jeudi 4 juin 2020

Dans la série : y a confinement et confinement ! Naissance des coeurs de pierre - Antoine Dole (2017)

"J'espère que je n'ai pas fait une boulette..." 
Tu n'as pas "fait une boulette", tu as balancé un couscous entier, tu le sais fort bien, et au fond de toi tu jubiles.
 Pourquoi est-ce que je suis l'une des rares personnes à ne pas me laisser séduire par tes petits numéros ? J'aimerais mieux ne pas voir...      

Sans le vouloir, ces derniers temps, je me suis retrouvée à lire pas mal de bouquins qui parlent de l'enfermement sous toutes ses formes : vive BCDI à distance ! Le pire, c'est que ce n'était vraiment pas étudié pour ! S'il y a bien une dernière ahurie en France qui n'a compris le concept de confinement qu'en se réveillant avec un petit SMS du gouvernement le mardi 16 mars au matin, c'est bien moi. 
D'où ils ont eu mon portable, d'ailleurs ?
Peu importe, il est temps d'évoquer ces lectures de circonstance. 
              

Naissance des coeurs de pierre - Antoine Dole (2017)
  
                                                            


Jeb a 12 ans : comme tous les enfants de son âge, il doit passer une épreuve pour "entrer dans le Programme". Ce rite de passage propre au Nouveau Monde doit lui permettre d'être considéré comme citoyen à part entière. Les jeunes sont essentiellement testés sur leur capacité à dissimuler leur humanité : en effet, dans cette société qui se dit "meilleure" que celle de l'Ancien Monde, les émotions sont interdites et considérées comme dangereuses pour soi et pour les autres : n'est-ce pas elles qui ont causé les guerres, autrefois ? Aussi, les candidats qui montrent des signes de faiblesse le jour J révèlent qu'ils n'arrivent pas encore à se détacher de leurs états d'âmes, et un sort aussi mystérieux que redoutable les attend. Ceux qui savent se maîtriser sont prêts à se faire injecter la potion magique qui lavera définitivement leur cerveau, "pour le bien de tous". Jeb espère qu'il réussira et qu'il saura se montrer digne d'entrer dans le Programme : le contraire couvrirait sa mère de honte. Mais au fond de lui, il sait bien que c'est mort. 




Aude vient d'entrer en seconde dans un lycée de bourges, avec la motivation propre à son âge. Ses parents sont sur son dos car ils veulent qu'elle brille, mais leurs coups de pression vont s'avérer contre-productifs. Si on ajoute à cela d'autres paramètres plombants, tels que l'ambiance du bahut pas vraiment propice à l'intégration pour ceux qui se démarquent, l'absence des copines du collège, ou le désintérêt des adultes pour tout ce qui ne ressemble pas de près ou de loin à un bulletin de notes, on arrive vite au décrochage et la dépression. Aude se fait harceler, ne peut en parler à personne, s'emmure. Elle trouve du réconfort dans la compagnie de Mathieu le surveillant, le seul type qui semble capable de la comprendre.     

Les deux trajets de vie sont liés, évidemment. Par quoi ? Comment et quand vont-ils se rejoindre ? Il faudra lire le livre jusqu'au bout pour le savoir. Une fois n'est pas coutume, je ne spoilerai pas ! Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il est important que vous n'abandonniez pas votre lecture en plein milieu... parce que vous pourriez très bien être tenté de le faire ! Non pas que ce soit mal écrit ou ennuyeux, au contraire ! 

   


Les premières pages ne laissent pas de doute : deux univers parallèles nous sont présentés alternativement, au fil des chapitres. D'un côté, on pourrait bien avoir affaire à une dystopie dans laquelle le petit Jeb se débat. De l'autre, un décor contemporain et réaliste, quelque part en France. 

Pourtant, les deux univers ont en commun une ambiance de malaise constant. Le Nouveau Monde de Jeb, que l'on découvre pourtant à travers ses yeux d'enfant sensible, est terne, morose, d'une propreté clinique. Il suscite au mieux la déprime, au pire l'angoisse. Aude n'a pas une vie quotidienne qui fait rêver, peut-être parce qu'elle nous est décrite en tenant compte de l'état d'esprit d'une lycéenne pleinement consciente de son statut de brebis galeuse de sa classe.





Les deux histoires peu à peu imbriquées sont très bien racontées, sur un ton juste... tellement juste qu'il fout un peu le cafard, et que j'ai bien failli laisser tomber. C'aurait aurait été dommage, déjà parce que les derniers chapitres contiennent l'essentiel du message de l'oeuvre, mais surtout parce qu'on se rend compte qu'on a étiqueté à tort le Nouveau Monde de Jeb comme univers "imaginaire", "fantastique" ; or, de tous les événements qui ponctuent le parcours chaotique de l'enfant, lesquels relèvent de la science fiction, du futuriste, du surnaturel ? Aucun. Ils sont tous effroyablement plausibles !  


"Jamais on ne pointera du doigt que c'est le monde tel qu'il est qui a engendré tout cela."


Certes, vous n'allez pas vous fendre la poire en lisant ce livre, mais le propos est intéressant. Naissance des coeurs de pierre est en lice pour le prix du Prozac d'or 2020 de ce blog ; honnêtement, je ne suis pas sûre qu'il ait ses chances, car la concurrence est rude ! Cela dit, ce roman pour ados (à partir de 14 ans seulement, en fonction des sensibilités) part quand même avec un point bonus Anafranil d'avance. Autrement dit : rien n'est joué ! 

  
Oui, l'Anafranil est blond


Antoine DOLE. Naissance des coeurs de pierre. Actes Sud Junior, 2017. 158p. ISBN 978-2-330-08141-6