samedi 30 mai 2020

[COMICS] Superman Aventures - Volume 1 - Paul Dini ; Scott McCloud ; Rick Burchett ; Bret Blevins ; Mike Manley ; Terry Austin ; Marie Severin (2016)

Pour la quinzième fois, j'efface le "bonjour" d'ouverture de ce mail que je n'enverrai pas.
Même les simples formalités doivent être mûrement réfléchies.


Deux livres, deux ambiances ! Il y a quelques jours, nous nous sommes intéressés au premier tome de la BD Superman : identité secrète. Comme j'ai écrit le compte-rendu avant d'avoir lu la deuxième partie, j'ai apparemment fait un certain nombre d'erreurs d'interprétation, ce qui m'a valu de me faire allumer par une connaisseuse de passage sur Babelio. Je vous engage donc, une nouvelle fois, à aller découvrir l'oeuvre par vous-même et de ne pas vous arrêter à mes petits résumés : je découvre tout juste les univers des comics, donc oui, je dois dire de grosses conneries ! Bref, passons.  

En attendant, continuons à explorer les différentes facettes de ce personnage de Superman dont nous connaissons tous le costume vite fait, mais pas forcément l'emplacement des poches intérieures !



Sur les conseils de mon collègue le prof d'arts plastiques spécialiste de BD _ouais toujours le même _ j'ai glissé le volume 1 des Superman - Aventures dans la commande de titres voués à lancer ce fameux "Atelier Comics", qui n'aura finalement jamais vu le jour. Après le retard à l'allumage, la rude concurrence du club ciné calé le même jour comme de par hasard, mon ignorance totale de ce champ culturel et la mise en place tardive d'un partenariat avec la bibliothèque... c'est le coronavirus qui aura fini d'enfoncer le clou. Il faut croire que tous les méchants de Marvel et de DC s'étaient mis d'accord pour faire capoter le bordel.      


  
Les histoires 

Forte de son succès à la télévision à la fin des années 1990, la série animée Superman, l'ange de Metropolis a été adaptée en comic books par ses créateurs, peu de temps après. Pour les scénaristes Paul Dini (l'inventeur d'Harley Quinn) et Scott McCloud, il ne s'agissait pas de retranscrire à la lettre les divers épisodes ou de proposer une "suite" au dessin animé, mais plutôt de raconter sous format papier de nouvelles aventures se déroulant dans le même univers. Le projet a permis de donner le jour à de nombreuses histoires, et ce jusqu'en 2002 ; dix d'entre elles figurent dans la BD que nous avons entre les mains.

Superman, l'ange de Métropolis 
25 ans plus tard, le retour !


Publié en 2016, ce premier volume de Superman - Aventures est déjà suivi de quatre autres ; un cinquième tome ne devrait plus tarder à sortir. Forcément, il endosse la lourde charge de planter le décor et de présenter toutes ces figures incontournables qui colorent le quotidien de Metropolis.
  • Le premier épisode intitulé "l'homme d'acier" raconte l'affrontement de Superman et de son clone robot maléfique, dont le commanditaire n'est autre que l'horrible businessman Lex Luthor, l'ennemi numéro 1 du héros... 

  • Son ennemi numéro 1, mais pas son seul opposant ! Le cyborg Metallo est le trouble-fête de l'épisode 2. Défiguré, puis maintenu en vie avec une carcasse de fer, il résistera juste assez longtemps pour permettre au héros de s'illustrer, dans une ville où ses exploits commencent à créer l'effervescence.
  • L'histoire suivante nous rappelle qu'il y avait aussi des fourbes sur l'idyllique planète Krypton : Brainiac en est la preuve. Cette intelligence artificielle a dérobé et emmagasiné toute les connaissances scientifiques, toutes les découvertes faites dans les labos de Krypton avant de fuir sur Terre _et d'échapper ainsi à l'explosion fatale. Tout ce qui manque à Brainiac, c'est un "globe" magique qui a été légué à Superman par ses parents, et qui lui permet de revivre en boucle l'Histoire de sa terre d'origine : il va essayer de le lui subtiliser en lançant une armée de chats noirs robotisés (?) sur Metropolis... Ok, pourquoi pas... Mais le rescapé de Krypton n'a aucune envie de lui céder ce bijou de famille. 
  • L'épisode 4 se focalise sur Jimmy Olsen, le jeune photographe du Daily Planet qui débute dans le métier et qui se lamente de ne pas être pris au sérieux par son boss. Une course poursuite entre Superman et les sbires de Lex Luthor va lui donner l'occasion de s'illustrer. 

  • On arrive au chapitre 5, le moment "presque féministe" de l'album ; suite à un fâcheux coup de foudre, l'animatrice radio Leslie Nillis est devenue la maléfique Electra. D'habitude, elle est furieusement remontée contre Superman, qui est indirectement responsable de sa transformation, mais ici ce n'est pas le propos : elle se découvre un soudain (et véritable) besoin de défendre la cause des femmes dans les médias. Tant d'altruisme pourrait en bouleverser plus d'un... mais qui croit encore en la sincérité d'Electra ? 
  • Quelle horreur que ce petit elfe teigneux au nom imprononçable ! J'ai beau chercher dans mes souvenirs, je crois que Mister Mxyzptlk m'a complètement échappé. Ici, il entraîne Superman dans une histoire rocambolesque où le héros devra remonter le temps pour empêcher qu'une chaîne d'événements catastrophiques se produise. Metropolis est menacée ! 

  • Une fois n'est pas coutume, les épisodes 7 et 8 se suivent. Le professeur Hamilton et son équipe ont inventé une machine capable de rétrécir les malfaiteurs : comme ça, ils prennent moins de place en prison. Encore faut-il les tenir à l'oeil ! En se moquant un peu vite du général kryptonien Jax-Ur et son associée Mala, qu'ils viennent de réduire à la taille d'un trombone, Superman et Hamilton relâchent leur vigilance. Les deux "méchants" prennent le contrôle de l'appareil et parviennent à le diriger vers l'Ange de Metropolis. Qui a déjà vu un combat de moustiques ?
  • "Le retour du héros" sort du lot : cette aventure est plus émouvante que les huit précédentes réunies. On quitte le petit univers du Daily Planet pour découvrir le quotidien d'une famille ordinaire de Suicide Slum, un quartier populaire de Metropolis. Frank a deux héros : Superman _parce qu'il l'a vu sauver un chien prisonnier des flammes, et Lex Luthor _parce qu'il est riche. Ce dernier est juste responsable de la mort de son père, mais évidemment il ne le sait pas.  
  • Avec son sourire figé et ses yeux énormes, Toyman est sans doute le méchant le plus inquiétant de Métropolis. Sachez que dans cette ultime péripétie, on tombe dans le vice pur et dur : Superman doit gérer des figurines programmées pour voler l'argent de poche des enfants pendant qu'ils dorment ! Le super-héros va pouvoir compter sur l'aide de la jeune Tasha pour stopper les frais.  

De toutes ces histoires courtes, sympathiques, très faciles à suivre, deux chapitres m'ont particulièrement marquée.

Peut-on faire sa meuf à Metropolis ?  

Prenant appui sur le personnage d'Electra, "L'équilibre des pouvoirs" (chapitre 5) révèle de fortes inégalités entre hommes et femmes dans la belle cité de Metropolis. Après avoir lu cette aventure, on a la pupille assez entraînée pour voir qu'en fait, les disparités sont présentes dans toute la BD. Mais comme elles se produisent sur des événements de second plan, on ne les remarque pas tout de suite.   

Cela me fait d'ailleurs penser à une émission que j'ai écoutée en podcast il y a quelques semaines : invitée de Spotlight, la journaliste Marine Turchi expliquait qu'elle avait analysé des heures d'émissions du Masque et la Plume de France Inter, réussissant ainsi à compacter toute une flopée de remarques sexistes proférées par les journalistes : son enquête met en évidence l'ambiance misogyne du programme. En tant qu'auditrice occasionnelle du Masque, j'avoue que ça m'a fait un vieux choc : évidemment j'ai déjà pesté en entendant un chroniqueur faire une remarque déplacée, ou s'allier à deux autres bourrins pour mieux rabrouer leur collègue journaliste. Mais ça restait un micro-drame sur une heure de radio, vite noyé dans le flot culturel. Sans même lire l'article, le résumé qu'elle en fait dans le podcast fait prendre conscience de la gravité du problème.*

Iris Brey était l'autre invitée de l'émission. 
J'ai pas encore lu ce livre,.

C'est un peu pareil pour les filles, dans Superman. A la première lecture, on ne fait pas attention, parce que nos préjugés sont tellement ancrés en nous que certaines situations ou paroles clairement sexistes ne nous font pas réagir. Mais une fois que le déclic a eu lieu, on ne voit plus qu'elles.  
 
"On dirait c'est la faute de l'infirmière"
T'avais qu'à être là, mec ! Au lieu de gueuler comme un putois...
Où est le respect des soignants ?  


Bref. 

En prenant la foudre, Electra a gagné les pleins pouvoirs sur l'électricité : cela lui permet de faire à peu près tout ce qu'elle veut.. sachant qu'elle ne veut pas toujours le bien des gens.  Au début de notre histoire, elle est sur un lit d'hôpital, mise à l'isolement depuis un certain temps. Alors qu'elle écoute la radio pour tromper l'ennui, elle entend un animateur bien rétrograde en mettre plein la gueule aux femmes. 

Electra a alors une révélation : dorénavant, elle utilisera ses dons pour défendre la cause des femmes. Sans aucune difficulté, elle disparaît de sa chambre et n'attend pas pour faire des siennes : surgissant d'un écran d'ordinateur de la rédaction du Daily Planet, elle met le grappin sur Lois Lane. Pourquoi vient-elle l'informer de ses projets ? Peut-être pour la rallier à sa cause ? On ne sait pas trop. Ce qui est certain, c'est que la journaliste ne lui fait pas du tout confiance. Electra a beau jouer la carte de la sororité, la journaliste refuse de parlementer avec elle. 

Peu de temps après, les braves gens de Metropolis remarquent que les chaînes de télé ont été sabotées : au JT, seules les éditions présentées par des femmes sont diffusées correctement ! Une grande première... Toutes les rédactions doivent donc méchamment bousculer leur mode de fonctionnement habituel, puisque généralement, seuls les hommes se retrouvent face à la caméra. 


Une première entrevue entre Electra et Superman _il fallait bien des gros bras pour rétablir cette insupportable situation de femmes aux commandes de la presse_ donne du fil à retordre au héros. "L'équilibre des pouvoirs" est sans doute la seule aventure qui mettra Superman en grande difficulté, incapable de vaincre sereinement son ennemi. Il en chie tellement qu'il s'abaisse à aller chercher son ennemi Lex Luthor, pour qu'il l'aide à mater cette gonzesse. Visiblement, l'émancipation des femmes est un cas de force majeur, nécessitant une alliance aussi mesquine qu'improbable, et pas mal décevante pour qui adule Superman. 



Un duel à la loyale (hum) est organisé entre Electra et Superman. Ambiance combat de catch. Lex est tapi dans l'ombre, prêt à dégainer si ça devient trop tendu pour le héros _et il va faire ça très bien. Eh ouais, devinez quoi : ils finissent par glorieusement la défoncer, à deux contre un... Une pirouette scénaristique permettra à Superman de sauver son image de gentil, se délestant de sa goujaterie sur Lex Luthor. Electra au tapis, les télés remarchent et les femmes reviennent sagement à leur place, ouf, on l'a échappé belle. Fin de l'histoire. Pff.  




Le lecteur ouvert d'esprit a quand même de quoi être décontenancé : si l'intention et l'idée de départ de l'aventure sont plutôt bonnes, le final prend quand même des airs de triomphe de l'homme sur la femme. Est-ce une hésitation des scénaristes à créer une issue plus "osée" ? sont-ils sciemment pessimistes ? En tous cas, on ne sait plus trop sur quel pied danser. Un peu comme quand une personne essaye de vous faire un compliment, mais qu'elle se foire par maladresse, donnant l'impression de vous vanner plus qu'autre chose. Comme vous tirez un peu la gueule, elle essaie de redresser la situation, mais ne fait que s'enfoncer. Ou alors j'exagère : les dernières vignettes laissent entendre que si Electra a perdu la bataille, elle a peut-être semé ses graines auprès de la journaliste Angela Chen et de Mercy, l'"assistante" de Lex Luthor. 

Bien que ces deux femmes soient des personnages secondaires du petit monde de Superman, elles sont néanmoins très présentes dans la série.  

Reprenons l'album depuis le début, en nous concentrant sur les figures féminines. On distingue deux catégories de filles : les fortes personnalités et les bobonnes. 

  • La journaliste Angela est constamment en mode hyène : toujours tirée à quatre épingles, prête à vanner, un brin opportuniste, un sujet de travail l'intéresse à partir du moment où il est vendeur. Elle a compris que le pouvoir et les scoops ne viendraient pas à elle, mais qu'en se bougeant un peu le cul elle pouvait attraper une part du gâteau. L'éthique, la déontologie, les valeurs du journalisme... elle en parlera quand elle aura du temps. Pour l'instant, elle a un témoin important à interviewer. Pas de pitié pour les croissants ! Et n'allez pas essayer de lui carotter une heure sup. L'exemple à suivre... pour qui veut se faire du blé. 



  • Evidemment, Electra crève les vignettes dans lesquelles elle apparaît ; pas la peine d'en remettre une couche puisqu'on a déjà beaucoup parlé d'elle, mais il me semble que c'est LE personnage à retenir de ce premier tome de Superman Aventures. Même rendue flagada par les scientifiques des S.T.A.R Labs, puis réduite à l'état de poupée de chiffon par la cousine taser de la Grosse Bertha (merci Lex Luthor), la peste survoltée garde un bon espoir de revanche. Elle reviendra, c'est certain. 
  • Tasha, la nièce de Ron, apparaît dans la toute dernière histoire _celle des figurines possédées voleuses de pièces jaunes. C'est une bonne surprise qui touchera les jeunes, puisqu'elle montre qu'on peut être une gamine et avoir autant de jugeote qu'un adulte, si ce n'est plus. Seul Superman accordera de l'importance à ses "théories" d'enquêteuse qui font bien marrer tout le monde.     

Passons aux bobonnes qui se sont mises au service des méchants : Mercy et Mala. Elles sont d'autant plus énervantes qu'elles sont complètement indispensables à la réussite de leur connard respectif, mais demeurent toujours en retrait _ ça se voit jusque dans les dessins.  

                                              

Le premier qui me dit que Mercy est mise en valeur parce qu'on voit son visage en entier, je le fracasse.
  • Le pire, c'est que Mercy sait très bien bolosser les gens, quand elle veut. Pourquoi adopte-t-elle un comportement de toutou au contact de Lex Luthor et s'abaisse-t-elle à lui faire des massages ? A ce niveau-là, j'espère au moins qu'elle se le tape. 
  • Même tarif pour Mala, la subordonnée du général kryptonien borgne Jax-Ur. Enfin presque, car Mala tente quand même de s'imposer... sans succès. Une scène de l'épisode "Question de taille" est quand même hyper énervante : alors que Jax-Ur a trouvé un moyen de retrouver sa taille normale, puis de carrément devenir un géant, il refuse d'en faire profiter Mala, qui est pourtant son alliée. Réaction de celle-ci : "bien, Général", avec un regard plein de lassitude. Il l'a envoyée se faire foutre, donc elle accepte. C'est la vie. Ils devaient être un peu protestants, sur Krypton. Putain.    

"Il ne peut y en avoir qu'un comme moi"
Ouais je sais, les photos sont pourries. 


  • Je voulais parler de la rousse amoureuse de Superman dans le deuxième chapitre. Celle qui tourne aux bretzels et qui se proclame en couple avec le super-héros. Celle qui fait semblant d'être au bord du gouffre juste pour que le héros en collants vole à son secours. Devinez quoi : à force de jouer avec le feu, elle finit par avoir de vrais problèmes ! Cette fille _est-ce qu'on dit son nom, même ? n'est pas vraiment "soumise", mais elle est tellement calamiteuse et insignifiante qu'elle dessert l'image de la femme. Gommons ce personnage.  
Avec sa grosse bouche, là !  
  • Entre ces deux catégories, Lois Lane se promène sans jamais clairement se positionner. Tantôt femme forte qui revendique ses principes de journaliste exemplaire, asexuée capable de mettre des coups de pression à ses interlocuteurs pour que le travail soit fait dans les temps, tantôt victime qui n'attend que d'être sauvée par les muscles de Superman, Lois est difficile à cerner. A première vue, cette fille n'a pas de vie : son hobby le plus exaltant consiste à bizuter ce mou de genou de Clark. Mais faisons comme elle : ne nous arrêtons pas aux apparences. N'oublions pas non plus que cette série respecte à peu près la chronologie du "mythe" de Superman : dans cette première BD, le héros vient juste de réaliser quelques exploits à Metropolis. Il est très mystérieux, on n'est pas certain qu'il soit bien intentionné, et Lois n'a pas encore eu le temps de tomber sous son charme. Pas la peine, donc, de juger la journaliste trop vite car, en bon personnage principal, elle va sans doute considérablement évoluer. Pour l'instant, elle a juste une grande gueule, rien dans le ventre et ne se prend pas pour de la merde. Mais tout cela va changer, c'est certain.  
Elle fait bien de préciser car cela n'a rien d'évident.
     
Tapage médiatique 

Contrairement aux apparences, le but de cet article n'est pas de démolir une BD qui remplit très bien son rôle de divertissement ; ces quelques remarques faites sur les personnages féminins mis en scène ne doivent pas vous en détourner. 

Je n'ai pas envie de trop enfoncer Lois Lane de toute façon, car elle a le mérite de mettre en valeur le métier de journaliste. En lisant l'album, vous remarquerez qu'une partie non négligeable de l'action se situe dans les bureaux du Daily Planet. Assister à la vie de la rédaction nous fait réfléchir à l'impact des médias sur la bonne société de Metropolis

Superman nous est d'abord présenté comme phénomène médiatique : grâce à ses sauvetages, il fait le buzz avant l'heure. S'il est souvent sujet d'enquêtes, il connaît à peu près toutes les ficelles du métier de journaliste, et pour cause : il redevient le journaliste Clark Kent lorsque sa mission est accomplie. Sous son air innocent, Kent observe et protège son identité de super-héros, se garde bien de prendre parti : n'en demandez pas trop à Clark-la-Suisse. Il est nouveau, vous savez... 



Lois se méfie du gars qui vole _ n'oubliez pas de croiser vos sources ! Angela se frotte les mains en pensant à son futur scoop _vivement le prochain exploit !, Brainiac s'appuie sur une bête rumeur pour attirer Superman dans un traquenard. Le jeune Jimmy Olsen se bat pour faire reconnaître ses talents de photographe, gagner quelques dollars et faire son trou au Daily Planet. En piratant les radios et la sainte télévision, Electra sait qu'elle frappe fort et que son message va être entendu : effectivement, la situation est très vite considérée comme urgente. Les scénaristes nous font cadeau d'un bel exemple de censure au standard dans l'épisode "L'égalité des pouvoirs", en nous présentant un animateur radio qui coupe la parole aux intervenants qui ne partagent pas son avis. 

A une époque où Internet n'est pas encore un passage obligé dans la recherche d'informations, les médias de masse sont un peu les baromètres de la société : ils sont présents dans presque tous les chapitres, et pas seulement pour agrémenter le décor...      

Luthor le self-made-man 
 
...C'est devant l'écran de télé d'un appartement miteux qu'il partage avec sa mère et sa soeur que Frank assiste au discours de Lex Luthor, son héros. On pourrait se demander d'où sort l'admiration de ce jeune homme vénère pour l'homme d'affaires véreux. En principe, quand on est pauvre, on est censé détester les riches qui se la pètent, non ?! Il explique à sa soeur, qui ne pige pas sa nouvelle lubie : Lex est devenu son "modèle" lorsqu'il a compris qu'il n'était pas un bourge comme les autres : lui aussi a grandi dans un quartier populaire. S'il a réussi à s'extirper de sa condition, c'est grâce à son travail et à sa persévérance.  

Pour Frank, le Lex Luthor qu'il voit sur le petit écran est un exemple, une autre pointure que son père le taulard mort en prison, dont sa mère défend obstinément la mémoire. Il ne connait rien des circonstances de la condamnation de ce père qu'il méprise, sans quoi son jugement serait sans doute plus nuancé. Mais le moment des révélations approche. 

Si vous aimez les histoires de lutte des classes, d'ascension sociale et de méchants qui ont un sens de l'honneur caché au plus profond d'eux-mêmes, "Le retour du héros" sera sans doute votre chapitre préféré. 

 


Le détail qui fait plaisir 

Entre chaque chapitre, une "fiche-personnage" vient se glisser, en guise d'intermède. C'est marrant, c'est plutôt dans les mangas qu'on voit ça, d'habitude ! On y apprend le nom du personnage, son statut (gentil ou méchant, en gros), qui sont ses amis, ses ennemis, de quelle planète ils viennent... Cette idée est la bienvenue pour les novices, qui pourront tout de suite se repérer dans l'univers de Superman sans passer par les classiques. Les connaisseurs y trouvent aussi leur compte puisque ces fiches précisent la date de la toute première apparition du personnage dans un comic-book, puis dans la série animé.

Bande de rageux ! 

Dit-elle après avoir défoncé le chapitre 5. Mais je le redis : c'était pas si mal, et les scénaristes ont le mérite d'avoir essayé de parler féminisme !  

Autant le préciser d'emblée, les auteurs ont ciblé un public jeune. Pas de gros mots, pas de combats gores, pas de cul, pas de quête identitaire... juste une succession d'histoires très accessibles dans lesquelles Superman s'illustre et finit par l'emporter. Je préfère le préciser car j'ai lu ça et là des critiques négatives sur cet album, lui reprochant notamment sa fadeur, ses intrigues simplistes, un fâcheux manque de suspense, l'absence d'un fil rouge qui lierait les chapitres entre eux ; ah ah, ce n'est pas faux ! Sauf que vous oubliez que ce sont des histoires pour enfants. Pour un jeune lecteur qui veut se distraire un peu, avec une BD pleine de couleurs vives, il me semble que c'est tout aussi convenable qu'un Picsou Magazine. De plus, cet univers risque d'être une vraie découverte pour eux, car la série Superman, l'ange de Métropolis commence à bien dater : je ne suis pas sûre qu'elle ait été diffusée à la télé dernièrement.

Paul DINI (scénario) Rick BURCHETT (dessin) ; Terry AUSTIN (encrage) ; Marie SEVERIN (couleur). Superman Aventures - Vol. 1. DC Comics. Coll. Urban Kids. 2016. 272 p. ISBN 978-2-3657-7854. 
 
Créateurs originaux : Jerry SIEGEL et Joe SHUSTER.  


jeudi 21 mai 2020

[CULTURE POULE] Elmer - Gerry Alanguilan (2010)


Oh, mais ça manque de poules, ici ! 

Voici Elmer, un roman graphique écrit en 2010 par Gerry Alanguilan, un auteur de BD philippin plutôt connu pour ses travaux d'encreur chez Marvel et DC que pour son oeuvre. Intriguée par ce nom qui ne me disait rien, je suis allée le googler pour voir où il en était : avait-il enfin eu l'opportunité de bosser sur ses propres projets ? Ils devaient bien valoir ceux des autres ! Les premiers résultats affichés m'ont bien coupé la chique : Gerry Alanguilan est mort en décembre dernier, le bougre ! C'est bien triste !

Raison de plus de mettre à l'honneur le petit monde terrifiant d'Elmer, issu tout droit de la tête et du crayon de cet artiste qui aimait par dessus tout "raconter des histoires". Traduite en français et diffusée par les éditions Ca et là, l'album a recueilli un certain succès chez les amateurs du neuvième art qui savent chercher au bon endroit. Mais il me semble qu'il reste assez méconnu, tout comme son auteur. 

Rappel : l'objectivité est en week-end prolongé ! 
Cette BD parle de poules : elle est forcément super.


L'histoire

Imaginez un monde où les poulets et les hommes vivraient en harmonie, où ils seraient tous logés à la même enseigne... Nous sommes en 2003. Jake Gallo est ce qu'on pourrait appeler un loser : la vingtaine (c'est pas si jeune, pour un poulet !), pas de travail, pas de copine, une tendance à piquer des colères noires... Pour échapper à la remise en question, il invoque le racisme ambiant de la société dans laquelle il vit : si son avenir est aussi incertain, c'est à cause de ces hommes qui méprisent les poulets et qui préfèrent garder les bons jobs pour leurs congénères !  


Un jour, un drame secoue sa vie morose : son père, Elmer, fait une attaque. Le retour au bercail est inévitable pour Jake ; dans la maison familiale où ils ont grandi, il retrouve sa mère, Helen, une poule psychologiquement fragile, son frère Freddie, devenue star de ciné, et sa soeur May, qui vient de se fiancer avec un humain... au grand désarroi de Jake.


Cette réunion de famille imprévue va se prolonger plusieurs jours après la mort du père. Jake a hérité du journal d'Elmer et entreprend de le lire. La tâche s'annonce fastidieuse : les premières pages sont très difficiles à lire, et pour cause : son père apprenait tout juste à parler et à écrire lorsqu'il a commencé à consigner régulièrement ses souvenirs. Une discussion avec Ben, le fermier qui a sauvé ses parents à une époque où leur vie était menacée, va le convaincre de s'accrocher dans sa lecture et de reconstituer l'histoire familiale. Le vieil Elmer plonge Jake bien malgré lui dans les années noires pour la race "gallus gallus" : celle où les poulets devaient se battre pour se faire accepter des humains (et pour ne pas finir bouffés).



Poulets en minorité 

N'allons pas chercher une explication à tout. Pourquoi les poulets du monde entier se "réveillent"-ils presque tous au même moment de leur léthargie d'origine, un matin de 1979 ? pourquoi choisissent-ils d'adopter le mode de vie des hommes, leur langue, leurs rites, leur alimentation (pas du tout compatible avec le système digestif d'une poule, soit dit en passant) ? Pourquoi tiennent-ils tant à se faire reconnaître comme "être humains" à part entière, et comment font-ils pour y arriver ? Voilà autant de questions légitimes auxquelles vous n'aurez pas vraiment de réponses. Le mieux est d'accepter les faits tels qu'ils nous sont présentés.

Scènes d'abattoirs, coups de feu, têtes de poules mortes accrochées aux ceintures des humains comme des trophées, mais aussi simples menaces et brimades : le manuscrit d'Elmer dit vraiment tout. Bien plus que ce qu'on a envie de savoir, quand on est un jeune poulet pour qui l'égalité des chances est déjà acquise _plus ou moins, pour qui le "génocide des poulets" est de l'histoire ancienne. Evidemment, on se doute qu'à travers ses petites volailles, Gerry Alanguilan a voulu parler des traumatismes connus par bien des peuples et groupes humains considérés comme minoritaires ou carrément inférieurs, hier et aujourd'hui encore. 



Aussi, lorsque Jake Gallo crie au racisme parce qu'il n'arrive pas à décrocher de boulot malgré ses qualités de rédacteur, le journal de son père lui rappelle que la vie était encore plus dure pour ceux de sa génération. Pourtant, il sait bien que tout ne se passe pas QUE sous sa crête. Le racisme _ici : envers les poulets_ est toujours bien présent, latent ou exprimé à demi-mots. Comme il n'empêche plus de vivre littéralement, on considère que le problème est résolu. Mais ce n'est pas vraiment le cas.



Quelques critiques lues sur Internet qualifient Elmer de BD "sympa" mais sans plus, "pleine de bonnes intentions" mais qui ne va pas au fond des problèmes qu'elle soulève. Effectivement, Alanguilan crée tout un monde en constante transformation, peuplé de personnages qui ont tant à raconter : son choix de nous le faire connaître sous la forme d'un one shot de 150 pages peut nous frustrer. On en connaît qui ont fait des séries fleuves avec moins de matière. Mais c'est son choix.

D'autres lecteurs, plutôt familiers des comics a priori, semblent avoir plus tiqué sur la forme de l'album : il est vrai que le dessinateur a un style bien à lui, un trait particulier, et une tendance à multiplier les coups de crayon lorsqu'il s'agit de représenter les scènes à forte tension émotionnelle, comme par exemple les crises d'Helen, les scènes de carnage... sans doute pour apporter de la noirceur, pour traduire le flou qui entoure toute scène traumatisante, lorsqu'on la vit et qu'on la revit. Personnellement, je ne trouve pas ce choix inapproprié, bien au contraire. J'ai rarement croisé d'artiste qui dessine aussi bien les poules, en conservant les bonnes proportions,en tenant compte de leur diversité : la silhouette d'Helen n'est pas du tout traitée de la même façon que celle de Joseph, le coq de combat.



D'autres encore se plaignent que les nombreux flash-backs et que l'option "tout noir et blanc" posée par l'auteur gênent la compréhension de l'histoire : les personnages-poulets se ressemblent tous, il nous aurait fallu de la couleur pour les différencier ! Alors déjà EUH PARDON mais dire que "tous les poulets se ressemblent", ça c'est RACISTE!!  De plus, si on lit vraiment l'histoire avec attention et qu'on a mis ses lunettes, on ne peut absolument pas confondre Jake avec Elmer.


Tous cela me rappelle les blagues douteuses de Thierry Roland 
Remember la Coupe du Monde 2002 
quand la France s'est fait dégager au premier tour avec zéro point, 
quand Ronaldo a fait le choix judicieux de se coller une chatte sur le crâne
"On s'en fout on a gagné. Nous. " 
             quand Miroslav Klose partait en crise d'épilepsie à chaque fois qu'il marquait un but..


Ahah, une époque inoubliable...
Mais ne nous égarons pas. 


Elmer, ce n'est ni Maus, ni Chicken Run, ni La ferme des animaux, même si cette BD peut faire penser à certains aspects de ces trois œuvres incontournables. Sans doute ont-elles influencé le travail de l'artiste, d'une manière ou d'une autre. Mais on ne peut pas les mettre sur le même plan, parce que les objectifs de tous ces auteurs différaient. Possible que je me trompe, mais je ne pense pas que Gerry Alanguilan ait voulu peindre une époque, ni même dénoncer de façon didactique le racisme et les discriminations, à travers ses gallinacés combatifs. Ce qui l'intéresse, c'est parler de la transmission de la mémoire familiale.  

Attention SPOILERS ! 
arrêtez-vous là si vous voulez lire la BD


Les secrets de la famille Gallo

Il existe un champ de la psychologie _plus ou moins validé scientifiquement_ qui considère que les gens se construisent en fonction d'événements qui ont frappé leur famille. Parfois, ils sont au courant de ce qui s'est passé, parfois non. Dans tous les cas, ça peut impacter leur vie. S'ils le jugent opportun, ils peuvent contacter un psy qui va les aider à remonter leur arbre généalogique et trouver qui a merdé, à quel niveau, quand... c'est ce qu'on appelle la "psychogénéalogie". Je ne suis pas forcément convaincue, mais les personnages d'Elmer semblent surfer sur cette vague-là.

Dans la famille Gallo, la communication, c'est pas vraiment ça. Elmer et Helen ont consciencieusement élevé leurs trois poussins, prenant soin de les entourer de tout l'amour dont ils avaient besoin. Mais ils les ont aussi tenus à l'écart des atrocités vécues avant leur naissance. Elmer tient son journal en secret et le planque de façon à ce que le curieux Jake ne puisse mettre la main dessu. Helen parle peu, semble lunaire, pique des crises de nerfs impressionnantes qui inquiètent beaucoup ses enfants. Leur jeunesse va se passer ainsi, entre messes basses et sourires factices.

Alanguilan laisse penser que tout individu se construit en partie en fonction de ces paramètres, qu'on soit un homme ou un poulet. Les casseroles du passé qu'on se traîne peuvent faire dévier la ligne de vie. Elles sont encore plus lourdes quand on ne sait pas (ou plus) ce qu'elles contiennent. Certains vivent mieux ce poids que d'autres.


May est devenue infirmière dans un hôpital (bizarrement), mais marche sur des oeufs (ahah) pour annoncer à Jake qu'elle va se marier avec Michael, un humain. Elle incarne la stabilité, celle sur qui sa mère pourra s'appuyer pour surmonter le deuil. Freddie soigne sa carrière s'acteur, veut se faire appeler Francis, pense à ses futurs rôles plutôt qu'à sa vraie vie, et n'est pas super disponible pour sa famille : a-t-il du mal avec ses origines ? Une chose est sûre, humains et poulets l'ont élevé au rang de star. Jake a plus de mal à jeter son ancre où que ce soit. Les flots d'une colère sourde qu'il ne maîtrise pas du tout l'emmènent toujours plus loin. Il erre : May le juge "autodesctructeur", Freddie le croit "égaré". Quel sens doit-il donner à sa vie ? Faute de dialogue avec ses parents, il devra attendre de lire le témoignage posthume du vieil Elmer et aller à la pêche aux infos pour reconstituer l'histoire de sa famille depuis 1979. Les langues pointues vont se délier.


L'air de rien, le fait d'obtenir des réponses à certaines questions va lui permettre de franchir une nouvelle étape et de se projeter... en écrivant un livre retraçant le parcours de ses parents.

Humour KFC 

Elmer n'est pas du tout une bande dessinée humoristique, vous l'aurez compris. Pourtant, et ce malgré la gravité du sujet, Gerry Alanguilan parvient à nous faire rire. Je suis prête à parier qu'il s'est marré en dessinant certaines planches. 

Pour l'anecdote, quand j'ai ouvert la bande dessinée, je suis tombée sur cette page : 


et je me suis dit, mais mais mais... c'est un mariage de poules avec des curés humains ? 
On dirait que ce comic est voué à partir en sucette ! 

Bien sûr, en lisant l'histoire, j'ai pu mesurer la dimension symbolique et émouvante de cette scène ; mais hors contexte, on peut juste la trouver marrante... et un peu étrange, aussi. 

Pour rendre son histoire plus légère, l'artiste joue sur plusieurs plans. D'abord, il exploite à fond la charge comique que porte la poule / le poulet, dans notre imaginaire collectif. Pour beaucoup de monde, un poulet est marrant malgré lui à cause de son allure décidée, il est aussi un peu fou, relativement imprévisible, pas du tout fiable, toujours insignifiant. Il semblerait que le personnage d'Helen ait été habilement construit sur ce cliché : c'est une pure "mère poule" qui chouchoute ses poussins, qui glousse pour rien, qui se comporte "comme une folle". Jake, le personnage principal, le narrateur, notre gouvernail dans cette drôle de lecture... n'est jamais vraiment crédible et nous fait au minimum sourire, même lorsqu'il est en colère ou blessé. 




Ensuite, Alanguilan nous laisse l'opportunité de nous détacher du contexte pour rigoler franchement. Par exemple, lorsque Helen craque, à la mort d'Elmer, et se débat au risque de se "jeter contre un mur", on fait appel à Michael pour la calmer. Le type n'a plus qu'à choper la daronne et la coincer sous son bras, comme le fait tout bon paysan qui souhaite soupeser une poule avant de la vendre. Evidemment, ça ne fait rire personne. Sauf si on prend un peu de recul et qu'on se rappelle qu'il s'agit d'une fiction : en temps normal, une poule qui se jette contre un mur, on peut trouver ça hilarant. Moi ça ne me fera pas rire évidemment, mais d'autres, si. 

De même, les scènes dans lesquelles les carcasses humaines viennent heurter celles, plus fragiles par nature des "gallus gallus" garantissent à la fois une gênance extrême et les gloussements du lecteur.   


Quand l'acteur met un pain à la star sans faire exprès... c'est le drame

Enfin, l'auteur utilise beaucoup de clins d'oeil à ces temps obscurs où personne n'avait aucune tenue : les coqs chantaient sans vergogne au petit matin, les hommes tuaient les poulets pour les rôtir... Bref, la Préhistoire ! 

Le chant du coq, un signe de régression
Merci de préciser.

Sans surprise, Elmer est mon coup de coeur du moment. J'ai l'impression d'avoir photographié tout l'album...

Explicit content

Avertissement, cependant. Les premières planches de Elmer ont vite fait de tuer dans l'oeuf (ahah) les questions que tout documentaliste en collège ou lycée se pose lorsqu'il lit une BD : "est-ce que ça passerait au CDI, et si oui, est-ce que ça marcherait ?". Eh bien, pas au collège. Au lycée, c'est jouable.. Il faut savoir que l'histoire débute sur une situation de branlette caractérisée _bon, suggérée plus que dessinée hein_ d'un coq en train de regarder une vidéo porno. Ambiance. Plus loin, pas mal d'images dures vont se succéder : gouttes de sang, têtes de poules tranchées, scènes de poulets crevant les yeux des humains à coup de bec et de griffes... Beaucoup d'adultes trouveront tout cela moyennement gore, d'autres en riront _ après tout, ce ne sont que des dessins de poulets qu'on égorge !, les amis des animaux n'apprécieront guère. 


Non, c'est vraiment pas la peine de confronter les âmes sensibles à ce comic un peu particulier, sous prétexte qu'ils voient dix fois pire sur les réseaux sociaux.  

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Les Mystérieux étonnants podcast en ligne, emission radio, gratuite

Gerry ALANGUILAN. Elmer. Ça et là, 2010. 142 p. ISBN 978-2-916207-48-3


vendredi 8 mai 2020

[COMICS] Superman : identité secrète - 1 - Kurt Busiek ; Stuart Immonen (2005)


Je vous ai sûrement déjà parlé de Mélanie, ma copine de lycée qui était fan numéro 1 de Harry Potter, de Garou ET de Roch Voisine. C'est avec elle que je suis allée voir Charlie et la chocolaterie au cinéma de Saint-Astier, plus pour lui faire plaisir qu'autre chose. J'aurais bien du mal à mettre des mots sur notre amitié qui a été sincère mais pleine de heurts ; je crois qu'on s'appréciait autant qu'on s'agaçait l'une l'autre. Au téléphone, elle était tout simplement intarissable, et je maudissais les jours où elle m'envoyait un SMS du type : "eh, ce soir Orange Mobicarte offre une soirée appels et SMS illimités de 21h à minuit ! On se dit à tout à l'heure, 21h01 !". De son côté, elle se désespérait de devoir tenir la conversation à bouts de bras, parce qu'à cette époque je communiquais exclusivement par grognements (et aujourd'hui aussi, d'ailleurs). Mais le fait est que je ne loupais aucun de nos rendez-vous téléphoniques ; parfois, je regrette cette camaraderie innocente, sans prise de tête ait fini par se laisser corrompre _à moins que ce soit moi qui n'ait pas su l'entretenir ? En tous cas, elle aura résisté longtemps, et c'est ce qu'on retiendra ! 

Mon premier portable, avec la petite souris qui court sur l'écran, au démarrage !

Mélanie avait un autre vice culturel, et pas des moindres : elle affectionnait Smallville, une série retraçant la jeunesse de Clark Kent avant qu'il prenne conscience de ses pouvoirs et qu'il devienne Superman _je crois, j'ai jamais regardé. Elle avait écrit plusieurs  fanfictions et crossovers sur son PC. Lorsqu'elle les imprimait sous formes de livrets dont elle agrafait les pages, les dialogues semblaient aussi longs qu'une conversation MSN mal gérée. Je soupirais en les lisant, mais j'aurais tiré la gueule plusieurs jours si j'avais appris qu'elle les avait fait lire à quelqu'un d'autre avant moi. Au fond, j'aimais bien ses petites histoires même si je sujet ne me passionnait pas, parce que c'était marrant de la retrouver un peu partout dans ses personnages.

Pour ceux qui n'auraient jamais entendu parler de Smallville, sachez juste que cette série était déjà classée kitch au moment de sa diffusion, et que le héros avait un faux air de poupée gonflable.  



Avec l'ouverture de l'"Atelier Comics" au collège, qui n'aura décidément pas pu aller bien loin cette année, les éléments étant contre nous... je me suis dit qu'il fallait que je renoue avec la figure incontournable de Superman. Allez savoir pourquoi, elle m'a toujours laissée profondément indifférente...

A la médiathèque de la Canopée, j'ai trouvé ceci en rayon : 

Superman - Identité secrète 1 - Kurt Busiek, Stuart Immonen (2005) 



Contrairement à ce que laisse entendre le titre, cette BD ne parle pas de Superman, mais d'un jeune qui s'appelle Clark Kent et qui trouve son nom un peu lourd à porter. Depuis toujours, sa famille pense lui faire plaisir en lui offrant des comics, des produits dérivés à l'effigie du célèbre super-héros. Au lycée, ses camarades s'obstinent à lui présenter des filles prénommées Lois et Lana... parce que c'est tellement drôle que ça ne peut que marcher ! Il en a gros, mais il s'efforce de ne pas montrer son agacement car il est poli.

Non mais le gâteau c'est trop...
Pour compenser ses sombres journées de cours, entre isolement et crainte de se faire bolosser à chaque bout de couloir, Clark se ménage des temps de solitude bien voulue pendant son temps libre ; il aime le Kansas, la randonnée, dormir à la belle étoile, et taper ses états d'âme à la machine à écrire _on est alors en 1990. Il ne lui manque que ces deux ou trois personnes de confiance que le "vrai" Superman a la chance d'avoir ; voilà ce qu'il lui envie, bien plus que sa force et sa faculté de voler.

Une nuit pourtant, il découvre qu'il peut voguer dans les airs, lui aussi ! C'est le pied total, même s'il n'a rien demandé. Qui cracherait sur le privilège de survoler la plaine tout en s'approchant de la lune ? Pour la première fois, le lecteur découvre un personnage expressif et franchement souriant.        




La magie va même s'opérer à tous les niveaux : petit à petit, Clark Kent se découvre très rapide, très fort, doté d'une ouïe surdéveloppée et de la fameuse thermovision _tout pareil que le Superboy, à qui il n'a plus rien à envier, si ce n'est sa force de caractère. Ces nouvelles compétences vont bien sûr lui permettre de réaliser quelques sauvetages périlleux, mais il sait d'instinct qu'il doit absolument garder son "identité secrète" aux yeux de tous, y compris de sa famille. Il aimerait beaucoup savoir d'où viennent ses pouvoirs _certainement pas de ses parents, en tous cas..., mais il n'a personne pour le guider dans ses recherches. Son extrême méfiance n'est pas forcément mal placée : les journalistes sont prêts à tout pour tenir leur scoop, et en toile de fond, des hommes en noir le serrent de près.


On passe au second chapitre de la BD. Après toutes ces émotions _et surtout après une ellipse de quelques années_ on retrouve un Clark Kent bien installé à Manhattan, plus sûr de lui. Sa vie ressemble de plus en plus à celle de Superman : il est journaliste le jour, et sauve le monde la nuit.



Clark aime son travail et il commence à se faire une place dans la rédaction du New Yorker. Malgré son épanouissement manifeste, il n'est pas tout à fait débarrassé de ses casseroles : sa boss lui reproche de ne pas assez se livrer dans ses articles et l'encourage à sortir voir du pays. On peut d'ailleurs lire leur entretien comme un écho à une conversation opposant Clark à son père, quelques planches plus tôt : David Kent lui conseillait alors à "sortir de sa coquille", de se faire plus d'amis. Si le passage à l'âge adulte n'a pas suffi à faire dévier sa ligne de conduite, ses collègues ne sont pas en reste : un soir, ils lui tendent un piège et lui organisent un rendez-vous avec une énième Lois. Cette dernière prend la mouche en comprenant la blague, et fuit la soirée, sur les nerfs. Clark la rattrape, d'abord pour s'excuser de la connerie de ses potes, mais il s'avère que le contact passe bien entre eux finalement. Le destin du jeune journaliste serait-il de marcher dans les pas de ce héros qu'il ne croyait pas être ! Toujours est-il que son secret devient particulièrement lourd à porter lorsqu'il est avec Lois.




En se réappropriant le "mythe" de Superman, Kurt Busiek et Stuart Immonen n'ont pas tant voulu mettre en valeur la force extraordinaire du super-héros que présenter ses dilemmes, ses sentiments, tout ce qui se cache sous ses muscles, en fait ! Comme tout le monde, le jeune Clark Kent cherche à savoir qui il est, se demande d'où vient sa force, ce qu'il doit en faire. L'idée d'avoir été adopté l'effleure aussi ; on comprend que le titre Superman : identité secrète (Secret identity dans la version originale) fait référence à l'attachement du héros à "cacher" sa vraie nature, mais renvoie aussi à sa quête d'identité.

Histoire qu'on y croie encore plus facilement, les auteurs ont placé leur personnage principal en position de narrateur ; à travers les morceaux de pages jaunies de son journal intime dactylographié, on avance avec lui dans son drôle de parcours. Chacun se fera son avis, mais l'idée m'a paru vraiment bonne ; Stuart Immonen traduit bien l'ambiance rurale, parfois énigmatique, toujours empreinte de méfiance en dessinant des décors aux traits légèrement brouillés, des visages qui baignent dans l'ombre _ce qui rend le regard difficile à capter.



Le premier chapitre m'a d'abord fait penser à Ms Marvel 1 : dans les deux oeuvres, on a affaire à une lycéenne / un lycéenn pas très populaire, perplexe devant ses nouvelles capacités ; tous deux ne tiennent pas à exhiber leur force mais se décident à le faire pour porter assistance à une personne en danger. Mais la ressemblance s'arrête là, finalement. Alors que Kamala galérait surtout à contrôler des poings extensibles qu'elle avait plus ou moins souhaité avoir, Clark oscille entre la curiosité et le besoin de se protéger. Kurt Busiek a choisi d'axer l'histoire sur la psychologie d'un Superman prêt à tout, même à se ridiculiser, pour préserver sa tranquillité, pour ne pas devenir une "bête traquée" par les flashs des photographes.




Avis aux amateurs d'action : si vous espérez voir des scènes de baston et des courses poursuites d'avions VS des mecs en collants, il est possible que vous ne soyez pas pleinement satisfaits après avoir refermé l'album ! C'est vraiment pas le propos...

Superman : identité secrète 1 est le premier tome d'un diptyque (je ne sais pas si c'est le terme juste pour parler d'une BD en 2 volumes) consacré au Clark Kent de Picketsville _ à ne pas confondre avec Smallville ! Il contient deux histoires bien distinctes, correspondant à deux grandes étapes de la jeunesse du héros, espacées de quelques années.


Un numéro "spécial Superman" de l'excellent podcast Comicsphère (12 juin 2017) aborde succintement cette mini-série, que les chroniqueurs considèrent comme remarquable.

Kurt BUSIEK ; Stuart IMMONEN. Superman : identité secrète 1 - SEMIC Books, 2005. ISBN 2848571187