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mercredi 4 mars 2020

Infiniment - Marie-Françoise Montagné (2020)


Merci à Babelio et aux éditions Les Cahiers d'Illador pour l'envoi de ce recueil de poésies écrites par Marie-Françoise Montagné entre 1950 et 2016, et publié en 2020 à titre posthume. 




Il semblerait que Marie-Françoise Montagné n'ait pas composé ses poèmes dans la perspective de les publier, du moins pas de son vivant. C'est bien dommage qu'on ne puisse plus la remercier de nous avoir laissé cet héritage. C'eût été encore plus dommage qu'ils n'arrivent jamais jusqu'à nous. 

De l'enfance à l'âge d'être grand-mère, c'est toute une vie que Marie-Françoise Montagné nous raconte à travers ses textes : partant des souvenirs, de la redécouverte d'un portrait ancien, elle nous livre tous les ressentis qui ponctuent une existence. La sienne, mais pas seulement. L'artiste parle de la vie, en général, celle qu'elle observe dans son entourage, celle des inconnus qu'elle croise. Celle du quotidien. Celle des gens qui s'aiment, divorcent, connaissent l'insomnie, chantent, se sentent seuls. Ils sonnent extraordinairement juste, même pour le lecteur d'aujourd'hui. De mémoire, je n'ai jamais lu de poème qui raconte de manière aussi parlante la difficulté à trouver le sommeil !


Ô nuit, tu es si longue ! 
Il te vient des idées
Une foule d'idées 
Qui, le jour retrouvé, 
Te sembleront bien folles, 
Tu reprendras alors 
Le vieux moi tu matin 
La nuit anéantie 
Te rendra à la vie 


La figure de l'enfant est un peu le fil rouge de l'oeuvre de Marie-Françoise Montagné : dans le cadre d'une vieille photo, dans un souvenir, dans le visage de sa petite fille, dans le ventre de la mère qui attend l'accouchement, partagée entre l'impatience et l'angoisse...   

Infiniment est sans doute l'oeuvre poétique à laquelle j'ai le plus facilement adhéré, ces derniers mois. Je ne suis sans doute pas la seule : tout le monde peut s'y reconnaître et se sentir affecté d'une douce nostalgie... A lire, donc !

Bonus ! Le recueil est parsemé de dessins de l'auteur, tout en finesse et légèreté.


Marie-Françoise Montagné. Infiniment. Les Cahiers d'Illador, 2020. ISBN 979-10-90203-24-2

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dimanche 27 octobre 2019

Nuit marine - Alain Crozier (2019)


Merci Babelio et Jacques André Editeur pour l'envoi de Nuit marine, recueil de poèmes publié en 2019 par Alain Crozier. 



Bon, c'est toujours délicat d'écrire une critique, même brève, d'un ensemble de poèmes : on est presque sûr de tomber à côté de ce que l'auteur a voulu dire. Le personnel est l'universel étant constamment mêlés en poésie, on en est réduit à marcher sur des œufs lorsqu'on s'essaye à l'interpréter. C'est pourquoi on ne le fera pas : trois années passées en fac de lettres à faire du décryptage forcé _ si possible en suivant la tendance et les goûts du correcteur potentiel, histoire de s'assurer une note potable _ m'ont appris que rien n'était plus vain, qu'on n'est certainement pas obligé de tout comprendre, et que les universitaires aiment beaucoup retrouver leur cours dans votre copie !
   


Nuit marine s'ouvre sur une dédicace à M., figure qu'on retrouvera dans de nombreuses pièces du grand puzzle de sa relation avec le poète. Au fil des quatre grandes parties qui le structurent, différentes phases de fusion, de séparations et de retrouvailles se succèdent, un peu comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre en quatre actes au cours desquelles deux acteurs principaux se débattent, avant de laisser place au monologue du poète. "Histoires corporelles" semble présenter la corde embrasée qui liait les deux protagonistes ; si elle appartient désormais au passé, elle se poursuit en ramifications à travers le rêve et le souvenir. Ces "traces" d'un amour d'autrefois nous sont partagées efficacement par l'insistance sur les souvenirs physiques.

"La mémoire du corps 
Me rappelle à elle. 
Je sens ses mains, 
Je sens mes doigts. 
Cette odeur qui reste là, 
Comme sa pression
En sensation"     
#moinsdedixhuitans


"La main passe" évoque Questions pour un champion le jeu, au premier abord. Mais le poète n'est plus d'humeur à rire. Le souvenir de M., qu'il nomme d'ailleurs "Marine" dans l'un des poèmes, semble s'estomper ; ne reste plus que le rêve et ses miroirs déformants. C'est fini, on sent qu'on oublie même si l'idée ne nous plaît pas ; on veut revivre les bons moments quelques dernières fois avant de passer à autre chose. Mais la vie nous pousse à aller de l'avant. Certains poèmes, sonnant comme des haikus, nous le rappellent.


"Ceux qui cherchent 
Le bonheur
Ceux qui le fuient, 
Trouver quelqu'un
Qui le cherche"   

Dans le court chapitre intitulé "Éclats", je comprends qu'il y a retrouvailles entre M. et le poète, avec leur lot d'euphorie et de méfiance. Mais peut-être que je me trompe. Enfin, "Nuit noire" laisse présager la fin, cette fois-ci la bonne, le chant du cygne. M. est partie sans se retourner.

"Le cavalier s'entête à avoir des nouvelles.
Un cavalier sans tête, 
Aussi. 
Elle ne veut plus donner de nouvelles."

Bien que je sois aussi facile à émouvoir qu'un sac de croquettes pour chats, j'ai trouvé cette partie du recueil particulièrement parlante. Tristesse, perte de repères, mort de l'espoir, et douleurs physiques entraînées par le manque de cette âme soeur qui n'en était peut-être pas une, à bien y regarder... L'auteur réussit le pari de mettre des formules percutantes sur des sentiments bien complexes ! 

En lisant ces vers, qui font fi de toutes des règles de versification _et c'est tant mieux !, un certain nombre d'images me sont revenues en tête ! Bubulle à la gare de Bordeaux (rien que ça, c'est pas triste), en train de m'annoncer qu'on arrive bien au terminus et que, allez allez, les lignes de nos mains se séparent. 
Bubulle toujours, m'accompagnant jusqu'au train que je devais prendre, avec sourire et politesse, dans les règles de l'art. 
Et enfin Bubulle montant me rejoindre dans le TER, peu avant le départ, alors que j'étais en train de me dire que c'était vraiment la loose de se faire larguer avec un jingle SNCF en fond sonore. 
Tiens, Bubulle aurait donc des remords ? 
Coup de théâtre ?
Changement d'avis ? Peut-être que ce n'est pas fini, en fait ?   
"Oh, j'ai oublié de récupérer mon paquet de cookies !
_ ... 
_ Tout à l'heure, j'ai confié un paquet de gâteaux pour que tu le gardes dans ton sac à dos car j'avais plus de place dans le mien. Tu te souviens ?
_Ah oui, bien sûr. Le voilà." 
Eh ouais, c'en était fini pour de bon de mon idylle avec Bubulle (idylle, c'est ironique). J'avais cru trente secondes à un retour de flamme, mais ce dernier élan vers moi n'avait été provoqué que par Michel et Augustin. 

Pas merci M. Alain Crozier de m'avoir fait revivre ça ! Mais il faut saluer votre efficacité : je ne sais malheureusement pas apprécier la poésie, et pourtant Nuit marine m'a fait réagir ! 

Alain Crozier est un artiste qui a de nombreuses cordes à son arc. Poète et plasticien, il est également directeur de la revue littéraire Cabaret (que je découvre).

CROZIER, Alain. Nuit marine. Jacques André Éditeur, 2019. 86 p. ISBN 978-2-7570-0406-7

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jeudi 7 mars 2019

Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle - Renaud Bret-Vitoz (2018)


Merci aux Presses universitaires du Midi et à Babelio pour l'envoi de l'ouvrage Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIII° siècle dans le cadre de l'opération Masse Critique ! 



A moins d'avoir vécu à Toulouse ou dans ses environs, à moins d'être un spécialiste de Voltaire et d'autres grands auteurs du XVIII° siècle, à moins d'être très bien renseigné sur l'organisation de la Résistance en France au début des années 1940... il est possible que vous ne connaissiez pas Raymond Naves. Pour ma part, je ne savais pas de qui il s'agissait avant d'ouvrir ce livre : en cela, l'opération Masse Critique m'aura encore été utile !

Qui était Raymond Naves ? 

Né en 1902 et devenu professeur de lettres classiques dans les années 1920, Raymond Naves a enseigné dans différents lycées du sud de la France _il était originaire de Haute-Garonne, puis à Paris. A partir de 1930, il s'illustre en publiant différents travaux sur l'esthétique du XVIII°e siècle, et plus particulièrement sur l'esthétique voltairienne. Il faut savoir qu'à l'époque des Lumières, on n'utilisait pas le terme d'"esthétique", mais plutôt celui de "goût" ; et encore, tout le monde n'était pas d'accord sur la définition. Puisque celle proposée par Voltaire se rapproche le plus de ce qui deviendra l'"esthétique" en tant que "théorie philosophique qui se fixe pour objet de déterminer ce qui provoque chez l'homme le sentiment que quelque chose est beau" *, Naves choisit de s'appuyer dessus, dans ses travaux sur "les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle". Il devient un précurseur dans ce domaine, et présente en 1937 sa thèse intitulée Le goût de Voltaire. Il semblerait que cette oeuvre soit restée jusqu'à nos jours une référence pour les chercheurs spécialistes de ce philosophe.

Durant la Seconde guerre mondiale, et sans pour autant mettre sa fonction d'enseignant entre parenthèses, Naves s'engage dans la Résistance, et y tiendra un rôle certain... jusqu'à être arrêté et déporté au camp d’Auschwitz, où il mourra en 1944 sans avoir pu achever son oeuvre, et sans avoir pu accéder à la reconnaissance qu'il méritait.


Penchons-nous sur ce livre rouge... 

En 2014, soit 70 ans après sa mort, le département Art & com de l'Université Toulouse II Jean Jaurès a organisé une journée d'études commémorative sur Raymond Naves ; les communications présentées par des chercheurs durant ce temps d'hommage et de réflexion ont été recueillies et publiées sous le titre suivant : Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe. Il s'agit de l'ouvrage dont nous parlons aujourd'hui.

Six parties le composent ; elles forment un panorama des champs de recherches et de création abordés par l'auteur-enseignant-critique. Dans un premier temps, Pierre Petremann (professeur d'histoire) dresse une biographie de Naves. Ensuite, une deuxième partie évoque son rôle important dans l'avancée des études dix-huitiémistes à travers la thèse Le goût de Voltaire et la contribution de ce dernier à L'Encyclopédie ; ce sont deux universitaires, Sylvain Menant et Olivier Ferret qui l'ont prise en charge. Les troisième et quatrième parties mettent en valeur les ouvrages pédagogiques écrits par celui qui était avant tout un enseignant : Voltaire dans la collection "Classiques France", Le Prince et l'Anti-Machiavel et L'Aventure de Prométhée (inachevé). S'ils ont pour but premier de faciliter l'étude d'oeuvres littéraires classiques par les lycéens, ces livres sont parsemés de messages militants où l'Occupation et la montée du fascisme sont dénigrés. En guise de cinquième chapitre, il est question de la manière dont Naves interprète les préoccupations esthétiques de Voltaire, en tant d'auteur dramatique cette fois-ci.




Le meilleur pour la fin ! L'ouvrage est clôturé par une sixième partie d'"Addenda" constituée d'un article intitulé "L'abbé Batteux et la catharsis", et d'un recueil de poèmes : Vivaces.  

Ces poèmes retiennent particulièrement notre attention, puisqu'ils ont l'avantage d'être des écrits personnels ; ils sont le dernier contact qui nous reste avec cet homme aux multiples casquettes (prof, militant, chercheur, résistant...) qui s'est surtout illustré par des articles et des livres scientifiques, forcément plus impersonnels. On remarquera que les poèmes de Vivaces sont très souvent centrés sur des lieux plus ou moins ouverts, sur des espaces extérieurs plus ou moins étendus... vivants et libres.

Voltaire
"Hihihihi, comme vous êtes laids !"
Nouvelle lecture et nouvelle bonne surprise.  

Ce recueil de contributions scientifiques est par définition difficile à lire, mais je ne le considère pas moins comme une belle découverte qui me donne envie de me replonger dans l'oeuvre de Voltaire, à la lumière des travaux de Raymond Naves. De là à dire que je vais le faire... 

Bon, Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle est une publication universitaire traitant de points de littérature française, d'histoire, d'arts, de philosophie bien précis. Il est donc possible que j'aie pu en parler de manière inexacte, ou faire des erreurs de compréhension des textes. Aussi toutes remarques, précisions et signalement d'erreurs en commentaire seront-elles les bienvenues. 


____

* Définition de l'Encyclopédie Larousse en ligne

Renaud Bret-Vitoz (dir.). Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle. Presses universitaires du Midi, 2018. 234p. ill. ISBN 978-2-8107-0567-2



dimanche 8 octobre 2017

Le collier de cailloux. Poèmes de passage - Doina Ioanid (2017)


Merci à Babelio et à l'Atelier de l'agneau pour l'envoi de cette bulle rafraîchissante de poèmes en prose intitulée Le collier de cailloux. Poèmes de passage, composée par l'écrivaine Doina Ioanid et traduite par Jan H. Mysjkin.

Minute, je vérifie si je n'ai pas oublié de lettres, ou si je ne les ai pas alignées dans le désordre.. Non, c'est bien ça : Mysjkin. Bravo à lui pour son travail d'orfèvre et ses commentaires qui m'ont donné quelques clefs de lecture. 






"La retraite vous semble encore loin, mais je vous assure qu'elle arrive vite !" nous disait M, la doyenne du collège lors de l'heure syndicale. Attroupés autour d'elle, les autres professeurs listaient leurs doléances de rentrée et évoquaient la question de la grève contre la Loi Travail prévue le mardi suivant. 

On aurait pu lui répondre que la maladie et la mort arrivent tout aussi rapidement, parfois même bien avant la retraite. Mais l'intervention aurait été perçue comme déphasée, sans nul doute. De toute manière, on n'interrompt pas M, du moins pas lorsqu'elle surplombe un auditoire, quand bien même ce serait pour aller dans son sens. C'est ainsi, ne me demandez pas pourquoi ; la situation était telle avant mon arrivée dans l'établissement, et quitte à mener une révolution, j'aimerais autant que ce soit pour une cause utile aux gosses.


Pourtant, on aurait été dans le sujet, pleinement. En lisant Le collier de cailloux. Poèmes de passage, je me suis souvenue de quelques vérités par toujours bonnes à entendre : le temps passe, la vie passe avec lui, la fin arrive inéluctablement. 



Eh ouais, désolée Stefan ! 

Plus que "le collier de cailloux", c'est le sous-titre "poèmes de passage" qui rend le mieux l'atmosphère de cet assemblage poétique. A travers des fragments choisis _ou pas ! de sa vie, Doina Ioanid nous prouve par A + B que l'existence est une route sur laquelle on n'a d'autre choix que de marcher sans s'arrêter. On avance sans pouvoir ni se retourner, ni stopper sa progression le temps de reprendre des forces, de guérir ou tout simplement de savoir ce qu'on veut, ni s'attarder à voir ce qui rend les autres heureux ou malheureux. 

Pourtant, tout serait tellement plus simple et vivable si on pouvait appuyer sur pause, ou déposer ce fameux "collier de cailloux" que forment toutes les expériences de notre vie et qui finit par peser trop lourd. Au point de nous entraver. On remarquera que, sauf erreur de ma part, le "collier" qui donne son titre à l'ouvrage n'est évoqué qu'une seule fois, quelque part au milieu du flot de poèmes. 


"J'ai un collier de petits cailloux. Je les ai ramassés dans les gares, sur les routes asphaltées au ballast, dans les carrières abandonnées, dans mes chaussures, dans les fontaines de nouvelles terrasses, dans les cabas des copains."



Comment ça, vous "n'aimez pas"



Dans la deuxième partie du recueil, celle de la "lettre à Papy Dumitru", c'est le passage d'un monde à l'autre qui est évoqué. Six ans avant l'écriture du recueil, Doina Ioanid _on peut affirmer sans trop se mouiller qu'elle parle d'elle, mais dites-moi si je me trompe ! a perdu son grand-père. Le travail de deuil est difficile. L'homme est passé de "l'autre côté", comme on dit, mais la petite-fille vivante s'efforce à bout de bras de maintenir ouverte la porte coupe-feu. Entre souvenirs d'enfance, idéalisation du grand-père à la vie rustique, et colère d'avoir été lâchement abandonnée par lui, l'auteure ne s'en sort pas. Elle "n'avance" plus, elle ne "passe" plus, elle fait une "glissade ininterrompue" depuis la mort. Ce second chapitre est particulièrement émouvant.    



La mine d'or Playmobil (hihi, je l'ai :-p)
Pourquoi là, maintenant ? Vous verrez bien

La poésie a ceci d'agaçant qu'on ne réussit jamais à percer ses mystères ; c'est l'art du message crypté dans sa forme la plus littéraire. Le collier de cailloux est un recueil très personnel _pourrait-il en être autrement ? et, si bien des passages nous touchent et font écho à nos propres expériences, on a le sentiment de ne pas tout comprendre, de ne pas saisir pleinement l'importance et la valeur de ce qui est dit. On sort troublé de cette lecture, et quelque peu frustré. L'impression d'avoir loupé un chapitre. Alors on relit. On voit autre chose, on comprend le texte différemment, mais... comment être sûr d'avoir compris et/ou ressenti ce qu'il fallait ? Bah, c'est aussi ça, la poésie ! A vous de piocher dans la mine d'or, il y a encore tant à trouver, à voir, à dire ! 

Doina IOANID. Le collier de cailloux. Poèmes de passage. Atelier de l'agneau, 2017. Trad. Jan H. Mysjkin. 70 p. ISBN 978-2-37428-007-3 



Et maintenant... une page de pub !
L'écriture vous passionne ou vous intrigue ? Allez voir ce site sur lequel je suis tombée, il est grave stylé très intéressant.

mercredi 15 février 2017

Matraque Chantilly : journal STOP - Marius Loris (2017)



En ce jour de Saint Valentin... 
 Ahah, même pas, on est déjà le 15 officiellement. 
Tant pis pour Cupidon, il l'aura dans la boite à Toblerone cette année... 



En ce jour, donc, 
et dans le cadre de l'opération Masse Critique, je tenais à remercier Babelio et l'Atelier de l'Agneau pour l'envoi de Matraque Chantilly : journal STOP, curieux ouvrage poétique publié par Marius Loris début 2017. 




Oh, je ne dirai pas que j'ai lu cet ouvrage facilement, au contraire. Bien que l'épaisseur du livre, son étiquetage au genre "journal" et la taille des caractères m'aient conduite sur les pentes glissantes de la suffisance, il a fallu m'y reprendre à deux fois pour bien entrer dans le texte et j'ai cru que je n'allais pas arriver à ficeler un billet critique dans le délai imparti _trente jours, tout de même ! 

L'auteur nous donne à lire le journal qu'il a tenu du 15 mars au 23 juin 2016 ; quand on vit au coeur de l'effervescence parisienne des manifs de contestation de la loi travail, au rythme d'une population qui craint les attentats autant qu'elle souffre de la situation d'état d'urgence, on a forcément pas mal de choses à dire. Mais encore faut-il être capable de coucher sur papier les particules de cette singulière ambiance, et avec les bons mots, s'il vous plaît. 

Marius Loris y parvient fort bien, d'une manière toute personnelle et très imagée ; lorsqu'il arpente les rues de la capitale sous un ciel changeant et dans une atmosphère électrique, rien n'échappe à son regard et à sa plume : petits commerces, visages remarquables à défaut d'être remarqués, grévistes furieux encadrés de très très près par la police... 

Les revendications sociales, les injustices n'empêchent pas la roue du temps de tourner pour tout le monde, vers l'avant ou vers l'arrière, voilée ou pleine. Se battre pour les autres, immortaliser leur combat par la poésie, oui. Utiliser ce dessein altruiste pour n'avoir pas à faire face à sa propre vie : non. Dans Matraque Chantilly - Journal Stop, le poète alterne entre les pages consacrées à la révolte populaire contre les abus des intégrismes, des politiques et des CRS, et celles relatant ses états d'âme : phase de deuil suivant à la perte d'une personne chère, la nostalgie, évocation d'un week-end au vert, agacement de l'artiste confronté à un manque d'inspiration passager..   



Comme le titre l'indique, le "journal" Matraque Chantilly est ponctué de STOP. A y regarder de plus près, il semblerait que très souvent ce "STOP" remplace le point final d'une phrase, si bien qu'on croirait que le texte est destiné à être dicté à un opérateur télégraphiste. Ce choix d'écriture donne une impression de tassement des mots et des idées, de vitesse puis d'arrêt brutal, pour mieux repartir _mais pas forcément dans le même sens. En fait, ce journal étendu entre mars et juin 2016 ressemble, de loin, au long cortège d'une manifestation qui avance à petits pas, interrompue puis poussée vers son point de rassemblement, avant d'être bloquée par les forces de l'ordre. Un pas en avant plein de tension, deux pas en arrière malgré les intentions belliqueuses, suivis d'une pause qui nous permet de ne pas louper toutes ces situations incongrues et risibles qui font le charme de la capitale lorsqu'elle s'agite. 

N'appréciant guère la poésie, j'ai du passer à côté d'une multitude de prouesses réalisées par l'artiste ; beaucoup de références ont du m'échapper. Il est possible que je vous parle très mal d'un livre qui mérite bien d'être lu. Alors je me contenterai de vous dire que j'ai été touchée, sans trop savoir pourquoi, par pas mal de phrases et d'images contenues dans Matraque Chantilly : journal STOP. 

Dont celles-ci : 
"la météo est changeante, pas la révolte. STOP" 
"L'amitié est un métier difficile mais c'est peut-être la seule voie STOP"
"(preuve que le paradis n'existe pas ou alors c'est une euthanasie cérébrale avec moutons roses)"


Ca sonne bien, ça sonne juste à nos oreilles. Voilà. Pour les arguments, désolée mais faudra repasser demain ! A votre tour d'essayer de dompter cette licorne écumante qui rue dans les brancards de son époque...  


Marius LORIS. Matraque Chantilly : journal STOP. Atelier de l'Agneau, 2017. Coll. Architextes. 94 p. ISBN 978-2-37428-001-1 


jeudi 10 juillet 2014

Vivre sa vie et autres poèmes - Jan Baetens (2014)


Quelques sueurs froides grâce à l'opération Masse Critique de Babelio _et un peu à moi-même, il faut bien le reconnaître ! A force de cocher au pif tous les livres de la loongue liste d'ouvrages proposés pour être quasi sûre d'en recevoir un "à la maison", je me suis retrouvée avec ce qui pouvait m'arriver de pire : de la poésie ! 


Eh merde !

Au même titre que la musique et le théâtre, la poésie est un art qui me laisse de marbre, inexplicablement ; j'ai eu beau tenter de m'y intéresser de gré ou de force, de l'étudier, le fait est que je ne ressens absolument rien quand je m'y frotte. C'est balo !  

Tout ça pour dire que ça va être raide de faire une critique de l'ouvrage réceptionné cette fois-ci, étant donné que mon défi perso était d'arriver à lire le recueil jusqu'au bout. Aussi la suite des événements relèvera-t-elle du facteur chance. Si jamais je parviens à me faire un avis quelconque sur Vivre sa vie et autres poèmes, et surtout, si j'arrive à l'exprimer, ça veut dire que vous êtes tous cocus. Oui. Tous.  



Ok ! J'arrête de vous raconter ma vie ! Parlons du bouquin _et de son auteur. 


Jan Baetens est un prof, écrivain et critique littéraire flamand qui a choisi de composer ses vers en français ; ces dernières années, il a coiffé sa casquette de poète à plusieurs reprises et s'est montré assez prolixe en publiant plusieurs recueils : Vivre sa vie, une novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard, Slam ! Poèmes sur le basketball, Cent ans et plus de bande dessinée, Cent fois sur le métier... 
  
Sorti en 2014, Vivre sa vie et autres poèmes est une anthologie essentiellement composée de poèmes publiés dans Vivre sa vie, donc, mais aussi dans Autres nuages, Cent ans et plus de bande dessinée et Cent fois sur le métier. De plus, Jan Baetens a eu la bonne idée d'accompagner ses créations de réflexions sur sa manière d'écrire et sur sa vision de la poésie : voilà de quoi nous donner quelques pistes de lecture.  


Vivre sa vie et autres poèmes, une anthologie en quatre temps

Le recueil s'ouvre sur une sélection de poèmes publiés dans Autres nuages (2012). Abordant les thèmes de l'inspiration et du travail d'écriture poétique, les vers sont illustrés de plusieurs copies en noir et blanc des gravures sur bois d'Olivier Deprez.

Une gravure sur bois d'Olivier Deprez, trouvée ici

C'est une belle entrée dans l'aspect "concret" du "métier" d'écrivain, tel que Jan Baetens veut nous le présenter, à plusieurs chapitres qui évoqueraient presque la notice d'un meuble IKEA : "1. Comment les sujets viennent aux poètes" ; "2. Thèmes et variations", "Étude de nuage I", "Étude de nuage II"... Le tout, sans avoir la prétention de nous faire rêver, sans nous ménager :

"Le poète au chômage se recycle.
Combien rapporte le passage à la prose ?" 
"Étude de nuage IV", p.54   

Comme vous l'avez compris, le nuage, emblème de tous les poètes et autres gens à l'ouest, est disséqué, passé à la moulinette, associé à toutes les phases de l'écriture _et même à l'angoisse de la page blanche, jusqu'à être aussi frais qu'une barbe à papa abandonnée en plein soleil.

Désolée, j'ai pas pu m'en empêcher !

Suite à cette série d'"étude de nuage", finalement assez parlante, même pour moi !, Jan Baetens a disposé une dizaine de poèmes inspirés d'oeuvres diverses : des tableaux (Le 16 septembre de Magritte), des textes (Forests, essai de Robert Pogue Harrison), des films (Taxi Driver de Martin Scorsese), des photos (Photographies, Kiarostami). Autant de pièces sublimes qui vous passent complètement au-dessus si vous n'avez pas vu / lu les livres, films ou tableaux auxquels l'auteur fait référence.

Car ce qui est marrant, dans un texte littéraire, c'est son côté "mille-feuilles" : tu découvres le sens premier, tu grattes un peu la peinture et puis tu trouves une signification implicite, voire plusieurs. Mais ça ne fonctionne que tu as les bons outils pour interpréter, l'attention requise, et souvent, les bonnes références culturelles. Quand tu ne les as pas, tu es frustré comme quand tu te retrouves au milieu d'un groupe de gros cons de bourges dont tu ne partages pas les centres d'intérêt ; c'est d'autant plus désagréable que tu n'as pas de motif assez puissant pour te permettre de leur latter la gueule une bonne fois pour toutes. Enfin, la culture, elle est récupérable, elle !    

Cela dit, Vivre sa vie et autres poèmes trouve peut-être sa force dans son côté "hypertexte", dans le sens où il nous renvoie à d'autres formes d'arts, à d'autres artistes : comme quoi, on peut se plier à des contraintes de formes lorsqu'on écrit de la poésie, donner à son poème l'apparence d'un saucisson soigneusement ficelé, sans l'emmurer pour autant !
   
Et encore... Comptez pas sur moi vous vous dire si c'est un sonnet, définir la richesse des rimes et faire des petits ponts pour dénombrer les syllabes, mais à vu de nez, Jan Baetens est volontairement assez free dans sa manière de mettre en forme ses poèmes, et joue avec notre souffle en privilégiant les vers courts, sans trop tenir compte de la ponctuation.


Continuons avec "Vivre sa vie", dont les différentes pièces font partie du recueil du même nom, publié indépendamment en 2005.

Oui, la critique suivra l'ordre des différents chapitres de l'anthologie !
Mes profs disaient toujours : "Evitez l'analyse linéaire, la paraphraase, sinon vous allez être tentés de séparer le fond, la fooorme, gnagnangna..." Ils n'avaient pas tort, mais là, je galère trop. Et puis, oh ! on est en vacances ou on n'est pas en vacances ?? Merde ! Pourtant, je devrais suivre le conseil ; car, dans sa postface, Estelle Mathey* insiste sur le sens qui émerge de la forme des poèmes de Cent fois sur le métier, aussi bourrés de contraintes, aussi laborieux que les professions dont ils nous parlent.


Jan Baetens a écrit Vivre sa vie en pensant fortement au film du même nom réalisé par Jean-Luc Godard en 1962. Que je n'avais jamais vu, évidemment, bien que ce soit un "classique". Enfin, je veux pas faire ma gosse, mais avouez que ça donne pas trop envie, quand même :

Allez, n'ayons pas peur de le dire : c'est perché !


Du coup, je l'ai regardé, et je compte me pencher un peu mieux dessus une fois que j'en aurai fini avec cette critique. Petit rappel de l'histoire au cas où il y aurait plus inculte que moi : Nana est une jeune femme apparemment très seule. Elle a besoin d'argent. Comme personne n'a pu lui prêter 2000 francs, elle se fait jeter de son logement et se retrouve à la rue. Elle tombe alors dans la spirale de la prostitution.

Les poèmes de "Vivre sa vie" trouvent leur source dans les différents "tableaux" qui composent le film de Godard, mais savent s'en détacher : pour Baetens, le but du jeu n'est pas tant de "mettre en vers" les scènes du film que capter tout ce qui relève du "quotidien" de Nana et de s'en emparer.

"un kleenex taché de rouge
à lèvres un rapide baiser
avant après un baiser blanc
un kleenex blanc puis après
la lèvre la candeur jouée" 

 
Les pièces du grand puzzle de Baetens "sélectionnées" dans Cent ans de bandes dessinées et Cent fois sur le métier sont moins nombreux mais méritent tout autant d'attention.

Les uns font référence à de nombreux scénaristes et dessinateurs belges, américains ou français, ce qui plaira beaucoup aux connaisseurs et laissera un peu les autres sur la touche... Mais là, encore, c'est l'occasion de rendre cette anthologie utile pour faire ses propres découvertes.

"Hal Foster, 1,2 ... X

Dans 200, 2000 ou 20000 ans, 
quand l'homme enfin
Homme 
au carré 

se retournera
sur les cris, le cache-sexe, la coiffure
et la protosémiotique
de ce qui sera devenu un postsciptum

du 
pithécantrope
Americanus 
(variante oubliée : 

Amen Icarus), quels montages
 déploira-t-il 
d'ingéniosité
pour distinguer 

le père de Tarzan de l'inventeur 
du Retour
du réel (MIT Press, 1996) ?"
"Cent ans de bandes dessinées", p.163

Les autres abordent une multitude de métiers, toujours associés plus ou moins directement à la démarche d'écriture du poète ; le titre du chapitre y fait d'ailleurs référence : "cent fois sur le métier" rappelle l'incitation de Boileau, dans son Art poétique, à remettre "vingt fois sur le métier" son texte à fin de l'améliorer au maximum. Vous croiserez ici des professions sont plus parlantes que d'autres, mais toutes logées à la même enseigne : roi, concierge, "pleinairiste", démonstrateur du salon des arts ménagers, philosophe, garagiste...

"Le douanier

Mots et valises, 
Je vous déclare
Mari et femme."
Cent fois sur le métier, p.200
  


On limite la casse 

Ouf ! Comme m'a dit Mélina, en feuilletant ce livre tout de noir vêtu, tandis que je lui exposais mes profondes angoisses face à tout ce qui se distingue un tant soit peu de la prose : "ça aurait pu être pire !"**

En effet, Jan Baetens dit s'être imprégné de l'oeuvre de Francis Ponge, LE mec qui a écrit Le parti pris des choses, portant aux nues des objets du quotidien et ce, sans faire de vers, et qui failli me réconcilier avec la poésie. Failli, parce que bon, faut pas déconner. Mais c'était pas loin ! Pour le poète flamand, la littérature en général a un vraie place dans la société actuelle, et la poésie ne fait pas figure d'exception ; forcément "utilitaire", le travail d'écriture est une tâche laborieuse, et l'oeuvre, un "produit fini" dont la valeur est déterminée par le temps qu'on y a passé. Jan Baetens s'ancre volontairement dans la réalité et ne la perd jamais de vue. Connaître ses sources d'inspiration m'a apporté une grande aide pour la lecture, la rendant beaucoup moins pénible et beaucoup plus sensée (souvent, ça marche ensemble...). C'est une approche vivante de la poésie que Jan Baetens nous propose ; qu'on aime ou pas, le fait d'essayer de nous sortir des représentations qu'on se fait de genre littéraire bien... spécial est une intention louable : valorisons-là !

Écrire en français 

Dans la vie, Jan Baetens s'exprime en néerlandais mais il préfère écrire en français. Personnellement je trouve ça plutôt admirable de composer dans une langue étrangère avec autant d'aisance (parce que, franchement, si on ne le sait pas, on ne peut pas le deviner), mais lui semble ne pas être à l'aise avec son choix : dans la préface comme dans la postface, il ne cesse de s'en justifier _ et enchaîne les arguments jusqu'à se contredire !

Il semblerait qu'il ait pris soin de ramener régulièrement le sujet sur la table par crainte de créer un scandale diplomatique dans une Belgique en pleine crise d'identité, et d'être accusé de "trahison" par ses compatriotes flamands. Mais on soupçonne derrière un malaise plus personnel, qui l'amène à remettre "cent fois sur le métier" sa décision -ou non-décision linguistique. Enfin, on le sent, mais rien ne le prouve. Je me fais peut-être des films.

A moins qu'il ait juste voulu se faire mousser !


BAETENS, Jan. Vivre sa vie et autres poèmes. Espace Nord, 2014. ill. 256 p. ISBN 978-2-930646-79-4




Merci à Espace Nord et à Babelio !

* Prof de littérature française à l'Université Catholique de Louvain.
** C'est bien ça que tu as dit ? Désolée si j'écorche tes propos, mais c'est l'effet RER B !