dimanche 27 octobre 2019

Nuit marine - Alain Crozier (2019)


Merci Babelio et Jacques André Editeur pour l'envoi de Nuit marine, recueil de poèmes publié en 2019 par Alain Crozier. 



Bon, c'est toujours délicat d'écrire une critique, même brève, d'un ensemble de poèmes : on est presque sûr de tomber à côté de ce que l'auteur a voulu dire. Le personnel est l'universel étant constamment mêlés en poésie, on en est réduit à marcher sur des œufs lorsqu'on s'essaye à l'interpréter. C'est pourquoi on ne le fera pas : trois années passées en fac de lettres à faire du décryptage forcé _ si possible en suivant la tendance et les goûts du correcteur potentiel, histoire de s'assurer une note potable _ m'ont appris que rien n'était plus vain, qu'on n'est certainement pas obligé de tout comprendre, et que les universitaires aiment beaucoup retrouver leur cours dans votre copie !
   


Nuit marine s'ouvre sur une dédicace à M., figure qu'on retrouvera dans de nombreuses pièces du grand puzzle de sa relation avec le poète. Au fil des quatre grandes parties qui le structurent, différentes phases de fusion, de séparations et de retrouvailles se succèdent, un peu comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre en quatre actes au cours desquelles deux acteurs principaux se débattent, avant de laisser place au monologue du poète. "Histoires corporelles" semble présenter la corde embrasée qui liait les deux protagonistes ; si elle appartient désormais au passé, elle se poursuit en ramifications à travers le rêve et le souvenir. Ces "traces" d'un amour d'autrefois nous sont partagées efficacement par l'insistance sur les souvenirs physiques.

"La mémoire du corps 
Me rappelle à elle. 
Je sens ses mains, 
Je sens mes doigts. 
Cette odeur qui reste là, 
Comme sa pression
En sensation"     
#moinsdedixhuitans


"La main passe" évoque Questions pour un champion le jeu, au premier abord. Mais le poète n'est plus d'humeur à rire. Le souvenir de M., qu'il nomme d'ailleurs "Marine" dans l'un des poèmes, semble s'estomper ; ne reste plus que le rêve et ses miroirs déformants. C'est fini, on sent qu'on oublie même si l'idée ne nous plaît pas ; on veut revivre les bons moments quelques dernières fois avant de passer à autre chose. Mais la vie nous pousse à aller de l'avant. Certains poèmes, sonnant comme des haikus, nous le rappellent.


"Ceux qui cherchent 
Le bonheur
Ceux qui le fuient, 
Trouver quelqu'un
Qui le cherche"   

Dans le court chapitre intitulé "Éclats", je comprends qu'il y a retrouvailles entre M. et le poète, avec leur lot d'euphorie et de méfiance. Mais peut-être que je me trompe. Enfin, "Nuit noire" laisse présager la fin, cette fois-ci la bonne, le chant du cygne. M. est partie sans se retourner.

"Le cavalier s'entête à avoir des nouvelles.
Un cavalier sans tête, 
Aussi. 
Elle ne veut plus donner de nouvelles."

Bien que je sois aussi facile à émouvoir qu'un sac de croquettes pour chats, j'ai trouvé cette partie du recueil particulièrement parlante. Tristesse, perte de repères, mort de l'espoir, et douleurs physiques entraînées par le manque de cette âme soeur qui n'en était peut-être pas une, à bien y regarder... L'auteur réussit le pari de mettre des formules percutantes sur des sentiments bien complexes ! 

En lisant ces vers, qui font fi de toutes des règles de versification _et c'est tant mieux !, un certain nombre d'images me sont revenues en tête ! Bubulle à la gare de Bordeaux (rien que ça, c'est pas triste), en train de m'annoncer qu'on arrive bien au terminus et que, allez allez, les lignes de nos mains se séparent. 
Bubulle toujours, m'accompagnant jusqu'au train que je devais prendre, avec sourire et politesse, dans les règles de l'art. 
Et enfin Bubulle montant me rejoindre dans le TER, peu avant le départ, alors que j'étais en train de me dire que c'était vraiment la loose de se faire larguer avec un jingle SNCF en fond sonore. 
Tiens, Bubulle aurait donc des remords ? 
Coup de théâtre ?
Changement d'avis ? Peut-être que ce n'est pas fini, en fait ?   
"Oh, j'ai oublié de récupérer mon paquet de cookies !
_ ... 
_ Tout à l'heure, j'ai confié un paquet de gâteaux pour que tu le gardes dans ton sac à dos car j'avais plus de place dans le mien. Tu te souviens ?
_Ah oui, bien sûr. Le voilà." 
Eh ouais, c'en était fini pour de bon de mon idylle avec Bubulle (idylle, c'est ironique). J'avais cru trente secondes à un retour de flamme, mais ce dernier élan vers moi n'avait été provoqué que par Michel et Augustin. 

Pas merci M. Alain Crozier de m'avoir fait revivre ça ! Mais il faut saluer votre efficacité : je ne sais malheureusement pas apprécier la poésie, et pourtant Nuit marine m'a fait réagir ! 

Alain Crozier est un artiste qui a de nombreuses cordes à son arc. Poète et plasticien, il est également directeur de la revue littéraire Cabaret (que je découvre).

CROZIER, Alain. Nuit marine. Jacques André Éditeur, 2019. 86 p. ISBN 978-2-7570-0406-7

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