vendredi 26 février 2021

Ta main sur ma bouche - Déborah Saïag, Mika Tard (2021)

Merci à Babelio et à NiL Éditions pour l'envoi du roman Ta main sur ma bouche dans le cadre de l'opération Masse Critique. Cet ouvrage a été écrit par Déborah Saïag et Mika Tard, jusqu'à présent plus connues pour leurs travaux de scénaristes. 


Je suis trop bien rentrée dans l'histoire pour arriver à faire synthétique, désolée !

L'histoire 

En France, de nos jours. En publiant sur Facebook l'histoire du viol dont elle a été victime quelques années plus tôt, Diane sait qu'elle a jeté un pavé dans la mare. Si son #MeToo permet à de nombreux contacts de manifester leur soutien _voire de s'exprimer à leur tour, d'autres commencent à transpirer parce qu'ils comprennent qu'ils sont visés, directement ou non, et parce qu'ils n'ont pas envie de se faire éclabousser par leurs erreurs passées, maintenant qu'ils ont une famille, une carrière, qu'ils sont en passe de devenir célèbres. 

En effet, l'agression a été commise dans le cadre d'une soirée entre amis, par un type que tout le monde apprécie. Le groupe d'amis est resté soudé depuis, beaucoup travaillent ensemble et tous sont restés en contact : les avis divergent, les esprits s'échauffent : il y a ceux qui tombent des nues, ceux qui se sont voilé la face, et ceux qui regrettent de n'avoir pas su voir... Tous sont d'accord sur un point : cette histoire commence à dater.  

Edouard, l'ex-copain de Diane, est alors sollicité pour "résoudre le problème" rapidement... Mais quel est le problème, justement? Les agissements d'un "ami" commun, ou le fait d'avoir à traiter une vérité qui dérange ? 





Roman à deux voix 

Ta main sur ma bouche est organisé en 34 chapitres relativement courts portés par deux narrateurs : le fameux Édouard, et Alison _dite Ali, sa copine actuelle. C'est à travers leurs propos, qui se croisent parfaitement, qu'on prend connaissance de leur parcours respectifs, de leur place dans le sac de nœuds que forme cette bande de potes. Ainsi, le lecteur peut remonter le fil des événements et se prépare à mener sa propre enquête : à lui de démêler le vrai du faux, de récupérer les omissions et d'évincer les souvenirs construits. 

Ce procédé présente plusieurs avantages : il place le lecteur en tant que personne qui intègre les informations en même temps que les personnages principaux, et qui réagit en fonction. On sait qu'on est dans la fiction, mais, si cela avait été vrai, qu'aurions-nous fait ? N'aurions-nous pas réfléchi à deux fois avant de monter au créneau pour dénoncer ? N'aurions-nous pas essayé d'en savoir plus, de défendre nos intérêts ? Sans prise de recul, les statuts de bourreau et de victime n'ont parfois rien d'évident, même pour les principaux concernés. D'où la difficulté d'alerter, pour celle ou celui qui subit, d'où la grisante impression de champ libre pour les manipulateurs qui bricolent à leur guise dans la mécanique du doute.    



L'alternance parfaite des voix _ un chapitre est raconté par Ali, le suivant par Édouard et ainsi de suite, jusqu'à la fin, sert aussi à nous tenir en haleine. Je pense que c'est le moment où on doit se dire "ah, on reconnaît bien là la patte des scénaristes !" quand on a de la culture cinématographique. Mais comme je découvre totalement l'oeuvre de Déborah Saïag, qui s'exprime à travers Ali, et de Mika Tard, qui s'est collée la partie "Edouard", je ne peux que supposer. Cela dit, les premières pages m'ont un peu déstabilisée car je me sentais comme happée dans l'épisode initial d'une série télé, où tout s'enchaîne très vite, tant au niveau de l'action que dans la présentation des personnages, du décor, du contexte... et c'était un peu trop speed pour moi. Ensuite, l'utilisation d'un vocabulaire familier, qui certes apporte du réalisme et une dimension actuelle, m'a semblé excessive par moments. Attention, il s'agit là d'un ressenti personnel, ces tournures ne gênent pas la compréhension et je ne pense pas que ça puisse vous faire tomber le livre des mains.    

Enfin, Ali et Edouard sont d'emblée séparés par leurs impératifs professionnel : le travail et le statut social sont des paramètres-clés à tous les stades de l'histoire. Ali part en train pour rejoindre Chloé, chanteuse célèbre pour qui elle travaille, et qu'elle idolâtre ; Niels, son mari, doit la récupérer à la gare. Edouard, quant à lui, file à son agence de pub. Officiellement pour travailler, officieusement pour en savoir plus sur le #MeToo de Diane. La journée marathon qui va se dérouler sous nos yeux va apporter son lot de surprises et de déconvenues de part et d'autres, nous laissant voir un drame se dessiner (ou pas ?) sans pouvoir rien y faire, comme lorsqu'on va voir une tragédie, au théâtre.  






Les réseaux sous toutes leurs formes 

Je ne vais pas dire que Ta main sur ma bouche n'a pas ses défauts ; on n'évite pas certains clichés chez les personnages principaux, malgré un effort manifeste pour éviter les stéréotypes. Par exemple, le violeur de Diane a un côté "artiste incompris bolossé par le système" qui ne trompe pas vraiment son monde. Édouard est bobo stressé qui fabrique des pubs, c'est un fils à maman trouillard qui se cache volontiers derrière ses déboires familiaux... et qui devient soudain un preux chevalier prêt à se surpasser pour venger l'outrage. Surprenant. Mathieu son patron - et ami - joue les petits chefs, met des coups de pression à tout le monde et saute partout, parce que money money money. Ses copines lesbiennes Leïla et Emma réunissent à elle deux le méga-combo {tirade féministe + pinte de bière + PMA + crâne rasé}. En revanche, le personnage d'Ali est de loin le plus intéressant, même si son petit côté "je suis une gamine noire issue d'une famille de cas sociaux DONC je suis en conflit avec mon père, DONC je gueule dans le train ET j'idéalise une femme qui n'est pas de mon milieu" m'a fait peur, au début. Mais au fil des pages, on a de quoi se rassurer quant à la complexité de la jeune danseuse. 

Toutes les figures que je qualifie de plus ou moins énervantes _parce que je suis une chieuse qui pinaille pour rien, mais bon vous me connaissez à force_ n'en sont pas moins des pions d'égale valeur sur l'échiquier : ils nous permettent de prendre conscience du poids du réseau, du groupe, de la meute quasi-familiale que forment ces potes de longue date. En fait, tout gravite autour de Chloé, la chanteuse qui a percé. La femme de Niels. L'amie de Mathieu, de Marie. La meilleure amie d'Édouard. L'idole d'Ali... copine d'Édouard... qui lui-même a pu accéder à son poste dans la pub en s'appuyant sur ce cercle amical plein de ramifications, aussi fort que malsain. Alors, lorsqu'on est une "pièce rapportée" telle que l'était visiblement Diane, on pèse moins lourd dans la balance, et quand bien même on pourrait parler, on n'est pas certain d'être entendu.  




En ce sens, Ta main sur ma bouche est un roman révélateur. Heureusement qu'il existe. Il est d'autant plus important de le faire connaître qu'il montre tous les fils translucides et collants de cette terrible toile d'araignée qui piège la victime et l'empêche de parler malgré une vraie conscience de sa situation et une sincère volonté de s'en tirer. Si les campagnes de prévention des violences, du harcèlement, sont de plus en plus visibles, si la communication autour des procédures de signalement et des sanctions est de plus en plus présente, l'aspect psychologique, la mise en place des collets et la déconstruction des pièges sont plus difficiles à traiter autrement que par le biais d'une œuvre artistique tel qu'un roman, un film, une série...  

De même, si les hashtags sont maintenant universellement connus et utilisés, si on ne cesse de s'armer contre les "dangers" des réseaux sociaux et d'Internet, il est rare de pouvoir mettre en évidence l'omniprésence du virtuel au quotidien, dans notre façon de nous interpeler, de nous mettre en scène, de nous faire connaître. Ici, c'est plutôt bien fait : le statut Facebook de Diane devient une grenade qui ne doit surtout pas être dégoupillée, et la grande mission de "Doud", (le surnom d'Édouard, pas facile à porter) va être de le lui faire effacer... La publication Instagram d'Ali en train de chanter à moitié bourrée, créée et postée par Niels alors qu'ils attendent Chloé, la déstabilise puis lui donne confiance en elle au fil du nombre de likes qui ne cessent de croître. Edouard "aime" les publications de ses potes par politesse, et n'apprécie guère de se faire alpaguer par son amie Marie sur Messenger. Ali s'accroche en vain à des messages de Chloé, autour de qui tous gravitent, et qu'on ne verra jamais IRL au cours de l'histoire.    

C'est un peu compliqué de parler de Ta main sur ma bouche sans en dire trop ; et je tiens vraiment à ne pas laisser fuiter d'infos cruciales sur l'histoire, afin de vous laisser la découvrir par vous-même dans son intégralité et l'interpréter librement. La fin est ... vraiment surprenante ; elle m'a laissée un peu perplexe, puis j'ai regardé The Foon, film de 2004 signé des même autrices, et je me me suis dit que les scènes finales WTF devaient être leur marque de fabrique. 

Génial ou vraiment trop perché ? 
Je n'arrive toujours pas à me décider...
Une chose est sûre : il faut l'avoir vu. 

 
Bref, allez vous faire une idée par vous-même ! On aime ou on n'aime pas l'écriture de Déborah Saïag et / ou de Mika Tard, mais les sujets abordés ne sont pas anodins et restent trop rarement traités en littérature. Le rythme rapide et sans temps morts ne vous laissera pas le temps de vous ennuyer.  

Déborah SAÏAG ; Mika TARD. Ta main sur ma bouche. NiL Editions, 2021. 314 p. ISBN 978-2-37891-089-1
 


vendredi 19 février 2021

Le test de la poule

C'est tellement bon de pouvoir s'entourer de personnes qui apprécient nos qualités et qui nous acceptent tel que nous sommes. Qui se montrent capables de composer avec nos casseroles aussi sûrement qu'on s'aventure dans leurs zones d'ombres. Encore faut-il tomber dessus ! La tâche serait sans doute plus simple si on n'était pas tout le temps pris dans un jeu de dupe où on ne s'attache qu'à donner la meilleure image de soi. Du coup, on s'associe au gré de nos rencontres avec des profils qui nous "parlent", mais pas toujours pour les bonnes raisons. Après la phase où chacun trompe son monde, les personnalités se dévoilent, tout aussi riches, mais nettement moins fun et commerçantes que les avatars pleins de promesses.    

Résultat des courses : déception d'un côté, sentiment de rejet suivi d'indignation de l'autre, et réciproquement.

Les paroles de cette chanson m'ont toujours mise un peu mal à l'aise, mais le fait est qu'elles correspondent bien au propos.

Alors oui c'est la vie et les relations humaines déséquilibrées en font partie pleinement, mais franchement si on peut s'épargner quelques déconvenues, c'est pas plus mal ! 

J'ai trouvé un truc pour faire un premier tri rapidement : c'est le test de la poule. 


Comme vous l'avez compris je pense, les poules me passionnent depuis toujours. Je peux passer des heures à les observer dans leurs interactions, à essayer de faire manger dans ma main les plus méfiantes d'entre elles, à scroller Google Images ou à guetter les grands événements avicoles... bref, généralement, les gens trouvent ça ultra chelou et/ou excessivement paysan. Même (et surtout) à la campagne, où on ne prête attention au poulet que lorsqu'il est piqué après une broche ! Du coup, j'ai appris à cacher cet intérêt peu commun pour la volaille vivante avec autant de minutie que si j'avais eu la syphilis. 

Ma p'tite Tubiche !


A présent, je fais le choix de rentabiliser ma passion : à mes nouvelles connaissances, je clame dès que j'en ai l'occasion la classe de la Sebright, l'audace de la Padoue Chamoisée, la gentillesse de la Bantam de Pékin, la sérénité du Coucou de Rennes, la douce folie du Cou-Nu du Forez. C'est ça, mon test de la poule. Les réactions sont diverses et variées, mais terriblement éclairantes sur la suite des rapports que je vais entretenir avec mes interlocuteurs : pour certains, je redeviens direct la blédarde (et fière de l'être) ; pour d'autres, je suis une folle à lier, quelqu'un qu'on ne prendra décidément plus au sérieux. La gêne, le foutage de gueule ou le mépris mettront fin à toute possibilité d'amitié, et c'est autant de temps de gagné. 


Un Cou-Nu du Forez de toute beauté
Auteur :
DocMuséo —
 Travail personnel, CC BY-SA 4.0,
 https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=45929649

Restent ceux qui respectent, à défaut de comprendre, qui vont même (faire semblant de) s'intéresser à la question, qui vont venir demander des conseils pour monter leur poulailler, qui vont vous envoyer des vidéos et des actus, et surtout, qui ne vont pas juger l'aspect insolite de vos propos. Ceux-là sont les bons ! Gardez-les près de vous... 



mardi 16 février 2021

[CULTURE POULE] Le jeu "Poule planée" sur Wii Fit Plus (2009)

Après l'abonnement à Netflix et l'acquisition d'écouteurs Bluetooth sans fil pour la course à pieds (boîtier chargeur compris), j'ai encore repoussé les limites de l'embourgeoisement en équipant la maison d'une console Wii. Officiellement, c'est pour ma mère, mais pour l'instant j'avoue que c'est surtout moi qui m'en sers. L'installation, les réglages, tout ça...



En effet, grâce à l'explosion de la Switch, le prix de la Wii a pas mal baissé et j'ai pu trouver une très bonne occasion pour pas cher. Les consoles n'en restent pas moins des signes de richesse à mes yeux, donc c'est le kif du moment. Bref. Pour l'instant l'âge de mon "Mii", l'avatar qui bouge et marque les points en fonction de mes mouvements, est de 54 ans : selon des docteurs de Nintendo, il est urgent que je me remette en forme avec toutes les activités disponibles sur Wii Fit Plus. C'est en parcourant la liste des jeux que j'ai découvert Poule planée : forcément il fallait que j'en parle ici !   




Le but du jeu (pour le mode débutant)

Vous êtes une poule perchée sur une île ; depuis votre point de départ, vous devez rejoindre un bateau qui a jeté l'ancre au large. Vous disposez d'une poignée de secondes et de la force de vos ailes pour atteindre votre objectif. Attention, n'allez pas tomber à l'eau ! 


La chasse aux secondes 

A première vue, l'exercice semble facile. Pourtant, en y regardant de plus près, on réalise vite qu'il est quasiment impossible d'aller du point A au point B en une trentaine de secondes, même en essayant de faire des mouvements de bras très rapides dans l'espoir de faire tracer sa poule _ce qui n'est d'ailleurs une bonne tactique pour accélérer qu'à la condition que vous preniez bien soin de positionner vos pieds correctement sur la Wii Board.    


Ce constat d'impuissance nous amène bien vite à chercher un moyen  de gagner du temps et d'emmagasiner des secondes de jeu supplémentaires : pour cela, votre poule peut (et même doit) faire escale sur les différentes plateformes-cibles qui jalonnent son parcours et qui lui sont indiquées avec force flèches et spirales colorées. Lorsqu'elle en survole une, il lui suffit d'arrêter de battre des ailes pour se laisser planer et tomber en douceur sur le plateau _mais pas trop tôt, histoire d'éviter qu'elle tombe à côté _et donc à l'eau. Aidez-vous de l'ombre projetée par votre héroïne ! 


Vidéo issue de la chaîne de MrGatGame, merci pour ce test du jeu !


Plus vous allez avancer dans le parcours, plus on va vous demander d'être précis dans vos atterrissages ; les plateformes vont devenir des cibles, et en fonction de là où vous posez les pattes, vous obtiendrez 10, 20, 30 secondes, voire plus. Bien entendu, plus vous être proche du centre, mieux c'est. Lorsque vous vous posez, un joyeux cocorico retentit et vous encourage à reprendre votre route le plus rapidement possible.   




De la tête aux pieds 

Contrairement à ce que laissent entendre les instructions qui ouvrent le jeu, il ne suffit pas d'agiter les bras frénétiquement pour avancer ; il est important de bien utiliser l'ensemble de son corps pour tourner à droite et à gauche, et notamment ses pieds. En appuyant avec la pointe des pieds sur l'avant de la Wii board, par exemple, on fait comprendre à sa poule qu'on veut avancer. Ne pas le faire va juste lui commander de s'envoler très haut, et cela va compliquer les plans du joueur débutant qui ne pourra alors plus voir le fameux bateau symbole de ligne d'arrivée. De même, se balancer vers l'arrière en se reposant sur les talons laisse entendre qu'on veut reculer _et, oui, c'est possible de faire marche arrière, si on a loupé une escale, par exemple. Il n'est pas forcément contreproductif de retourner sur ses pas... 

Tout au long du jeu, des conseils vous sont donnés de manière à faciliter votre progression ; généralement, ils correspondent à ce qui vous entrave plus ou moins : correction du positionnement sur la balance, encouragement à aller vers les cibles ou à se laisser planer quelques instants pour perdre un peu d'altitude... Il faut avoir joué quelques parties avant d'être en mesure de remarquer ces astuces et de les assimiler. 

A vous d'être assez précis et rapide pour cumuler les points et passer du rang de "poussin" à celui de "poulette d'essai" puis "poulette de chasse". Un quatrième statut existe, celui du boss, qui doit être réservé aux "parcours sans faute" mais pour l'instant je ne peux y prétendre !  

Illustration prise sur ce site.
Mes photos sont trop pourries pour qu'on puisse s'en contenter.


Dans la peau d'une poule
 
Dès les premières secondes de jeu, vous remarquerez que votre apparence de volatile est quelque peu humanisée par la conservation du faciès de votre avatar. Personnellement ça ne m'aurait pas déplu d'avoir une tête de poule plus réaliste, histoire de mieux rentrer dans le rôle qu'on me donne. Là, j'ai vraiment l'impression d'avoir été glissée dans un costume de carnaval auquel personne ne croit, et je trouve cela assez dommage. Mais je pinaille. Respectons le choix opéré par les concepteurs et saluons d'existence d'un jeu dont un poulet est le héros. 



Poule planée 
Wii Fit Plus 
2009