samedi 30 décembre 2017

Le Fou et l'Assassin - 2 - La Fille de l'Assassin - Robin Hobb (2014)


Heureusement qu'il ne s'agit pas d'une intrusion réelle !

Dans le silence tout relatif des élèves confinés, Naya a du m'entendre penser, puisqu'elle me demande à voix basse : "Mais madame, si ça arrive vraiment, on est tous morts ! Y a aucune porte pour sortir par derrière et on peut même pas s'échapper par les fenêtres à cause des barreaux". A ses côtés, une petite vingtaine d'élèves appuient sa remarque de murmures inquiets. Tout à l'heure, ils se sont assis au sol dans le coin lecture du CDI, conformément à la consigne donnée. Depuis, on attend...  




Nous sommes en train d'effectuer l'exercice "attentat - intrusion" du Plan Particulier de Mise en Sûreté. Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'élaboration d'un PPMS est obligatoire dans tous les établissements scolaires : il détermine les comportements que doivent adopter les élèves et les personnels en cas de risque majeur, qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle, technologique (explosion, passage d'un nuage toxique) ou d'un attentat. Afin de voir si ce plan tient la route, on le "teste" au moins une fois par an _voire plus, faudrait vérifier ! pour s'assurer qu'il tient la route et pour mettre évidence les points à améliorer. 

Les plus petits tentent de se faire une place à peu près confortable au milieu des quelques grandes perches de 4° qui avaient squatté les chauffeuses du coin lecture dès le début de l'heure. Bien vu ! Comme à peu près tout le monde au collège, elles se doutaient que l'exercice aurait lieu en première heure de l'après-midi. Dans l'obscurité quasi totale, ça joue des coudes. 

"Eh ! c'était mon pied !"   

Quelle conne ! J'ai rabaissé tous les volets, alors que nous étions autorisés à laisser ouverts ceux donnant sur le chantier, pour assurer un minimum de lumière et éviter toutes ces blagues qu'on ne peut faire que dans l'ombre. Tant pis. 

Dernière vérification du SMS destiné au principal avant de l'envoyer, histoire de gicler d'éventuelles fautes et de voir si le nombre d'élèves tapis dans l'ombre est exact _il faut indiquer dans ce message son nom, le lieu où l'on se trouve, combien de gosses on abrite, etc... 

Pour l'instant, ça roule, les petits sont plutôt coopératifs, alors je laisse mon esprit sortir de sa cage quelques instants. La Fille de l'Assassin (Le Fou et l'Assassin 2) attend toujours sagement son tour sur le tapis. En refermant le livre, la dernière fois, j'ai laissé la petite Abeille errant dans les galeries secrètes du château de Flétribois, en quêtes de planques où elle pourrait se confiner, elle aussi, tandis que Fitz, son père, se battait inlassablement avec sa mauvaise conscience d'assassin professionnel...   

Moussa refuse de s'asseoir au sol à côté des autres. Il faut dire que certains d'entre eux se foutent de sa gueule car il vient d'exploser un carton de bouquins à ranger en s'asseyant dessus en mode pachyderme. Précisons que Moussa est un peu enrobé ; il n'en faut pas plus pour amuser la galerie. 


Voilà ce qu'on trouve quand on tape "carton défoncé" sur Google.
Je sors du coin lecture où je m'étais posée avec les petits pour ramener une chaise à Moussa, qui est chiant au quotidien, certes, mais qu'on va pas laisser se faire traiter de gros par les autres pour autant. D'autant plus que son père le fait déjà très bien, paraît-il. Après négociation, il s'installe sur une chaise un peu en dehors de la "zone de confinement", et se retrouve donc en plein dans l'axe de la porte. Tu vois la balle perdue, là bas ? C'est pour sa pomme, mon Moussa ! Enfin, comme il est assis et qu'il se tient à peu près, on va pas criser. Paye ton confinement.   

Les intrus factices arrivent enfin, avec force cris et coups dans les portes. Bien qu'ils n'aient pas donné l'impression d'avoir forcé outre mesure, ceux qui ont tenté d'ouvrir la porte du CDI en ont fracassé la poignée ; elle s'est échouée sur le lino humidifié par les allées et venues dans un bruit métallique qui surprend les élèves plus que de raison. 

"Madame, c'était quoi ce bruit ? Ahmed stresse à présent, alors qu'il était saoulé à l'idée d'avoir à subir cet exercice de prévention et faisait bien profiter son monde de ses soupirs blasés. 
_ Rien de grave, c'est seulement la poignée de la porte qui est tombée. Restez silencieux." 
Comme quoi, un faux attentat peut causer de vraies dégradations ! Bon, il est vrai que cette clenche était déjà en souffrance depuis quelques jours.     

Les "terroristes" s'éloignent, les opportunistes entrent en jeu. 

"Madame, vous voulez bien nous achetez des tickets de tombola ? 
_ Bah enfin, les filles, c'est pas le moment ! 

Damia et Aya sont mes chouchous, et elles le savent pertinemment. Lorsque elles se sont extraites du coin lecture au bout de deux minutes de confinement pour aller ramper sous une des tables de l'espace informatique, se cognant contre les chaises au passage, elles sont bien compris qu'elles ne pourraient pas m'énerver aujourd'hui. J'aurais du les sanctionner, mais j'étais déjà bien trop occupée à essayer de ne pas rire. 

_ Mais Madaaame c'est pour récolter de l'argent pour aider à payer les voyages scolaires des 5èmes ! 
_ Oui oui, je sais bien, mais on verra ça plus tard. 
_ Vous en achèterez hein ? 
_ On verra, on verra...  
_ Madame ? 

Malgré le chuchotement de rigueur, j'ai reconnu Fatoumata, et le ton excessivement poli et mielleux qu'elle prend lorsqu'elle a quelque chose à demander. 

_ Oui Fatoumata ? 
_ Je peux imprimer une image pour mon exposé, vite fait ? 
_ Non non, pas tant que l'exercice n'est pas terminé. 
_ Allez, Madame... Tout le monde sait que c'est pas un vrai attentat et puis les volets sont fermés ! Personne verra rien.  
Le froissement caractéristique d'un paquet de bonbons qu'on défonce en toute discrétion à l'abri d'un sac à dos vient agacer mes oreilles. 
_ Pour ceux qui l'auraient oublié : on ne mange pas et qu'on ne boit pas dans le CDI. 




Enfin, une annonce de la "sécurité" diffusée au mégaphone nous invite à lever le confinement. Mickaël Youn fait irruption dans mes pensées sans crier gare, avec sa fameuse "boîte à images". Il était temps. On rallume aussitôt comme si rester dans le noir nous avait pompé de l'oxygène et on se regroupe autour d'une table pour "évaluer" l'exercice à l'aide d'une grille prévue pour l'occasion. C'est alors que la porte s'ouvre, laissant entrer vent et crachin. Dans l'encadrement apparaissent un trio de 3èmes qui n'ont "pas réussi à trouver" de stage d'observation, ces petites feignasses. Ils ont donc été "embauchés" au collège pour la semaine, on dirait bien. 

 Ils portent un brassard fluorescent.   

"Euh, bonjour, on est la police. On vient vous dire que vous pouvez arrêter le confinement.
_ Mais apparemment, euh, ça va, vous étiez déjà au courant". 



Où est-ce qu'on en était ? 

A Flétribois, FitzChevalerie et sa fille sont encore sous le choc de la mort de Molly. Malgré leur tristesse, ils doivent continuer à vivre ; la famille, les amis et le rythme des saisons leur rappellent que le temps du deuil se termine et qu'il faut tourner la page. Pour eux, rien n'est plus dur à entendre, mais les mésaventures qui s'annoncent vont les forcer à aller de l'avant.

D'abord, Fitz recueille une mystérieuse messagère qu'il confond avec le Fou avant de s'apercevoir qu'il s'agit d'une jeune femme qui lui ressemble beaucoup. La malheureuse est aux portes de la mort. Volontairement infectée de vers pour avoir voulu effectuer sa mission malgré l'interdiction d'un ennemi obscur, elle aura à peine le temps de débiter quelques mots avant de tomber dans un délire irréversible. Elle ne laisse derrière elle qu'une sorte de "cape d'invisibilité" que la petite Abeille s'empresse de chaparder. Le message délivré laisse perplexe le maître de Flétribois, puisqu'il y apprend que le Fou a un fils, qu'il doit retrouver cette progéniture improbable et le protéger coûte que coûte d'un danger imminent !



Ensuite, son vieux mentor Umbre Tombétoile lui confie la sécurité de deux personnages encore mystérieux à nos yeux : l'insupportable Évite, nouvelle "apprentie assassin" beaucoup trop caractérielle et frivole pour être efficace, et FitzVigilant, un jeune premier aux origines floues officiellement envoyé à "Flétry" pour apprendre à lire et à écrire aux enfants du domaine. Comme s'il n'avait déjà pas assez de mal à s'occuper de sa fille correctement, il faut en plus qu'il joue les gardes du corps discrets pour deux jeunes gens qu'il ne connaît pas encore très bien mais qui lui laissent déjà une sale impression. D'autant plus qu'on ne sait jamais quels projets tordus le vieil Umbre a derrière la tête.

Une relation de confiance commence à s'établir entre Fitz, très convaincant dans le rôle du père dépassé, et de la petite Abeille, plutôt mûre pour son âge. Mais ce lien est encore ténu, même s'il se renforce au fil des situations périlleuses. Tous deux devront s'armer de patience et de courage pour le garder intact.


Le Fou ! Enfin ! 

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Fou cause la séparation physique de la fille et du père ; elle était redoutée par Abeille, tandis que Fitz avait rejeté en bloc cette éventualité. Car oui ! Le Fou, le Prophète Blanc au teint diaphane, le gracieux Sire Doré, l'unique Bien Aimé au mille visages fait enfin son apparition ! Nous l'attendions tous depuis des centaines de pages, et, même s'il ne vient pas à notre rencontre sous son aspect le plus engageant, c'est quand même une joie de le retrouver : les choses sérieuses vont pouvoir commencer !


Alerte Spoiler : arrêtez-vous là si vous souhaitez lire le livre. 



Effectivement, le Fou apporte son lot d'informations, remettant en cause des savoirs que Fitz considérait comme certains. Les lecteurs qui suivent la saga depuis son commencement y trouveront un nouvel éclairage des événements passés. Si la connexion d'Abeille au Fou était plutôt prévisible, on sera très surpris de la requête faite par Bien Aimé à la fin de ce deuxième tome. Pendant des années le triste "Sire Blaireau" a bataillé avec le sort pour ne plus avoir à ôter des vies, mais il semblerait qu'à ce petit jeu il ait encore perdu.


Partage des voix 

On l'avait déjà relevé dans le Fou et l'Assassin 1, et c'est encore plus flagrant dans le 2 : pour la première fois depuis qu'on suit ses aventures, Fitz partage sa place de narrateur avec la petite Abeille.

C'est même du 50-50, puisque les chapitres racontés à la première personne par le père alternent avec ceux dont la fille tient les rênes. Le titre "la Fille de l'Assassin" rend justice à la place occupée par ce tout jeune personnage en pleine émancipation. Même si, physiquement, ça ne suit pas vraiment _ la fille de Molly a toujours l'air d'une toute petite fille malgré ses neuf ans_, elle apprend à composer avec sa petite taille et fait l'expérience de nouveaux sentiments : l'amour (vite fait), l'amitié, et surtout la jalousie. Elle ne prend pas seulement les rênes de la narration, puisqu'elle se résout à affronter sa peur et à monter à cheval ; en cela elle sera aidée par le jeune palefrenier Persévérance, qu'elle reconnaîtra vite comme l'une des seule personne en qui elle pourra se fier.




Pas facile de s'y retrouver quand on "éponge" toutes les magies, que ce soit le vent de l'Art ou le Vif, sans en posséder aucune. Pourquoi Abeille fait-elle des rêves réalistes.. tout en étant éveillée ? Qui est Père Loup, ce spectre d'Oeil de Nuit qui vient la délivrer de ses peurs paniques ? Et surtout, qui est-elle ? Pourquoi ressemble-t-elle si peu de ses parents ? Pourquoi son teint est-il aussi blanc, ses cheveux aussi blonds ? Bien des mystères soufflent encore sur la branche bâtarde de la famille Loinvoyant.


Si le deuxième cycle de L'Assassin Royal, que j'avais beaucoup aimé malgré tout, m'avait paru un peu lent au démarrage et moins haletant que les aventures du petit Fitz, Le Fou et l'Assassin tient toutes ses promesses. L'Assassin du roi a retrouvé son souffle, ses colères froides et sa tendance à tomber dans tous les pièges qu'on lui tend ! CQFD le bain de sang qui conclut ce deuxième volet de la série, hum hum... Ses boulettes nous auraient presque manqué...   


Robin HOBB. Le Fou et l'Assassin 2 - La fille de l'assassin. Editions France Loisirs, 2014. Coll. Fantasy.494 p. ISBN 978-2-298-10621-3


Sinon Joyeuses Fêtes !






samedi 25 novembre 2017

ÉGALITÉ FILLES GARÇONS - Le Ramadan de la parole - Jeanne Benameur (2007)


Je connais Aulnay-sous-Bois depuis quelques années ; la bibliothèque Dumont est même l'un des premiers lieux-clefs de la ville dans lequel j'ai posé les pieds. Après la gare, qui lui fait face. Pourtant, je n'y avais jamais emprunté le moindre document jusqu'à ces dernières semaines...  

Le Ramadan de la parole - Jeanne Benameur (2007) 



Paru dans la collection "D'une seule voix" d'Actes Sud Junior, ce petit ouvrage regroupe trois récits portant sur le thème de la liberté des femmes. En effet, Même les Chinoises n'ont plus les pieds bandés, Le Ramadan de la parole et A l'affiche laissent la parole à trois femmes en devenir qui évoluent à des époques et dans des lieux différents, mais qui ressentent toutes trois le besoin d'évacuer une violente colère. 

La première est révoltée contre le souhait de sa mère de la voir abandonner tout espoir de suivre des études, de se cultiver et de lire, au profit des tâches "dignes" d'une femme "respectable". A savoir : gérer sa maison _et sa cuisine, se marier et prier. Nous sommes en France, dans les années 1920 ; les femmes ont tenu le pays à bout de bras pendant la Grande Guerre mais ce n'est déjà plus qu'un lointain souvenir... 

La seconde est âgée de quinze ans ; depuis que sa mère lui a dit qu'elle était devenue "une jeune fille", et elle aime beaucoup se définir ainsi. Nous voilà revenus à l'époque actuelle. Malheureusement, les autres collégiens ont une autre vision des choses : pour beaucoup d'entre eux, insulter les femmes et faire des allusions obscènes à leur corps est aussi normal que drôle... Quant à ses copines, elles semblent accepter la situation avec humour _ ou résignation ? Qu'à cela ne tienne, elle ne cèdera pas à logique du troupeau : la narratrice ne se voilera pas _les garçons le font-ils, eux ?, elle ne cachera à personne qu'elle est une femme, et si elle doit faire le Ramadan, ce sera celui de la parole.  

Enfin, la troisième héroïne est elle aussi remontée contre sa mère : pour gagner un peu d'argent, cette dernière a accepté de figurer dénudée dans une publicité pour un parfum. Résultat, à toutes les stations de métro, l'adolescente voit le corps de sa mère "en gros plan". Cela la gêne énormément, pour plusieurs raisons : jusqu'où doit-on aller pour toucher une prime ? Ne peut-on tromper l'ennui sans perdre sa dignité ? A-t-on le droit d'être égoïste au point d'imposer une telle situation à ses parents et à ses enfants ?  

Les trois textes sont imprimés en gros caractères, de façon à être lus à voix haute et à demeurer accessibles pour les élèves qui fuient les bouquins. La plume de Jeanne Benameur est fraîche, incisive et ses héroïnes ne sont pas des personnages en carton ! C'est pourquoi, bien que cet ouvrage ait déjà une dizaine d'années, Le Ramadan de la parole parlera à de nombreuses collégiennes et lycéennes _surtout la deuxième histoire. 

Jeanne Benameur. Le Ramadan de la parole. Actes Sud Junior, 2007. Coll. "D'une seule voix". 64 p. ISBN 978-2-7427-6689-5

mercredi 15 novembre 2017

Mission Buthacus - Kidnapping en eaux troubles - François Morizur (2016)


Merci à Babelio et aux Editions Pierre de Taillac pour l'envoi de Mission Buthacus, Kidnapping en eaux troubles, livre écrit par François Morizur et paru en 2016.



Novembre 2011. Au creux du Golfe de Guinée, dans zone conflictuelle au large du Nigeria et du Cameroun, Yann effectue sa mission en tant que capitaine du pétrolier l'Albatros. Entouré de navires de sécurité, il n'a pas de raisons de s'inquiéter outre-mesure : il sait que lorsqu'il aura rempli sa part du contrat, il pourra retourner en Bretagne, où sa femme l'attend, enceinte de quelques mois. 

Tout près de là, sur la presqu'île de Bakassi (Cameroun), Bayo et Usuevie tentent de se relever de la tragédie qu'ils viennent de vivre. En effet, ce couple de pêcheurs vient de perdre leurs deux enfants atteints par la maladie. Ils sont au fond du gouffre comme on peut l'imaginer, épuisés et à sec puisqu'ils ont dépensé toutes leurs économies pour faire bénéficier leur fille et leur fils des meilleurs soins possibles. Après une période de dépression, Bayo tente de surmonter sa peine et sort en mer pour pêcher de quoi se nourrir. Malheureusement, les temps ont bien changé depuis son drame personnel : il n'a pas eu le temps de jeter son filet qu'il est vertement renvoyé vers son village par des militaires camerounais : désormais, la pêche et la circulation sont interdites à cet endroit, à cause des nombreux vols et actes de piraterie qui y ont été recensés dernièrement. 
Décidément, le sort s'acharne sur Bayo et ses proches : s'il ne peut même plus pêcher... Il se résout alors à prendre une voie qu'il avait toujours eu à coeur d'éviter : celle de la piraterie. Accompagné de ses deux amis Obi et Onyinia, il se lance à l'assaut d'un bateau pris au hasard afin d'y dérober une partie de sa marchandise. En théorie, l'affaire ne doit prendre que quelques minutes, mais la réalité sera bien différente !

Les trois hommes ont à peine posé les pieds sur le pont de l'Albatros que les imprévus s'enchaînent. L'affaire tourne mal et, pour ne pas être pris à leur propre piège et capturés par les militaires postés près du bateau, ils prennent trois marins en otage : Yann, Piotr et Eric, trois marins qui n'ont pas froid aux yeux...   

Comme je suis assez mauvaise en géographie de l'Afrique,
je me suis fait une petite Google Maps des principaux lieux évoqués...

A des milliers de kilomètres de là, l'alerte est donnée : une cellule de gestion de kidnappings et autres conflits propres aux mers tumultueuses se met en route, conduite par Hervé, Pierre et Marc, des professionnels expérimentés. Mais, alors que la prise d'otage ressemble de plus en plus à l'acte de pauvres diables plus effrayés que réellement dangereux, et qu'on se dirige vers un dénouement à l'amiable, d'autres pirates entrent en jeu et entendent bien profiter de ce kidnapping improvisé et presque cocasse. Et ceux-là, ce ne sont pas des amateurs... Pour Yann, Piotr, Eric et Bayo, le cauchemar ne fait que commencer. L'histoire se complique brutalement, et à ce moment-là, parlementer ne suffit plus...


De son côté, le commando Patrick prépare ses hommes à une intervention d'envergure. Où et quand ? Peu importe, il faut être prêt à agir à chaque instant. La nouvelle de l'enlèvement de son frère Yann par des pirates lui fait l'effet d'un coup de poing, mais l'homme n'est pas du genre à garder les deux pieds dans le même sabot...


*Ces termes sont annotés et définis de manière très claire, on peut le souligner. Pas de doute, l'auteur parle d'un univers qu'il connaît bien.


Aucun rapport mais j'aime bien cette chanson



Voilà une lecture fort intéressante ! Passées les premières pages assez déroutantes tant elles contiennent de précisions techniques de lieux, de grades militaires et de matériel*, on entre dans une histoire passionnante dont on veut absolument connaître l'issue. François Morizur a su maintenir une cadence soutenue en enchaînant des chapitres courts en alternant les "tableaux" : d'une part, le point de vue des otages nous est proposé, d'autre part, nous accompagnons la cellule de crise dans ses déplacements à l'aveuglette, plus ou moins inspirée par les informations dont elle dispose. A la fois précis, efficace mais sans fioritures, l'auteur nous fait entrer dans un univers inconnu de beaucoup de "civils", je pense, et qu'il arrive avec brio à nous rendre accessible. Et surtout, il nous offre un regard nouveau sur une zone géographique et une situation politique finalement peu médiatisées...


François MORIZUR. Mission Buthacus - Kidnapping en eaux troubles. Editions Pierre de Taillac, 2016. 512 p. ISBN 978-2-36445-085-1



dimanche 5 novembre 2017

Lectures de vacances - Le jour où Lania est partie - Carole Zalberg, Elodie Balandras (2008) / Nelson Mandela : "Non à l'apartheid" - Véronique Tadjo (2010)


Le jeune attend que le feu passe au vert, pied à terre. Il me regarde en coin. Je ne suis pas physionomiste mais son allure me rappelle quelqu'un. Il s'agit en fait d'un ancien élève que je croise certains matins à l'autre bout de la ville ; il va alors en cours ou bien sur son lieu de stage, tandis que je trace en direction du collège. Lui-même met un peu de temps à me remettre. On ne s'attendait pas à se tomber dessus à cet endroit-là.  

"Ah, je vous ai pas reconnue tout de suite Madame ! Je me suis dit "mais c'est quelqu'un de la cité ?"
_ Oui, je suis en survêt parce que je vais courir au canal.
_ Vous faites penser aux Coureurs dans le film Le Labyrinthe

Il faut savoir que la ville d'Aulnay est assez nettement coupée en deux : au Nord, les barres, au Sud, les grosses baraques. Je schématise, mais c'est quand même l'impression qu'on a en arrivant et même après, non ? Dites-moi si je me trompe. Alors forcément, se trimbaler en jogging dans certaines rues relève presque de l'exotisme. 




"_ Ca va, sinon ? 
_ Pas fort... "

Il me raconte qu'il s'est fait casser la gueule et tirer son vélo une semaine avant, par des gars en scooter. Qu'il lui tarde d'avoir son diplôme, son autonomie. 

"_ Tu as porté plainte ? 
_ Non, c'est mort, je n'ai pas vu leur visage. Il faut que je passe à autre chose. Ma mère m'a racheté un vélo pour que je puisse aller bosser. "

Le récit de son agression m'attriste ; je sais à quel point on se sent faible et insignifiant dans ces moments-là. D'autant plus que le jeune s'était racheté une motivation depuis le collège. Bordel, qu'il était chiant lorsqu'il était en sixième... J'apprends qu'à l'époque, il s'était fait fracasser dans un couloir par des élèves de troisième et qu'il s'en était tiré avec une côte fêlée. Encore un drame qui s'est joué en huis clos ; ça donne le vertige de se douter qu'il s'en produit de tels plusieurs fois par jour sans qu'on ne le sache. 

"_ J'aimerais bien passer mon permis moto et avoir ma 125, mais qui me dit que ça ne va pas finir pareil ? On n'a pas ce problème à la campagne, tiens..."

Méfie-toi de la campagne... 

Il hausse les épaules. 

"_ Enfin, c'est la vie...". 

Beelzebub

Tous les profs vous le diront : ce n'est pas parce qu'on est en vacances qu'on ne bosse pas et qu'on s'arrête de lire _même si on a le luxe d'avoir assez de temps "hors établissement" pour courir en plein jour. Voici quelques lectures de vacances qui méritent bien d'être connues. 


Le jour où Lania est partie - Carole Zalberg, Elodie Balandras (2008) 



Lania est l'aînée d'une famille nombreuse ; le matin, elle doit réveiller ses frères et soeurs et veiller à ce que tout le monde puisse vaquer à ses tâches quotidiennes. Les enfants ne savent ni lire ni écrire, puisqu'au village il n'y a pas d'école, mais leurs journées sont quand même bien remplies : aux champs, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Lania est plutôt contente de sa vie et n'aspire pas à en changer, même si elle sent que l'insouciance enfantine est en train de la quitter. Devenue trop grande pour continuer à voir le village comme un vaste terrain de jeu, encore trop jeune pour que les adultes lui fassent pleinement confiance, elle a du mal à se positionner. Pourtant, elle comprend que le froid et la pluie qui s'abattent sur les cases depuis des mois compromettent les prochaines récoltes et condamnent ses semblables à une famine certaine. Un jour, un 4X4 arrive, transportant à son bord des "gens de la ville"; profitant de la détresse des familles, ces inconnus proposent d'emmener les aînés de chaque fratrie pour soi-disant les tirer de leur misère et leur donner accès à une "vie meilleure"... 

Carole Zalberg et Elodie Balandras réussissent à parler à leurs jeunes lecteurs de sujets graves tels que l'esclavage des enfants, la pauvreté, la difficulté d'accéder à l'éducation, sans les plonger dans la déprime. Comme Lania, on prend conscience de la gravité de la situation sans pleurer ni s'apitoyer sur son sort ; en effet, les premiers chapitres, agrémentés d'illustrations plutôt drôles laissent entrevoir un récit pour enfants léger et plein d'aventures. Lania va quitter son village, on l'a compris à la lecture du titre, mais sans doute va-t-elle déménager dans un endroit où elle va vivre différemment, mais où elle va se faire de nouveaux amis ? Il n'en est rien. 

La fillette sera en fait larguée (et planquée) chez un couple de gens aisés pour qui elle devra faire le ménage en prenant bien garde de ne pas se faire remarquer. A travers son regard d'enfant qui ne comprend pas grand chose à ce qui lui arrive, on avance dans l'inconnu et on va de désillusion en désillusion. Le contraste entre la vie haute en couleur "au village", que l'illustration de la couverture nous permet de nous représenter, et l'arrivée dans la ville grise et froide qui ne donne pas envie d'être visitée est particulièrement fort. 

Comme dans un conte, on n'a aucune indication de temps et de lieu ; seule la présence des voitures et le mode de vie de "Madame", la femme chez qui Lania est placée comme femme à tout faire, nous permettent de fixer l'action dans l'époque contemporaine. Et toujours à la manière d'un conte, toujours, le dénouement viendra de là où on ne l'attendait pas... 

Le jour où Lania est partie n'est pas l'histoire de Cendrillon revisitée à la sauce L'Enfant sauvage, mais un livre pour la jeunesse original, facile à lire et qui a l'énorme avantage de ne pas nous faire chialer ! Ca ne fait pas de mal !   

Carole ZALBERG, Elodie BALANDRAS. Le jour où Lania est partie. Nathan, 2008. 79 p. ISBN 978-2-09-251460-3  


Nelson Mandela : "Non à l'apartheid". Véronique Tadjo, 2010. 



Paru dans la série "Ceux qui ont dit non" (Actes Sud Junior), ce court roman nous présente les étapes-clefs de la vie de Nelson Mandela comme s'il nous les racontait lui-même. Tout commence en juin 1941, lorsque "Madiba" pose le pied à Johannesburg pour la première fois. Bien obligé de se plier à l'apartheid qui régit la vie quotidienne en Afrique du Sud, et éloigne les Noirs de tous les services et lieux publics au profit des Blancs, le jeune homme est partagé entre l'excitation de découvrir la grande ville et la peur de se faire arrêter. En effet, il est en fuite après avoir été fiché comme perturbateur dans son lycée pour avoir demandé plus de moyens afin que les élèves Noirs puissent étudier dans de meilleures conditions. Il faut dire qu'à l'époque, la population Noire devait se contenter des miettes des Blancs à tous les niveaux, y compris dans le domaine de l'éducation ; et cela, Mandela ne l'acceptait déjà pas. 

Peu à peu, les courts chapitres nous font bondir de quelques années ; ses observations personnelles et les allusions à son milieu familial se raréfient, au profit de l'évocation d'événements historiques, tels que la marche pacifique des mineurs conclue de manière sanglante, de son engagement au sein de l'African National Congress, de sa lutte contre l'apartheid, puis de son emprisonnement. 

Il ne doit pas être simple de se mettre dans la peau de Nelson Mandela et de le faire parler ; pourtant, Véronique Tadjo a tenté l'expérience et on déjà peut l'applaudir pour cela. 

   

Seuls les écrivains sont capable de :

  • permettre à un jeune lecteur de s'identifier au héros. Nelson Mandela "Non à l'apartheid" est un livre qui s'adresse en particulier aux adolescents. Comment créer une proximité entre un boutonneux et la figure d'un vieil homme aux cheveux grisonnants dont le visage est tellement connu qu'on sait qu'on doit le respecter même si on ne sait pas toujours pourquoi ? Peut-être en le représentant lui-même en lycéen indocile et prêt à se battre pour ses idées ? 
  • traduire simplement des faits historiques, des concepts, des idées qui n'ont rien d'évident. Bon, les profs savent le faire aussi, hein ! Le fait est que si vous m'aviez parlé en vrac de l'ANC, de l'apartheid, du Group Areas Act sans relier le tout à un contexte et à une histoire logique, vous m'auriez perdue en trois minutes. D'ailleurs, je ne cache pas que j'ai mieux compris deux ou trois choses à la lecture de ce livre. 
  • faire prendre conscience aux lecteurs de ce qu'était l'apartheid au quotidien, en nous plaçant en immersion dans la Johannesburg des années 1940, puis dans la société Sud-Africaine des années 1960. Par la même occasion, on intègre une dure réalité : "pour construire la paix, il faut parfois faire la guerre." (p.55)

A la fin de cette "version roman" de la vie de Nelson Mandela _elle me fait d'ailleurs penser à ces nombreux docu-fictions qui ont fleuri sur toutes les chaines de télé et de radio ces dernières années, est présenté un court dossier contenant des photos correspondant aux événements relatés (mise en place de panneaux indiquant nettement la séparation des races, images des manifestations, libération de Nelson Mandela) et une biographie de Steve Biko, figure incontournable de la lutte contre l'apartheid. 



Véronique TADJO. Nelson Mandela : "Non à l'apartheid". Actes Sud Junior, "Ceux qui ont dit non", 2010. 96 p. ISBN 978-2-7427-9228-3

lundi 30 octobre 2017

Le Fou et l'Assassin - 1 - Robin Hobb (2014)


"_Non, ce sera ouvert à partir de 13h, Amine. Et arrête de jouer avec la porte, vous n'entrerez pas plus vite pour autant ! Eh, mais ça me revient ! Pour toi la question ne se pose même pas ! Tu ne viendras pas aujourd'hui car tu as fait trop de bruit dans le CDI hier !
_ Mais je veux venir ! 
_ Bah, c'est la règle et je t'ai prévenu hier. Celui qui fait du bruit n'est pas accepté la fois suivante. 
_ Non, je veux venir, je bougerai pas d'ici ! 
_ Allez Amine, t'es en sixième maintenant ! Fais pas le bébé ! 
Les autres enfants rient, rangés près de la porte en attendant l'heure où je les ferai entrer.
_ Madame, Amine il est en cinquième. 
_ Ah, mais c'est vrai ! Oh excuse-moi Amine, mais comme tu viens toujours avec ta cousine qui est en sixième, j'ai tendance à vous mettre dans le même panier ! 
Amine regarde le mur, vexé comme jamais ; il faut que je rattrape le coup dans la minute, sinon je vais le perdre pour toute l'année. Les autres rient toujours ; décidément il en faut peu à cet âge-là. 
_ Oh c'est bon, je peux me tromper ! 
_ Madame, aussi c'est normal qu'on se trompe, il est tout petit !
_ N'importe quoi ! 
_Mais si, il est plus petit que beaucoup de sixièmes ! 
_ Bah regardez, sa cousine est plus grande que lui, même ! 
_ Bon Amine, vu que je me suis trompée, je veux bien te faire une fleur ! Tu peux venir au CDI mais attention, je t'entends pas !! 
_ ... 
Il a l'air d'accord. Vite, étouffons l'affaire avant qu'il n'essaie de négocier d'autres formes de compensation. 
_ Eh c'est pas juste Madame ! 
_ C'est vrai, c'est complètement injuste ! Mais fallait pas vous moquer !" 




L'histoire 

Ce nouveau cycle intitulé Le Fou et l'Assassin fait suite à celui de L'Assassin Royal et nous y retrouvons de nombreux personnages que nous connaissons bien : FitzChevalerie, le héros et narrateur de l'histoire, Molly, sa compagne de toujours, sa fille Ortie, Umbre son vieux mentor, le prince Devoir _devenu roi, d'ailleurs, et la reine Kettricken. On estime qu'une dizaine d'années s'est écoulée depuis la fin d'Adieux et retrouvailles, treizième et dernier volume de la série, et on suppose également que l'action succède aux événements survenus dans les Cités des Anciens, une autre saga de Robin Hobb se déroulant dans le même univers.   


Souvenons-nous. A la fin de l'Assassin Royal, Fitz retombait à peu près sur ses pattes et atteignait enfin son but : mener une vie calme et rustique auprès de Molly, le tout dans le confort de l'anonymat. Il faut dire que l'homme avait sacrifié sa jeunesse pour servir le trône des Loinvoyant et ses sombres desseins. Il était alors un jeune bâtard gênant pour les uns et utile pour les autres, fils non désiré d'une paysanne Montagnarde et du Prince Chevalerie. Umbre l'avait façonné pour qu'il devienne l'assassin officiel du roi, ainsi que son garde du corps, sa réserve d'énergie vitale, son messager, son couteau suisse... Conscient de n'être qu'un instrument pour la famille royale et lassé de devoir se cacher, il avait fini par se retirer de la société et de se faire appeler Tom Blaireau. Le petit domaine de Flétrybois qui lui avait été accordé sur le tard lui convenait parfaitement. 

Quelques années plus tard, nous retrouvons Fitz profitant toujours pleinement de sa tranquillité et préparant son manoir pour la grande fête annuelle, de manière à ce qu'il puisse accueillir un maximum d'invités et de ménestrels. Tout baigne, mais quelques ombres au tableau subsistent :

  • Déjà, le Fou ne donne plus signe de vie. Il faut savoir que le bouffon royal était devenu au fil des années plus qu'un ami, une véritable âme-soeur ; intimement relié au héros par une forme de magie, il l'avait gratifié, dans la seconde période de l'Assassin Royal, d'une déclaration d'amour qui n'avait guère trouvé d'écho. Depuis, et après moultes aventures et temps de réconciliation, leurs chemins s'étaient séparés et les ponts avaient été coupés. On peut le dire, l'absence du Fou a créé un vide dans le coeur de FitzChevalerie.        
  • Ensuite, Fitz et Molly ne vieillissent pas au même rythme ; Fitz voit sa femme saisie des affres de la ménopause tandis qu'il conserve son corps de jeune homme _dans ses précédentes mésaventures, il avait été guéri d'une blessure par l'Art, une forme de magie noble. Pour tous les deux, la transition est difficile à vivre. 
  • Le soir de la fête, une jeune femme à la peau et aux cheveux pâles est assassinée dans l'enceinte du château. Personne ne saura jamais de quoi il en retourne, et on conclura à un règlement de comptes entre ménestrels. 
Les mois suivants sont marqués par un événement tout à fait improbable : Molly est persuadée d'être enceinte, bien que cela paraisse biologiquement impossible. Fitz veut bien y croire, mais les semaines s'écoulent sans que sa compagne ne prenne de bidon et il doit se rendre à l'évidence : elle est en train de perdre la tête. Famille, serviteurs... à Flétrybois, tout le monde joue le jeu poliment et laisse la maîtresse de maison tricoter sa layette. Pourtant, après deux ans de manège, Molly accouche d'une minuscule petite fille au teint pâle... 



Attention spoiler ! Si vous voulez lire le livre, arrêtez-vous là !





Abeille

Parce qu'elle est très petite, et peut-être aussi parce que sa mère manipule la cire depuis l'enfance, les heureux parentes décident de l'appeler Abeille. Abeille est une Loinvoyant, même si elle n'est pas née à la cour de Castelcerf et ne risque pas d'y mettre les pieds de sitôt. Fitz a bien saisi les enjeux de cette descendance imprévue : sa fille pourrait, comme lui autrefois, susciter la jalousie et de mauvaises intentions. 

Peu après sa naissance, Umbre s'entretient avec son disciple de l'avenir qui se dessine pour la petite fille ; mais il relâche la pression en penchant sa tête au-dessus du berceau : le bébé ne vivra pas, il en est convaincu, car il lui semble trop petit et trop passif. Son avis est partagé par beaucoup de monde, d'autant plus que le développement de la petite fille sera particulièrement lent, autant sur le plan physique que sur le mental. Elle ne marchera et parlera que très tard, entretenant avec sa mère une relation fusionnelle tandis qu'elle rejettera longtemps le contact de son père.

Cependant, alors qu'on s'en désintéresse et qu'on la condamne par avance à un avenir de simple d'esprit, Fitz distingue peu à peu des dons exceptionnels de mémoire et de graphisme chez sa fille... Quoi qu'il en soit, Abeille est et restera une personne "différente" des autres, on le sent venir. Elle-même, lorsqu'elle prend les rênes de la narration _voilà qui est nouveau, jusqu'à présent c'était FitzChevalerie qui tenait immanquablement le fil conducteur, se perçoit comme décalée par rapport aux autres enfants de la maison. Ces derniers ne se privent d'ailleurs pas de la maltraiter au nom de son étrangeté.




Grandir et vieillir 

Dans ce premier tome du cycle Le Fou et l'Assassin, l'action ne se lance pas vraiment ; oh, pas d'inquiétude, ça viendra bien assez vite ! Dans un premier temps, Robin Hobb a voulu planter le décor, nous familiariser avec les personnages et nous permettre de prendre la mesure du temps qui passe. Pour la première fois depuis le tout premier chapitre de L'Assassin Royal, on lit un livre dont l'action s'étend sur plus de dix ans _des années précédant la conception d'Abeille jusqu'aux neuf ans de la fillette. Comme on l'a évoqué plus haut, et c'est à mon avis l'idée la plus importante de ce début d'histoire, le temps passe et creuse ses sillons sur les hommes. Or, tout le monde ne réagit pas de la même façon à ses agressions et ceux qui "restent jeunes" d'apparence ne sont pas forcément les plus heureux. En effet, ils voient les autres se fatiguer, vieillir et ne avoir assez de force pour poursuivre le chemin à leurs côtés. C'est le cas de Fitz et de l'inusable Umbre. On verra Molly s'éteindre petit à petit, comme une bougie. Dans l'autre sens, le fait que la petite Abeille ne grandisse pas la relègue dès ses premiers jours de vie dans la catégorie des "faibles", des "non viables" et des demeurés. Pourtant, elle ne fait rien de moins qu'évoluer à son rythme.

Le Fou et l'Assassin est plein de promesses... d'autant que le Fou n'a pas encore fait son apparition dans ces premiers chapitres ! Voici la grande surprise du début : pendant 400 pages, je me suis attendue à un retour fracassant, ou au moins alambiqué de ce ménestrel androgyne qu'on appelle le Prophète Blanc, mais rien n'est venu. Bon, ne nous voilons pas la face, il est bien là, d'une certaine manière : il suffit d'ouvrir l'oeil.. Vivement qu'il arrive en chair et en os, tout de même !

A mon avis, mais je peux me tromper, ce cycle s'adresse davantage aux fans des cycles de L'Assassin Royal qu'à des lecteurs novices de Robin Hobb, qui pourraient ne pas être emballés par le manque de road trips et de bastons. Pour les premiers, les nouvelles aventures de FitzChevalerie sont l'assurance de passer un bon moment ; sinon, ce peut être une lecture intéressante pour tous ceux qui aiment savoir ce qui se passe dans un cerveau, et pour les amateurs de situations d'espionnage. Commencer Le Fou et l'Assassin sans connaître l'histoire des personnages principaux ne me paraît en revanche pas très sensé...

A suivre !




Robin Hobb. Le Fou et l'Assassin 1. J'ai Lu SF, 2014. Trad. A. Mousnier-Lompré. ISBN 2290118400 


 



dimanche 8 octobre 2017

Le collier de cailloux. Poèmes de passage - Doina Ioanid (2017)


Merci à Babelio et à l'Atelier de l'agneau pour l'envoi de cette bulle rafraîchissante de poèmes en prose intitulée Le collier de cailloux. Poèmes de passage, composée par l'écrivaine Doina Ioanid et traduite par Jan H. Mysjkin.

Minute, je vérifie si je n'ai pas oublié de lettres, ou si je ne les ai pas alignées dans le désordre.. Non, c'est bien ça : Mysjkin. Bravo à lui pour son travail d'orfèvre et ses commentaires qui m'ont donné quelques clefs de lecture. 






"La retraite vous semble encore loin, mais je vous assure qu'elle arrive vite !" nous disait M, la doyenne du collège lors de l'heure syndicale. Attroupés autour d'elle, les autres professeurs listaient leurs doléances de rentrée et évoquaient la question de la grève contre la Loi Travail prévue le mardi suivant. 

On aurait pu lui répondre que la maladie et la mort arrivent tout aussi rapidement, parfois même bien avant la retraite. Mais l'intervention aurait été perçue comme déphasée, sans nul doute. De toute manière, on n'interrompt pas M, du moins pas lorsqu'elle surplombe un auditoire, quand bien même ce serait pour aller dans son sens. C'est ainsi, ne me demandez pas pourquoi ; la situation était telle avant mon arrivée dans l'établissement, et quitte à mener une révolution, j'aimerais autant que ce soit pour une cause utile aux gosses.


Pourtant, on aurait été dans le sujet, pleinement. En lisant Le collier de cailloux. Poèmes de passage, je me suis souvenue de quelques vérités par toujours bonnes à entendre : le temps passe, la vie passe avec lui, la fin arrive inéluctablement. 



Eh ouais, désolée Stefan ! 

Plus que "le collier de cailloux", c'est le sous-titre "poèmes de passage" qui rend le mieux l'atmosphère de cet assemblage poétique. A travers des fragments choisis _ou pas ! de sa vie, Doina Ioanid nous prouve par A + B que l'existence est une route sur laquelle on n'a d'autre choix que de marcher sans s'arrêter. On avance sans pouvoir ni se retourner, ni stopper sa progression le temps de reprendre des forces, de guérir ou tout simplement de savoir ce qu'on veut, ni s'attarder à voir ce qui rend les autres heureux ou malheureux. 

Pourtant, tout serait tellement plus simple et vivable si on pouvait appuyer sur pause, ou déposer ce fameux "collier de cailloux" que forment toutes les expériences de notre vie et qui finit par peser trop lourd. Au point de nous entraver. On remarquera que, sauf erreur de ma part, le "collier" qui donne son titre à l'ouvrage n'est évoqué qu'une seule fois, quelque part au milieu du flot de poèmes. 


"J'ai un collier de petits cailloux. Je les ai ramassés dans les gares, sur les routes asphaltées au ballast, dans les carrières abandonnées, dans mes chaussures, dans les fontaines de nouvelles terrasses, dans les cabas des copains."



Comment ça, vous "n'aimez pas"



Dans la deuxième partie du recueil, celle de la "lettre à Papy Dumitru", c'est le passage d'un monde à l'autre qui est évoqué. Six ans avant l'écriture du recueil, Doina Ioanid _on peut affirmer sans trop se mouiller qu'elle parle d'elle, mais dites-moi si je me trompe ! a perdu son grand-père. Le travail de deuil est difficile. L'homme est passé de "l'autre côté", comme on dit, mais la petite-fille vivante s'efforce à bout de bras de maintenir ouverte la porte coupe-feu. Entre souvenirs d'enfance, idéalisation du grand-père à la vie rustique, et colère d'avoir été lâchement abandonnée par lui, l'auteure ne s'en sort pas. Elle "n'avance" plus, elle ne "passe" plus, elle fait une "glissade ininterrompue" depuis la mort. Ce second chapitre est particulièrement émouvant.    



La mine d'or Playmobil (hihi, je l'ai :-p)
Pourquoi là, maintenant ? Vous verrez bien

La poésie a ceci d'agaçant qu'on ne réussit jamais à percer ses mystères ; c'est l'art du message crypté dans sa forme la plus littéraire. Le collier de cailloux est un recueil très personnel _pourrait-il en être autrement ? et, si bien des passages nous touchent et font écho à nos propres expériences, on a le sentiment de ne pas tout comprendre, de ne pas saisir pleinement l'importance et la valeur de ce qui est dit. On sort troublé de cette lecture, et quelque peu frustré. L'impression d'avoir loupé un chapitre. Alors on relit. On voit autre chose, on comprend le texte différemment, mais... comment être sûr d'avoir compris et/ou ressenti ce qu'il fallait ? Bah, c'est aussi ça, la poésie ! A vous de piocher dans la mine d'or, il y a encore tant à trouver, à voir, à dire ! 

Doina IOANID. Le collier de cailloux. Poèmes de passage. Atelier de l'agneau, 2017. Trad. Jan H. Mysjkin. 70 p. ISBN 978-2-37428-007-3 



Et maintenant... une page de pub !
L'écriture vous passionne ou vous intrigue ? Allez voir ce site sur lequel je suis tombée, il est grave stylé très intéressant.

mercredi 13 septembre 2017

Sweet Sixteen - Annelise Heurtier (2013)





A la fin des années 1950, à Little Rock dans l'Arkansas. les jeunesses se passent mais ne se rencontrent pas. D'un côté, les lycéennes Blanches n'ont d'autre préoccupation que le choix de leur robe et de leur chanteur préféré : Johnny Mathis ou Elvis Presley ? De l'autre, les jeunes Afro-américaines habituées à se contenter des miettes de leurs homologues WASP et condamnés à travailler dur pour survivre à la ségrégation ambiante. Pourtant, les mentalités changent tout doucement d'un coin à l'autre des Etats-Unis, au grand dam d'une population majoritairement raciste qui vit ce progrès comme une agression.

C'est dans ce contexte trouble que neuf élèves Noirs entrent au Little Rock Central High School, lycée jusqu'alors exclusivement fréquenté par des Blancs. Nous sommes en septembre 1957 ; la ségrégation raciale est éradiquée depuis un an. Officiellement. Les jeunes peuvent donc fréquenter l'école qu'ils souhaitent, s'asseoir où ils veulent dans le bus, faire leurs courses dans tous les commerces... quelle que soit leur couleur. Officiellement, toujours.





La réalité du quotidien est bien différente ; lorsque les Neuf débarquent dans l'établissement, c'est la panique du côté des élèves comme de celui des parents ! Que vont devenir les adolescents "respectables" si on les laisse en contact avec des jeunes couramment considérés comme barbares, stupides et porteurs de maladies ? Quel métissage dépravé va donc naître de cette mixité ? Ce roman adapté d'une histoire vraie nous montrera que la connerie humaine est sans limites, et que le temps ne fait rien à l'affaire.




Molly fait partie de ces "nouveaux" indésirables. Comme ses pairs, elle s'est portée volontaire pour tenter "l'expérience" de la mixité, la tête pleine d'espoir et des beaux discours prônant l'égalité des races qu'elle a entendus à la radio. Son entourage n'est guère optimiste sur le futur proche de la collégienne, et nombreux sont ceux qui tenteront de la décourager : lorsqu'on est Noir, attirer l'attention sur soi n'augure jamais rien de bon. Il est au contraire bien plus prudent de faire profil bas. Pourtant Molly entrera bel et bien dans l'arène, sous le regard bienveillant de sa grand-mère Shiri.

Il ne faudra pas plus d'une journée de classe aux "Neuf" lycéens Noirs de Little Rock pour comprendre qu'ils ont atterri en Enfer : tous les coups seront permis _au sens propre comme au sens figuré ! pour les faire craquer, abandonner, ou causer leur expulsion.

Les Neuf escortés au lycée par l'armée.
Image trouvée dans l'article "Little Rock Nine" de Wikipedia

De l'autre côté de la barrière, Grace Sanders observe l'effervescence générale avec une indifférence propre à son âge et à son environnement social. Si la jeune Blanche pense "n'éprouver aucune sympathie particulière pour les Noirs", elle trouve exagérés les propos racistes tenus par sa mère, digne présidente de la "Ligue des mères blanches"...

Les chapitres se suivent dans une alternance de regards : celui de Molly la téméraire discrète qui, telle un roseau, plie mais ne casse pas, et de Grace, la fausse greluche superficielle. Il est intéressant de lire l'analyse qu'elles font des mêmes événements et de suivre l'évolution de leurs rapports. Au début, l'évitement est de mise, puis les personnalités s'expriment pour causer surprise, admiration, et peut-être un début d'amitié. Une chose est sûre, toutes deux partagent un objectif commun : faire de leur seizième anniversaire une journée inoubliable. 



Sweet Sixteen n'a pas volé son statut d'incontournable de la littérature pour la jeunesse ; facile à lire mais néanmoins cru et porteur d'un témoignage qu'il serait inconcevable d'enjoliver, ce roman d'Annelise Heurtier est à diffuser dans tous les CDI. A mon humble avis. D'ailleurs, j'ai souvenir qu'il nous ait été envoyé gratos avec les spécimens de manuels scolaires destinés aux enseignants : bonne initiative de Casterman, j'imagine ?

S'il n'a pas prétention à être une "leçon d'histoire", ce livre est riche en références culturelles et historiques relatives aux Etats-Unis de la fin des années 1950 : avant de lire ce livre, je n'avais jamais entendu parler des Neuf de Little Rock et c'était une vraie lacune. Que les jeunes et les moins jeunes puissent, eux aussi, la combler le plus vite possible, pour le bien de tous. Un court avant-propos nous indique quelle est la part de fiction dans cet ouvrage et qu'est-ce qui, au contraire, tient du fait réel.   

On appréciera les très belles illustrations de Djohr, et notamment celle de la couverture, très parlante.

Annelise HEURTIER. Sweet Sixteen. Casterman Poche, 2013. 220 p. ISBN 978-2-203-08458-2



dimanche 3 septembre 2017

Les Cités des Anciens - 8 - Le puits d'Argent - Robin Hobb (2013)


Un cycle se termine pour laisser place au suivant ! Voilà ce que nous nous disions l'été dernier, en fermant les cartons de déménagement. Eh oui, pour la petite histoire, mon cher collège jaune et biscornu est en cours de démolition ; une fois qu'il sera rasé, il renaîtra de ses cendres sous la forme d'un établissement moderne, lumineux, hi-tech, fonctionnel... et pourvu de bien d'autres qualités qu'il ne possédait pas vraiment jusqu'alors.   

En attendant, à nous les travaux, les préfabriqués, les escaliers métalliques qui tremblotent et les cloisons qui sonnent creux ! Il faut maintenant déballer les paquets, prendre nos marques... mais pas trop, car dans deux ans il faudra de nouveau bouger. 

Dans les Cités des Anciens aussi, on s'installe mais pas trop ! Si les dragons ne peuvent s'alimenter en Argent dans leur repaire de Kelsingra, à quoi bon y rester ? 




Où est-ce qu'on en était ? 


Les gardiens et les dragons sont toujours à la recherche du puits d'Argent qui assurera leur santé et leur longévité ; ils quadrillent les bâtisses imposantes, à l'affût de secrets ancestraux contenus dans les pierres de mémoire : mais comment procédaient-ils pour trouver, recueillir et utiliser ce métal magique ?

Malta et Reyn serrent les dents ; ils oscillent entre inquiétude et espoir car la survie du petit Phron dépend de leur efficacité. Un soir, Kanaï demande à Thymara de le suivre sans lui dire où il l'emmène...

L'horrible Hest se frotte les mains ! Fraîchement débarqué à Kelsingra, il a repéré sa femme et son amant ; bien qu'ils aient beaucoup changé et que tous deux semblent avoir trouvé chaussure à leur pied, il ne désespère pas de tirer son épingle du jeu en leur faisant du chantage. Mais la vie dans la Cité des Anciens n'est pas la même qu'à Terrilville...

A Chalcède, Selden se meurt auprès de la jeune Chassim ; le duc malade lui pompe tous les jours plus de sang en espérant se remettre d'aplomb grâce au fluide magique qui coule dans ses veines. Mais le jeune frère de Malta est à bout de forces... 


Cette fin de série est beaucoup moins prévisible que je ne le redoutais dans le billet consacré au tome 7, et c'est tout à fait appréciable ! Même si les Cités des Anciens m'ont un peu moins exaltées que les précédents cycles de Robin Hobb, je reconnais que ce final-là a un petit effet Têtes Brûlées goût pomme que je vous laisse découvrir de vous-même ! 


Le puits du Jeu de l'Oie

Une vie insignifiante 

La fin approche ! A qui donnera-t-elle sa part de bonheur et son lot de tuiles ?  

Pas à Kanaï, il n'existe plus vraiment. 

En se noyant dans la pierre de mémoire, Kanaï le loser insouciant devient Tellator, un guerrier imposant et craint de tous. Il est le premier à participer au combat des dragons contre les navires chalcédiens, à faire des rescapés des prisonniers puis des "otages" dont il pourra sous-tirer une rançon. Tous ceux qui le connaissaient se lamentent de le voir se faire peu à peu posséder par un conquérant mort depuis longtemps : quel gâchis, le brave Kanaï est en passe de perdre son âme, peut-on encore le sauver ? 

Mais au fait, est-ce vraiment souhaitable ? Souvenez-vous de l'adolescent qu'il était dans les premiers tomes... Un rigolo au physique filiforme qu'on ne remarquait que lorsqu'il entrait dans un excès de loufoquerie, un amant pour qui le sexe était un jeu comme un autre, le premier gardien a avoir été balayé par les eaux du désert des pluies... A cette époque, l'existence de Kanaï n'avait de valeur pour personne et il n'était même pas pleinement intégré dans le groupe des parias. L'Ancien de Gringalette _ vous voyez, même le nom de sa dragonne n'était pas crédible !_ avait tout à gagner en troquant sa personne vulnérable contre l'esprit charismatique de Tellator. Tellator le viril, le chef de guerre, celui qui n'a besoin que de claquer des doigts pour trouver une femme disponible et consentante.


Thymara n'est pas plus impressionnée par l'un que par l'autre, et c'est la seule ombre au tableau pour le chef des gardiens. Son refus de s'offrir à lui _malgré une insistance lourdingue_ cassera le lien qui les unit ; vexé, Kanaï se réfugiera dans le combat et dans tous les autres domaines qui lui réussissent. Décidément, le miracle du coup de foudre ne se sera pas produit avec la donzelle ailée ! 


Pourtant, les miracles existent dans Les Cités des Anciens - ATTENTION SPOILER 

Arrêtez-vous là si vous comptez lire le livre !

Selden et Tintaglia, séparés depuis les débuts de l'aventure, sont tous deux des miraculés ! Une âme charitable (et sentimentalement intéressée) les tire du pays des morts où ils avaient déjà posé un pied et demi. Chassim, la fille du duc de Chalcède, protège "l'homme dragon" dont le sang est sucé tous les jours, prête à le suivre dans le trépas. Mais il était dit que les amants maudits ne mourraient pas de la sorte ! Tintaglia est sauvée in extremis par le grave dragon mâle nommé Kalo, plus attentionné que cette brute épaisse de Glasfeu. Les retrouvailles de la reine des Trois Règnes et de son "petit chanteur" seront pour le moins fracassantes !


Robin HOBB. Les Cités des Anciens - 8 - Le puits d'argent. J'ai Lu, 2013. 320 p. ISBN 978-2-290-08598-1