jeudi 28 octobre 2010

Belle vue, n'est-ce pas?


Vivement le jour où je me réveillerai ailleurs, la tête lourde comme une enclume, en me demandant si tout cela n'était rien d'autre qu'un vague cauchemar!

mardi 26 octobre 2010

Merlin Merlot, du Père Castor à Archive.org


Alors que je réfléchissais à la dimension intéressée, que prennent inévitablement les liens sociaux au bout d'un certain temps, je me suis souvenue vaguement d'une histoire du Père Castor. Comme chacun sait, le Père Castor est toujours de très bon conseil, bien qu'il laisse ses trois stupides petits enfants jouer au bord de l'eau s
ans surveillance. Bref, il faut croire que ce conte entendu une seule fois a su se faire une place confortable dans ma cervelle, pour ressortir de façon aussi impromptue après tant d'années, et j'ai eu envie d'en retrouver la trame. Mais je ne disposais que de peu d'éléments, et n'avais dans ma tête que les images, sans pouvoir y associer de mots.



"Bon, les gosses, poussez-vous! vous me pompez l'air, à force!"

Réfléchissons. Le Père Castor est bien brave, mais il n'invente rien. Il met en scène des histoires populaires et des contes des temps anciens afin que les petits enfants puissent en tirer une morale. Je ne devrai pas me sentir frustrée ou bloquée dans mes recherches si je me rends compte que
toutes les histoires du Père Castor ne sont pas piratées de partout, mises en lignes sur Youtube par tranches de 10 minutes, doublées en suédois et sous-titrées en espagnol, grâce à l'aimable contribution de 140 utilisateurs différents. Ce qui est effectivement le cas : il faudra se contenter du générique. Dailymotion est plus causant : quelques épisodes sont disponibles en streaming, dont celui de la galette roulante qui, à force de faire sa belle, finit dans le gosier d'un renard. Mais pas celui que je cherche. Comment faire? Interrogeons notre mémoire.

L'histoire se passe au Moyen Age. Il y a de la neige partout. Le héros, un pauvre bûcheron, se lamente de passer sa vie à couper du bois, ce qui par ailleurs est un peu le principe du bûcheron : sans doute n'a-t-il pas choisi son métier. Un soir, alors qu'il chouine particulièrement fort, un magicien vient le consoler. Il lui dit quelque chose comme : « si tu me promets de faire le bien
autour de toi, je te fais devenir riche dès maintenant, en t'indiquant l'emplacement d'un trésor. Mais dans un an jour pour jour, il faudra que tu reviennes ici-même pour rendre compte de toutes tes bonnes actions et montrer que tu as tenu ta promesse. »

Ah, je me souviens aussi de quelque chose qui m'avait surprise : le magic
ien se nommait Merlin, mais n'était pas le célèbre enchanteur. Indice de taille! Merlin pourrait très bien figurer dans le titre de l'épisode (ou de l'album!) du Père Castor. Le Père Castor a-t-il un site web? Non...*** Mais il fait l'objet d'une fiche complète sur le site Planète Jeunesse, où tous les épisodes sont listés, dont un : « Merlin Merlot »! Nous tenons notre homme!


Il est temps de passer au choses sérieuses et de parcourir la toile en faisant un un usage raisonné du moteur de recherche Yahoo!. Je m'attaque directement à la recherche avancée, et j'indique « Merlin Merlot » dans le champ « tous les mots », en précisant que ces deux mots devront se trouver dans le titre des pages web proposées en résultat, lesquelles devront également contenir le mot « bûcheron ». Pour éviter les parasites, je prends quelques mesures de précaution; j'élimine toutes les pages, qui, même si elles répondent aux critères sus-cités, ont la malchance de compter les mots suivants : « enchanteur », « outillage » ... « hélicoptère » ... et puis « bicarbonate » aussi, parce qu'on n'est jamais trop prudent. Je limite l'expédition du robot aux noms de domaines finissant par .fr. Après avoir filtré les éventuels résultats à caractère pornographique, je prends soin de sélectionner quelques langues de prédilection pour ne pas être noyée parmi les liens slovènes. Il va sans dire que pendant que je formule ma requête, le métamoteur Copernic Agent est parti à la recherche de l'expression exacte « Merlin Merlot », et qu'il est en train de me retourner Lycos et AltaVista comme des crêpes.

Non, je déconne. J'ai ouvert Google, j'ai tapé
Merlin Merlot (sans guillemets!), et j'ai cliqué sur le premier lien, qui n'est pas un article de Wikipédia, mais un document Word contenant une traduction du texte original de Merlin Merlot, Du vilain qui devient riche et puis pauvre. Il est hébergé sur le site personnel d'un prof qui suggère à ses collègues des textes médiévaux exploitables en classe de 5°, libres de droits. Pas si mal, pour avoir tapé deux pauvres mots n'importe comment.

Le bûcheron avait une femme et deux enfants. Il avait donc plus de mal à joindre les deux bouts que son voisin, dont la vie se résumait aussi à couper du bois et à essayer de le vendre, mais qui n'avait pas de progéniture. Le jour où Merlin vint lui indiquer l'e
mplacement d'un trésor enfoui, en échange d'une conduite exemplaire pour l'année à venir, il n'avait absolument rien vendu et se préparait déjà à se faire engueuler par sa femme.

Il accepte donc le marché sans se faire prier; après bien des courbettes, des prosternations, il court annoncer la bonne nouvelle à sa famille, qui interprète d'abord son euphorie comme un léger foutage de gueule, jusqu'à ce que le trésor soit bel et bien déterré.
C'est la fête : aussitôt, le bûcheron balance la hache, s'achète une maison, des terres, des amis, et profite à fond. Un an plus tard, n'oubliant pas son bienfaiteur, il se présente au lieu-même de leur rencontre, et .. s'aperçoit qu'il n'a rien fait de particulièrement charitable ou autre, mais après tout il n'a rien fait de mal non plus. «As-tu ce dont tu as besoin?» Lui demande Merlin. «Oui; mais tant que vous êtes là, j'aimerais bien monter en grade et avoir plus de pouvoir; ce serait le pied» «Ok, répond Merlin, en attendant, rentre chez toi, fais le bien autour de toi, et reviens dans un an jour pour jour, pour en rendre compte.» Faciiile!

Merlin Merlot serait donc un fabliau; au Moyen Age, ces petits récits amusants écrits en vers étaient répandus; on les situe aux XII° et XIII° siècle. Si je lance une nouvelle recherche en prenant en compte ces nouveaux paramètres, j'obtiens d'autres résultats; dont une page de The Internet Archive. Depuis 1996, ce projet de « bibliothèque numérique » permet à tous de découvrir ou étudier des documents historiques, même si, en réalité, il s'adresse plus particulièrement aux historiens, aux chercheurs. Aujourd'hui, Internet Archive a pu développer de nouvelles fonctionnalités (archivage de pages web, fichiers sons, images), mais le site conserve son objectif premier : faciliter l'accès au savoir. Toujours est-il que dans l'Open Library du site, en feuilletant le tome 5 des Fabliaux ou Contes, Fables et Romans du 12° et 13° siècle, traduits ou extraits, conservé à la bibliothèque de l'Université de Toronto, j'arrive enfin à «Merlin». Encore une traduction, certes, mais elle fera l'affaire.


Oui, je sais, on voit rien



Devenu puissant, le bûcheron prit franchement le melon. Il se mit à snober son voisin, ce pauvre type sans ambition qui coupait du bois à longueur de journées, mais ne s'attacha pas à être vertueux, comme il l'avait promis : après tout, n'avait-il pas assez souffert comme cela? La date de sa visite annuelle à Merlin Merlot s'approchait et il avait du mal à cacher sa flemme d'aller le voir.

Or, il se souvint que le magicien avait quelques pouvoirs et que cette entrevue était une nouvelle opportunité de gratter des avantages.
« As-tu encore besoin de quelque chose? Demanda Merlin _ Oui, je veux que ma fille se marie avec le prévôt voisin et que mon fils soit évêque. _ Ok, fit le magicien, en espérant que son indulgence aurait un impact positif sur ses actes de l'année à suivre, reviens dans un an, ici-même, comme d'habitude».

Autant donner de la confiture aux cochons! Le bûcheron devint de plus en plus hautain, et, s'il se présenta effectivement au rendez-vous fixé à la date convenue, l'année suivante, ce ne fut que pour annoncer à Merlin que cette entrevue l'agaçait et qu'il n'était plus question qu'il vienne se les geler au milieu d'un bois en plein hiver, simplement pour le remercier. Il n'avait plus besoin de rien, et se passerait désormais de ses services.

Pas une seule seconde, il ne s'est dit que si Merlin en avait eu assez dans le chapeau pour lui venir en aide, il avait sans doute les moyens de le détruire : quelques jours plus tard, les enfants du bûcheron moururent, il perdit toutes ses alliances et ses pouvoirs, se fit jeter de ses terres, et dut reprendre sa hache pour survivre.

Au XXI° siècle, les bûcherons et les apprentis Merlin Merlot continuent de se croiser, inlassablement. Entre ceux dont la chance raccourcit la mémoire, et ceux qui indiquent les trésors enfouis sans se soucier de savoir s'ils récupèreront ou non leur pourcentage, à qui la faute? A tout le monde. Comme la relecture de cette histoire m'a fait passer un très bon moment, la morale du jour sera la suivante : un ami est quelqu'un dont l'absence-même vous sert à quelque chose! Eh oui, l'utilité, on y revient toujours...

Je dédie ce billet à notre regretté Paul le Poulpe!


*** Mise à jour du 27/03/11 : contrairement à ce qui a été annoncé, il existe bien un site dédié au Père Castor. Mais le lien ne fonctionne pas, actuellement.

dimanche 24 octobre 2010

Chasser le lapin de Nabaztag.




C'est tellement plus facile à dessiner qu'un vrai lapin...

samedi 9 octobre 2010

Notre prison est un royaume - Gilbert Cesbron -

Chaque année, à la fin du printemps, la petite ville de Vergt célèbre sa spécialité locale : la fraise. A défaut d'être assez médiatisée pour se voir attribuer une réputation de carrefour international des femmes enceintes, la fête de la Fraise et des Fleurs est cependant un grand rendez-vous départemental. Elle donne lieu à un imposant marché de produits dérivés de la fraise, à un concours de danse et de chansons occitanes, et à une brocante peuplée de promeneurs endimanchés de leur costume périgourdin traditionnel, et de leurs lourds sabots (respect!).

Depuis deux ans cependant, la Fête de la Fraise, qui représentait une sortie familiale incontournable, est devenue un sujet quasi tabou; cela fait maintenant partie des choses dont on ne parle pas. Le lendemain de l'événement fatidique, lorsqu'un gros plan sur LA tarte aux fraises géante ouvre l'édition Périgords du journal de France 3, personne n'ose franchement fixer l'écran.


C'est lors de la fameuse brocante que la magie de la fête de la Fraise est devenue un orage de grêle pourfendeur de familles. En effet, ma mère et moi avons un coup de cœur pour une grande caisse pleine de vieux livres, et plus encore pour le prix de vente de l'ensemble (1euro). Or, cela impliquait que, en supposant que nous craquions pour de bon, quelqu'un porte la caisse. N'étant pas de taille, nous prîmes la décision de la porter à deux. Le tableau s'annonçait ridicule, d'autant plus que nous avions toute une rue à remonter jusqu'au parking, mais nous, les Femmes, nous savons sacrifier notre image pour la bonne cause. Hum.

« Mais, qu'est-ce que vous allez en faire? »

Ce doit être la question que les brocanteurs doivent entendre le plus souvent au cours leur vie, à force de voir défiler les acheteurs indécis. En l'occurrence elle était posée par mon père.

« Vous n'avez pas assez de bouquins comme ça? Là dedans, il y en a peut-être que vous avez déjà! Où est-ce que vous allez les mettre?»

Oui, bon, parmi les San Antonio, les guides de la ville de Paris dans les années 60, il y a effectivement une ou deux vieilles connaissances, comme
Le Diable au Corps, ou Cyrano de Bergerac, mais ils font partie de ceux qu'on ne regrette jamais d'avoir en double. Il serait intéressant de savoir quel a été le chemin de ces vieilles pages vermoulues, de leur impression jusqu'à nos jours...

Le vendeur aimerait qu'on se décide et se demande s'il va devoir descendre le prix à 50 centimes: « Si personne n'embarque tout ça d'ici ce soir, je les balance, de toute façon. Ma tante ne m'a pas demandé de nettoyer son grenier pour que je lui ramène des trucs; et moi, qu'est-ce que j'en ferais?

_ Oui, mais justement, nous aussi, qu'est-ce qu'on va en faire? »

Au fond, mon père se fout de savoir si nous allons lire les vieux romans, faire des avions avec les pages, ou caler une table avec. Ce qui le perturbe, c'est de prendre le risque de se faire remarquer en remontant la rue à côté de personnes qui portent laborieusement des vieilles choses poussiéreuses et inutiles avec la conviction d'avoir fait une affaire. Pour limiter les dégâts, il se propose de porter lui-même la caisse, conscient que dans ce cas de figure, c'est lui qui passe pour un con; il n'ose même pas envisager l'éventualité de croiser une connaissance...

_ Ou alors, on va faire un tour de l'autre côté du village, et on revient chercher les livres après?

Non, non, le vieux piège du « on repassera tout à l'heure » ne marche plus et ne sert absolument à rien, si ce n'est à mettre ma mère et ma sœur hors d'elles. Oui, elle aussi est venue s'en mêler, comme toujours dès que le ton monte. Après engueulade générale, nous sauvons in extremis les livres du bain de sang pour les caser dans la voiture, sans en tirer de gloire particulière.

L'incident est clos, et la fraise avalée, définitivement. Ce jour-là, la tension était telle qu'on a directement rangé les livres dans un placard, sans même les feuilleter.

Rideau.
(Un jour, je ferai un article sur Louis la Brocante. Il le faut!)


Tout ça pour dire que, dans cette caisse de livres, que j'ai quand même fini par aller fouiller une nuit d'insomnie, il y avait
Notre prison est un royaume, de Gilbert Cesbron.
Pour moi, Gilbert Cesbron était un parfait inconnu; heureusement, il faisait l'objet d'un article sur
Wikipédia, DONC j'étais sauvée : « né le 13 janvier 1913, à Paris où il est mort le 13 août 1979; écrivain français d'inspiration catholique ». Pas la peine d'aller plus loin, me voilà déjà pleine de préjugés! Notons que cet écrivain a été populaire dans les années 50, mais qu'à présent il est tombé dans l'oubli.
Sympa, le titre! Sur la couverture, trois jeunes qui tirent la gueule. Encore une histoire d'école ou d'orphelinat? Sans doute pas le meilleur moyen de trouver le sommeil, mais je n'ai pas encore eu le temps d'aller emprunter le tome 3 de l'
Assassin royal... donc c'est parti.

Le roman retrace une année scolaire dans un lycée parisien, vraisemblablement dans la période de l'entre deux guerres. Dans leur classe de seconde, quatre élèves forment un groupe indissociable : François, Alain, Pascal et Jean-Jacques. Ils s'identifient aux quatre mousquetaires, ils sont un peu rebelles, ils ont leurs dilemmes et leurs passions (« suis-je royaliste ou républicain?? »), s'écrivent des messages codés, et, bien qu'ils portent des prénoms à la con, ils s'en sortent plutôt bien, dans la vie!!

Or, le jour de la rentrée, c'est le drame : Pascal manque à l'appel. Il faut dire qu'il a une bonne excuse, puisqu'il s'est suicidé pendant les vacances, ce qui rend pas mal de choses impossibles pour lui, désormais. La vie continue. Elle continue avec une facilité déconcertante : les mousquetaires ne sont plus que trois, ce qui est suffisant pour faire tourner en bourrique les profs qui se mouchent bruyamment ou qui ont le malheur d'avoir leur fils dans le lycée, les surveillants qui s'endorment, pour mener une guerre impitoyable contre une autre classe, saboter un repas de classe et une sortie pédagogique. Seul François, ne se relève pas de cette tragédie: il est le plus
"jeune" de la bande, il est complexé de « ressembler à un enfant » (comprendre : d'en avoir une petite), et il voyait en Pascal le modèle à suivre. Les temps ont changé, et il faut faire avec; plein de mépris pour Alain et Jean Jacques qui ont vite oublié leur pote, trop occupés à draguer ou a entretenir leur réputation de forte tête, François décide de mener l'enquête, de son côté, pour découvrir la cause du suicide de Pascal.

Hormis les références littéraires (les Trois Mousquetaires, Chateaubriand, Nerval) qui peuplent les pensées du héros mélancolique, et qui font qu'on n'est pas loin de prendre ce roman pour un
Profil Bac ^^, la lecture de Notre prison est un royaume n'est pas plus contraignante que moraliste. C'est même assez troublant de voir que, soixante ans après la publication, les jeunes peuvent facilement, se reconnaître dans des personnages qui n'ont pas vieilli; surtout depuis le grand retour sur les registres d'État civil des Fernand, Hubert, Louis-Gaston, et autres vieux prénoms!


Notre prison est un royaume – Gilbert Cesbron – 1948 – Robert Laffont

Illustration → Livre de Poche