dimanche 18 juin 2017

Larme de rasoir spéciale couverture déprimante : Le Petit Criminel - Christophe Léon (2013)


Ah, là je suis tombée sur du lourd en terme de couverture déprimante ! 
Parlons aujourd'hui de l'ouvrage de Christophe Léon intitulé Le Petit Criminel



Autopsie de la couverture

Pour commencer, saluons l'artiste : l'illustration est signée Gilles Rapaport, dont vous pourrez admirer les travaux à cette adresse. Elle met en scène un gamin aux mains et au visage blafards, figé sur un fond rouge sang. Parce qu'il semble dénué de vie et parce que son expression reflète la détresse et le malheur, ce personnage attire notre attention. D'une main faiblarde, il tient un flingue trop gros pour lui tandis que son autre bras pend dans le vide, inutile si ce n'est à maintenir son équilibre général. Malgré la taille du pistolet, et bien que le garçon occupe à lui seule la moitié de la page, notre regard est inexorablement attiré par sa tête blanche... ou saturé par le fond écarlate ; tout dépendra de l'observateur. Enfin, remarquons que le "petit criminel" semble en cours d'effacement : les contours de son corps sont un peu flous, tandis que le bras qui tient l'arme est mangé par le rouge ambiant. Le "crime" qu'il a commis est-il en train de le tacher ? est-il en train de prendre le dessus sur son âme, au détriment de tout ce qui avait fait sa consistance jusqu'alors ?

En bref, une bonne couverture qui file bien le cafard, comme on les aime... et une belle illustration à admirer, à étudier...

... et à récompenser d'un Prozac d'Or !

L'histoire 

Du coup, j'ai lu le livre : il fallait bien s'assurer que l'histoire soit à la hauteur de la couverture ! 

Marc vit avec sa mère et son beau-père dans un appartement miteux de Sète ; à seulement quatorze ans, il a déjà plusieurs vols d'autoradios à son actif et d'autres conneries de moindre envergure au compteur. Le collège ? Il n'y va plus depuis quelques temps. Un jour, alors qu'il rentre chez lui, sa mère lui prend la tête car elle a trouvé un pistolet planqué sous une pile de vêtements et le soupçonne d'avoir introduit l'arme au domicile familial. Il dément, à la fois troublé et agacé. Quelques heures plus tard, le téléphone sonne et Marc décroche le combiné : au bout du fil, une jeune femme se présente, prétendant être sa soeur. Une soeur dont il ignorait complètement l'existence jusque là.

Le sang du garçon ne fait qu'un tour : Marc quitte l'appartement, emportant avec lui le mystérieux flingue. Au hasard des rues de Sète, et après avoir erré sur le port, il braque une parfumerie en parfait amateur pour cinq cent francs et... en profite pour acheter un shampoing pour sa mère, tant qu'il y est. Oui oui, "acheter" ; parce qu'il ne faut pas tout mélanger, dans la vie. Les billets en poche, le "petit criminel" quitte la boutique. En oubliant son shampoing. 

Au coin de la rue, Gérard, un policier, le guette ; il remarque aussitôt que Marc n'a pas la conscience tranquille et, sous prétexte de le raccompagner au collège, l'engage à monter dans sa voiture. Tous deux se connaissent bien : Gérard suit le dossier du jeune depuis longtemps, et s'est donné pour mission de l'aider à réussir dans la vie. Pourtant, lorsque le policier arrête le véhicule et demande de vider ses poches, Marc n'hésite pas à pointer son pistolet sur lui. Le pouvoir change de camp : l'homme au képi devient le taxi d'un adolescent qui vient de se fixer un nouvel objectif : retrouver sa soeur cachée !


Un film adapté en livre 

Le Petit Criminel est avant tout le titre d'un film réalisé par Jacques Doillon en 1990, dont l'oeuvre de Christophe Léon est une adaptation romanesque. On remarquera que la typographie du titre utilisée pour la bande annonce a été conservée sur la couverture du livre. 



L'histoire est la même, et il nous est indiqué sur le quatrième de couverture du livre que "L'ensemble des dialogues est extrait" du long métrage... ce qui au passage est inexact me semble-t-il, enfin là n'est pas la question. Adapter un film en livre est, quoi qu'il arrive, une prouesse à applaudir ; habituellement, la transposition se fait dans le sens inverse. 

On retrouve bien, dans le roman, le côté road movie qui a fait la force du film : avalant des kilomètres pour retrouver Nathalie la grande soeur, puis pour retourner à Sète, les personnages s'ouvrent les uns aux autres, apprennent à se connaître et à mettre des maux sur leurs vies ratées. Peut-être, à eux trois, arriveront-ils à recréer un semblant de noyau familial et ces repères qui leur manquent tant ? La grande différence entre le film et le livre reste le traitement du personnage de Gérard, beaucoup plus développé dans le roman. A tel point qu'il gagne dans la version écrite une place de dindon de la farce qui nous a moins sautée aux yeux lors du visionnage du film de Jacques Doillon : "le flic" est celui qui, pour avoir voulu aller au-delà de sa mission bête et méchante, se retrouve dans une situation improbable ; il est pris en otage par un gamin qui le force à le calécher où il l'exige et qui lui crache à la gueule tout son mal-être d'adolescent.

Lorsque Nathalie entre dans la partie, la voiture devient une sorte de cellule psychologique, un lieu où l'on parlemente, où l'on se menace à l'approche d'une situation de crise ; le plus souvent, deux personnages du trio restent à l'intérieur pour échanger tandis que le troisième est isolé, sciemment ou non. De la machination aux craintes et aux confidences, les deux jeunes gens insaisissables et bien incapables de savoir eux-même ce qu'ils veulent vont faire tourner en bourrique le policier... qui le leur rendra bien !

Ma mère avait la même, peinte en vert.
Toujours en panne, le bordel...

Je ne sais trop quoi penser du Petit Criminel, qu'il s'agisse du film ou du livre ; la peinture de l'adolescence tumultueuse et incompréhensible aux yeux des adultes me paraît réussie et mérite d'être lue, vue et étudiée. Mais l'histoire a quand même un peu vieilli. Ce n'est guère étonnant puisque le film date de presque trente ans ! Tout n'était pas rose dans les années 90, certes, mais si l'on devait transposer la situation de départ dans un cité, de nos jours, voilà ce que ça donnerait :



FLIC "_ Eh, y a quoi dans tes poches ?
JEUNE _ Un flingue ! Tu veux voir de plus près ? 
FLIC _... 

PAN ! 
Le flic s'effondre. 
 Ses douze collègues tombent sur le jeune et lui enfoncent une matraque dans le cul. 




A vous de voir ! 


LEON, Christophe. Le Petit Criminel. Seuil, 2013. 236 p. ISBN 978-2-02-109374-2