mercredi 19 août 2009

Tubiche


Posted by Picasa

vendredi 7 août 2009

Les Pauvres Gens - Dostoïevski (1846)


Fin du XIX° siècle, à Saint-Pétersbourg : c’est déjà la crise. Un fonctionnaire d’âge mûr et une jeune bourgeoise déchue entretiennent une correspondance assidue et enflammée. L’attachement de la jeune fille, manifestement plus mesuré, contrebalance les folies de son soupirant, qui par amour dépense sans compter ce qu‘il n‘a pas, jusqu‘à tomber dans la misère la plus totale. Il faudra bien choisir entre sagesse et romantisme!


A travers les dialogues sentimentaux des deux héros, Dostoïevski dépeint la vie quotidienne du peuple russe, le système bureaucrate qui permet à peine de survivre, l’idiotie des codes sociaux incrustés dans l’âme de la multitude des fonctionnaires. Comme à chaque fois qu’on rencontre l’écriture de Dostoïevski, on a envie de dire : dépressifs, s’abstenir… pourtant, ce petit ouvrage, qui au passage n’est pas n’a un pavé et se lit très vite, nous est tellement actuel!

mardi 4 août 2009

La Vie de la Vieille - Le Loto


La Vieille et sa voisine, son unique et dernière amie, sortaient du café où elles venaient de descendre une bière. Elles arpentaient en titubant les trottoirs du village. La voisine retenait avec peine sur son crâne déplumé un large chapeau de couleur orange, dans un ton extrêmement vif, à mi chemin entre le modem et la DDE. Elle l'avait noué sous son menton, mais à force de parler et de boire, le lacet s’était relâché et pendait dans le vide.

«Faisons équipe!» Proposa la Vieille, car DDE woman venait de lui dire qu’elle était souvent chanceuse aux jeux de hasard.

_ Pourquoi pas. Mais comment? Peut-on prendre un carton pour deux?

Elles se rendaient toutes les deux au Boulodrome, à la sortie du village, où avait lieu le grand loto annuel des derniers jours de juin, qui célébrait le début de l’été et des vacances. On disposait tables et chaises sur le terrain de pétanque, à l’ombre des châtaigniers. Pour les collégiens, c’était l’occasion de se retrouver une dernière fois avant la fin des cours et de se foutre des vieux qui jouaient au loto. La Drôle comptait bien y aller aussi, de son côté, et songeait à part elle à un moyen d’éviter la Vieille, car elle savait qu’elle viendrait. Mais pour rien au monde elle n’aurait manqué une soirée avec ses potes, d’autant plus que la quine était suivie d’un grand concours de chant. Ils allaient bien rire en comptant les canards.

_ Partageons les lots, plutôt. Si l’une de nous gagne, elle donnera une partie du gain à
l’autre. »

Les jeunes n’avaient qu’à traverser la route en sortant du collège, et qu’à s’asseoir sur les bords du terrain de boules pour regarder la valses des cartons et des grains de maïs, en faisant ce qu’ils aimaient le mieux, c’est-à-dire rien du tout. La Drôle et sa bande de copains s’en lassèrent assez vite. A dix huit heures déjà, ils s’ennuyaient et partirent derrière les buissons qui cernaient le boulodrome.

L’un d’eux avait fait une trouvaille chez lui ou ailleurs, peut-être vaut-il mieux ne pas le savoir : des cisailles à métaux, destinées à la base à découper les grillages et autres fils de fer. Ils décidèrent de l’expérimenter sur le feuillage des buissons, puis sur les branches, puis sur le petit cheval de bois rouge à crinière jaune monté sur un ressort, interdit aux cavaliers de plus de cinq ans.

La crinière et le ressort avaient été broyés sans peine, alors maintenant, qu’allait-on faire? Vingt minutes de passées, et voilà qu’on s’ennuyait de nouveau. Fucking petit village! Une trentaine de mètres plus loin, l’animateur spécialisé en festivités de ce type égrenait les nombres égrenait les nombres, faussement enjoué.

_ Quine! Rugit la Vieille, pendant que sa petite fille se tournait les pouces avec ses amis, s’arrachant les cordes vocales à l‘occasion. On entendit plutôt « qui » que « quine » mais c’était valable quand même. Bingo eût mieux fonctionné. _ Et pour madame, répondit l’animateur à la voix chaude, pour madame… Il cherchait le lot. _ … Un superbe lot pour madame…

La Vieille venait de remporter un très coquet lot de cinq strings. Justement ce qui lui manquait, même si elle en avait déjà plein.

C’est d’ailleurs ce que sa voisine et équipière lui fit remarquer lorsque vint le temps des partages, quelques secondes plus tard. Mais la Vieille entendait à présent garder pour elle seule la marchandise. _ Le prochain, le prochain nous le partagerons. Là c’est impossible, tu vois bien qu’il y en a cinq, et que si nous coupons en deux, l’une de nous sera flouée! De toute façon, ça ne te va pas à toi, ces choses là. _ Qu’en sais-tu? Rétorqua la voisine, repositionnant ses lunettes à verres progressifs, piquée. _ C’est vrai, ce n’est pas toi qui pourrais le dire, Marcelle! Fit le père du boucher, et il insinua derrière sa moustache grise que ces petits objets n‘étaient adaptés à aucune des deux. Comme c’était bête d’avoir remporté un tel prix.
 _ Qu’il est vieux jeu!
 _ Sois réaliste! Tu feras donc la pute toute ta vie!

Il restait le garage à vélos. Comment n’y avaient-ils pas pensé plus tôt? Ces cisailles étaient vraiment au poil. Chacun avait massacré son antivol, la Drôle s’était montrée particulièrement adroite dans l’opération, en frappant le sien d‘une coupe nette et franche, et y avait gagné beaucoup de respect. Puis ils n’en prirent aux arceaux rouillés, prenant soin d’en détacher les vélos, les mobylettes qu‘ils retenaient, et de les entasser à l’abri des buissons. La poignée de fiers à bras avaient découpé puis tordu les arceaux du parking à vélos de façon à en faire des tiges à peu près droites. Tous en avaient une dans la main et ils ne tardèrent pas à s’échanger quelques coups amicaux dans le visage et à se picoter les tablettes de chocolat. Tout cela les amusait beaucoup, et la Drôle n’y allait pas non plus de main morte. Elle embrocha le beau gosse de sa classe avec tant d’enthousiasme qu’elle perça son polo DDP au niveau de la poitrine. Elle l’avait d’un coup fatal rendu indragable et il lui fit comprendre que cela allait lui coûter cher. La Drôle lui répondit qu’elle n’en avait absolument rien à foutre de ses menaces et profita de ce qu’il mesurait l’ampleur des dégâts, passant un doigt dans l’accroc, pour appuyer ses deux mains sur sa chevelure visqueuse de gel, réduisant à néant tous les efforts qu’il avait fournis le matin pour faire ressembler son crâne à un tapis de fakir. Seuls les gens qui ont déjà passé deux heures à se faire des pics avec du gel, prenant le risque d’empester l’huile de jojoba toute la journée, peuvent ressentir la détresse du cheveu qui retombe aussi vite qu‘un château de cartes. Aussi tous les jeunes se jetèrent sur la Drôle, commençant à la bousculer rudement. On riait moins, juste un peu pour ne pas attirer l’attention des mamies attablées pour la grande quine, au loin. La fille du groupe réussit à leur échapper et entra dans le local de l’association des boulistes, laissée libre pour l’occasion. On y avait entassé les lots, et les candidats au concours de chant y avaient répété tout l’après midi. A cette heure-ci, il n’y avait plus personne. C’était un maisonnette rudimentaire : deux pièces; une table et des chaises, un évier et un placard mural dans la salle principale. A n’en pas douter, un bureau et la caisse dans la seconde pièce, derrière la porte close. La fenêtre était restée fermée, il fallait que la fraîcheur reste pour que les jambons tiennent le coup et ne prennent pas les mouches.

Le ton montait, et chacun ajouta son grain de sel à la conversation. Les concurrents aux jambons se levèrent de table et vinrent se parler de plus près, se tenant par les manches. Le loto était interrompu et le micro sommait en vain les joueurs de se calmer et de se rasseoir. Il faisait beau et chaud, à la tombée du soir; le jardinier resté lucide à grand peine proposa de prêter son tuyau d’arrosage et de le relier au robinet du local pour asperger d’eau fraîche tous ces fous de lingerie, afin de leur remettre les idées en place : après tout, c’était très efficace quand on voulait séparer des chiens qui copulent, alors... Le maire donna son accord, et, mieux, trouva l’idée bonne, et la comparaison meilleure encore.

La clé pendait au placard mural. Le nain à moustache du groupe ouvrit la porte, constata qu’il était vide, à part quelques bouteilles, un service à whisky, mais d’ailleurs, peu importe, et suggéra à ses amis de pousser la Drôle dedans. Ce fut très facile, elle s’y jeta presque d’elle-même, sous la pression des tiges rouillées. Ils fermèrent la porte à double tour et se saisirent de la clé, pendant que la fille insultait leurs aïeux jusqu’à la septième génération et les castrait à distance de sa langue de feu. A l’étroit dans son placard, elle tentait tout de même de jeter des coups d’épaules dans la porte, plus pour signifier à ses petits camarades qu’elle aussi avait de la force, que pour casser la porte. Sortir, était-ce souhaitable, étant donné ce qui l’attendait dehors? Les gars bourraient la porte de coups de baskets, grognant comme des loups et criant wazaaaa. Remarquant un décalage entre le plancher et la porte du placard légèrement surélevé, ils s’agenouillèrent et lui asticotèrent les pieds en passant les barres de fer dans l’espace, gloussant de plus belle lorsqu’elle tentait de bloquer leur petit jeu en écrasant les barres de tout son poids. Soudain lassés, ils firent passer la clé sous la porte : c’était elle qui l’avait maintenant, alors, qu’elle se débrouille avec!

Bien entendu, la clé du placard lui était absolument inutile, et cette dernière plaisanterie la fit enrager. Le rire s’évapora subitement; elle n’entendit plus rien que le silence, et les pas précipités de ses camarades, ce qui ne manqua pas de l’étonner.

De sa prison dont elle seule avait l’outil de délivrance, elle tendit l’oreille. Dehors, le loto battait son plein, mais le brouhaha ne manqua pas de l’étonner. Les lots devaient être particulièrement intéressants ce soir-là. Plus tôt dans l’après-midi, des collégiens avaient assuré qu’on entassait près du terrain de boules une cargaison phénoménale de barils de lessive.

Puis de lourds pas précipités et énergiques, de nouveau, mais ceux-là se dirigeaient vers elle.

« Où est ce putain d’évier? »

Le type dût le repérer facilement, car ses pieds tournèrent sur eux-mêmes pendant quelques secondes avant de l’amener dans le coin de la pièce. Rien à voir avec ses potes; il était sûrement digne qu’on lui file la clé.

« Sortez moi de là! »

Le gars était déjà reparti.

« Mais quel con!

_ Quoi? »

Non, il était toujours là, en fait, mais elle ne l’avait pas vu visser un tuyau d’arrosage emprunté au jardinier sur le robinet. Cette opération lui demandait une certaine concentration et l’avait rendu silencieux jusque dans ses jurons.

_ Y a quelqu’un?

_ Oui, dans le placard, ils m’ont fermée! Prenez la clé et faites pas l’andouille avec, s’il vous plaît.

_ Laisse-moi deux secondes, que j’ouvre le robinet à fond. Y a des vieux à calmer, dehors. Qui ça, ils?

_ Des fils de pute.

La clé tomba sur le plancher, il la ramassa et la fit tourner dans la serrure. La porte s’ouvrit, le sauveur en tee shirt jaune cocu vit passer une ombre et entendit un « merci » légèrement teinté d’agacement. Il haussa les épaules et retourna à son robinet. L’eau coulait à flots dans le tuyau en caoutchouc percé à plusieurs endroits. A l’autre extrémité, sa femme avait arrosé un par un les papys qui se tenaient au collet, la bave aux lèvres, mamies aux langues venimeuses et aux canes aiguisées, dont la Vieille et sa voisine au chapeau du Modem. Par mégarde, l’eau était venue tremper la conséquente cargaison de lessive, d’une valeur de 200 euros, qui n’avait pas encore été remportée.

Lorsque la Drôle s’extirpa enfin de la petite maison moisie, le boulodrome était couvert d’un blanc manteau de mousse et embaumait Le Chat spécial blancheur pour plus de douceur. Balayant du regard l’attroupement de ses voisins plus ou moins âgés grouillant dans la mousse et échangeant très fort des mots hostiles, elle reconnut l’un de ses geôliers boutonneux, qui avait pris parti dans les débats. Dans la panique générale, elle put se rapprocher de lui assez discrètement pour qu’il ne remarque pas sa présence et empoigner sa cheville et la tirer en arrière. L’agitation était telle qu’on n’aurait pas bronché même si on avait un ours sortir du buisson. Il glissa et tomba face contre terre, le nez fracassé sur le gravier humide du boulodrome. Elle posa ses pieds sur la colonne vertébrale du pote et sauta à pieds joints sur lui, par deux fois. Autour de lui, la mousse se colora de rouille, alors elle estima qu’il avait eu sa dose pour la journée. En prenant la fuite, elle ne put s’empêcher de faire manger du savon à un vieux qui avait perdu sa canne, lui faisant perdre l’équilibre d’un simple coup de pied sournois dans la cheville, parce qu’après tout, il fallait bien qu’elle s‘amuse, elle aussi. Il paraît qu’une fois rentrée à la maison, elle fit payer à sa famille ses mésaventures de la journée et prit grand plaisir à les emmerder.

Les strings s’étaient perdus dans la bataille, sans doute noyés dans les bulles de savon. Sur décision commune du maire et de l’animateur, qui céda son micro au premier pour l’occasion, la Vieille et sa voisine furent priées de déguerpir sans le lot escompté. Il faudrait aussi penser à un plus que probable dédommagement après cette catastrophe surnaturelle.

« A propos de dédommagement » , grogna la Vieille, outrée par un dénouement trop pacifique à son goût, « je veux au moins qu’on me rembourse mon carton! » C‘était bien la moindre des choses, non? La mousse montait à mi-hauteur des thuyas, et les décorait joliment. Cependant la scène était terriblement inhabituelle pour les villageois, aussi se sentaient-ils tous mal à l‘aise, et pas seulement les vieux, comme on aurait pu le croire, bien au contraire. On ne les avait pas vus aussi fascinés et effarés depuis la tempête de 1999 : il serait difficile de maintenir les parties de boules dans les prochains jours.