dimanche 16 avril 2017

MANGA - Sunny Vol.1 - Taiyou Matsumoto (2014)



Après avoir parlé de Negima !, Drôles de racailles et Hero Mask tout récemment, nous nous intéressons aujourd'hui à un manga beaucoup moins explosif mais tout aussi étonnant. Voire plus puissant : allez, ça ne fera de tort à personne que de le reconnaître. Il s'agit du volume 1 de la série Sunny, créée par Taiyou Matsumoto, un artiste bien connu des amateurs de BD japonaises. Sorti au Japon en 2011, le manga est arrivé en France en 2014. 




L'histoire 

Sunny raconte le quotidien d'un foyer d'accueil pour enfants abandonnés ou retirés à leurs familles pour des causes plus ou moins obscures. Les éducateurs Adachi et Mitsuko font de leur mieux pour élever les pensionnaires et leur apporter sécurité et affection, mais leur tâche n'est pas de tout repos ! Ils doivent composer avec une poignée de filles et de garçons de tous âges dont certains donnent du fil à retordre : Kenji asphyxie tout le monde avec ses cigarettes, tandis que Haruo se donne des airs de petite frappe en cherchant la bagarre et en faisant pleurer les filles. Junsuke est un adepte des jeux bruyants et a tendance à chouraver "tout ce qui brille". Autour de ces trois terreurs gravitent une bande de fillettes bavardes et rieuses, dont Megumu et Kiiko, un chien efflanqué que les enfants promènent à tour de rôle, un homme handicapé mental mais parfait dans son rôle de nounou : Tarô. Le directeur de la structure, joliment nommée Foyer Hoshino Ko, "Les enfants des étoiles", pose un regard bienveillant sur la tribu depuis la chaise longue qu'il ne peut plus quitter. 

Pas facile de s'isoler lorsqu'on vit les uns sur les autres. Heureusement, la Sunny jaune est là, garée à côté du foyer, indéboulonnable. "La Sunny", c'est une vieille voiture en panne que les enfants se sont réappropriés pour jouer, rêver, échanger leurs secrets et leurs revues douteuses. Tout le monde a le droit de la squatter, sauf les adultes. 

Un jour, un nouveau garçon arrive au foyer. Il s'appelle Sei, il porte de grosses lunettes d'intello et n'a pas vraiment l'intention de s'intégrer, convaincu qu'il ne va faire qu'un passage éclair aux "Enfants des étoiles". 




La voiture de tes rêves 

Frappée par le jaune rutilant de la carrosserie, l'attention de Sei est tout de suite happée par la Sunny. Junsuke, le petit rouquin cleptomane, lui annonce la couleur : ok, cette voiture ne roule pas, mais lorsqu'on est dedans, on fait ce qu'on veut et on devient qui on veut. Matsumoto nous fait notamment partager les jeux et rêveries de Haruo et de Sei : elles en disent long sur leurs ambitions et leur état d'esprit. Le premier, qui n'est autre que le rebelle aux cheveux blonds dont le visage est représenté sur la couverture du volume, s'imagine en traître agonisant, tout juste bon à nourrir "un coyote". Belle estime de soi ! D'ailleurs, il me fait beaucoup penser au grand blond retardataire et en manque d'affection dans Elephant _ ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de glisser un clin d'oeil à ce film.


Elephant, Gus Van Sant (2003)

Sei, lui, s'imagine au volant de la Sunny en marche, rentrant à la maison et retrouvant ceux à qui il était attaché : ses parents, son école, son quartier. Il semblerait que le bonheur ultime, ce soit de quitter le foyer. D'autres utilisent la vieille épave pour ruminer leur peine et leur rancœur, comme le font Kenji et sa sœur Asako lorsque le jeune homme revient d'une visite peu concluante chez leur père alcoolique. Dans tous les cas, ce quartier général des enfants hébergés est une passerelle vers un avenir meilleur, où tous seront libérés de tout ce qui les parasite : l'école, les enfants "des maisons", c'est à dire ceux qui ont la chance de vivre auprès des leurs, leurs problèmes familiaux. En gros, tout ce qui leur renvoie en pleine gueule la dure réalité. 


En quête de repères 

A deux reprises, on perçoit une hostilité réciproque entre les "enfants du foyer", pas toujours copains à la maison mais soudés à l'extérieur, et les "enfants des maisons". Haruo sèche les cours en partie parce qu'il considère que leur contact lui est néfaste, et méprise ses voisins de chambre lorsqu'il les prend en train de sympathiser avec des gosses de l'extérieur. De leur côté, les écoliers et les copains de Kenji se moquent plus ou moins ouvertement des jeunes habitants du foyer : ce sont au mieux des cas sociaux qui puent, au pire des détraqués. Effectivement, les petits squatteurs de la Sunny sont tous un peu perturbés et expriment leur souffrances et leurs traumatismes comme ils le peuvent. Le mangaka, qui ne cache pas la dimension autobiographique de son oeuvre, peint avec beaucoup de réalisme la complexité de ces enfants perdus : Junsuke nie son côté chapardeur et se promène la goutte au nez du matin au soir dans l'indifférence générale, Haruo sniffe de la Nivea parce que ça lui rappelle sa mère, Kiiko se rêve déjà une vie sexuelle et fait croire qu'elle est dans le viseur d'un pervers pour attirer l'attention de ses camarades de classe. Megumu a tendance à déprimer et la vue d'un chat mort va même la plonger dans le désespoir le plus total : si elle mourrait, qui la pleurerait ? Les deux pauvres éducateurs, secondés par l'aînée des pensionnaires, sont parfois largués en dépit de leur bonne volonté. 

On est bien loin de l'orphelinat à la Dickens et tant mieux, tiens : ici, le jeune Adachi se fait tutoyer et remballer sans ménagement lorsqu'il essaye d'exercer son autorité sur des jeunes gens sans repères. Les codes, les repères, l'amour d'une famille, voilà ce qui manque aux Enfants des étoiles pour s'intégrer et ne plus être montrés du doigt par leurs pairs. Abandonnés au milieu de l'échiquier de la vie, ils ont tout pour jouer _ils sont nourris, logés, suivis de près, mais leurs vies chaotiques font qu'ils ne connaissent plus les règles du jeu...


Image trouvée sur le Tumblr d'un fan de Taiyou Matsumoto
http://taiyomatsumoto.tumblr.com/


Sunny me réconcilie avec le manga, que j'aborde toujours avec méfiance et auquel j'ai un peu de mal à accrocher, allez savoir pourquoi ! Une fois n'est pas coutume, ce premier volume est un vrai coup de coeur et me touche assez pour que j'aie envie de continuer à lire des aventures de ces enfants, tous aussi tordus et attachants les uns que les autres. Après avoir fait un tour sur ce qui se disait au sujet de cette BD sur la blogosphère, il m'a semblé qu'on critiquait souvent le côté "vieillot" ou "simple" du dessin. Pour le coup, je ne suivrai pas le mouvement ; déjà, sans savoir exactement quand se situe l'action, je dirais qu'elle se déroule au plus tard dans les années 70 - 80, vu les modèles de voitures, les téléphones, les vêtements des personnages. Les illustrations de la couverture et des premières pages arborent des couleurs chaudes, dans des teintes jaunes qui font honneur à la Sunny ; enfants et adultes du foyer sont peints sans prise en compte des codes du manga, certes, mais cela permet de mettre en valeur leurs imperfections pour un plus grand réalisme. Les autres personnages ont des visages plus communs, lisses, durs à différencier, dénués de chevelures "floues" ou blanchies ; pas étonnant, ce sont les "normaux" !

Poignant mais pas larmoyant, cette BD est à mettre dans tous les collèges et lycées !
  
On est comme on est ! 


MATSUMOTO, Taiyou. Sunny Vol. 1. Kana, 2014. Coll. "Big Kana". 220 p. ISBN 978-2-5050-6107-6


samedi 15 avril 2017

Les Cités des Anciens 5 - Les gardiens des souvenirs - Robin Hobb (2012)


Surprise par l'épaisseur réduite du tome 5 des Cités des Anciens - Les gardiens des souvenirs _ 250 pages seulement ! je me suis laissée aller à un craquage livresque en m'équipant sans plus attendre des tomes 6, 7 et 8. Eh oui, quand l'édition française fait du petit bois avec de longs cycles romanesques pour les rentabiliser en vendant plus de volumes, ça donne l'impression d'avoir affaire à une série interminable ! Il y a quelques années, j'aurais pesté contre ce système _d'ailleurs j'ai du le faire dans un billet consacré à L'Assassin Royal, maintenant je suis assez blasée pour dire que chacun voit midi à sa porte. 


Illustration : Sébastien Hayez


Où est-ce qu'on en était ? 

A l'heure où les dragons et leurs gardiens posent leurs pieds aux abords de la mythique cité de Kelsingra, les peuples des Rivages Maudits se menacent et s'entre-tuent pour la survie du Duc de Chalcède. Ces braves gens n'ont pas bénéficié de l'héritage culturel de leurs ancêtres et, par conséquent, ils ne mesurent pas l'importance des monstres à écailles et des Anciens qui leur sont dévoués. A mi chemin entre l'humain et le dragon, ces formes d'êtres hybrides étaient vénérées jusqu'à leur disparition survenue des siècles plutôt, mais leur réapparition progressive ne leur donne plus droit qu'à un statut de bêtes de foire. Les dragons ne sont pas mieux lotis, puisque à présent les hommes osent les attaquer pour en récupérer les écailles et le foie... Il semblerait qu'un duc malade soit devenu plus important que les nouvelles générations de reptiles sacrée ! Pas de doute, les temps ont changé, et le respect des traditions a du se noyer quelque part dans le Fleuve du Désert des Pluies.




Faute de pouvoir s'y rendre _il faudrait pour ce faire que leurs dragons puissent voler, les gardiens s'installent aux alentours de la Cité ; enfin mis en sécurité, ils peuvent tenter de se projeter dans l'avenir.

Alise reprend ses recherches, même si elle n'a plus vraiment de quoi écrire, tandis que le capitaine Leftrin et le Mataf font machine arrière en direction de Cassaric pour se réapprovisionner en nourriture, vêtements, encre et autres produits de première nécessité. La femme cocue de Hest Finbok refuse de l'accompagner dans son voyage, car elle sait bien que le passage du marin aguerri dans la société des Marchands, même bref, va susciter l'attention des curieux. A son retour, il sera sans doute suivi de vaisseaux pilotés par des requins prêts à tout pour piller la cité sacrée afin de s'en mettre plein les poches. Leftrin prend douloureusement conscience que sa nouvelle compagne a fait passer son travail d'investigation avant leur idylle, mais il respecte son choix.

Sédric et Carson se sont installés dans une maisonnette abandonnée ; ils se réjouissent d'avoir leur propre espace, mais tous deux savent que le Terrilvillien se languit du confort dans lequel il a vécu jusqu'alors. De plus, leurs avis sur l'éducation de leurs dragons respectifs son divergents, même si tous deux tentent de leur faire gagner confiance et autonomie.

Thymara galère toujours autant avec Sintara. La dragonne caractérielle aimerait voler de ses propres ailes, vexée de voir sa gardienne enfourcher la Gringalette de Kanaï pour aller se promener dans la Cité. Or, pour apprendre à voler, il faut s'entraîner et prendre le risque de chuter ! Sintara est beaucoup trop fière et, par crainte du ridicule, elle préfère clamer qu'elle se fout totalement de ne pouvoir passer par dessus le ravin qui sépare le campement de la Cité des Anciens.






Changement de décor 

Ce cinquième opus des Cités des Anciens, on quitte le "huis clos" formé par les gardiens, les dragons et l'équipage du Mataf, pour renouer avec des personnages que nous avions perdu de vue depuis le tome 2, voire le 1. A mon avis, Robin Hobb a été bien inspirée de changer le décor au moment où on commençait à tourner en rond et à devenir aussi chèvres que les aventuriers du Fleuve !

D'autant plus que, faute d'action, le lecteur aura son compte de révélations : Hest Finbok se voit menacé dans sa demeure par un sinistre Chalcédien qui le croit de mèche avec Jess, le chasseur mal intentionné qui a fini bouffé par la petite dragonne Relpda. Le gars lui met sa race pour notre plus grand plaisir ; mais ce con de Hest a sûrement plus d'un tour de cochon dans son sac...

On avait quitté Malta Vestrit, (l'Ancienne à la crête érogène ^^) inquiète de n'avoir pas de nouvelles de son frère Selden. Effectivement, le sauveur et chanteur de la majestueuse Tintaglia, cette dragonne d'envergure qui nous avait fait rêver à la fin des Aventuriers de la Mer, est en bien mauvaise posture. Le jeune homme a vu son aspect physique considérablement modifié par sa transformation en Ancien, à tel point que des Chalcédiens l'ont enfermé après l'avoir assimilé à un dragon : s'il a des écailles, c'est qu'il est vendable ! Qui pourra le tirer de sa prison avant que le pire n'arrive ? Tintaglia ? Sûrement pas, elle est bien trop occupée à s'accoupler avec le dragon Glasfeu !  

"Il ne faut pas déranger un dragon qui lit"
Ni des dragons qui se reproduisent !


Vivre dans le passé 

Le titre "Les gardiens des souvenirs" fait sans nul doute référence à l'attitude du jeune gardien Kanaï, que les lecteurs les plus naïfs ont (presque) cru perdu à tout jamais après la crue du Fleuve. Le garçon en cours de transformation _grâce à la force de son lien avec sa dragonne Gringalette_ se prend déjà pour un Ancien et considère qu'il peut s'appuyer sans crainte sur les pierres de mémoire présentes dans la cité de Kelsingra. Eh oui, on retrouve ici une figure récurrente et passionnante de l'univers de Robin Hobb : la pierre de mémoire. Dans l'Assassin Royal, Fitz le héros avait fait les frais de leurs grands pouvoirs : en effet, elles ont pour particularité de garder les souvenirs de tous ceux qui sont passés à proximité d'elles, avec tellement de précision que celui qui les touche a l'impression de changer de peau et de vivre la vie d'un homme ou d'une femme du passé. Ce serait fun si ce n'était pas dangereux ! car celui qui "se noie dans les souvenirs" en restant trop longtemps au contact de la pierre n'aura plus aucun moyen de réintégrer sa propre vie.

Kanaï abuse de l'usage de la pierre, malgré les avertissements de Leftrin ; s'y appuyer est même devenu son passe temps préféré depuis son arrivée à Kelsingra, et il n'a de cesse d'entraîner Thymara dans sa nouvelle addiction. D'une part, il considère qu'il n'est plus un homme mais un Ancien, et qu'il est donc trop puissant pour être anéanti par des souvenirs ; d'autre part, pourquoi devrait-il s'accrocher à sa vie, qui n'a été que misère pendant des années ? L'ambivalence de Kanaï nous éclabousse la gueule, une fois de plus. Derrière son insouciance de façade, l'Ancien aux écailles rouges semble assez désespéré pour vivre par procuration, pour échanger sa propre existence contre celles d'autres jeunes gens, tellement plus trépidantes ! On le plaindrait presque, s'il ne rassurait pas ses lecteurs avec quelques courbettes humoristiques ou à l'aide de remarques tellement hors sujet que c'en est drôle !




En conclusion, je ne sais pas trop quoi penser du tome 5 des Cités des Anciens, si ce n'est qu'il me tarde de lire la suite : les voyages dans les souvenirs se sont toujours révélés passionnants dans le monde de Fitz et de tous les autres. On oublierait presque que l'histoire n'a pas avancé d'un poil : ce sera sans doute pour le tome 6 ! Un livre qui plaira aux vrais fans, plus que jamais.


HOBB, Robin. Les Cités Des Anciens 5 - Les gardiens des souvenirs. J'ai Lu, 2011. 256 p. ISBN 978-2-290-07036-9



BONUS TRACK
La question à 1 euro : épouillage ou épilation ??








dimanche 2 avril 2017

Dans la série "j'ai commencé par le 2 sans faire exprès" : Le Carnet de Théo - 2 - Chacun son style - Eléonore Cannone / Sinath (2012)


BOULET ! 

Image trouvée sur http://sofid.franprofits.com, un site pour créer des cartes de fidélité virtuelles (!)
Ouais ouais ! 


"Ce ne serait pas la première fois que tu commencerais par le tome 2, voire par le 5 !" Me direz-vous, et je ne pourrai que confirmer en vous renvoyant vers de précédents billets. Mais là, ce n'est pas ma faute !

L'histoire remonte au printemps 2014. En revenant, ma collègue et moi, du Ministère de la Justice où nous nous étions rendues pour récupérer un don d'ouvrages consciencieusement mis à disposition par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous nous sommes empressées d'ouvrir le gros carton pour en extraire les surprises. Découvrir un lot de livres neufs est un moment particulièrement exaltant pour un documentaliste. Même lorsqu'on sait pertinemment ce qu'il contient. Bref, tout ça pour dire que parmi les romans sélectionnés par la DPJJ, nous sommes tombées sur le tome 2 de la trilogie Le Carnet de Théo - Chacun son style. Pas trace du premier volume, tant pis ! Peut-être avait-on considéré que le début des aventures de Théo était figurait déjà sur nos étagères ? 

Pour info, voici les titres et les dates de publication des trois volets : 

Le Carnet de Théo - 1 - Dans ma bulle (2011)
Le Carnet de Théo - 2 - Chacun son style (2012)
Le Carnet de Théo - 3 - Tous en scène (2013) 

Bon rythme ! Bravo à l'auteure Eléonore Cannone et à l'illustratrice Sinath. 

L'histoire 

Le Carnet de Théo - Chacun son style, c'est avant tout un bel objet d'environ 430 pages bien remplies agrémentées de nombreuses illustrations. 

En regardant la couverture quelque peu girly mettant au premier plan l'héroïne et l'un des personnages récurrents de l'oeuvre...  



... je n'ai pas pu m'empêcher de penser au couple phare de Lucile, Amour et Rock'n roll. Chacun ses références !

Lucile et Mathias, l'homme à la chevelure vanille fraise.
Passons.

Théodora alias Théo entre au lycée après avoir passé des vacances catastrophiques : ses parents ont divorcé, son meilleur ami l'a abandonnée en optant pour des études en internat, et son pseudo petit ami ne lui a pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines. Pour couronner le tout, son projet de manga est au point mort, faute d'inspiration, d'organisation... Alors, pour tromper l'amertume et l'angoisse qui la guettent, elle décide de reprendre l'écriture de son journal, le fameux "carnet", dans lequel elle notera -et croquera son quotidien tout au long de l'année scolaire.

Le mois de septembre commence en fanfare. Entre la découverte de son nouvel emploi du temps, sa prise de repères au lycée et au sein de la classe, et les portraits au vitriol qu'elle dresse des professeurs et des élèves, Théo nous raconte avec humour ce qui ressemble fort à une rentrée des plus ordinaires... Cependant, au delà des grilles de l'établissement, sa vie se distingue quelque peu de celle de ses pairs : d'une, elle est amie avec un tatoueur japonais du nom de Takeshi, chez qui elle a fugué quelques mois plus tôt, apprend-on au fil des pages. De deux, elle est une artiste mangaka en devenir. De trois, c'est une vraie geek, riche de sa culture des jeux vidéos et des BD japonaises, De quatre, sa mère et elle ont du se replier chez sa grand-mère particulièrement baroudeuse pour son âge, depuis la séparation de ses parents. 

Une nuit, Sîn, le rockeur rebelle et libre qui l'a embrassée avant le disparaître lui envoie un drôle de texto. Résistera-t-elle à la tentation de lui répondre ? (non)  


Problèmes de riches ! 

Je sais ! Je me plains tout le temps du côté misérabiliste ou excessivement tragique que portent certains romans pour ados ; je suis toujours en quête d'une brise légère capable de souffler une transition potache entre deux chapitres. Logiquement, je devrais être pleinement satisfaite en lisant Le Carnet de Théo. Eh bien non, même pas ; d'abord, j'ai eu du mal à m'attacher à l'héroïne. Mais de quoi Théo se plaint-elle donc ? Elle a un Ipod, de l'argent de poche avec lequel elle s'achète le matos nécessaire à l'exercice de son art, une famille aimante, et à l'école, ça roule. Du coup, la jeune fille à la coupe design m'est d'abord apparue comme une petite princesse parisienne imbue d'elle-même _ elle se vante à plusieurs reprises d'être une excellente élève_ dont les principaux soucis se résument à savoir quand la femme de ménage va revenir lui cuisiner de bons petits plats, qui a bien pu avoir une meilleure note qu'elle en maths, et comment elle va faire pour ne pas étouffer dans une aussi petite chambre ? Mais qui m'a foutu cette gamine insupportable entre les lignes de ce bouquin ? Harry Potter aussi dormait dans un espace réduit, et sous l'escalier, en plus ! lorsqu'il passait l'été chez les Dursley, et il ne faisait pas tant de manières, lui !! 



Par la suite, j'ai laissé de côté mon regard d'adulte dénué d'indulgence pour accorder une nouvelle chance à Théo ; et bien m'en a pris. Au fil des semaines et des mois, la narration des aventures de la lycéenne devient plus profonde, plus consistante. On comprend que, derrière l'ado superficielle se cachent de vraies souffrances : celles causées par le manque d'un meilleur ami parti loin de la capitale, par l'expérience des relations faussées par l'intérêt _sa voisine de classe la colle à longueur de journée pour pouvoir pomper un maximum de devoirs sur elle, par la discorde qu'elle perçoit entre ses parents. Celles causées par la fatalité, aussi. En effet, Théo a perdu son frère alors qu'elle était trop jeune pour comprendre ce qui se passait et elle s'en veut de ne pas se souvenir de cette époque. Bien sûr, elle aimerait savoir ce qui s'est passé, mais le sujet est tabou dans la famille ; il est évident qu'elle ne pourra se sentir complète tant que le secret perdurera. Le silence sera-t-il brisé dans ce deuxième volume de la trilogie ? (oui)


Un bol de culture manga   

Voire une soupière


Même si l'obsolescence le menace aujourd'hui _Le Carnet de Théo - 2 est sorti en 2012, autant dire que pour un otaku c'est déjà de l'histoire ancienne, ce journal "nouvelle génération" est un vrai bouillon de culture nippone. On dénombre une petite trentaine de mangas, d'animes et de jeux vidéos auxquels l'artiste en herbe fait allusion au cours de ses "aventures" scolaires, amicales ou sentimentales, souvent pour décrire avec humour une situation ou un autres personnage. Les lecteurs connaisseurs du genre _et j'en connais une poignée au collège _ sauront aussitôt se réapproprier les références et se gausseront jusqu'à ce qu'étouffement s'ensuive. D'autres, comme moi, riront en différé après s'être reporté au "Dico de Théo" qui clôt l'ouvrage. Dans tous les cas, la blague fera mouche, soyez-en sûrs. 

Outre sa facilité à faire appel à sa culture manga pour donner encore plus de saveur aux propos de son héroïne, Eleonore Cannone secoue le cocotier du journal intime en mêlant écriture, référence de sons et contenus de textos ; en parallèle, l'illustratrice Sinath apporte sa pierre à l'édifice en parsemant le "carnet" de superbes dessins-échos aux événements relatés ou en nous faisant partager les croquis et projets de Théo. Mettez-moi tout ça en ligne, avec un petit lien hypertexte au bout de chaque référence littéraire ou musicale, et vous aurez un prototype de journal "augmenté". 

Image trouvée sur le site "L'Atelier Canson"
D'ailleurs, quelques conseils ici sur le matos du parfait mangaka.


Vous voulez en savoir un peu plus sur les seinen, les shonen et autres chibi ? Vous voulez apprendre quelques termes techniques ? Vous voulez savoir quels mangas il vaut mieux lire pour ne pas être trop "largué" sur la question ? Lisez Le Carnet de Théo, passez-le au crible, au pire étudiez de près le "Dico" final. Cela devrait vous enlever une belle épine du pied ! 

Ah, au fait, si vous aussi vous prenez le train en route et que vous commencez la lecture du Carnet par le deuxième volume, pas de panique ! Vous pouvez y aller sans craindre de problème de compréhension majeur _ et ça, c'est bien appréciable ! 

J'ai très peu parlé de Sinath, et c'est bien dommage car ses oeuvres valent le détour.


Eléonore CANNONE, Sinath. Le Carnet de Théo - 2 - Chacun son style. Rageot, 2012. 432 p. ISBN 978-2-7002-4267-6