samedi 26 décembre 2020

Passer à côté

Hiver en Dordogne...



Passer à côté du canal, prendre des photos. 


Passer à côté de sa vie pour la regarder, comme dans un film.   


Passer à côté du piéton qui traverse la route sans entendre votre vélo arriver, éviter de justesse un accident fâcheux. 



Passer à côté de la touche envoi après avoir écrit un message sur son portable, s'en féliciter ou s'en mordre les doigts. 


Passer à côté d'une femme qui promène ses chiens au bord de l'Isle, lui dire bonjour, ne récolter d'autre réponse qu'un regard suspicieux. 


Passer à côté d'une rencontre, le savoir, le sentir, n'en être plus très sur en fait, rester empoté, se détester, se consoler en se disant que c'est beaucoup mieux ainsi, après tout, cogiter, se détester de nouveau. 


Passer à côté d'une déception ou d'une gaffe, se réjouir d'avoir su tourner sept fois sa langue dans sa bouche (en attendant de pouvoir lui proposer mieux...). Comme quoi, douter peut aussi avoir du bon !  

 
Passer à côté de ses peurs pour bien les observer, puis les doubler et les semer définitivement. 

"Passer à côté", est-ce que c'est plutôt se préserver du puits des emmerdes, ou se jeter tête la première dans une vague de regrets ?



La liste sera complétée prochainement ! 


mercredi 23 décembre 2020

Les p'tites histoires - Tome 1 : Jour de neige - Eric Coudert (2020)


Merci à Babelio et aux Editions LC pour l'envoi de Jour de neige, tome 1 des P'tites histoires d'Éric Coudert, dans le cadre de l'opération Masse Critique.

L'histoire 

Il neige. Qu'à cela ne tienne, Tutu et Booster comptent bien braver les flocons pour rendre visite à leurs grands parents, qui habitent dans la forêt. Équipés de leur luge, les enfants vont de découverte en découverte, émerveillés, jusqu'à qu'un obstacle se dresse sur leur chemin : brisée par le poids de la neige, une énorme branche d'arbre est tombée au sol, barrant le passage. Voilà qui risque de compromettre les retrouvailles avec "Opa" et "Nonna"... Comment les enfants vont-ils se sortir de cette galère ?   

Sous la houlette des grands-parents 

Voilà une intrigue qui a ses limites, me direz-vous ! Attention à ne pas oublier que les ouvrages des la Collection Taille Crayon sont destinés aux enfants âgés de 3 à 6 ans. Donc oui, on voit clairement la maison des grands parents se dresser derrière la branche cassée, et oui, il suffirait de la contourner de quelques mètres pour résoudre le problème. Mais cela ne doit pas nous empêcher de ménager le suspense auprès des plus jeunes lecteurs. Jour de neige est avant tout une histoire qui traite du lien privilégié que des enfants entretiennent avec leurs grands-parents (du moins quand l'atmosphère familiale est apaisée...) et par les temps qui courent, elle est forcément la bienvenue. 

Le livre laisse la part belle à l'illustration, épurée et colorée, à mi-chemin entre le collage et le spectacle de marionnettes : on a parfois l'impression que les personnages et les éléments du décor ont été fixés sur des doubles pages qui sont autant de "tableaux", et qu'ils se déplacent et se superposent, en fonction de leur ordre d'importance dans la scène qui se joue. La figure du grand-père est très représentative de ce procédé _dont je ne suis pas extrêmement fan, mais qui est original et qui mérite vraiment qu'on s'y intéresse. En effet, vous remarquerez, à l'issue de votre lecture, que ce cher Opa fait toujours la même tête : 

 

Opa dans la forêt


Opa à table 


Opa chaud pour aller faire de la luge


Opa prend la pose

Même si notre première réaction peut être "WTF, ce personnage n'a donc qu'une expression ??", ce choix artistique est cohérent. Opa et Nonna sont des symboles de constance, de stabilité : ils interviennent au moment-même où leurs petits enfants sont en train de perdre espoir, agissent (en dégageant la branche, désolée pour le spoiler), rassurent en ramenant les enfants à l'abri, réconfortent par le jeu, par le partage du repas. Opa est dans son rôle protecteur, c'est de cette tête-là que Tutu et Booster se souviendront lorsqu'ils se remémoreront l'aventure. 

Un livre à lire et à écouter  
  
Les p'tites histoires sont aussi à écouter, en suivant l'album, ou indépendamment, à la manière d'un livre audio... même si à mon sens, ça fonctionne moins bien puisqu'un livre illustré ne s'appelle pas comme ça pour rien, généralement. Vous pourrez les trouver facilement sur le site de l'auteur Eric Coudert

Je ne connaissais pas du tout cet auteur pour la jeunesse, qui a pourtant plusieurs livres et spectacles à son actif et qui anime Que faire des mômes, un podcast d'actualité culturelle axé jeune public, clairement présenté comme un "guide" pour les familles... et forcément appréciable en des périodes de confinements qui peuvent vite tourner à l'ennui pour les plus jeunes ! 

Moralité  

  • La neige c'est froid. 
  • Quand une branche tombe sur la route, on ne peut plus passer. Cf. la Dordogne juste après la tempête, en décembre 1999.
    Là, OK, on peut vraiment dire que la branche bloque le passage !
    (Photo France Bleu)

  • On est bien contents que les vioques répondent présents lorsqu'il s'agit d'occuper des gosses survoltés durant les longs week-ends d'hiver. On découvre les parents de Tutu et Booster à la toute dernière page, soit après la bataille. Cet item est temporairement désactié, pour cause de pandémie. 






=> Notez que le père ne porte ni bonnet, ni gants, NI chaussettes alors qu'il y a au moins 10cm de neige au sol. Bravo, bel exemple ! Heureusement la mère est irréprochable, elle.   








Note pour les auteurs et pour l'éditeur, s'ils passent par là (oui oui, ça arrive parfois !)

  • J'ai bien vu que la reproduction partielle ou totale de l'oeuvre était interdite ; je ne pense pas entraver la diffusion du livre en postant ces quelques photos, bien au contraire, mais si cela vous gêne, n'hésitez pas à me demander de les retirer.

  • Une poule sur un mur est un blog qui a le rire facile ; certaines remarques se veulent humoristiques mais ne vous amuseront pas forcément. Créer un livre pour enfants est un travail à plein temps, qu'il peut être douloureux de voir tourner en dérision. Vous pouvez également me faire savoir en commentaire ce qui vous semble dérangeant. 

Pour répondre un peu mieux à la mission confiée par Babelio, qui est de publier la critique d'un ouvrage afin de le faire connaître, sinon de le conseiller, je dirai simplement que ce tome 1 des P'tites histoires aborde des thématiques de saison et d'actualité (l'hiver, la famille, la place qu'y occupent les grands-parents), mais qu'il est à découvrir quelle que soit la météo ! 

Avant de partir, je vous présente le sapin familial, décoré par ma mère en cette fin d'année...  

J
... et nous n'en sommes pas peu fiers, à la maison ! 

De rien. 

Eric COUDERT, Claire HASSENFORDER. Les p'tites histoires. Tome 1 : Jour de neige. Editions LC, 2020. Collection Taille Crayon. ISBN 9782376961239


mercredi 9 décembre 2020

"Active ton micro !"

L'article s'inspire de situations vécues, mais la plupart des propos sont volontairement exagérés pour vous faire rigoler. Ou pas. 

Les conseils de classe du premier trimestre de 6ème ont lieu en visioconférence, cette année ; contrairement à ce que je pensais, cette nouvelle formule n'enlève rien à la saveur de ces moments uniques.   

PRINCIPAL _ Bonsoir à tous, est-ce que tout le monde m'entend ? 

(Douze bonsoirs simultanés en réponse. Qui tentera un "Bonsoir Paris" avant la fin des conseils ?)

PRINCIPAL _ Tout le monde voit bien l'écran partagé ? 

TOUS _ Oui !!!  

On le voit tellement bien, que, très bientôt, Monsieur B va interrompre un cas par cas pourtant lancé sur des chapeaux de roues, juste pour signaler une faute dans une appréciation rédigée par un de ses collègues. Le concept de visiogênance collective va naître, mais au moment des salutations, personne ne s'en doute encore.  

PRINCIPAL _ Pensez bien à activer votre micro ! Madame A, votre micro est barré sur mon écran, pouvez-vous l'activer s'il vous plaît ? 

(Bruits de canalisations)

MADAME A _ Aaah, c'est là ?! Bonsoir à tous ! 

PRINCIPAL _ On attend le professeur principal, qui est parti chercher un ordi portable car le lien ne fonctionne pas sur ton téléphone ! Alors, je reprends la liste des personnes déjà connectées... Qui se cache derrière le SAMSUNG T58D58 ? 

M. B _ C'est Monsieur B ! 

PRINCIPAL _ Ah, d'accord ! Madame C vient de se connecter également, merci d'être avec nous ! 

MME D _ Non, moi c'est Madame D., j'ai récupéré le PC de ma collègue ! 

PRINCIPAL _Oh, je vois la photo d'une personne en tenue de cyclisme. J'imagine que c'est vous, Monsieur E, représentant des parents d'élèves ? 

PARENT D’ÉLÈVE (visiblement fier d'avoir créé son petit effet) _ Oui oui, c'est bien moi !  

PRINCIPAL _ Allez, on commence ! Je vous rappelle que vous pouvez utiliser le bouton "lever la main" quand vous voulez, si vous avez quelque chose à dire. Alors, cette classe de 6°Z ? 

MADAME A : énonce la formule passe-partout que tout enseignant débutant un tour de table au conseil de classe doit connaître par coeur, car tel ton horoscope elle colle à presque toutes les situations et montre que tu as prêté une réelle attention au climat de la classe sans pour autant de mettre à dos les collègues _ C'est une classe sympathique, qui participe bien ! Le niveau est hétérogène, avec une bonne tête de classe et quelques élèves en difficulté. Il y a eu un peu de relâchement au niveau des bavardages en fin de trimestre, rien de grave, mais restons vigilants ! 

MONSIEUR B : _ Pareil ! 

MADAME D : _ Je rejoins mes collègues, surtout sur les bavardages !! 

MOI en train de me dire que j'ai pas du tout la même impression sur la classe, mais qu'en même temps j'ai pas du tout envie de polémiquer car j'aimerais bien qu'on finisse pas trop tard : _ Pareil ! 

MONSIEUR F, PROFESSEUR PRINCIPAL : _ Pareil ! C'est une classe sympathique, très investie à l'oral ! Le niveau est hétérogène, avec une bonne tête de classe et quelques élèves en difficulté. Il y a eu un peu de relâchement au niveau des bavardages en fin de trimestre, il faut absolument que cela cesse ! 

PRINICPAL _ Ah, je vois que Madame la CPE lève la main ?

CPE _ Non, en fait, c'est un délégué qui veut parler ! 

DÉLÉGUÉ 1 _ Oui, c'est pour dire que Monsieur B. met trop de mauvaises notes !

PRINICPAL _ Donc là, c'est le conseil de classe de Monsieur B ?

DELEGUE 1 _ Ben non, mais...

MONSIEUR B (lève la main) _ Eh oh !  

PRINCIPAL _ Ok, on commence le tour de table...

PROF PRINCIPAL _ Bla bla bla... Félicitations... Bla bla bla... On met rien, c'est trop juste. Bla bla bla... Je propose les encouragements pour cet élève ! 

PRINCIPAL : _ Tout le monde est d'accord ? Il a tout juste 7, quand même... 

PROF PRINCIPAL : _ Oui, mais à l'école, il avait une AESH... 

PRINCIPAL : _ Et plus maintenant ? 

PROF PRINCIPAL : _ Ben non, suite au confinement, son dossier MDPH n'a pas pu être traité dans les temps et.. pouf, plus d'AESH ! 

PRINCIPAL : _ Ah, en effet. Quelqu'un s'oppose aux encouragements ? 

Silence. 

Un ange passe. 

Suivi d'un ragondin. 



PRINCIPAL : _ Je pense que ça veut dire non. Allez, encouragements. On poursuit !

PROF PRINCIPAL : blabla ... compliments ... blabla avertissement conduite, ... blabla rien...

PRINCIPAL : _ Euh, je suis surpris que cet élève ait déjà 78 demi-journées d'absences ! C'est pas mal pour un premier trimestre de sixième... Quelle raison donne-t-il à cela, Madame la CPE ? 

Sonnerie du collège dans tous les micros, avec un léger différé parfois. Oui, on est tous en visio, mais on est aussi tous dans le collège car personne n'a eu le temps de rentrer chez lui avant le début du conseil de classe. 

CPE _ J'attends la fin de la sonnerie... Oui, donc, c'est tout à fait normal car il est arrivé après la rentrée, il était confiné à (complète avec le bled de ton choix). Il est là depuis trois jours en fait, donc sa moyenne de 4 n'est pas tout à fait représentative ! 

PRINCIPAL : _ Ok, donc pas de quoi s'inquiéter. Bon, nous allons terminer par le point de vue des délégués sur la classe. Les enfants, quelle est votre impression sur ce premier trimestre ?  

DELEGUE 2 _ Ben ça va. Mais je voudrais juste dire que Kyliyann, y jette des bouts de gommes sur les filles pendant les intercours !  

DELEGUE 1 _ Oui c'est vrai, et même que des fois Yasmynaa  elle DANSE en attendant que le prof arrive. 

TOUS : _ ...

On n'était pas prêts. 

PRINCIPAL : _ Euh, merci pour votre prise de parole, les enfants. C'est courageux. Mais il n'est peut-être pas nécessaire de donner des noms à ce stade du conseil, on va peut-être plus rester sur la classe "dans son ensemble", ok ? 

DELEGUE 1 _ Ah d'accord. Bah. C'est une classe sympa. 

DELEGUE 2 _ Pareil, ça va on s'entend bien. 

PRINCIPAL _ Les représentants des parents d'élèves souhaitent ajouter un mot pour conclure ? 

PARENT 1 _ Non, c'est bon ! 

PARENT 2 _ Vous savez, moi je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd'hui avec vous, je dirais que c'est d'abord des rencontres. Des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi. Et c'est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée... *


* C'est le monologue d'Otis dans Astérix : Mission Cléopâtre, mais vous aviez reconnu sans que je vous le dise ! 

samedi 7 novembre 2020

[UNE VIE DE CHIEN] L'extraordinaire voyage de Marona - Anca Damian (2019) / Chien Pourri - Colas Gutman ; Marc Boutavant (2013)


Les chiens sont de vraies énigmes pour moi : il me semble que je n'arrive jamais à bien les comprendre, à me mettre à leur place, à anticiper leurs réactions. Je ne peux pas faire autrement qu'associer le meilleur ami de l'homme au Cerbère et de voir en lui quelque chose de malveillant : ils mangent mes poules et enterrent le cadavre à moitié bouffé devant la maison, ils mordent ma mère _au point qu'elle en ait développé une phobie ; c'est hallucinant : dès qu'un chien passe près d'elle, il ne calcule plus rien et fonce sur elle pour la gnaquer !, et il se trouve que j'y suis terriblement allergique. Enfin, pour couronner le tout, ma classe a été forcée de lire Le chien des Baskerville quand nous étions en 4ème, et comme j'avais vraiment pas envie de découvrir les rouages roman policier, j'en ai gardé le souvenir d'une histoire aussi dégueulasse que pétée. Enfin, peu importe. Le fait est que les chiens sont partout dans la culture, alors ce n'est pas perdre son temps que de s'y intéresser aujourd'hui à travers le film d'animation L'extraordinaire voyage de Marona et le premier tome d'une série de livres pour enfants : Chien pourri


L'extraordinaire voyage de Marona : au début, elle meurt...

... et c'est pas spoiler que d'ajouter qu'elle se fait caler par une voiture, avant d'expirer aux côtés de sa jeune maîtresse. Ainsi vous avez tout de suite une idée d'atmosphère du film. De rien. 

Au moment de l'accident, Marona refait le film de sa vie, nous faisant partager ses premiers jours heureux au coeur d'une portée de neuf chiots, puis son parcours chaotique ponctué d'abandons, de départs forcés, mais aussi de bonnes rencontres. Sur toute sa courte vie de chienne, Marona aura trois maîtres dignes de ce nom : l'acrobate Manole, Istvan et la petite Solange qui grandira au rythme de sa nostalgie. Trois humains aussi différents les uns des autres, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs modes de vie auxquels l'héroïne à quatre pattes s'efforcera de s'accommoder, vaille que vaille.  

Pourtant, tout avait bien commencé pour elle : en effet, "Neuf" étant le fruit de l'union improbable d'un mâle raciste et d'une femelle au pelage bien différent dont elle dit "avoir hérité" de l'ouverture d'esprit, elle incarne le métissage, la victoire de l'amour sur l'imbécilité. Mais comme animaux et humains ne parlent pas le même langage, personne ne le saura jamais, tout le monde la qualifiera simplement de "bâtarde" et chaque rencontre durable sonnera comme un nouveau baptême.! 

Neuf va d'abord être séparée de ses frères et soeurs, puis recueillie par Manole, un brave acrobate qui va lui apporter un bonheur aussi profond qu'éphémère, et à qui elle va beaucoup s'attacher. C'est elle qui prendra la décision de quitter ce premier maître, non pas parce que la vie de bohême lui déplaît, mais parce qu'elle comprend qu'elle est une entrave à l'épanouissement professionnel du jeune homme. 


Cachée dans une poubelle, elle va tomber sur Istvan, un grand bonhomme aux allures de nounours protecteur qui semble travailler sur un chantier. Leur complicité sera mise à mal par la mère sénile et violente de ce deuxième maître, puis par sa sorcière de femme, aussi sadique qu'une enfant gâtée, derrière ses airs enjôleurs. Evidemment, comme tout gentil qui se respecte, Istvan ne saura pas s'imposer. 


Enfin, Marona va intégrer clandestinement son dernier foyer, puisque c'est Solange, une petite fille décalée, qui va l'adopter dans le dos de sa mère overbookée et de son grand-père acariâtre. A la candeur de l'enfance va succéder l'adolescence je-m'en-foutiste et hyperconnectée : entre promener un chien et aller retrouver ses copines à l'autre bout de la ville, le choix est parfois bien vite fait.   


A travers ses yeux près du sol, et sa voix de jeune chienne posée mais dynamique joliment doublée par Lizzie Brocheré, le spectateur contemple l'humanité à tous les âges de la vie : Solange représente l'enfance innocente et encore empathique, puis l'adolescence plus ingrate. Manole est un jeune homme encore plein de rêves d'avenir et encore libre comme l'air. Istvan, Sarah et la mère de Solange sont les adultes dans toute leur splendeur : incapables de reconnaître le bonheur quand il se présente à eux, esclaves de leurs choix de vie et empêtrés dans leur lâcheté. Enfin, la vieillesse en prend pour son grade : la mère d'Istvan perd la boule et devient ingérable à la tombée du jour, tandis que le grand-père est un croulant gueulard et aigri, capable du meilleur comme du pire. Ce tableau est à la fois émouvant, audacieux _il faut oser aborder le sujet de l'évolution compliquée des personnes âgées..., mais un peu réducteur, aussi.   



Dans tous les cas, Marona ne juge aucun de ses maîtres et leur manifeste une fidélité à toute épreuve : si elle est lucide sur leurs vices, elle sait aussi qu'ils resteront toujours à ses yeux "ceux qui lui ont fait le moins de mal". La rancoeur lui passe au-dessus ; seul son instinct la pousse à prendre le large au moment opportun... Pour le jeune public, le personnage de Marona peut amener à réfléchir sur le statut de l'animal dans la société, sur l'importance de prendre soin de ces êtres vivants qui jalonnent notre existence et sur le cataclysme qui se produit dans leur têtes lorsqu'ils sont abandonnés sur le bord du chemin.

Puisqu'on en parle : le petit spectateur risque d'être un peu impressionné par les dessins hypnotiques et ultra colorés de Gina Thorstensen, Sarah Mazzetti et Brecht Envens. Les artistes se sont éloignés de la 3D pour faire le choix d'un décor qui évoque le pop-up, avec des effets "crayon de couleur". Les contours flous des dessins font-ils écho à l'incertitude de la petite bête au grand coeur, qui contemple le monde des humains et ne le comprend que partiellement ? Peut-être. En tous cas, la tentative est originale, onirique, et valait vraiment le coup de voir le jour, même si le style peut évidemment ne pas plaire. Le doublage et la bande son participent à l'ambiance à la fois bien vivante et mélancolique du film ; ils collent bien à l'esprit de l'histoire : on va tous vers une issue fatale, mais on y va gaiement car on est dans la peau d'un animal qui, par définition, ne connaît pas la marche arrière. 

 

Certes, L'extraordinaire voyage de Marona n'est pas une oeuvre des plus réconfortantes : les humains y sont dépeints de façon extrêmement sombre et finissent pas se laisser happer par leurs imperfections et par leurs démons. Elle donne des pistes de réflexion sur le bonheur, sur le destin, sur les souvenirs et les visages du passés, qui reviennent toujours au moment où on s'y attend le moins. Aussi se consolera-t-on de retrouver l'élastique Manole furtivement, à plusieurs reprises, lui qu'on déplore de ne voir que le temps de quelques séquences... Même s'il ne fait pas l'unanimité chez les cinéphiles, ce récent long métrage d'Anca Damian est un OVNI de l'animation à découvrir, ne serait-ce que par curiosité.

L'extraordinaire voyage de Marona -Anca Damian.

France / Roumanie / Belgique

1h32 - Sorti en 2019 


Pour en savoir plus : 


Chien Pourri : un poil plus optimiste... 

... mais guère, en fait ! 


Chien Pourri n'est pas vraiment le clebs qu'on a envie d'adopter : il ressemble à s'y méprendre à un paillasson et il sent mauvais. Pourtant, il garde le moral ! Bien sûr, c'est un peu la loose, pour un chien, de ne pas avoir de maître humain, mais après tout, il n'est pas à plaindre : il partage l'amitié de Chaplapla, un félin presque plus mal en point que lui. Mais surtout, il est d'une telle bonté naïve, et d'une telle inconscience de son état délabré, qu'il ne réalise pas la gravité de la situation. C'est sans doute mieux ainsi... 

Un jour, il se lance en quête d'un humain qui voudra bien prendre  soin de lui ; forcément, il est plein d'espoir et ne tarde pas à faire des rencontres douteuses, pour ne pas dire dangereuses... Le vaste monde est plein de pièges qui peuvent parfois prendre les traits d'une petite fille apparemment inoffensive... 

Comme dans L'extraordinaire voyage de Marona, l'anti-héros canin de ce premier tome de Chien pourri est bien mal récompensé de sa bonne volonté... mais ici, les retournements de situation rebondissent toujours sur une issue drolatique.   

Publié dans la collection Mouche de l'Ecole des Loisirs, Chien pourri peut être lu par les enfants dès 6-7 ans je pense, qu'ils soient seuls ou accompagnés : à travers un personnage principal aussi moche à l'extérieur que beau intérieurement, ils feront l'expérience des limites des apparences chez l'homme comme chez l'animal. De quoi leur apporter une longueur d'avance sur bien des adultes de leur entourage...  

GUTMAN, Colas ; BOUTAVANT, Marc. Chien pourri ! L'Ecole des loisirs, 2013. Coll. Mouche. ISBN 9782211211970 


lundi 26 octobre 2020

La fourmi rouge - Émilie Chazerand (2017)

 


Le masque de protection se superpose à celui qui recouvre déjà notre vrai visage. 





Après en avoir entendu dire beaucoup de bien sur la toile, je me suis lancée dans la lecture de La fourmi rouge, premier roman d'Émilie Chazerand. Comme vous le savez, je suis assez difficile pour ne pas dire complètement blasée en matière de littérature pour adolescents, mais j'avoue que j'ai été à mon tour assez séduite par cette trouvaille !

L'histoire 

Vania a quinze ans, elle entre en seconde. Comme Bella, Harry, August, Georgia avant elle, la jeune a un peu la trouille à l'approche d'une rentrée teintée d'incertitudes. A la manière de Mia dans le Journal d'une princesse, elle s'apprête à nous raconter avec humour ses petites angoisses à la première personne. Rien de nouveau sous le soleil, à première vue... mais en y regardant de plus près, on se rend compte que l'héroïne de La fourmi rouge repousse les limites d'une loose déconcertante de réalisme !   

Déjà, Vania a un nom de serviette hygiénique, une paupière qui fait des siennes, et une plus grande facilité à vomir sur commande qu'à se faire des amis. Si elle n'ira pas jusqu'à s'autoproclamer "ratée et fière de l'être", elle semble s'être fait une raison... Heureusement, quelques solides bouées lui permettent de garder la tête à la surface de la mare au canards de son existence : son père taxidermiste et loufoque, sa meilleure copine de galère Victoire qui n'assume de traîner avec elle que parce que son odeur corporelle insupportable l'empêche d'avoir des amis stylés, et son BFF de toujours, le seul, l'unique, l'irremplaçable Pierre-Rachid dit "Pirach". 

D'ailleurs, parlons-en de celui-là : il n'a rien trouvé de mieux que de profiter des vacances d'été passées au bled pour s'offrir un corps d'adulte et se taper Charlotte, sa pire ennemie ! A la veille d'un premier jour de cours qui s'avèrera encore plus catastrophique que prévu _ spoiler : elle va arriver en retard et involontairement péter le nez du proviseur, je vous laisse le soin de découvrir dans quelles circonstances, cette trahison suprême tombe sur Vania comme un piano sur un personnage de cartoon.




Le mieux, dans ce cas-là, c'est encore d'aller se coucher _ce qu'elle va faire. Mais avant, Vania aura la (forcément) mauvaise idée de consulter sa boîte mail, et d'y découvrir un violent message anonyme qui l'exhorte à se secouer les puces au plus vite, sous peine de disparaître bien vite dans les méandres de l'insignifiance. Nouveau coup de massue. Cette fois, c'est sûr : une nouvelle année de galère s'annonce à l'horizon...  


"Taille moyenne, élève moyenne... Fille moyenne. Pas parce que tu es née comme ça, mais parce que tu as choisi la transparence, la fadeur, l'insipidité. 
Tu es la personne la plus décevante de ce siècle.
Tu es inutile et vide."



Un faux air de déjà vu 

"Ok," me direz-vous, "mais sinon, concrètement, qu'est-ce que ce roman tragico-comique résolument classé dans les "feel good" pour la jeunesse a de plus qu'un autre ?"  

Eh bien, premièrement, il est encore récent, puisque sorti en 2017, et il est donc bourré de références à l'actualité et à la culture de ces dernières années : de Donald Trump aux Ch'tis, en passant par la citation Jenifer et le slip Hello Kitty que seule une amie proche peut vous offrir  "une chatte pour ta chatte"  et qu'on ne met que le dimanche en regardant Jour du Seigneur... aucun détail n'est oublié ! De la même façon, le registre de langue utilisé par les jeunes personnages colle assez à ce qu'on peut entendre dans les lycées de nos jours, me semble-t-il (bon, en plus soft, peut-être...). Dans tous les cas, ces éléments de décor ou de langage révélateurs d'une génération ne sont jamais placés gratuitement dans le texte, avec pour espoir d'aguicher le jeune lecteur : ils ont vraiment leur importance et apportent quelque chose au récit _un effet comique, le plus souvent. 

Ensuite, La fourmi rouge aborde des sujets graves, sans dramatiser, mais sans faux semblants ; entre autres : la rumeur, la réputation, le (cyber)harcèlement, les effets (à plus ou moins long terme...) de la télé-réalité sur les gens, la vieillesse, l'intégration, les préjugés racistes, et, dans une moindre mesure, la radicalisation. Il est question, pour l'héroïne et pour ses pairs, d'apprendre à se faire une place dans le groupe, dans la masse, à devenir "la fourmi rouge" capable de se distinguer du flot de fourmis noires passives ou suiveuses. Rien n'est moins facile, et ce roman s'avère un peu moins optimiste que ce à quoi on aurait pu s'attendre. 

Au fil des pages, on se rend compte que derrière l'humour, les situations cocasses ou anodines, se terrent parfois des souvenirs désagréables, sinon traumatisants. Vania serait-elle en train de nous abreuver de paroles pour éviter de nous livrer ce qui l'empêche réellement de vivre ? Qu'y a-t-il sous le masque de Gottfried, le papa "hyper cool" ? Pourquoi la lycéenne s'auto-qualifie-t-elle sans cesse de "mytho professionnelle" ? Est-elle en train de nous balader ? Ne pas dire, est-ce vraiment mentir ? Secrets et questions existentielles vont se dévoiler petit à petit... Une chose est sûre : un psychanalyste se frotterait les mains à la vue d'une patiente qui vomit tout ce qu'elle peut à la moindre contrariété mais qui cumule les sujets tabous. 

"Certes, nous sommes tous des fourmis, vus de la Lune. Mais tu peux être la rouge parmi les noires.
Qu'est-ce que tu attends pour vivre ?"

Honnêtement, j'ai été très emballée par des premiers chapitres très dynamiques, crépitants comme des Têtes Brûlées, avant que l'euphorie ne retombe petit à petit. Certes, on n'échappe pas à deux trois stéréotypes bien ancrés chez les "adultes référents" et chez certains jeunes décrits dans le livre ; mais à l'inverse, beaucoup de situations sonnent vrai et sont traitées sans complexe. Qui a déjà vu son ou sa meilleur.e pote prendre le large à cause d'une bête histoire de coeur sans lendemain partagera mon sentiment ! Enfin, sachez que le suspense du "mail mystère" est chouchouté jusqu'aux dernières pages ! 

Si vous vous intéressez à la littérature pour la jeunesse, ou si vous cherchez un livre pour des 12-16 ans bons lecteurs, prenez quelques heures pour découvrir ce titre : il passe comme petit fromage affiné (oui, c'est un compliment, et oui, j'ai faim) ! 

Emilie Chazerand. La fourmi rouge. Éditions Sarbacane, 2017. 384 p. ISBN : 978-2-07-513399-9




  

 

dimanche 25 octobre 2020

Le voyage d'Alice Sandair - Jacqueline Merville (2020)

 

Quand on a une merde de chien collée sous la chaussure, on avance, on marche dans l'eau, on court dans l'herbe, et tôt ou tard elle finit par tomber. 
Avec la colère, on peut procéder de la même façon ; ça prend plus de temps, ça ne marche pas toujours, mais ça se tente. 

Lundi matin, au parc de la Villette.
Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai couru dans l'idée qu'un jour, il y aurait peut-être quelqu'un au bout du chemin.


Merci à Babelio et aux Éditions Des femmes
pour l'envoi du dernier livre de Jacqueline Merville intitulé Le voyage d'Alice Sandair. 


Famille, amis, villes et campagnes, attrait pour l'écriture... Alice Sandair a tout plaqué pour aller en Inde et s'installer sur le plateau du Deccan. Jusqu'à tirer un trait sur son identité civile, jusqu'à accepter d'être considérée comme morte pour l'administration française. Pourquoi a-t-elle décidé de prendre un aller sans retour avec pour tout objectif une forêt de bambous plantée à l'autre bout du monde ? On l'apprendra, ou pas, en lisant les bribes de son cheminement intérieur raconté chapitre après chapitre, au fil des pensées de l'héroïne.

En effet, Alice, qu'on appellerait bien volontiers par son nouveau nom indien si on le connaissait, est un électron libre. En Europe comme en Inde, elle ne suivra jamais le mouvement, préférant observer, ressentir et se laisser porter ; si sa quête de soi l'amène à consulter des guides tels qu'un maître spirituel qu'elle nomme "le philosophe" ou à se laisser aller à la méditation, on sent qu'elle ne s'y abandonne jamais totalement. Elle construit sa propre route, et cela lui convient ; ainsi, elle fera la rencontre de James, en qui elle trouvera un compagnon de route qu'on devine aussi épris de liberté qu'elle. On partagera quelques lointains souvenirs de son autre vie avec sa mère, dernier filament du cordon qui la relie à la France, et avec Pierre, cet ami malade incurable qui a su l'encourager à prendre son envol.     

Le voyage d'Alice Sandair n'est pas Caroline aux Indes : Jacqueline Merville ne nous écrit pas le roman initiatique plein d'aventures que le titre laisse imaginer, mais elle nous fait part d'un récit étrange, insaisissable, et peut-être en partie autobiographique ? d'un périple intérieur. C'est pourquoi j'ai bien du mal à résumer les 230 pages d'un livre que j'ai pourtant trouvé facile et agréable à lire. Disons que les pages ont filé comme de l'eau entre mes doigts, un peu comme les journées, les mois et les années de la nouvelle vie indienne d'Alice... sans violence, sans laisser de traces. 

Il faut dire qu'au bout d'un moment, les balises du temps s'estompent tellement qu'on a du mal à définir un semblant de calendrier dans l'évolution géographique et intérieure d'Alice... peut-être parce qu'il ne faut tout simplement pas chercher à le faire.  



Cet album (daté de 1962) sent un peu fort le temps des colonies...
Mais quand même, je l'aime tellement !


Je reconnais que j'ai eu du mal à me raccrocher aux wagons de ce voyage intérieur*. Pour y parvenir réellement, il aurait fallu que je puisse m'identifier au moins un peu au personnage principal ; mais Alice a déjà tellement d'identités qu'il n'y avait plus vraiment de place pour moi ! Alors je me suis contentée de contempler l'histoire de l'extérieur, passant à côté de plein d'éléments trop personnels ou trop poétiques pour moi.... 

Cela dit, j'ai bien aimé partager les découvertes de l'héroïne, qui arrive en Inde avec une "image" d'une culture, et qui, une fois sur place, réalise qu'elle n'en connaissait que quelques facettes. Il est certain que le lecteur en quête d'action risque fort de rester sur sa faim... On est nombreux à vivre à cent à l'heure, parfois malgré nous, parfois parce qu'on le veut bien aussi, obnubilés qu'on est par l'efficacité, la productivité : forcément, l'attitude contemplative d'Alice peut nous déconcerter, voire nous impatienter... et c'est très bien comme ça : rien de mieux qu'un livre-OVNI pour casser ses petites habitudes ! 

Jacqueline MERVILLE. Le voyage d'Alice Sandair. Editions des Femmes, 2020. ISBN 9782721007186


*Je ne suis pas peu fière de ma métaphore ! #cartegrandvoyageurSNCF



dimanche 18 octobre 2020

Exposition "Les 25 ans de DreamWorks Animation"

Contente de vous retrouver ! 

Voilà presque deux mois que je n'ai rien publié sur ce blog, et je crois que c'est une première en dix ans, ou pas loin ! Les débuts d'années sont toujours chargés pour les profs, et les professeurs documentalistes ne font pas figure d'exception. Cela fait partie des charmes du métier... mais là, je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas réussi à me poser suffisamment longtemps pour écrire ne serait-ce qu'un résumé de bouquin. Pourtant, tout va bien, je ne suis ni en train de me battre contre le virus, ni en pleins préparatifs de méga teuf interdite, ni même occupée à roucouler dans mon coin _ j'aimerais bien, mais on n'en est pas là...    

Bref, ma main et mon cerveau s'étant rouillés à force de ne plus tripoter le clavier, je vous demanderai d'être patients et de m'indiquer en commentaire, comme d'hab, ce qui vous paraît confus. 

Ce retour sur la toile a pour but de vous faire connaître une petite exposition organisée "hors les murs" par le Musée des Arts Ludiques de Paris ; dédiée à l'univers de DreamWorks Animation à l'occasion de ses 25 ans, elle fait actuellement et jusqu'au 8 novembre un passage express au 2A, rue Montalembert. C'est pas loin du Musée d'Orsay. Bon à savoir : l'entrée est gratuite. 




Le lieu d'accueil, un peu caché, est agréable et permet de répartir l'expo sur plusieurs petites salles. On se doute que ce choix d'installation se veut cohérent avec le protocole sanitaire, mais il se trouve qu'il se prête plutôt bien à la configuration d'une expo organisée en plusieurs petits "pôles" thématiques ou consacrés à un ou deux films majeurs produits par Dreamworks. 

A travers plus de 200 dessins, croquis, œuvres numériques qu'il nous sera bien difficile de voir ailleurs, ses concepteurs ont voulu nous montrer en quoi cette "maison" se distingue des autres grands studios d'animation ... 

... d'une part, parce qu'il n'y a pas de "style Dreamworks" _comme il peut y avoir un "style Disney" qu'on reconnaît aussitôt, par exemple. La diversité des sujets traités et des styles est au contraire importante et recherchée : elle fait toute la force de la production. 
 
... d'autre part, parce que si les contes, les figures du folklore... servent de point de départ à beaucoup de films, elles finissent toujours par s'en distinguer. S'inspirer des légendes et des mythologies, c'est bien, les analyser pour les revisiter et pour en proposer une lecture contemporaine, c'est encore mieux. Dans une salle était affichée une citation que je ne saurais transcrire avec exactitude, mais qui disait que l'animation ne servait pas tant à réveiller l'âme d'enfant terrée chez l'adulte qu'à réveiller l'adulte qui sommeille en chaque enfant... Ce point de vue est intéressant.  


Malgré tout, les spectateurs adultes, qu'ils soient jeunes ou vieux, qu'ils soient geeks ou pas, représentaient la majeure partie du public hier après-midi : il m'a semblé que bien des souvenirs avaient été réactivés lors de leur visite, même si je ne suis pas du genre à écouter les conversations.  

Le Prince d'Égypte, surtout connu pour sa bande originale.
 
When you believe - Withney Houston, Mariah Carey
A écouter quand vous avez un coup de mou, quand vous pensez que vous n'allez jamais vous en sortir.
Quand t'es en 6ème et que tu as hâte d'être en vacances.
 A écouter aussi quand une bonne nouvelle arrive. 
Quand le soleil revient, histoire de ne pas oublier le chemin parcouru.
 Quand vos potes arrivent enfin à faire un gosse, alors qu'ils n'osaient plus y croire... 


La dernière salle de la bâtisse accueillant l'exposition était consacrée à l'incontournable Dragons _dont j'ai déjà parlé ici il y a presqu'une décennie déjà ! et à Trolls (film que je ne connais pas du tout, mais dont l'univers coloré est fort attrayant).  


               


Bien sûr, les "25 ans de DreamWorks Animation" est aussi l'occasion d'attirer notre attention sur la sortie prochaine des films Trolls 2 et The Croods 2. 



L'unique volaille de l'expo...


Alors, autant vous le dire tout de suite : cette exposition est très visuelle ; je veux dire par là que vous allez pouvoir admirer des oeuvres d'art, mais vous n'allez pas forcément apprendre beaucoup de choses dessus. Tout dépend de ce que vous cherchez en allant voir ce type de manifestations culturelles, mais le peu d'informations ne vous empêchera pas de passer un bon moment et vous laissera sans doute plus "libre" de contempler et d'apprécier ce qui se présente à vos yeux. Personnellement j'avais bien besoin de couleurs et de dessins animés à (re)découvrir en ces jours bien sombres...    




On a aimé...

... l'espace rue Montalembert, sympa, avec son entrée retirée au fond d'une petite cour et ses petites pièces au plafond bas. L'accueil est sympa et facilite l'attente _puisqu'on ne peut pas être trop nombreux en même temps à faire la visite, COVID oblige.  

... la grande chronologie des oeuvres produites par Dreamworks qui marque le début de l'expo : sobre et efficace ! Personne n'est oublié, pas même Joseph, le Roi des rêves et sa rainbow tunique ! 

... le fait que l'entrée soit gratuite : ma foi ce n'est pas négligeable ! 

... la grande diversité des tableaux exposés, allant du croquis au numérique, en passant par le collage. 

... le décor des salles, qui recréent au mieux les différents univers. 

On a moins aimé...

... la difficulté de trouver le nom des artistes, et les infos sur les oeuvres, les cartels étant parfois assez éloignés et pas facile d'accès _ ben oui, c'est beau alors on veut tous voir les dessins de très près, on veut tous prendre en photo le Chat Potté parce qu'il est trop classe. 

... qu'il n'y ait rien sur Chicken Run, mais rien de rien ! pas le moindre petit croquis... J'imagine qu'il y a sans doute une bonne raison d'ordre juridique ou financier à cela, vu que la production était partagée avec Aarman Animations, me semble-t-il. Enfin c'est pas bien grave en soi. 

Prenez soin de vous.
Veillons les uns sur les autres.

dimanche 23 août 2020

Histoires de porcelaine - Que cent fleurs s'épanouissent - Feng Ji Cai (1990) / Tour de France du poulet : étape à Chantilly


Allez allez ! On se motive et on pond son petit billet ! 



L'histoire 

Lorsqu'on prend un train de nuit seul, on croise les doigts pour ne pas avoir à partager le compartiment, ou du moins pour voir débarquer le moins de voisins possibles au cours du voyage. Mais il arrive pourtant qu'un passager vienne occuper une couchette de la nôtre, et qu'il exacerbe même notre pointe de déception en faisant un bordel pas possible. Voilà précisément ce qui arrive au narrateur du roman Que cent fleurs s'épanouissent, un écrivain renommé qui ne sait pas trop s'il doit se vanter de son art, ou le dissimuler : en effet, l'action débute en Chine, au début des années 1970, pas longtemps après la tumultueuse Révolution Culturelle. 

A première vue, son compagnon de route ne lui dit rien qui vaille, d'autant plus qu'il trimbale une caisse en carton qu'il manipule avec précaution, comme si quelqu'un se cachait à l'intérieur ; l'homme est-il fou et/ou dangereux ? 

Bon gré mal gré, une discussion s'engage. L'étrange passager commence à raconter ses déboires de jeunesse au narrateur _et au lecteur, par la même occasion. Hua Xiayu, puisque c'est ainsi qu'il se nomme, venait alors de terminer de brillantes études d'art et attendait d'être affecté dans un service administratif ou pédagogique de son école. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il apprit qu'une place d'ouvrier dans une usine de céramique l'attendait en province ! 

Croyant d'abord à une erreur, il finit par répondre à la convocation et à quitter Pékin et ses promesses. On est alors au début des années 1960, il n'est pas question de contester le système d'attribution des postes ! Peut-être quelqu'un nourrissait-il de la rancœur ou de la jalousie envers lui, et a utilisé ses contacts pour broyer ses rêves ? Il n'aura guère le temps de chercher d'où est partie la balle, car une fois arrivé à Qianxi, les tuiles s'enchaînent... 


Tuiles...
Usine de céramique... 
Ahah 
Bref.


Au travail, le malaise est palpable : entre les collègues qui ne lui adressent pas la parole, les voisins qui semblent se méfier de lui, les petits chefs qui l'accusent _à tort_ d'être un "révolutionnaire" ou un "anti-communiste", il ne se sent vraiment pas à sa place, et perd rapidement toute envie de s'intégrer. Heureusement, les visites d'un chien errant nommé Le Noir et de Dune, sa future femme, lui permettent de le trouver goût à la vie. Au travail, il se rend compte qu'il est capable de se distinguer des autres ouvriers en créant des poteries et des porcelaines d'une rare finesse : son âme d'artiste est engourdie mais pas morte ! Hua Xiayu est naïf et montre un peu trop sa bonne humeur, surtout quand il s'agit de parler de son mariage. Il ne sait pas encore que les hommes n'aiment pas voir leurs semblables heureux. 

Bientôt, des dazibaos, sorte de tracts diffamatoires qu'il était de bon ton de plaquer sur les murs à l'époque, fleurissent aux environs de sa cabane ; ils dénoncent le supposé passé de dangereux fauteur de trouble du jeune céramiste, qui est pourtant certain de n'avoir rien à se reprocher... D'où viennent-ils ? Sans doute de ..., un petit chef de son usine qu'il soupçonne d'être amoureux de Dune, mais il n'a pas de preuves et sait bien que la parole d'un étudiant citadin ne compte pas. Comme il ne réagit pas et ne semble pas pris de remords _comment le pourrait-il ? le ton monte. Les brimades et ragots laissent place aux franches agressions. Les collègues les moins méprisants se détournent de lui, sans doute pour se protéger, tandis que Dune subit des pressions et ne sait plus qui croire. Comble de l'horreur pour un artiste, on le force à casser à coup de masse toutes ses porcelaines. A ce stade de l'histoire, on se croit perdu au milieu d'un roman de Kafka, on a autant le bourdon que le jeune peintre... et il se pourrait bien que le livre tombe des mains des lecteurs les moins motivés. 



Ce serait une erreur : à partir du moment où la guerre est clairement déclarée, où Hua Xiayu se fait bien tabasser, où il avoue des délits qu'il n'a pas commis pour que sa femme échappe aux coups, où il se fait envoyer en "camp de rééducation" encore plus retiré du monde, le roman prend un nouveau tournant. Le jeune homme a touché le fond, il ne peut que rebondir. Sa peine va devenir une renaissance artistique, grâce à la rencontre de deux paysans, artistes à leurs heures perdues. L'un fait des poteries, l'autre s'illustre dans le découpage de papier. Tous deux sont des artistes qui s'ignorent ; leurs manières ne sont pas raffinées, mais leur oeuvre est vivante, vraie, déconnectée de la politique. Née d'une simple envie de créer, elle certainement pas monnayable ! L'étudiant va beaucoup apprendre au contact de ces formes d'arts dont il ignorait l'existence. 

La femme s'en va, le chien reste 

Ce sous-titre peut vous interpeller, j'en suis consciente ; laissez-moi juste développer. Dans ce résumé bien trop long, j'ai très peu parlé du chien nommé Le Noir qui se donne au peintre et qui va devenir son seul véritable ami. Il a pourtant un rôle déterminant dans le parcours du héros : dès les premiers chapitres, il fait immersion dans son environnement, suscitant d'abord sa peur avant de devenir un véritable ami. 

Les hommes sont de vraies girouettes face aux événements : les ouvriers passent du mépris à l'admiration devant le talent de Hua Xiayu ; l'un d'eux se laisse emporter par la jalousie ; un autre compense ses frustrations par la violence et la cruauté. L'amour de Dune s'étiole bien vite sous l'effet de la méfiance. Pire encore, ils ne se contentent pas de le fuir ou de le sanctionner : ils veulent l'anéantir, lui faire mal en le forçant à détruire lui-même le fruit de son travail, son seul motif de fierté dans sa vie pleine de désillusions.



Le Noir est le seul gage de stabilité dans la vie d'un personnage ballotté par les vents contraires : cela dit, vous vous rendrez compte, si vous lisez ce livre, que si quelqu'un a des raisons de lui en vouloir, c'est bien lui ! Même pendant leur séparation forcée _on ne les laissera partir ensemble au camp de Qingshishan_ la bête jouera son rôle de guide : n'est-ce pas une statuette de chien, censée compenser l'absence du Noir, qui va mettre en relation Hua Xiayu et le colporteur local, par le biais d'un gamin ? Je n'ai pas les références nécessaires pour bien comprendre toute la symbolique dont Feng Ji Cai a voulu charger Le Noir, mais si l'on s'en tient simplement à notre image commune de cet animal, le message est clair : le chien est le meilleur ami de l'homme et il se distingue par sa fidélité.   


La minute coincidence culturelle 

Que cent fleurs s'épanouissent est un roman relativement court, dont le titre fait référence à une fameuse phrase de Mao Tsé Tung : à la base, ces propos encourageaient les intellectuels à s'exprimer librement, mais ils se sont transformés en traquenard pour ceux qui ont eu l'imprudence d'y croire. J'ai  compris la référence à la toute fin de l'histoire... et surtout à l'aide du dossier pédagogique situé à la fin de mon édition Folio Junior qui a un peu vieilli, mais qui reste très instructive !   

L'histoire est facile à suivre, mais une bonne connaissance du contexte politique en Chine à cette époque reste nécessaire, selon moi, pour bien comprendre et pour en apprécier la profondeur. Que cent fleurs s'épanouissent est aussi une réflexion sur l'art et sur la figure de l'artiste. C'est pourquoi je fixerai l'âge de première lecture aux niveaux 4°-3°, d'autant plus que les scènes de violence et les moments contemplatifs pourraient désarçonner les plus jeunes. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas se priver de cette belle transcription des émotions que les œuvres d'art et le processus de création peuvent susciter. 

Croyez-moi ou non, j'ai découvert ce livre juste avant d'aller me promener à Chantilly, pays de la "porcelaine tendre", c'est à dire fabriquée sans argile blanche, depuis le XVIII° siècle. Quelques très beaux services, vases et autres objets du quotidien, sont exposés au château. Beaucoup d'entre eux représentent des motifs faisant référence à la Chine _car on était en plein dans la phase "chinoiseries". 


J'ai seulement photographié les petits bijoux représentant des poules ou des oiseaux, dans le cadre de mon Tour de France du Poulet*, mais si vous allez visiter le Musée Condé, vous pourrez en admirer plein d'autres. Une exposition autour de la porcelaine de Meissen et de Chantilly, intitulée "La fabrique de l'extravagance", est actuellement en cours de montage. 



Plus d'informations sur cette facette sur patrimoine sur la brochure dédiée, éditée par la ville de Chantilly. Valeur sûre, donc !
   
Bon à savoir : 
  • Si vous souhaitez visiter le Domaine de Chantilly et que vous vous y rendez en TER, vous pouvez vous faire faire un billet spécial qui comprend le transport et la visite pour un tarif intéressant, me semble-t-il. Conditions à vérifier sur le site du Domaine et sur celui de la SNCF.  
  • Le billet Domaine donne accès au Château (et au Musée, aux expos), aux Grandes Ecuries, au parc _qui est vraiment très agréable, MAIS PAS au Potager des Princes, comme j'ai pu le lire quelque part. Cela ne vous empêche pas d'y aller faire un tour quand même, car il y a un méga trombinoscope des différences races de poules à l'entrée, et un jardin qui vous filera plein d'idées et vous remettra de vieux proverbes en tête. Sinon, la dame de la billetterie est un peu sèche, mais grâce au système de parcours fléché anti-COVID, hamdoullah vous ne la verrez pas à la sortie.
"Arrêtez de me chier dessus, bordel !"



*Où que j'aille en France, je me lance de défi de dégoter quelque chose qui ressemble de près ou de loin à une poule, et de le photographier. Quand j'aurais assez de photos, je les alignerai toutes : c'est alors que la vérité sur l'existence de l'univers apparaîtra !   

Feng Ji Cai. Que cent fleurs s'épanouissent. Folio Junior Edition Spéciale, 1995. 160p., ill. ISBN 2-07-058834-3