mercredi 30 octobre 2013

Le crépuscule d'un monde - Yves Turbergue (2013)


Au mois de septembre, j'ai participé à l'opération Masse Critique proposée par le site Babelio.

On vous envoie un livre que vous avez choisi, et vous avez un mois pour publier une critique.
Le crépuscule d'un monde d'Yves Turbergue m'a donc été remis il y a quelques semaines.



Dans l'effervescence des élections présidentielles de 1981, David Martin traîne comme il peut son âme en peine et ses casseroles, au grand désespoir de son entourage qui ne sait comment donner des couleurs à sa vie. Il faut dire que sa jeune carcasse porte la marque d'un lourd passé familial et culturel : en mai 68, époque dont il n'a absolument aucun souvenir, son père a perdu la vie dans le cortège d'une manifestation. Difficile de se construire dans un village ouvrier sur le déclin, entre une mère impuissante face à son manque de motivation, un oncle ouvrier syndicaliste qui n'a de cesse d'essayer de le sensibiliser aux grandes causes sociales, ses grands parents plâtriers résignés à leur modeste condition...Surtout quand l'image du père absent reste entourée de brouillard à cause des non-dits. Seule sa copine Isabelle, rencontrée par hasard dans l'euphorie nocturne du 10 mai 1981 _ et dans les toilettes publiques _ semble pouvoir le tirer vers le haut, et encore...

Y a-t-il rien de plus actuel que cette histoire venue tout droit des années 1980, surtout quand on connaît un tant soit peu le milieu ouvrier ? Qui ne voit pas en David un jeune paumé de son voisinage, de sa famille, ou lui-même ? Qui aujourd'hui, surtout dans les zones rurales, n'entend pas le ressac nostalgique d'anciens ouvriers d'une usine fermée ? Ces lendemains qui déchantent après LA victoire de la Gauche salvatrice et pleine de promesses, celle qui est censée nous représenter, nous le "petit peuple", ne font-ils pas partie de notre actualité ? Franchement, je ne sais pas si je vais être capable de proposer un avis objectif sur ce roman où tout me parle. C'était le risque à prendre en choisissant dans la sélection de Masse Critique sur Babelio un ouvrage dont le résumé-même m'évoquait un environnement presque familier.

Le crépuscule d'un monde est bien un roman, et non pas un cours d'Histoire comme on pourrait le craindre. Pas évident pour l'auteur de peindre une "fresque familiale"* et sociale sur plusieurs décennies, dont l'évolution dépend clairement des événements historiques de l'époque, sans tomber dans le piège du catalogue de dates et des coupures de presse annexées. Mais Yves Turbergue y parvient. Bien sûr, on pourra peut-être lui reprocher d'aller un peu trop dans les détails, soucieux qu'il était de mettre des mots sur le monde ouvrier meurtri et toujours à vif en dépit de son silence et de son visage fermé. Des détails qui sonnent presque faux, et qui évoquent un docu-fiction, qu'on trouve "bien fait" sans pour autant y croire. En même temps, libre à ceux capables de faire mieux de l'ouvrir s'ils le souhaitent, je n'en fais pas partie. Considère que le pari est gagné pour un auteur qui s'est attaché à scruter les synapses de ses personnages principaux pour nous faire partager tout ce qu'ils ont de suite dans les idées. Résultat, un roman polyphonique à la fois entraînant et instructif, plein de propos heurtés, de phrases dans lesquelles le verbe a loupé le train, d'expressions locales.. mais d'où ? on n'en sait rien. Le lieu de l'action reste mystérieux. Les personnages bougent vers la Nouvelle Calédonie, vers Marseille, vers une "ville universitaire", mais d'où viennent-ils ?

David le sait bien, lui, mais il ne demande pas mieux que d'en faire abstraction. La vie de misère, ou presque, de son entourage le dégoûte tellement que sa rencontre avec un oncle "différent" du reste de la famille lui met aussitôt les idées en vrac. La richesse, la liberté de ce parent décalé, le dédain qu'il suscite sont autant d'aimants pour un satellite sans orbite. Voilà, entre autres, où le bât blesse. L'ascension sociale a beau faire rêver, on ne se débarrasse pas aussi facilement qu'on le voudrait du lot de valeurs et de pensées véhiculées par sa "caste" ; surtout celles qui nous empêchent de croire en nous-même, celles qui font qu'on est pris au dépourvu lorsqu'on a l'opportunité de prendre les rennes d'une situation quelle qu'elle soit. Celles aussi qui nous rattachent à l'humanité et à notre bonne conscience. David l'apprendra à ses dépens, comme toujours, lors de son escapade marseillaise sur les traces de son oncle parvenu, et devra faire un choix : s'enrichir sur le dos des autres, en appliquant des méthodes douteuses ? ou préférer une vie modeste mais honnête, où le travail abrutissant et répétitif ne laisse guère de temps aux tours de passe-passe ? Peut-être se rendra-t-il compte qu'il est réellement imprégné de ce monde ouvrier sur lequel il crache depuis qu'il s'essaye à raisonner.

Aucune épopée familiale ne m'avait autant captivée depuis Des grives aux loups et Les palombes ne passeront plus de Michelet. D'ailleurs, il m'y a souvent fait penser.  

* Voir le quatrième de couverture

TURBERGUE, Yves. Le crépuscule d'un monde. Plon, 2013. 445 p. ISBN : 978-2-259-21922-8


dimanche 27 octobre 2013

La sélection des livres pas rangés : Antonio Vivaldi - Olivier Beaumont / Charlotte Voake (1999), Kidnapping - Jean-Marie Firdion (2002) et Entre mes nunga-nungas mon coeur balance - Louise Rennison (2001)


Comme dans n'importe quel métier, on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs quand on est documentaliste en établissement scolaire. Soit on choisit de présenter le CDI comme un lieu hostile à toute vie humaine et par conséquent toujours bien rangé, soit on tolère la présence d'enfants tout en s'exposant au risque de trouver quelques livres en bordel dans les rayons malgré l'ambiance studieuse et un bref rappel du mode de classement en début d'heure. Le cas échéant, nous voilà face à deux nouvelles options : la réaction épidermique suivie d'une remise en ordre immédiate (mais quels boulets !! c'est pourtant pas si dur l'alphabet ! qu'est-ce qu'ils ont été me mettre un conte dans les romans ces p'tits cons), ou la réaction positive : si les documents sont mal classés, cela veut dire qu'ils ont été feuilletés, regardés, délaissés, voire lus ! Enfin ne rêvons pas trop quand même. Faisons plutôt preuve de curiosité et penchons-nous sur ce qu'ils ont laissé traîner.

Ce matin, j'ai ainsi récupéré trois livres après le passage d'un groupe de quinze ( eh franchement, CA VA ) : 

Antonio Vivaldi - Olivier Beaumont, illustrations de Charlotte Voake (1999)


Ajoutons aux deux artistes impliqués dans la réalisation de l'ouvrage la contribution vocale de Benoît Allemane, puisqu'il s'agit d'un livre-CD. Paru chez Gallimard, Antonio Vivaldi fait partie de la collection "Jeunesse Musique".

"As-tu déjà construit un instrument de musique ? Avec un roseau, on peut faire une petite flûte..." Oui, et avec du châtaigner aussi. J'ai en tête cet après-midi chaud et orageux où la mémé n'en finissait plus de faire son café. Elle m'avait promis de m'accompagner dans les bois derrière la maison pour couper une branche et me fabriquer un pipeau ; mais avant, il fallait bien faire le café, puisqu'on était dimanche après-midi ! La cafetière fumait comme une locomotive asthmatique en crachouillant des gouttes brûlantes, mais le niveau d'eau ne semblait pas baisser. Parfois, la mémé poussait le vice à en verser un peu plus dans le réservoir, provoquant de petites explosions vaporeuses. Finalement, elle avait tenu sa promesse et avait vidé au couteau un tronçon de branche bien souple _ à tel point qu'elle s'était loupée, transformant d'un coup la flûte en sifflet. Le sifflet ne sifflait pas, mais il venait d'elle ; il était joli et avait bon goût. Puis il a fini par pourrir, inévitablement, comme toute chose, comme tout le monde, et comme elle aussi.   

Je m'égare.

L'album retrace la vie du musicien italien de façon synthétique mais néanmoins complète ; chaque double page est consacrée à une étape de sa progression personnelle ou artistique, et fait mention d'une de ses compositions majeures. Je suppose que dans le même temps, le CD nous permet d'écouter le morceau de musique cité _ mais pour être honnête, je n'ai pas écouté le disque parce qu'on ne l'a pas mis en libre accès. On le prête à l'élève seulement s'il emprunte l'album ou s'il demande à l'écouter sur place, car c'est encore le moyen le plus sûr de le conserver intact et de le conserver tout court, d'ailleurs.
Moi qui n'ai aucune culture musicale, j'ai appris des choses sur le créateur des Quatre saisons qu'on apprécie parfois sans connaître, notamment qu'il était prêtre et roux _d'où son surnom de "prete rosso". Quant au principe du livre audio, signalons qu'il est très demandé par les collégiens, et pas seulement les plus jeunes d'entre eux. 


Kidnapping - Jean-Marie Firdion 2002


Le ventre perforé par une violente gastro, Benjamin n'ira pas au collège aujourd'hui et restera seul à la maison, cloué au lit. Il ne sait pas encore que des cambrioleurs ont décidé de visiter la demeure familiale. Décontenancés par la présence de l'enfant, les malfaiteurs l'emmènent avec le butin pour éviter qu'il ne les balance, et pour en tirer une rançon.
Arrivée à la moitié de ce court roman écrit par le sociologue Jean-Marie Firdion, je me suis dit que l'histoire avait un air de déjà vu, ou de déjà lu. La relation quasi fraternelle entre le héros et Paulo, le plus sympathique des trois voleurs, m'a remis en mémoire un vieux roman paru en 1960 intitulé Signé : Alouette de Pierre Véry.

ET LA CEINTURE (bordel) !
Forcément, je commençais à me sentir déçue par ce que je lisais, malgré la fraîcheur de ton de l'adolescent qui raconte ce qu'il vit avec le vocabulaire imagé qu'implique son jeune âge. Il me semblait que la situation ne présentait rien de bien transcendant pour un collégien habitué aux scènes d'enlèvement et de cambriolages qu'il peut voir en bien pire dans n'importe quel téléfilm du dimanche après-midi sur NT1. Puis le roman a évoqué la vie de Benjamin après son kidnapping, et là, j'ai clairement vu où Jean-Marie Firdion voulait en venir. Il exprime très bien une réalité à laquelle on ne pense jamais, et qui pourtant ne saurait être occultée : la difficulté n'est pas tant de vivre une agression que de s'en remettre et d'arriver à raccrocher les wagons lorsque le calme est revenu. Comment faire pour ne pas céder à la tentation de se terrer chez soi et de fuir les autres, la vie réelle qui nous renvoie sans cesse à la face l'événement douloureux ? Benjamin a bien du mal à s'en sortir : lui qui a été cueilli dans son lit n'arrive plus à dormir dans sa chambre ; aller au collège est impensable tant qu'il conservera cette basse idée qu'il se fait de lui-même : un trouillard qui n'a même pas su se défendre et qui n'a même pas tenté de s'échapper, attendant sagement que ses ravisseurs se résignent à l'abandonner à poil dans la forêt. Une semaine après l'enlèvement, la spirale négative l'a déjà emporté bien loin de toute vie sociale. Sa rencontre avec Gabrielle, une jeune fille aveugle malmenée par la vie, va-t-elle suffire à lui permettre de remonter la pente ?

Kidnapping fait un peu trop vite le tour de la question : "comment se relever d'une agression ?", mais il a l'avantage de traiter le sujet, et ça fait bien plaisir. Evidemment, le roman touchera en priorité les lecteurs qui se sont déjà retrouvés en position de victime, mais l'ouvrage de Jean-Marie Firdion peut être matière à réflexion pour pas mal de collégiens.

Le journal intime de Georgia Nicolson - 3 - Entre mes nunga-nungas, mon coeur balance. Louise Rennison (2002)





Illustrations de la couverture : Claire Bretécher

Ah ! Ca fait plaisir ! Enfin un Scripto qui ne donne pas envie de se tailler les veines ! Il s'agit ici du troisième volet de la vie trépidante de Georgia, alors j'ai pensé que pour cette fois-ci on serait obligés de s'asseoir sur la présentation des personnages principaux et sur le plantage de décor. Par chance, Bubulle a lu les deux premiers tomes dans sa jeunesse, ce qui m'a permis de me faire une idée du contexte : Georgia, 14 ans, collégienne britannique au nez et aux seins plus proéminents que la moyenne, nous raconte son quotidien aussi ordinaire que drôle et nous plonge dans son environnement familial et amical sans aucune retenue. Entre mes nunga-nungas, mon coeur balance correspond à une période automnale de deux mois environ pendant laquelle Georgia se promène sur un petit nuage, transportée par les appels (sur le fixe familial) de Robbie, alias "Super Canon". Seuls ses "nunga-nungas", ses seins donc, pour ceux qui n'auraient pas encore compris _ la couverture nous aide quand même pas mal_ la maintiennent sur le sol terrien.

"Ah, elle a fini par sortir avec !?" S'est exclamée Bubulle, elle qui s'est arrêtée au tome 2 de cette série qui en compte 10 ! Apparemment c'était mal barré...


Malgré les vacances en Écosse imposées par son père et le sentiment que ses copines n'ont même pas remarqué son absence durant cette période, la fille ne compte pas se laisser abattre et se jette à corps perdu dans une nouvelle grande cause : sauver son chat Angus de la castration. Il serait vraiment dommage que Naomi, la "bombe birmane" des voisins, se détourne du félin à cause de quelques pauvres nuits tapageuses qui ne dérangent que les vieux croûtons. Perturbée par son intérêt croissant pour son pote Dave La Marrade alors que sa relation avec Robbie, un peu plus âgé qu'elle, a toujours un côté énigmatique voire irréel, "Geo" continue l'air de rien à jouer les rebelles du Top Gang dans son école.
 
Trop "fille" pour moi, désolée !
 
Publiées il y a une bonne dizaine d'années maintenant par la comédienne et journaliste Louise Rennison, les aventures de Georgia Nicolson ne sont pas dénuées de réalisme : la connerie de la tranche 14/15 dans toute sa splendeur, mais sans le côté glauque (ce qui est appréciable, ma foi) ! Mais c'est aussi la raison pour laquelle je n'ai pas réussi à accrocher à l'histoire, malgré l'attrait de l'écriture chronologique qui facilite bien la lecture. Les copines qui se fritent subtilement pour des mecs avant de se réconcilier et d'enchaîner avec une heure de débat sur l'acné comme si de rien n'était, j'ai malheureusement trop vu, et de trop près ! C'est bien dommage de résumer le cerveau des adolescentes à cela, mais... on ne peut pas non plus ignorer ce côté de leur personnalité.. Évidemment, Louise Rennison tourne fort bien en dérision les scènes d'hystérie hormonale et de maquillage intempestif, mais le chapitre sur les vacances en Écosse n'en demeure pas moins long et pas très drôle. A mon avis, le journal de Georgia peut sonner faux pour les collégiens d'aujourd'hui, car ils trouveront sans doute les protagonistes pas assez trash pour eux. Quant à la richesse de ces expressions hautes en couleur lancées ça et là, qui ont fait le succès de la série, elles risquent de ne plus faire mouche auprès du public actuel. A tester en club lecture, pour voir ! Il faut juste que je vérifie qu'on a les deux premiers au CDI...

Petite bibliographie récapitulative des livres en bordel : 

BEAUMONT, Olivier. VOAKE, Charlotte. Antonio Vivaldi. Gallimard. Coll. "Découverte des musiciens". 1999. 27 p. ISBN 2-0705-2868-5

FIRDION, Jean-Marie. Kidnapping. Editions Thierry Magnier. 2002. 95 p. ISBN 2-7511-0041-4

RENNISON, Louise. Entre mes nunga-nungas mon coeur balance. Le Journal intime de Georgia Nicolson. Gallimard. "Scripto". 2002. 153p. ISBN 2-07-055163-6. 


      

samedi 12 octobre 2013

Sélection de contes pour les élèves de 6° : Les contes de la Saint-Glinglin - Robert Escarpit (1973)


Avant toute chose, saluons la venue sur ce blog d'un digne habitant de Fresney-le-Puceux, petite ville située près de Caen. Qu'il sache que sa visite m'a mise en joie, et que j'ai trouvé son toponyme cent fois plus drôle que celui de La Queue en Brie !

Ceci étant dit, continuons encore et toujours notre sélection de contes destinés aux élèves de 6°, même si la séance avec ces chers 6B est derrière nous depuis quelques temps !




Jusqu'à présent, Robert Escarpit était pour moi un fameux universitaire girondin spécialisé dans les Sciences de l'Information et de la Communication, un professeur de littérature doublé d'une casquette de journaliste, avec au bout de la visière des idées pour développer la documentation. Après la lecture des Contes de la Saint-Glinglin, j'ai réalisé qu'il était aussi un grand-père, et par extension un formidable conteur pour enfants. Dans ce recueil composé d'une quinzaine d'histoires sinon merveilleuses, au moins tirées par les cheveux, Robert Escarpit propose une origine rocambolesque à plusieurs expressions courantes de la langue française.  

Ainsi, Saint Glinglin prend les traits d'un brave moine sculpteur tellement étourdi qu'il est incapable de retrouver la porte du Paradis, malgré l'aide de la belle Lurette. Le guerrier Stentor à la voix puissante est parachuté en Cathiminie, un pays où le silence est sacré, car il a défié le Dieu Hermès. Lorsque la princesse Isabelle débarque dans la maisons de deux samouraïs, elle sème une jolie pagaille dans leur partie de go, qu'on ne peut jamais résoudre tout de go. Raymond d'Occitanie part chercher des haricots danseurs pour cuisiner des galipettes, ces gâteaux qui pourraient égayer le royaume triste. Le guilledou devient un passereau assez malin pour se jouer des soldats anglais qui l'importunent jusque dans son nid. Le baron de l'Enclume est désespéré car les vers qui devaient faire de lui le huitième poète de la Pleiade ont été en partie dévorés par une chèvre ! Il ne lui reste que les bouts rimés "am stram gram", voués peut-être à gagner une certaine renommée eux aussi...

Désolée, l'occasion était trop belle
Mylène Farmer, L’Âme Stram Gram (1999)

.. Bien d'autres héros maudits malgré leur bonté notoire justifient un idiome bien connu de nos conversations quotidiennes ; le père Limpimpin, la bonne Franquette, l'inventeur de la poudre d'Escampette.. On s'étonnera d'ailleurs que la plupart d'entre eux connaissent une souffrance plus ou moins profonde et plus ou moins durable au cours de leurs aventures. Si Les contes de la Saint-Glinglin sont présentés comme susceptibles de faire rire les jeunes lecteurs, ils n'en sont pas moins porteurs d'une certaine mélancolie. Les protagonistes sont attachants parce qu'ils sont exclus, rejetés, moqués, frappés par le malheur : on a envie de les voir s'en sortir. Or les histoires de Robert Escarpit ne nous apportent pas toujours satisfaction sur ce plan-là. Elles n'en demeurent pas moins addictives, tant l'imagination de l'auteur a craché des pépites aux quatre coins des pages, au point de pousser le lecteur à se dire "il fallait y penser !" après chaque dénouement. A tel point que je me demande si l'exercice ne pourrait pas être proposé aux gosses dans le cadre d'un travail d'écriture. La consigne pourrait être : "Avoir le feu au cul" "Etre aux anges" : inventez une histoire pour raconter d'où peut venir cette expression, comment elle est née.  

Sur ce, je m'en vais chercher la signification de "Passez muscade !", une façon de parler qui m'a toujours laissée perplexe, pour ne pas dire à la limite de la frustration.

Au passage, voici un site référence pour obtenir la signification d'une expression : Francparler.comCependant, comme je n'y ai pas trouvé "Passez muscade !", je suggère aussi Expressio.fr(*) sans doute moins fiable et moins complet, mais qui a eu le mérite de m'apporter une hypothèse qui se tient sur la route des épices et la ressemblance entre les noix de muscade et les boulettes de liège utilisées pour les tours de passe-passe à l'époque.

Résumé pour les gosses 
Quand on parle avec ses amis, on utilise tous des expressions familières qu'on comprend mais qu'on n'est pas toujours capable d'expliquer : à tire-larigot, il y a belle lurette, Tartempion, à la bonne franquette... L'auteur s'est demandé d'où elles pouvaient bien venir, il  a fait marcher son imagination et il a écrit quinze contes surprenants et amusants pour raconter leur origine.    

La difficulté réside dans la décision d'annoncer ou non aux élèves le caractère fictif des histoires ; en principe, s'ils ont étudié le conte, ils doivent savoir que les explications sont par définition fictives, mais bon... Si cela nous paraît évident, ça ne l'est pas pour eux.


Edition utilisée :
ESCARPIT, Robert. Les contes de la Saint-Glinglin. Le Livre de Poche Jeunesse. 2007. 208 p. ISBN 978-2-01-322494-9

Illustrations de Sylvie François


* What else ? Ah ah !




mercredi 9 octobre 2013

C'est ridicule, mais ça fait tellement de bien...


La date approche, la date anniversaire de cette sale nuit où on s'est tous fait endormir. Si tu avais pu la retenir, la perruche joufflue qui battait des ailes entre tes cotes ne se serait pas envolée aussi facilement ; il faut croire qu'un sombre taquin se sera amusé à ouvrir la cage dans ton sommeil, nous laissant tous impuissants au lever du jour, les bras ballants devant l'habitacle glacial. Sinon quoi ? Pourquoi ? Comment ? On ne le saura jamais. Tu as été pris en traître et maintenant tu ronges ton frein, sûrement vexé d'être mort à la manière d'un vieux, en nous regardant depuis le bord de l'échiquier. Patiente un peu, tous les pions finissent pas tomber un jour ou l'autre, immanquablement. Tu verras, dans pas si longtemps que ça nous nous partagerons tous tes seize éternelles bougies, assis dans la pelouse à la nuit tombante, un verre dans la main !