plus de châtaignes que de jouets dans l'histoire.


Surtout si dans la vie, le Père Noël est un peu rugbyman, et que ce soir-là, il se trouve que, pas de bol, vous être 4 contre 15 :

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Article de Sud Ouest du 21/12/10 - Rixe entre Pères Noël du CAP et 4 mecs. Encore une histoire dont on ne saura jamais le fin mot.

J'oubliais :
JOYEUX NOËL à tous!






lundi 20 décembre 2010

Une presse sans Gutenberg - Jean-François Fogel - Bruno Patino

Après s'être intéressés à l'audience et à la rentabilité du site internet du Monde, Jean François Fogel et Bruno Patino ont réfléchi, à partir de cette expérience, à l'évolution du journalisme et aux mutations que la profession rencontre avec l'émergence d'une presse en ligne. On est alors en 2000.

Dans Une presse sans Gutenberg, les auteurs prennent le parti d'une rupture entre la presse écrite, plus généralement les médias de masse, et la presse disponible sur Internet, sans jugement de valeurs, d'ailleurs. Le métier d'un journaliste qui publie dans un quotidien en vrai papier recyclé est trop différent ce celui qui alimente la presse pas palpable, pour qu'on hésite à déclarer le changement d'ère. Le cyberespace et le monde réel sont ici deux univers distincts.



Ce changement d'ère n'est pas synonyme de mort du journalisme; avec ce média atypique qu'est Internet, une nouvelle branche de la profession s'allonge et bourgeonne rapidement et solidement.


Je ne parlerai pas de l'ouvrage en entier, intéressant d'ailleurs, mais la large place qu'il accorde à l'audience et plus particulièrement aux "lecteurs" de presse en ligne, me sert d'appui pour exprimer quelques remarques générales.

Jusqu'à la toute fin du XX°siècle, on avait d'un côté les journalistes détenteurs d'un "quatrième pouvoir", observateur critique des trois premiers (exécutif, législatif, judiciaire), et de l'autre, leur public-récepteur relativement passif : l'audience. Depuis une dizaine d'années, l'audience semble s'être "réveillée" : elle cherche l'information, la choisit, la conteste, et parfois-même la fournit. Le journaliste en tant que professionnel n'en impose plus comme au temps où on se disait « c'était vrai, on l'a vu à la télé, on l'a lu dans le journal ». A présent, tout le monde est a égalité.


Aussi, être journaliste en ligne, c'est tenir compte plus que jamais des attentes du public, pour ne pas passer à la trappe : écrire pour une lecture superficielle, dans une langue sensiblement différente de celle rencontrée ailleurs, maîtriser des indications des algorithmes qui font remonter ou non votre article sur le site internet d'actualité, en fonction du trafic des internautes, être rapide pour se faire une place parmi les liens qui bougent et s'agglomèrent à chaque seconde, en gros, obéir à de nouveaux codes. Encore un peu trop récents pour être théorisés, ils sont pourtant bien connus des journalistes, qui les ont appris sur le tas, au cours de l'évolution du web et des nouvelles pratiques des internautes..


Il n'y pas que sur les sites commerciaux qu'on va faire son marché; lorsqu'on s'informe sur le web, la démarche sensiblement est la même. Les avantages et les inconvénients sont comparables : la rapidité, le large choix et la quasi-certitude de toujours trouver quelque chose sur un sujet n'efface pas le risque d'être confronté à quelque chose qui semblait tout à fait satisfaisant à première vue, mais qui est en réalité tout pourri. Aussi, il n'est pas déplacé de dire que, sur Internet, on monte son propre journal en kit, en choisissant ses sujets d'actualité, en parcourant les liens de différentes sources, grâce à une invention magique mais un peu déboussolante : l'hypertexte*.


Alors, le journalisme en ligne, et à plus forte raison lorsqu'il permet l'interactivité et même la collaboration du public, est-ce la mise à l'honneur du citoyen? est-ce le Mal? Est-ce sérieux, crédible, ou simplement un gadget avant de passer aux choses sérieuses : allumer la télé? Tout dépend de la façon dont on perçoit l'internaute lambda, lorsqu'il surfe sur Internet. Est-ce un enfant? Un adulte? Les deux en même temps (car c'est possible!) Un irresponsable qui va mélanger toutes les sources sans faire preuve d'aucun discernement?

« Irresponsable » supposerait que la démarche est évidente et que celui qui tombe dans le panneau du hoax l'a vraiment fait exprès! Avoir une connaissance des sources, un usage raisonné des outils de recherche d'information s'apprend... Même lorsque cette difficulté nous passionne et qu'on veut se spécialiser dans sa reconnaissance, il arrive qu'on réalise qu'on a surestimé notre propre maîtrise des rouages de l'information sur Internet, qu'elle est extrêmement insuffisante, et qu'un long chemin reste encore à parcourir pour l'améliorer.

Seulement, chacun a une manière différente d'approcher l'information, chacun a sa propre expérience des sources et des démarches, tout le monde a à apprendre, mais personne n'en est au même point. Il n'y a pas un public, une audience, mais des tas et des tas. Pourtant, beaucoup ont, d'un point de vue technique, le même accès à Internet; d'où le problème, et une fausse impression d'égalité.

Ce n'est pas Internet, le web, ni même ceux qui publient l'information, qui doivent « faire peur »: c'est la place du public, acteur de sa propre information : c'est lui, en fonction de ses connaissances préalables, de sa facilité ou non à exploiter les sources, qui fera son omelette avec des oeufs clabots ou des oeux doubles, après s'être servi sur le marché de l'actualité. Et de ce point de vue-là, non, on n'est pas tous à égalité.


L'inégalité n'apparaît pas seulement à ce niveau. Jean-François Fogel et Bruno Patino le signalent bien : un journal en ligne entièrement payant, ça ne fonctionne pas. Pour être un minimum consulté, le site sera au moins en partie en libre accès. Une nouvelle fracture se crée : ceux qui peuvent payer (journaux en ligne ou papier), et ceux qui s'informent gratuitement (quotidien gratuit ou site en ligne). Plus que les titres des journaux qui révèlent une dominante politique ou un groupe de pensées et d'opinions, c'est maintenant l'accès ou non à des journaux qui déterminent de grands groupes de publics. Difficile de dire si oui ou non, on peut parler d'information à deux vitesses, car la qualité d'un contenu est moins que jamais liée à son support.



* l'hypertexte, c'est le système qui noue entre elles les pages disponibles sur Internet, à l'aide de liens; sans l'hypertexte, le web ne ressemblerait pas du tout à une toile d'araignée, on n'appellerait pas ça le web, et Internet ne servirait pas à grand chose si ce n'est à quelques tronches de l'informatique de s'échanger des dossiers top secrets (ou des blagues)! Hum.



Jean-François Fogel, Bruno Patino - Une presse sans Gutenberg, pourquoi Internet a bouleversé le journalisme. 2007 - Points

Couverture : Nick Veasey



Désolée pour ceux qui lisent depuis un tout petit écran... ;-)





vendredi 17 décembre 2010

L'Atlantide - Pierre Benoit


En attendant de pouvoir me plonger dans l'Assassin Royal 4, je suis revenue fouiller dans ma fameuse caisse de livres de la Fête de la Fraise, pour y prendre le plus petit bouquin du lot, histoire de ne pas passer des mois dessus : l'Atlantide de Pierre Benoît, 1919, Grand prix du roman de l'Académie Française. Mais surtout, 240 pages!




Le lieutenant Saint Avit, mis en fonction dans une région de l'Algérie, est en partance pour une mission stratégique dans le Sahara : il veut retrouver la trace des peuples qui ont assassiné des soldats en expédition, et comprendre leurs alliances pour mieux parer les futures attaques. Pour cela, il doit faire un détour dans le massif du Hoggar, un coin mal famé du désert.

Bienvenue dans les toutes dernières années du XIX°siècle, belle époque des colonies. Préparez vous à entendre parler d'"indigènes", de méchants "sauvages" et de "nègres" calculateurs avec une beaucoup de candeur, du premier au dernier chapitre!

La veille de son départ, il apprend qu'on va lui coller un compagnon de voyage : le capitaine Morhange, un érudit dont les motivations scientifiques emploient les mêmes routes que celles du lieutenant, même si elles sont très différentes.

Au cours du voyage, Saint Avit et son invité de dernière minute se retrouvent prisonniers d'une cité inconnue, au beau milieu du désert. Cette cité n'est autre que l'Atlantide évoquée dans le Critias de Platon. Elle est gouvernée par une reine, Antinea, une demi-déesse descendante de Neptune, qui se plaît à capter des voyageurs qui entrent dans son champ de vision, afin de les séduire, de les larguer pour qu'ils meurent de désespoir, avant de les faire embaumer.

Saint Avit se résigne assez facilement en se disant que de toute façon, il est impossible de s'enfuir, et qu'après tout, il y a plus vilaine mort que celle qui survient après avoir été le favori temporaire de l'irrésistible Antinéa. Morhange semble curieusement indifférent à la reine, trop heureux d'avoir retrouvé dans cette cité la pièce manquante du Critias inachevé.

Pierre Benoît - L'Atlantide - 1919 - Albin Michel
Couverture : Livre de Poche

Disponible en e-book : Project Gutenberg


mercredi 15 décembre 2010

Une nouvelle copine, Josette la boîte!

Elle a la classe, elle est pratique, discrète, elle sent bon le thé à la pomme, et elle va sans doute briser le cœur de beaucoup de thermos dans sa vie, que nous lui souhaitons longue et pleine d'aventures : j'ai l'honneur de vous présenter :

Josette!




super idée, vraiment!! ;-D

samedi 11 décembre 2010

A Serious Man - Ethan et Joel Coen - 2009


Direction le Middle West des États Unis, à la fin des années 60. Larry, prof de physique à l'université, va bientôt être titularisé. Il vit dans un lotissement avec sa femme Judith, ses deux enfants, Danny et Sarah, et son frère Arthur qu'il dépanne le temps qu'il se trouve un appart. Sa préoccupation du moment : faire en sorte que la bar mitzvah de son fils soit réussie.


Dans la vie, il essaie de tout faire pour rester aimable, droit et arrangeant avec tout le monde. Arrangeant mais néanmoins incorruptible, car lorsqu'un étudiant lui propose quelques billets contre une meilleurs note, il refuse catégoriquement le pot de vin. Il ne fume pas, contrairement à son médecin; et quand il lui arrive de rêver de sa voisine, elle n'est même pas à poil : Larry est un homme sérieux!


A quinze jours du grand événement familial, ce n'est pas une tuile, ni deux tuiles, mais un toit entier qui lui tombe brusquement sur la tête : Judith demande le divorce, car elle souhaite se remarier avec un ami de la famille, Sy Ableman, un récent veuf, tout vieux et si moche que n'importe que mari aurait les boules. Berk. Bien entendu, elle a pris soin de vider le compte en banque de Larry avant de lui annoncer la nouvelle.


Passent encore les soirées gaspillées à orienter l'antenne d'une télé capricieuse, passe encore le fait que Danny fume du shit dans les toilettes de l'école hébraïque, qu'Arthur peine à décoller du canapé, que le voisin s'approprie leur pelouse le plus tranquillement du monde, ainsi que toutes les contrariétés de la vie quotidienne des gens embourbés dans leur difficulté à dire non; mais lorsque Sy et Judith lui demandent de déménager, afin que "la vie des enfants ne soit pas perturbée par leurs problèmes", allant jusqu'à lui suggérer un hôtel pas cher, il commence à se poser des questions existentielles : pourquoi le sort s'acharne-t-il ? pourquoi lui? pourquoi maintenant? pourquoi s'efforcer de bien agir si c'est pour en baver deux fois plus? Lui qui se remet facilement en question, qui passe son temps à trouver des excuses et des raisons à la décision de sa femme, crie maintenant à l'injustice. Ne sachant où trouver les réponses, il se tourne successivement vers trois rabbins : peut-être Dieu veut-il lui dire quelque chose en l'éprouvant ainsi?


Seulement, même lorsque vous voyez plusieurs années de votre vie s'effriter en quelques jours, grâce à l'aimable contribution de la poisse et de votre entourage, vous devez non seulement accepter ce qui vous arrive, mais aussi vous résoudre à ne jamais comprendre pourquoi cela vous arrive. A vous d'intégrer l'idée que rien n'est logique, rien n'a de sens, et que vous aurez beau vous débattre, ça ne changera rien, car, comme dit le jeune rabbin du film, "this is life!". Avec un peu de chance, c'est au moment où vous renoncerez à chercher un sens à votre vie, que vous en trouverez peut-être un! Ou pas!

Ah oui, au fait, c'est une comédie!

Si si …

Je pense que je vais souvent revenir sur ce film, et en parler plus précisément, parce que je peux le dire maintenant que je l'ai vu 4 fois : c'est le film qui est en phase de détrôner Elephant!! voilà pourquoi je n'en parle pas plus et pas mieux pour l'instant.. A suivre!

samedi 4 décembre 2010

L'assassin royal - 3 - La Nef du crépuscule - Robin Hobb



Il arrive parfois, dans un combat de longue durée, qu'on se rende compte qu'on a sous-estimé son adversaire. Il n'y a dès lors pas d'autres solutions que ruser pour arriver à ses fins, et mettre de côté tout ce qui rendait l'affrontement un tant soit peu régulier. Dans le tome 3 de l'Assassin Royal, Vérité, le roi servant de Castelcerf, fait l'expérience de la dure réalité. Repousser les navires ennemis depuis un donjon, par la télépathie, ne sert plus qu'à l'épuiser et à le faire passer pour un couard qui préfère rester reclus plutôt que se battre à l'épée. Le soir venu, il n'est même plus opérationnel pour donner un héritier au royaume, et sa femme Kettricken est bien marrie d'avoir quitté ses Montagnes pour une loque de prince qu'elle ne voit jamais.
A propos de loque, le vieux roi Subtil, sans cesse alité, meurt à petit feu, à moitié de vieillesse, à moitié étouffé par les herbes que son fourbe serviteur Murfès fait griller dans sa chambre. Soi-disant pour couvrir les odeurs fétides qui flottent autour du souverain sur le retour. Soi-disant.
Qu'est-ce qu'on fait, quand tout va mal, qu'on ne voit plus le bout du tunnel, quand notre survie est en jeu? On prie, parce qu'on ne sait jamais, après tout! La religion a ceci en commun à l'homéopathie, qu'à défaut de faire du bien, elle ne peut pas faire de mal. Pas question de Dieu dans ces contrées, mais des Anciens, c’est-à-dire, les esprits des rois fondateurs du territoire des Six Duchés, qu'on ne peut implorer que si l'on fait le déplacement au-delà du royaume des Montagnes. Vérité est bien décidé à entreprendre un voyage aussi long et périlleux qu'il peut paraitre farfelu : il prendra d'ailleurs parti de cacher son dessein au peuple et de prétexter une visite à son beau-père le roi Eyod, dans le but de sceller une alliance stratégique.
Fitz ne prie pas, car il baise : c'est sa thérapie perso, et le dernier exutoire lui permettant de snober la décision de son oncle. Comme si des fantômes allaient repousser les Pirates Rouges des côtes! Pendant l'absence de Vérité, il sera chargé de veiller sur la reine Kettricken. Elle en aura grand besoin; le prince Royal ne cache pas sa joie lorsque, le frère parti et le père dans le gaz, il se retrouve seul aux commandes du château : c'est la fête! Le voilà qui invite tous les ducs de ses amis, pour éventrer les réserves du château à coups de banquets et de soirées mondaines. Peu à peu, son désir de déplacer la cour dans un autre coin du royaume, pour faire de Castelcerf une sorte de garage à mulets et de prison pour les gens qu'il ne peut pas sentir, se dessine.
La troisième partie de l'Assassin Royal prend une dimension psychologique qu'on n'attendait pas forcément, vu que la seconde se terminait sur un cours de maniement de la hâche, et sur la perspective de fumeuses bastons navales. Ici il n'y aura qu'arrière pensées, trahisons, alliances, paroles non dites, paroles dites mais pas pensées, choses vues, non vues, mais qui auraient du l'être. De la vraie cervelle humaine, avec de bon gros morceaux de connerie dedans. Trop bon!

La cour de Castelcerf devient une grande boite à double fond, où les personnages secondaires grouillent et tirent les ficelles : Umbre, le maître empoisonneur, trame quelques décoctions pour ceux qui ignorent jusqu'à son existence. La petite Romarin, servante de Kettricken, est trop jeune pour être innocente. Quant au héros, plus que jamais à mi-chemin du trône et des écuries, il va très vite avoir le loisir d'apprécier toutes les facettes de la personnalité de Royal. Le fou dit sans dire, aide sans aider, mais reste fidèle à lui-même et au mystère qui l'entoure : vivement qu'on en sache plus sur lui!

Robin Hobb. La Nef du Crépuscule - L'assassin Royal 3. 1996
Couverture : édition France Loisirs, "Piment". Illustration : Kopik