vendredi 23 avril 2021

[MASSE CRITIQUE - BABELIO] La part des chiens - Marcus Malte (2003)

Merci à Babelio et aux Editions Zulma pour l'envoi de La part des chiens, dans le cadre de l'opération Masse Critique. Ce roman écrit par Marcus Malte a d'abord été publié en 2003 avant d'être réédité en format poche cette année. 

L'histoire 

Zodiak et Roman dit "le polac" cherchent Sonia inlassablement, depuis de longs mois. 

Sonia, c'est la femme du premier et la sœur du second ; cette jeune funambule de talent s'est comme évaporée du camp de forains dans lequel ils vivaient tous les trois, et depuis ce jour, ils tentent de retrouver sa trace. Mais la tâche est ardue ; on comprend vite que Zodiak et Roman n'ont en leur faveur que leur solide amitié et leur amour pour la disparue. 

La part des chiens débute par leur arrivée nocturne dans une ville portuaire dont on ne connaîtra jamais le nom : ils semblent y avoir flairé une piste et s'immergent dans les ruelles les plus glauques, parce qu'ils savent bien que les clefs des lieux compromettants finissent toujours dans les bas-fonds. Les deux hommes ne paient pas de mine sous leurs allures de marginaux, mais gare à ceux qui tenteraient de les prendre de haut ! Leur détermination ne connaît ni les limites de la morale, ni les travers de la fierté, ni les codes de l'honneur. Si, pour arriver à leurs fins, ils doivent frayer avec la frange la plus malsaine de la population locale, en découdre avec des gros bras, secouer des prostituées ou encore supporter une projection de films pédopornographiques crânement présentée par le propriétaire d'un cinéma miteux sans tout de suite le dégommer... ils le feront. 


Saint Germain du Salembre
Sortie à vélo du 18 avril.
Non, ça n'a rien à voir avec le livre, et alors ? C'est mon blog !


Ambiance sombre et sublime 

Ne connaissant pas du tout l'auteur, j'ai lu quelques critiques en parcourant Internet. Il semblerait que Marcus Malte soit connu depuis longtemps pour sa capacité à mêler efficacement le glauque à la poésie dans ses textes ; c'est effectivement le cas dans La part des chiens, où les différents chapitres alternent en douche écossaise : le lecteur suit Zodiak et Roman dans leur enquête, avec toute la violence qu'elle sous-entend, puis remonte le temps au gré d'un narrateur omniscient peut-être soucieux de nous faire faire des pauses régénératives ? On vit alors le coup de foudre qui a touché Zodiak lors de sa première rencontre avec Sonia, aussi onirique que chelou _ il avait douze ans, elle huit ET elle était à poil..., on découvre le sage astrologue Aghara qui prendra le héros sous son aile, l'univers pourri de ce camp de roulottes dans lequel les protagonistes surnagent ou tirent leur épingle du jeu avec beaucoup de mérite. Toujours est-il que ces petits flashbacks nous aident à mieux comprendre l'histoire qui se déroule sous nos yeux, et notamment le contexte de la disparition de la funambule. 

Ils apportent aussi la dimension d'enquête du roman ; en effet, la quatrième de couverture qualifie l'histoire de "roman noir", et j'ai d'abord eu un peu de mal à l'identifier comme tel : oui, les personnages sont des cas sociaux et évoluent dans un univers sombre, laissant peu de place à l'espoir. Mais pas d'inspecteur à l'horizon, pas d'indices, pas le moindre élément concret susceptible de rappeler un roman policier. Au fil des pages, on comprend que Zodiak est dans une démarche d'investigation : de bouges crasseux en locaux désaffectés, il sonde, menace, dialogue pour retrouver la piste de son âme sœur. Il tire des déductions de ce qu'il arrive à faire cracher à ses interlocuteurs. Ok, va pour le roman noir... De toute façon j'y connais rien, et puis on s'en moque. La complexité des personnages me semble être un point plus important à observer.  



La brochette n'était pas végan !   

En chien fidèle, Roman se contente d'obéir aveuglément aux ordres d'un binôme qu'il adule autant qu'il le craint. Du moins lorsqu'il n'est pas en train d'essayer de calmer son appétit gargantuesque. Pourtant, les dernières phrases qu'ils prononcera dans l'un des derniers chapitres seront peut-être celles de la vérité... Le polac n'est pas plus Watson que son beau-frère est Sherlock Holmes : au fond, sous un vernis de raisonnement rationnel, Zodiak n'est jamais guidé que par ce que lui dicte son coeur, et par sa capacité à lire l'avenir dans les constellations. A chaque rencontre, il est catalogué comme le "cerveau", quand Roman se voit systématiquement coller une étiquette de brute épaisse sur le front. Certes, leur équipe est aussi complémentaire que le laissent présager les apparences, mais pas pour les raisons que l'on croit : ils se connaissent depuis l'enfance, les deux hommes se respectent mutuellement _ Zodiak ne s'énerve jamais contre les boulettes de Roman, Roman prend soin d'épargner à Zodiak son point de vue sur leur quête_, et ils aiment Sonia plus que leur propre personne. De la fameuse Sonia, on ne saura pas grand chose que ce que nous laissent entrevoir les "chapitres flash-back" : prometteuse depuis ses jeunes années, elle excelle comme funambule et semble rendre à Zodiak l'intérêt qu'il lui porte. Quelques figures secondaires ne manqueront pas de s'imprimer dans la mémoire du lecteur : Igor Pécou, l'homme haut d'un mètre quarante et délesté de l'une de ses jambes suite à une mésaventure, propriétaire d'un cinéma porno et acteur dans certains des films projetés. ou "Monsieur Victor", dit "le Prince", un fils de maçon devenu gangster, qui n'a tellement pas la tête de l'emploi qu'on se demande bien comment ça a pu marcher pour lui.      

     

Il faut que je trouve un moment pour parler de cette BD.
Il y aurait pas mal de parallèles à faire avec La part des chiens, en plus !

Etre un malfrat s'apprend, même s'il faut des prérequis. De même, décrire la violence sous toutes ses formes n'est pas donné à tout le monde. Marcus Malte sait le faire. D'un bout à l'autre de l'oeuvre, les scènes trash, cruelles ou simplement très réalistes s'enchaînent sans que ce soit de trop. La scène de la "projection forcée" du film (j'en dirai pas plus pour pas spoiler) a notamment été très difficile à lire tant les images données m'étaient dures à encaisser. Je crois que je n'avais pas ressenti un tel malaise depuis la lecture de Ca de Stephen King, qui reste ma référence en la matière, traitez-moi de fragile si le cœur vous en dit. L'auteur réveille tellement bien nos instincts qu'on en vient à distinguer complètement l'acte répréhensible, destructeur, criminel..  de "ce qui est mal". Je ne serai sans doute pas la seule à avoir trouvé ce drôle de duo de forains de plus en plus attachant au fur et à mesure qu'ils commettent des horreurs... 

La part des chiens est une étrange expérience de lecture que tout le monde devrait vivre au moins une fois ! 

Marcus MALTE. La part des chiens. Editions Zulma, 2021. 270 p. ISBN 9791038700031


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vendredi 9 avril 2021

[Téma la bibliothèque] Le CDI est un champ de bataille comme un autre : Un sprint pour Marie - Philippe Barbeau (1994)/ Gamer - Pierre-Yves Villeneuve (2016) / Par les chemins noirs - 1 - Les Prologues - David B. (2007)

La lecture récente de deux romans et d'une bande dessinée ont fait écho à des situations, rares mais tout à fait plausibles, où le silence sacré d'une bibliothèque se voit profané par une bagarre aussi ravageuse qu'imprévisible ! 

  • Le premier des deux romans est le tome 1 de Gamer, une série de livres pour ados et jeunes adultes écrite par Pierre-Yves Villeneuve, dont j'ai entendu parler en écoutant une émission des Mystérieux étonnants* _ ceux-là même qui m'ont fait découvrir Elmer. 
  • Le second, plus ancien, s'intitule Un sprint pour Marie et a été écrit par Philippe Barbeau. Ce petit livre était dans les rayons bien avant que j'arrive dans l'établissement ; malgré sa couverture vieillotte qui sent bon les années 1990, je n'ai plus du tout envie de désherber. 
  • Enfin, Les prologues est le premier volume de la série Par les chemins noirs, de David B., un auteur de BD dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à mon dernier passage à la bibliothèque. 

Leur point commun ? Le CDI _ ou son équivalent québécois_ et la bibliothèque sont des lieux importants de l'histoire, dans le sens où ils deviennent bien malgré eux un terrain miné sur lequel un conflit latent éclate au grand jour. 


Gamer - 1 - Nouveau port. Pierre-Yves Villeneuve (2016)

Au Canada, 2015 ou dans ces eaux-là... Une nouvelle vie commence pour Laurianne et son père : les projets professionnels de ce dernier les obligent à quitter leur maison à la campagne pour s'installer dans une ville plus grande. Laurie aurait bien des raisons de s'en réjouir : voir du monde, frayer avec les citadins, avoir à portée de main tous les services nécessaires à l'épanouissement de la lycéenne qu'elle est... C'est un univers étrange et excitant qui s'ouvre à elle. Mais l'idée de ce déménagement ne soulève en elle qu'une vague mélancolie ; son microcosme lui convenait plutôt bien, puisqu'il réunissait ses copains d'enfance, son meilleur ami Sam qu'elle abandonne à regret, son skatepark, son PC gamer et du champ libre pour la course à pied. 

 
Lorsqu'elle voulait changer d'horizon, la jeune geek n'avait qu'à se connecter à un serveur de La ligue des mercenaires, l'un de ses jeux en réseau préférés, pour faire vivre la redoutable Stargrrl derrière l'écran. Grâce à la magie d'Internet, elle pourra encore le faire, à la condition que les talents de bricoleur du dimanche de son cher père ne mettent pas en péril son installation informatique ! En effet, un malheureux accident d'étagère va précipiter ses démarches de socialisation en l'obligeant à partir en quête d'un clavier neuf. Elle met alors les pieds un cybercafé qui n'est autre que le QG des gamers du coin, avec qui elle a déjà sympathisé au lycée : comme quoi, le monde est petit. La voilà tout de suite intégrée dans ce petit groupe de jeunes qui ne se prennent pas la tête et avec qui elle semble avoir quelques passions communes. Pour autant, personne ne peut remplacer Sam, ce gars sûr avec qui elle continue de Skyper régulièrement. 

Au lycée, Laurie n'a qu'un objectif : ne pas faire de vagues. Mais bien qu'elle soit discrète, elle ne manque pas de caractère et ne supporte pas de se laisser marcher sur les pieds. Elle se heurte assez vite à Sarah-Jade, une fille populaire relativement désagréable avec qui ne lui mange pas dans la main. 

C'est marrant : autant Sarah et Jade sont des prénoms qui passent bien, autant Sarah-Jade, ça fait vraiment pétasse.

Les insinuations et les coups en douce fleurissent, mais très vite, la guerre est déclarée sur fond de rivalité amoureuse : jusqu'où peut aller la star de l'école pour éradiquer la petite nouvelle en baggy qui ose lui tenir tête (et lui faire de l'ombre)

La sauce va monter jusqu'à l'"incident de la bibliothèque" qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui. Il faut d'abord savoir que, dans le lycée où évoluent les personnages de Gamer, la première mention du centre de documentation survient au chapitre 17 : on y apprend qu'il est situé au "dernier étage de l'école", et qu'il dispose de "cubicules"_ c'est à dire de petites salles de travail vitrées_ qu'il faut réserver auprès de la documentaliste Madame Claude lorsqu'on a un exposé à préparer.

"La pièce est petite. Il y a tout juste assez de place pour nous quatre. L'air est surchauffé et sent le renfermé."  

Mettez quatre adolescents dans un bocal de ce type, et vous verrez qu'il peut se passer à peu près tout sauf du travail : vas-y que ça parte en fou rire, que ça fasse coucou aux copains après avoir mollement griffonné trois mots sur une feuille quadrillée ! 

Occupés à vouloir arranger le coup entre la sage Margot et le beau Simon, Laurie, Elliot et Charlotte ne voient pas leurs ennemis potentiels jeter discrètement un fumigène puant dans le box avant d'en bloquer la porte avec une chaise pour les empêcher de fuir. Cette scène m'a fait flipper car elle représente parfaitement ma hantise, en tant que documentaliste, de voir des élèves perdre le contrôle d'une mauvaise blague de ce type... et de ne pouvoir éviter le drame. Car il faut bien le reconnaître : sur le coup, Madame Claude était un peu aux fraises : elle ne tente de débloquer la porte qu'au moment où les quatre prisonniers lancent un ultime assaut avant une mort certaine par étouffement, explosant la serrure et la tronche de la dame par la même occasion. On a quand même un particulier qui a eu le temps de cramer un fumigène dans la bibliothèque, de le balancer, de choper une chaise pour entraver des gus restés à l'intérieur... au nez et à la barbe du personnel encadrant... Tout va tellement vite dans ce genre de situations.  

                                                           "Dehors, il y a mes fleurs !" 
                                                          

Pierre-Yves Villeneuve permet quand même à la bibliothécaire de garder la face en procédant à l'évacuation des lieux suite au déclenchement logique de l'alarme incendie, et en témoignant en faveur des victimes de l'attentat. Au final, plus de peur que de mal, même si Margot s'en tire avec un bon d'entrée à l'infirmerie pour avoir respiré trop d'effluves toxiques. Mais ce début d'apocalypse au CDI permet de mettre en évidence les mécanismes qui entrent en jeu dans la tête de victimes de harcèlement à l'école. Laurie, Charlotte, Elliot et Margot ont l'intuition que Sarah-Jade est à l'initiative de ce qu'on appellera "l'incident du cubicule", mais face au directeur de l'école, qui flaire le coup fumant et qui fait pourtant tout pour les mettre en confiance, ils n'osent pas l'accuser, pris entre de faux doutes, un regain de fierté et une peur sourde des représailles. Une peur bien justifiée : confortés par leur petit succès, quelques sales gosses vont tenter de nuire à la réputation de Margot via Facebook. Pourquoi elle en particulier, alors qu'elle rase déjà les murs en temps normal ? Justement parce qu'elle semble plus fragile et donc plus facile à atteindre. 


Même si à première vue, ce premier tome de Gamer ne se distingue pas trop d'autres récits d'adolescents issus de familles monoparentales prenant un nouveau départ après un déménagement subi, il a l'avantage d'aborder de manière juste et efficace un cas de cyberharcèlement et d'atteinte à l'identité numérique d'une personne. Mieux encore, il traire d'une thématique plus rarement évoquée : la place (pas toujours facile à tenir) des filles dans les jeux vidéos. En effet, d'un chapitre à l'autre, on suit tantôt les aventures de Laurianne, tantôt celles de Stargrrl arpentant les mondes fantastiques de la Ligue des mercenaires. On peut le souligner : Pierre-Yves Villeneuve relève le défi difficile de "raconter" l'évolution d'un avatar dans un jeu en réseau, décrivant précisément le décor, l'équipement des personnages, les subtilités du jeu _et ce n'est même pas ennuyeux ! Il fallait oser. Toujours est-il que Laurianne déplore à plusieurs reprise les propos sexistes dont elle fait l'objet, et remarque que les "gamers" ont parfois du mal à faire équipe avec les rares "gameuses". Là encore, l'avatar de Sam peut avoir son rôle à jouer. 


                                                          Interview sympa de l'auteur ! 

                                                            Chaîne Le Blog de Sean 

L'évolution de l'amitié à distance de Laurie et Sam ne manque pas de faire écho à des situations malheureusement actuelles, où les casques et les webcams nous permettent de faire fi des kilomètres. Si Laurianne m'a d'abord beaucoup fait penser à La fourmi rouge que j'avais lu quelques semaines plus tôt, dans le sens où l'héroïne vit avec son père déluré et avec l'absence d'une mère rarement évoquée, et parce qu'elle vit une amitié forte et sans tabou avec un gars sympathique et aussi peu populaire qu'elle, le traitement des personnages est un poil plus subtil. Ce n'est pas étonnant : on a affaire à une série d'au moins six volumes (sept ? à vérifier). Mais je reconnais avoir été surprise, fermement convaincue que j'étais que les contacts virtuels entre Sam et Laurie s'étioleraient jusqu'à disparaître, au fur et à mesure de leurs nouvelles rencontres : or il n'en est rien, et c'est un bon message d'espoir qui fera rêver tous les gens convaincus que "loin des yeux loin du coeur" _souvent à juste titre, malheureusement.   

Si vous êtes amateur de comics, de jeux vidéos, de cinéma, vous vous éclaterez à relever toutes les références semées çà et là _jamais gratuitement. A l'inverse de La fourmi rouge, qui démarre en trombe et finit par "retomber" jusqu'à devenir assez prévisible, Gamer sent d'abord le réchauffé puis arrive à être vraiment original. Je suis assez motivée pour lire la suite, peut-être le serez-vous aussi !  

Gamer - 1 - Nouveau port a tout à fait sa place en CDI de collège et lycée ; les tournures québécoises ne gêneront pas la compréhension, d'autant plus qu'un lexique en donnent l'explication en fin d'ouvrage.   

* Non non, ils ne me payent pas pour placer leur site : c'est juste que j'apprécie sincèrement leurs émissions.  

Pierre-Yves VILLENEUVE. Gamer - 1 - Nouveau Port. (2016). 320 p. ISBN 2875803093


Un sprint pour Marie - Philippe Barbeau (1994)


Tiens ! Encore l'histoire d'un nouveau qui vient de déménager ! Fabien est un jeune tourangeau fraîchement installé dans un village de Sologne suite à la mutation de son père. Il a un peu de mal à s'acclimater au monde rural, mais Arnaud, un camarade de classe féru de cyclisme, l'entraîne sans sa passion. Cette rencontre va réveiller l'âme de compétiteur du héros, d'abord admiratif de ce copain sûr de lui, aussi talentueux à vélo qu'en cours de français. Après quelques tours de pédales, Fabien se prend à rêver de mettre son modèle dans le vent, sans vraiment se l'avouer : il sent bien que leur amitié naissante est déjà solide et sincère ! Il sait aussi qu'il n'a pas le charisme de son pote et on devine que le complexe d'infériorité le guette. Le club journal organisé au CDI par "Monsieur Millefeuille", paye ton surnom de documentaliste, maintient une sorte d'équilibre où chacun trouve sa place puisque tous les rédacteurs sont complémentaires, jusqu'au jour où.. Bah Marie ! Quoi, vous l'aviez pas vue venir ? On va pas se mentir, il suffit de lire le titre et le prologue retraçant le départ d'une course cycliste pour comprendre les grandes lignes de l'histoire. Dommage, un en-tête plus énigmatique aurait pu nous laisser parier d'abord sur une romance gay entre les deux protagonistes masculins jusqu'à ce que la belle Marie tombe là comme un gros Kinder Surprise au pied de ton bonzaï ! Joyeuses Pâques ! Bref tant pis, les voies de l'auteur son impénétrables. 

En bonus, la couverture de l'édition Flammarion
 sur laquelle l'héroïne est en train de se moquer des asiatiques, eh beh c'est du propre !
(Blague 18e degré, j'espère quelle passera) 

Un jour de club journal, donc, alors qu'une épidémie de grippe décime les élèves _ahah, ça vous rappelle rien ? Tout était donc écrit ! Fabien se voit "obligé" de collaborer journalistiquement avec Marie. Il avait le choix entre une meuf et des sixièmes, donc bon. On apprend d'ailleurs que le droit d'aînesse régit le comité de rédaction, puisque ce sont les troisième qui choisissent les rubriques, qui traitent les "sujets sérieux" et qui hiérarchisent les infos, tandis que les "petits" ne sont que de vagues pigistes chargés de démêler les ragots de la cour de récréation. C'est tellement injuste et cruel... que ça me donne bien envie d'essayer ce mode de fonctionnement, tiens !  

Arnaud et Fabien dragouillent Marie comme ils peuvent, mais ils sont tellement occupés à essayer de faire ça discrètement, que d'une, ils ne se calculent pas l'un l'autre, et de deux, ils ne voient pas qu'elle va relativement mal. L'ambiance se plombe vraiment quand les garçons comprennent qu'ils se sont branchés sur la même fille : en dépit de quelques courbettes, leur rivalité de mâles en rut a tôt fait de piétiner leur amitié tel un troupeau de bisons. D'ailleurs, c'est sûrement pour cela que Fabien s'adresse aux vaches de son voisinage lorsqu'il a besoin de parler. Cela pourrait aussi s'expliquer par le fait qu'il n'a pas d'amis. 

C'est dans cette atmosphère pesante qu'on en arrive au climax de l'histoire, le moment que vous attendez tous : la baston dans le CDI. Les journalistes du collège se sont répartis en groupes, et comme d'habitude le triangle amoureux est au complet ; Arnaud est en train de défoncer gratuitement l'article proposé par Fabien, qui voit rouge, l'insulte et lui colle son poing sur la gueule. S'ensuit une bagarre spectaculaire au cours le laquelle bien des livres vont faire leur baptême de l'air. 

"Fabien n'en pouvait plus. Arnaud l'exaspérait à un point ! 
Alors, soudain, il hurla un "arrête connard" (cet enfant est d'une vulgarité !) qui rompit le silence de la bibliothèque (dans les années 1990, on ne parle pas encore trop de CDI). Puis il bondit, le regard planté dans celui d'Arnaud, et balança la table pour mieux le faire tomber de sa chaise

Ce à quoi je pense toujours lorsqu'on me parle de tables renversées
Titanic (1999) mais vous le saviez déjà.

Crayons et papier volèrent. Marie cria. 
Fabien était déjà en position défensive et ce fut une chance. Arnaud lui décocha un coup de poing qu'il bloqua tant bien que mal. Fabien reprit l'initiative, l'agrippa par le col et lui assena un coup de boule qui fit aussi mal à l'un qu'à l'autre. Arnaud roula au sol, se releva aussitôt pour foncer tête baissée dans le ventre de Fabien qui s'effondra les fesses dans un bac de bandes dessinées (Mon coeur de cédéière saigne). 
[...] 
Des livres devinrent projectiles. 
Arnaud s'apprêtait à jeter une encyclopédie à la tête de Fabien lorsque Millefeuille s'interposa." La chute du mâle alpha est évitée de peu par le documentaliste, on ne peut que saluer son intervention. 

Pour l'histoire, les nerveux reviendront au CDI afin de tout ranger, cheh. Mais là n'est pas l'essentiel ; puisqu'ils ont explosé l'abcès en foutant du pus partout, y compris sur la tête de Marie, ils sont bien obligés de verbaliser leurs rancœurs respectives... et de constater leur connerie. Il faut croire que cette phase bestiale était nécessaire au bon équilibre de leur amitié. 
                                                                                                                       => CDI lieu de médiation ! 


Je me moque, mais Philippe Barbeau parle plutôt bien des relations amicales entre les collégiens. Bien sûr, Un sprint pour Marie a un peu vieilli : ça se ressent vraiment beaucoup à la lecture des dialogues entre ces adolescents décidément bien sages. Quant au vocabulaire technique propre au cyclisme, utilisé en abondance dans les chapitres qui racontent le "duel" final, je ne suis pas certaine qu'il soit toujours d'actualité presque trente ans plus tard. Il est certain qu'Arnaud n'aurait rien d'un thug dans les romans d'aujourd'hui. Pourtant, la morale de l'histoire, s'il y en avait une, pourrait être d'engager le jeune lecteur à s'exprimer, quelle que soit la situation. Le message est toujours bon à prendre : Fabien, le blanc-bec, n'arrive par à dire à Arnaud qu'il l'admire et le jalouse en même temps ; Arnaud ne parle de son amour pour Marie à personne, car il a peur de passer pour un con. Marie a grillé tout le monde, mais elle ne veut pas mettre les pieds dans le plat, d'autant qu'elle a sa propre histoire à régler et ne souhaite pas la partager avec ses potes. Elle choisit finalement l'écrit pour faire prendre conscience à ses copains qu'ils la mettent en porte à faux et que c'est chiant pour elle. Ce sont tous ces non-dits qui vont créer un effet cocotte-minute et rendre l'échange de coups inévitable : voilà un cas de figure qui sera toujours d'actualité ! C'est difficile de mettre ce court roman entre les mains d'un jeune d'aujourd'hui sans qu'il ne vous le jette à la gueule au bout de trois phrases, mais celui qui voudra bien s'y accrocher en aura pour son prix. A lire, donc !  

Philippe BARBEAU. Un sprint pour Marie. Flammarion, 1994. Castor Poche Sénior. 102 p. ISBN 2-08-164103-08

Par les chemins noirs - 1 - Les prologues. David B. (2007)

La fille en rouge qui pousse comme un champignon au milieu d'une foule de types en train de se battre a précipité l'emprunt de cette bande dessinée. Je ne sais pas si ça vient du ton éclatant de sa robe ou de son oeil en amande, mais je me suis dit que ce personnage devait en avoir assez sous la pédale pour rendre l'histoire entraînante.    

Fiume, 1920. La ville porte encore les stigmates de la Première guerre mondiale et ses habitants vivent mal leur récente annexion à la Yougoslavie plutôt qu'à l'Italie. Le commandant Gabriele d'Annunzio, soldat et poète, s'y installe dans l'idée d'en faire une république indépendante et rameute pas mal d'anciens militaires et de déserteurs à sa cause. 

Parmi eux figure le calme et ténébreux Lauriano. Il est membre d'un groupe d'énergumènes mi-bandits mi-justiciers, farouchement opposés aux autres bandes du secteur. 

Le temps de quelques planches, le héros m'a fait penser à quelqu'un sans que j'arrive à savoir qui...
 Le flegme, les cernes...
Puis soudain, tout est devenu évident !!

Toby dans The Office !!! (version US)

C'est à l'occasion d'une descente dans un appartement squatté par le gang des "Milanais", leurs ennemis, qu'il rencontre Mina, une jeune femme retenue prisonnière. Il décide de la prendre sous son aile, au grand dam de ses compères déjà méfiants vis-à-vis de lui : il semblerait que son côté "intellectuel ami des livres" les effraie. Ils ne pourront rien faire contre le coup de foudre qui électrise l'ancien soldat attaché à sa part d'ombre et la chanteuse de cabaret en quête de célébrité. 

Le lecteur aura tout le loisir de suivre les tourtereaux dans leurs déambulations à travers Fiume, sur les toits comme dans les rues, de jour comme de nuit. 

Mais lorsque D'Annunzio se lance dans des discours endiablés, le romantisme n'existe plus : Natale, Lauriano et les autres rejoignent leur QG : le grenier de la vieille bibliothèque. 

David B. a conçu la planque de ses protagonistes de façon à ce qu'elle prenne la forme d'un espace étouffant, grouillant de livres ; les hommes qui l'habitent provisoirement ont "recréé une tranchée" avec les ouvrages stockés là, et, en fonction de leur personnalité et de leurs centres d'intérêt, attribuent un rôle à l'objet livre :  Lauriano, instruit et curieux, profite de la situation pour lire. Il est dit qu'il "aime être entouré de livres". 

D'autres choisissent de construire des meubles de fortune avec les bouquins, de s'en faire des cachettes. Aussi sont-ils mieux protégés que prévu lorsque les Milanais lancent l'assaut sur la bibliothèque avec force grenades et coups de feu : à l'abri des livres, ils peuvent riposter et même contre-attaquer. Elle devient le refuge par excellence, celui qui resiste, par opposition aux appartements des bandes rivales, dont les portes sautent en trois coups de pompes. De quoi faire honneur à D'Annunzio, leur idole.  

Voilà une partie de l'histoire de l'Europe de l'entre-deux guerre qui m'était totalement inconnue ; si l'écrivain Gabriele D'Annunzio est renommé pour ses oeuvres littéraires, son projet de faire de Fiume une république à part entière ne me disait tellement rien que j'ai fait quelques recherches pour voir ce n'était pas une invention de David B.. Rien que pour cela, il est intéressant de ce plonger dans cet album. Pour l'instant, je n'ai pas lu les autres volets de Par les chemins noirs, mais j'ai cru comprendre qu'il ne s'agissait pas de suite directe. Ils ressemblent plus à des captations de vies, de moments de l'histoire, qu'à des récits soucieux de montrer l'évolution de quelques personnages auxquels on pourrait dangereusement s'attacher : c'est en tous cas l'impression que j'ai eue en lisant Les prologues.    

David B.. Par les chemins noirs - 1 - Les Prologues. Fururopolis, 2007. 62 p. ISBN 9782754801003