vendredi 23 décembre 2022

[ROUX COOLS] Marie La Rousse dans French Kiss 1986 (2012)

Tiens, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas parlé de Roux Cools par ici ! 

French Kiss 1986

BD One Shot parue en 2012 chez Glénat


L'histoire

A l'issue d'un dîner en famille animé, Etienne commence à raconter à ses enfants comment il a rencontré leur mère. Il lui faut remonter le temps jusqu'à l'été 1986 ; autant le dire, une toute autre époque, où flottaient pêle-mêle des airs de Tchernobyl, de Michael Jackson et de navette spatiale explosée.  

Mais pour Etienne, qui avait neuf ans à ce moment-là, les vacances d'été furent surtout marquées par une grandiose et terrible "guerre de pirates" dont il fut l'instigateur et qui opposa deux bandes d'enfants dans la petite ville du Québec qu'ils habitaient alors, lui et sa future femme. 

French Kiss 1986 est le récit intense à tous points de vue des aventures mémorables vécues par le Clan de l'Oeil Noir d'Etienne et par celui des Rouges-Gorges de sa rivale "La Rousse", entre la rue Beaulieu et la rue Perron. C'est pas spoiler que de dire que Leïa et Lucas ne vont pas être déçus par les frasques de leurs parents !   

Marie La Rousse 

Si, en tant que narrateur, Etienne semble s'imposer à nous comme "héros de l'histoire", il partage en fait le leadership avec une jeune fille rousse, plus grande, plus âgée et plus costaud que lui, mais surtout dotée d'un fort caractère. Marie la Rousse intrigue et fait peur ; ses origines sont floues, perdues dans un nuage de rumeurs et de mystère : on dit que sa mère est une sorcière. D'où vient la légende ? De la couleur de ses cheveux ?  De sa tendance à faire bande à part et à ne faire confiance à personne, même à son propre clan ? De sa maison qu'on situe mais qu'on n'approche pas ? On n'en saura pas beaucoup plus, mais pour les gosses des alentours, on a pile ce qu'il faut pour en faire une bonne pestiférée. 

Forcément, la présence de cette voisine imposante et consciente de son pouvoir agace Etienne et sa horde de copains majoritairement masculine : la Rousse a beau être une sorcière, elle n'en est pas moins une fille, et il est hors de question de perdre la face devant elle. 

Pas de doute, c'est une Rousse Cool

Etienne la hait sans trop savoir pourquoi, mais adore l'affronter, et avoir la possibilité de se mesurer à elle ; c'est autant pour cette raison que pour son désir d'aventures qu'il se lance dans une bataille de pirates à grande échelle, avec repaire, drapeau et trésor. Un vrai trésor, parce qu'à neuf ans, on n'est plus des bébés. Ses copains sont dans le même état d'esprit et ne demandent qu'à le suivre. 

Dans cette guerre, tous les coups sont permis, y compris les remarques désobligeantes sur le physique de La Rousse, sa supposée mauvaise odeur et son ascendance douteuse. Même s'il en faut plus que ça pour museler une adversaire qu'on sent déjà prête à passer dans la cour des grands, on comprendra au fil des chapitres que les attaques les plus basses auront atteint leur cible. 

En attendant, la chef des Rouges Gorges (pas les mignons petits oiseaux, hein !) fait partie des personnages féminins inspirants qui commencent à poindre un peu partout en BD mais qui étaient encore rares il y a dix ans. Surtout dans celles mettant en scène des grappes de drôles. 


"Ce qu'il y a de bon en nous" 

En effet, si vous lisez French Kiss 1986, beaucoup d'histoires risquent de vous revenir en tête, en fonction de vos références. Bien sûr, le modèle des Goonies est évident, et même revendiqué par Etienne, qui ne demande rien de plus que "revivre" ce film tout juste sorti, à l'époque. D'autres le suivent de près : l'énergie de Tom Sawyer flotte dans l'air, la cruauté prétextée par la stratégie militaire de La guerre des boutons est là aussi (vite fait), la solidité du Club des Râtés de Ca n'est pas loin non plus (en moins angoissant tout de même). Toutes ces œuvres ont pour dénominateur commun l'ambivalence de nos premières années de vie, dont on a plus ou moins vite la nostalgie, dont on occulte plus ou moins facilement les déboires. 

J'ai eu l'impression qu'Axelle Lenoir essayait de nous dire, au fil de sa BD, qu'il vaut mieux rester sur les bons souvenirs des jeux d'enfants et éviter de trop gratter la dernière couche de peinture. A trop creuser, on risque de réactiver tous ces états d'âme moins cool directement liés à la condition d'enfant, et qu'on avait réussi à mettre en veille prolongée. Si ça se trouve, j'interprète mal et c'est pas ça du tout.

Toujours est-il que les premiers chapitres laissent entrevoir une joyeuse épopée ponctuée de coups d'épée en bois et de trésors à base de bonbons, jusqu'à ce que les événements prennent une tournure plus dark et mélancolique, où trahisons, sauvagerie, virilité exacerbée, amours secrètes et/ou déçues viennent renverser le plateau de jeu. 

Non, être un enfant dans les années 1980, c'était peut-être fun, mais ce n'était pas le monde des Bisounours non plus. Comme aujourd'hui en fait ; les figures en miroir des enfants d'Etienne, le montrent bien : Lucas doit avoir à peu près l'âge de son père durant l'été 86 et n'a pas trop la pêche. Visiblement préoccupé, il tente de s'ouvrir mais l'explosivité heureuse de sa petite soeur Leïa, encore préservée des soucis des plus grands, l'écrase perceptiblement. 

A neuf ou dix ans, tout le monde n'en est pas au même point ; certains ont déjà conscience que "les mots peuvent faire plus mal que les coups", d'autres trouvent l'idée improbable. S'il convient de se comporter en rustre avec ceux de l'autre genre, le code de l'honneur et la notion des limites à ne pas dépasser est encore trouble. Etienne en fera les frais. Moins épris de pouvoir que de la petite fille du camp ennemi qu'il veut impressionner, il va perdre le contrôle de ses troupes. Le jeu ira trop loin, et son objectif de montrer "ce qu'il y a de bon" en lui à travers la piraterie s'éloignera d'autant.     

Quant à la cruelle Marie, elle n'est bien entendu pas le monstre dont elle se donne l'apparence ; on s'en rend compte lorsque Bébé Lafleur, le cadet rigolo du clan de l'Oeil Noir, se rend chez elle avec l'insouciance de son jeune âge sous le regard catastrophé des plus grands. Elle se contentera de lui proposer de regarder les Cités d'Or avec elle, tranquillement. D'ailleurs, les vignettes qui retracent l'épisode en question sont super marrantes.  

Diffusez-moi tout ça ! 

Cela vient peut-être juste du fait que je n'aie pas été au bon endroit au bon moment ces dernières années, mais j'ai l'impression qu'on connaît extrêmement peu French Kiss 1986 en France, bien que la BD ait été publiée chez Glénat et que le titre en question soit devenu le Coup de Coeur du Jury à Angoulême en 2013 (en plus, j'y étais, cette année-là...). Pourtant, ce one shot d'environ 140 pages, pas forcément axé jeunesse mais accessible dès le collège, je pense, en vaut d'autres de sa génération. 

Le français québécois peut gêner, direz-vous, et je vous répondrai que les expressions locales ne nuisent pas la compréhension. Au contraire, ça ne nous fait pas de mal de les connaître, car elles sont souvent poétiques. 

Ok pas toutes ! 

Ou alors, les nombreuses références aux années 1980 (les Goonies, Star Wars, Alf, les Cités d'Or, les premières consoles de jeux et bien d'autres que je n'ai pas perçues vu que bah moi 1986 c'est tout juste mon année de naissance ahah) pourraient faire croire que la BD se destine exclusivement à ceux qui ont vécu cette douce période, mais même pas. Y a qu'à voir le succès de Stranger Things. Les questionnements existentiels (et relationnels) des enfants ne changent pas tant que ça d'une décennie à l'autre. Comme dans Le domaine Grisloire et dans Luck, la façon dont ils sont traités tape juste. Par contre, les dessins sont très différents des oeuvres sus-citées, peut-être parce que French Kiss est en noir et blanc ? Il me semble que les traits des personnages, les bulles des petits pirates lorsqu'ils crient, et même les décors sont plus enfantins, comme tirés d'un cahier d'écolier. Cela m'a surprise mais j'ai bien aimé. D'autant qu'on retrouve quand même les yeux hyper-expressifs des protagonistes.

Est-ce bien la peine de le préciser ? J'ai entendu parler pour la première fois de cette bande dessinée dans l'épisode 298 des Mystérieux étonnants ; vous pourrez entendre l'analyse dans les 20 dernières minutes de l'émission. 

Axelle Lenoir. French Kiss 1986. Glénat Québec, 2012. 144 p. EAN 9782923621333 

samedi 19 novembre 2022

Lectures du mois de novembre (Chimichanga - 1 / Mon mari dort dans le congélateur - 1) suivi d'une pause vampire (Vampire Diaries S1E03)


On tient de beaux discours, on fait des actions, des marches plus ou moins silencieuses, des projets autour du harcèlement et des violences. L'institution nous abreuve de ressources, tant pour les enfants que pour les adultes. Des collègues se motivent pour nous rappeler nos droits régulièrement. Mais lorsque ça nous tombe dessus, il est bien difficile de s'organiser. On arrive encore à ne pas être d'accord à propos de faits cruellement simples. Courriers et signalements se perdent dans la nature. On entend, on comprend, mais il ne se passe rien. Faut-il en arriver à se faire justice soi-même ?


Voici la critique rapide de deux BD, un comic et un manga, découvertes au cours des dernières semaines. 

Chimichanga - 1 - Eric Powell
Delcourt, 2013

Après avoir échangé quelques-uns de ses poils de barbe magiques contre un œuf bizarre, la petite Lula regagne le cirque en perdition du père La Ridule, où elle travaille.


Mais l'œuf éclot en chemin, donnant vie à un monstre aussi moche que gentil. Lula l'adopte aussitôt, le baptise Chimichanga et entreprend de le dresser pour en faire une nouvelle attraction .

Très protecteur, il tient à distance tous ceux qui en veulent à la barbe de la petite fille. Il faut dire que les vertus "anti-flatulences" de sa pilosité intéresse beaucoup de monde, et en particulier un laboratoire pharmaceutique véreux.



De son côté, la future femme à barbe déploie toute sa force de caractère pour faire accepter Chimichanga dans le cirque, car beaucoup craignent que son apparence extraordinaire ne leur fasse de l'ombre !

Des personnages attendrissants aux faces rondes, un décor décalé et un peu glauque, des couleurs vives.. Cette bd vient saupoudrer d'insouciance la dure réalité, et ça ne fait pas de mal !



#Touspublics
#CDICollège : pas mal de gros mots mais ça passe. Intéressant pour aborder la figure du monstre.
#CDILycée OK mais l'abondance de blagues #wtf ou scato fait que beaucoup n'assumeront jamais qu'ils ont aimé !

#comics #monstre #bookstagram #bd #médiathèquemargueriteduras #ericpowell #mieuxquunpokemon #femmeàbarbe #cirque #sorcière #oeuf #chimichanga


Mon mari dort dans le congélateur - 1
Misaki Yazuki (scénario) / Hyaku Takara (dessin)
Éditions Akata, 2022


Après cinq ans de violences physiques et psychologiques subies quotidiennement, Nana a enfin réussi à se débarrasser de Ryô, son mari, en l'assassinant. Faute de mieux, elle a caché son cadavre dans son congélateur.

La voilà prête à redécouvrir les joies d'une vie libre et sans pression !



Pourtant, le lendemain matin, Ryô débarque dans la cuisine comme à son habitude et réclame son petit déjeuner. Comment est-ce possible ? Nana a bien du mal à dissimuler son trouble et se pose un tas de questions : qui a-t-elle tué ? est-elle en train d'halluciner ? a-t-elle raté son coup ? Apparemment non, puisqu'après vérification, elle constate que le corps est toujours à sa place, bien au frais...

Pas le temps de se poser de cogiter, Nana ne veut plus revivre son calvaire : alors elle tuera son mari deux fois, si une ne suffit pas ! Mais un paramètre rend la tâche plus compliquée : le "nouveau" Ryô est un mari exemplaire, attentionné et plus du tout violent.

J'ai hâte de connaître la suite (et la fin) de cette BD publiée en deux tomes et présentée comme un "polar psychologique" _je n'ai pas encore vu en quoi c'est un polar mais c'est pas grave car l'histoire est captivante. Sans que ce soit voyeuriste, on pousse la porte d'une maison parmi tant d'autres et on assiste à la naissance d'une de ces relations délétères dont beaucoup ne s'extirpent jamais.



A ce stade de l'histoire, impossible de savoir si on a basculé dans le fantastique, si Nana est folle et si l'arrivée de Kamata _ un gentil gars avec qui elle n'avait pas voulu sortir_ n'est qu'une hallucination de plus...

En bref, je suis agréablement surprise par ce manga dont le titre me semblait trop racoleur pour être sérieux !
A savoir : il s'agit d'une adaptation d'une nouvelle du même nom.

Pas avant 16 ans (car je suis un peu #chochotte) : scènes de violence, de sexe, et un soupçon de cannibalisme ! 💯🎉

#bookstagram #violencesconjugales #manga #couteauélectrique #congélateur #perversnarcissique #akata #monmaridortdanslecongelateur

Après cet indécent copier-coller des publications de mon compte Instagram, voici une authentique Pause Vampire.

... ce qui ne nous empêche pas de continuer à regarder ! 

Ah, Vampire Diaries ! Quel bonheur de retomber dessus au matin d'un radieux 11 novembre, après avoir zappé jusqu'à NRJ 12 ! Cela m'a rappelé l'époque où je m'étais lancée dans un projet d'articles "Pause vampire" qui n'était jamais allée plus loin que l'épisode 2 de la série. Je vous propose donc de m'y remettre et de reprendre là où on s'était arrêtés : le début de l'épisode 3. 
 
L'année scolaire est lancée, à Mystic Falls, et la saison de foot est sur le point de reprendre. Les Timberwolves _ l'équipe de foot du lycée, entraînée par ce prof d'histoire qui adore afficher les élèves pour rien_ et sa horde de pom-pom girls reprennent du service ; on comprend qu'il y a encore du boulot de part et d'autre. 

Allez voir cette captation d'anthologie à 5'38 !

Tyler et Matt sont assez agacés de voir Elena se balader au bras du mystérieux Stefan. Mais elle s'en fout, trop contente d'avoir retrouvé un semblant de gaieté depuis l'accident tragique de ses parents. Quant au vampire, il se lamente d'être détesté par l'ex de sa copine ET par Bonnie, la meilleure amie de cette dernière. Face au problème, Elena fait preuve de tout le génie dont elle est capable, puisqu'elle propose à Stefan d'une part, d'organiser une bouffe à trois avec Bonnie (gênance assurée) et d'autre part, d'intégrer l'équipe de foot pour se faire des copains. Elle n'imagine pas une seconde que Matt, qu'elle se targue de connaître depuis l'enfance, pourrait bien réagir ainsi : 

C'était pourtant assez prévisible.

Heureusement, Stefan a des centaines d'années d'expérience des humains et parvient à tirer son épingle du jeu en se faisant bien voir de Tanner, le prof d'histoire-foot qu'il a humilié pendant un battle de dates, juste avant l'entraînement. 

Bonnie est de plus en plus convaincue d'avoir des dons de voyance, mais comme elle prédit à chaque fois des trucs pétés, du genre "les cuillères sont dont le tiroir de gauche", personne ne la prend au sérieux. Seul Stefan semble disposé à l'écouter et à la questionner lorsqu'Elena pose sur la table son ascendance mystique, avant de lui dire que les sorcières de Salem étaient des femmes fortes, des vraies. Il ne lui en faudra pas plus pour se mettre la meilleure pote dans la poche. 

Ambiance folle

Pendant ce temps, Damon séduit Caroline afin qu'elle devienne son distributeur de sang personnel. La jeune fille blonde que tout le monde prend pour une cruche intrigue bientôt par son comportement ; mais comme personne ne se soucie d'elle au-delà de quatre secondes, ça passe. 

L'air de rien, la vampire maléfique se rapproche d'Elena car il a toujours l'idée de casser le coup de son frère. On a appris dans l'épisode précédent que la petite orpheline ressemble comme deux gouttes d'eau à Catherine, leur ex commune décédée tragiquement "dans un incendie" (on verra plus tard que c'est vraiment très vite résumé). Ses sombres desseins l'amènent à s'incruster sans prévenir au dîner à trois chez Elena, comme si l'événement n'était pas suffisamment malaisant en lui-même... 


Les Nuls (Nous Quatre, le roman photo)

Ce troisième épisode marque l'entrée en scène d'un acteur-clef de la série : la verveine ! Si on connaît surtout cette plante pour ses propriétés médicinales (et circulatoires), on en sait beaucoup moins sur ses vertus de répulsif anti-vampires. Damon en fait les frais lorsqu'il essaie d'embrouiller les esprits d'Elena pour la goûter, sans savoir qu'elle est protégée par le bijou - planque à verveine que lui a offert Stefan (après trois jours de relation). 


Euh... SI !!

Dommage que Jeremy, le petit frère d'Elena, n'en n'ai pas de similaire pour cacher son shit ! Tout le monde l'a grillé, même Jenna, sa tante un peu débordée qui pense pouvoir le gérer en lui disant qu'elle aussi, elle a fumé dans sa jeunesse. 

Quand on a vu la première saison en entier, on sait que ce chapitre est l'un des derniers à refléter l'ambiance typique des films et séries pour les jeunes, entre cours ennuyeux, matchs de foot et soirées alcoolisées interminables. Alors on profite du semblant de légèreté que le décor dégage, parce que ça ne va pas durer ! 



Sur ce, faisons-nous une tisane en attendant la suite !
Pour les amateurs, Vampire Diaries est disponible sur la plateforme Prime Vidéo. 
Tirez-en les conclusions que vous voulez !
  





lundi 31 octobre 2022

[MANGA] The heroic legend of Arslân - 1 - Hiromu Arakawa ; Yoshiki Tanaka (2015)

J'ai fait la découverte de l'"heroic fantasy" au début des années 2010, à un moment où ce n'était déjà plus la mode en tombant  un peu par hasard sur le premier tome de la série fleuve L'Assassin Royal de Robin Hobb. C'était un jour de totale déprime ; je m'étais retrouvée à traîner à la librairie Marbot, la larme à l'oeil, avec pour seul but de trouver une histoire qui me ferait oublier la mauvaise passe que j'étais en train de traverser, que je ne voulais plus jamais vivre, et que je n'ai effectivement jamais re-vécue depuis, hamdoullah !

Ainsi, pendant quelques années, Fitz, Althéa, Thymara, le Fou, les dragons, les serpents de mer... m'ont happée dans leur univers fantastico-médiéval et m'ont tenu compagnie. Ils ont apporté un peu de rêverie dans mon quotidien à une période où il n'était pas super épanouissant _ pas malheureux non plus, n'exagérons rien, mais disons que je n'en n'ai pas spécialement la nostalgie. 



J'ai lu presque toute la série. Presque. Après avoir refermé l'avant-dernier tome _dédicacé par Robin Hobb à l'issue de plus de deux heures de queue au Salon du Livre de Paris, je me suis arrêtée en me disant que j'allais attendre "un meilleur moment" avant de m'attaquer au Destin de l'Assassin, point final de cette œuvre colossale. Histoire de bien l'apprécier. Mais je crois que ce n'était pas la vraie raison, car j'ai eu bien des occasions de lire la fin depuis (dont un confinement), et je ne l'ai pourtant jamais fait. 

En finir avec L'Assassin Royal reviendrait sans doute à couper le cordon avec ce passé merdique qui ne me correspond plus mais qui est quand même le mien. Les fans de Harry Potter qui ont grandi au rythme des publications des livres semblent avoir ressenti quelque chose de similaire à la sortie des Reliques de la mort. 

Curieusement, c'est par le biais du manga que je viens de renouer avec la fantasy, en étrennant le volume d'ouverture du manga The Heroic legend of Arslân, un shônen signé de la mangaka Hiromu Arakawa et de l'écrivain Yoshiki Tanaka. Notez que ce dernier est l'auteur des Chroniques d'Arslân, la série de romans dont cette BD japonaise est l'adaptation. 


L'histoire

An 320 du calendrier parse. 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que le prince Arslân n'a pas de prédispositions particulières pour le combat. Malgré un entraînement intensif, il ne progresse pas de façon significative. C'est bien embêtant car il doit pourtant se préparer à combattre aux côtés de son père le roi Andragoras. Leur but : défendre les frontières du grand royaume de Parse _une version fictive de l'Empire perse, menacé d'invasion par leurs voisins, les Lusitaniens. 

Si sa maladresse à l'épée cause le mépris de ses parents et provoque quelques sueurs froides chez son maître d'armes, le vieux Valphreze, Arslân a bien d'autres qualités : il ne se cache pas derrière son statut princier et n'a pas peur de se lancer en première ligne. Il ne manque pas de volonté, bien au contraire. C'est un jeune homme curieux de tout et soucieux de son pays, respectueux des gens qui l'entourent, quel que soit leur rang. Enfin, il déborde d'empathie _ce qui lui vaut d'avoir une réputation de soldat "trop sensible". 

La bataille contre les modestes Lusitaniens ne semble pas représenter un grand danger pour des Parses dont la puissance est connue jusque dans les contrées les plus lointaines. A première vue, du moins. 

A y regarder de plus près, la situation n'est pas si simple. Parmi les proches d'Andragoras, seul le brave Daryûn, neveu de Valphreze, sent que les desseins belliqueux des pays limitrophes incitent à la méfiance ; il appelle son roi à considérer l'ennemi avec plus d'humilité en refusant un combat qui a tout d'un guet-apens. Mais la réaction du souverain n'est pas celle espérée ; piqué dans son orgueil, il lui retire son grade de "marzbâhn" _ qui fait de lui une sorte d'officier de l'armée, coupant court à son bel avenir militaire. Puis il donne l'ordre de foncer dans le tas... 

La suite, vous la découvrirez vous-même, si vous le souhaitez ! 

Pourquoi lire les aventures d'Arslân ? 

La fantasy, on aime ou on n'aime pas. Quelques archétypes sont incontournables, ce qui peut donner un air de "déjà lu" au différentes saga en général, et à celle d'Arslân en particulier : un prince en pleine formation, pétri de bonnes intentions mais pas toujours bien inspiré ; un roi charismatique et craint de tous ; un animal protecteur ; un chevalier victime d'injustice qui a hâte d'en découdre : une reine insondable ; un magicien et / ou un troubadour un peu déjanté ; un monde quadrillé de régions dangereuses et de peuples hostiles ...  


Pourtant, le manga d'Arakawa et de Tanaka se distingue positivement, et à plusieurs niveaux, des publications du même genre : 

  • Visuellement, ce manga ancré dans un univers médiéval fantastique est superbe à regarder ; Hiromu Arakawa ne lésine pas sur les détails, que ce soit dans les décors ou dans les scènes d'action. On a l'impression de regarder un film, parfois. D'ailleurs, sachez qu'il existe une version animée et qu'elle est disponible sur Netflix. 
  •  Les personnages principaux et secondaires sont plutôt attachants, même si l'un d'eux claque trop vite à mon goût, mais bon ça reste mon avis : Arslân n'est pas un Perceval aux grands yeux, il est lucide sur ses capacités et ne refuse pas la protection de ses aînés. Il est dans une optique de progression. Même s'il apparaît à la fin du premier tome, on devine que l'"artiste" Narsus va tenir un rôle d'importance : c'est LE personnage qui mesure pleinement le pouvoir des mots, dans une société où on règle tous les désaccords à grands groupes de trique. Ce qui lui a déjà valu quelques problèmes. 
  • Au-delà des nombreuses scènes de combat, on aborde des sujets intéressants et actuels : l'injustice, l'esclavage, le pouvoir de la rumeur, les relations entre parents et enfants... On comprend vite que les environs du royaume de Parse n'ont pas livré tous leurs secrets, et qu'il est trop simpliste de considérer les Lusitaniens comme "les méchants" de l'histoire. Les traîtres ne sont peut-être pas ceux qu'on croit. 
  • Cerise sur le gâteau : Arslân étant souvent accompagné d'Azraël, son ami rapace, on lui attribuera sans hésiter le point volaille !   
  • Public visé : 12 ans et plus ; pas avant car la BD comporte quand même quelques scènes sanglantes, ça peut perturber les plus sensibles. 

Si vous aimez les shônen, la fantasy, les ambiance médiévales et les scènes de baston, The heroic legend of Arslân vous plaira sûrement.  

Hiromu ARAKAWA ; Yoshiki TANAKA. The Heroic legend of Arslân - 1. Kurokawa, 2015. 232 p. ISBN 978-2-380-71039-7 

vendredi 28 octobre 2022

[PRIX LITTÉRATURE JEUNESSE ET ANTIQUITÉ] Pénélope, la femme aux mille ruses - Isabelle Pandazopoulos (2021)

 C'est reparti pour le PLJA !

Cette année, ce sont les latinistes de 5° et de 3° qui vont se prêter au jeu en lisant les quatre livres de leurs sélections respectives.

Le roman Pénélope, la femme aux mille ruses ouvre le bal pour la catégorie 5° ; j'ai toujours l'espoir d'écrire un billet pour chacun des huit titres qui vont nous concerner à tous, les nabots, la prof de latin et moi. C'est beau de rêver.


L'histoire 

Non, Pénélope n'est pas juste la femme d'Ulysse ou la cousine moche d'Hélène de Troie !! Dans ce roman destiné aux jeunes lecteurs et écrit par l'autrice Isabelle Pandazopoulos, c'est elle qui mène la danse. On retrace toute sa jeunesse, de son enfance en Acarnanie (une région de la Grèce), jusqu'au retour d'Ulysse à Ithaque, à l'issue de la guerre de Troie et de ses multiples retards à durée indéterminée. 


Si "l'homme au mille ruses" emploie son intelligence à jouer des tours à l'ennemi sur le champ de bataille, et à s'extirper de situations plus dangereuses les unes que les autres, Pénélope filoute au quotidien pour le seul maintien d'un statut, d'un moral, d'un royaume... d'une simple qualité de vie pour laquelle son mari ou des frères n'auraient pas à batailler. Très jeune, elle décide que pour conserver un semblant de liberté dans un univers où les femmes n'en ont pas vraiment, tous les coups seront permis. La ruse passe d'abord par s'imposer auprès de ses frères, se rendre indispensable à son père, garder le contrôle sur le choix de son mari, sur la force de ses sentiments...  

Si toi aussi tu as lu les aventures d'Ulysse en sixième, si toi aussi tu as demandé ce que Pénélope pouvait bien faire pendant que le héros éborgnait le cyclope, et qu'on t'a regardé bizarre avant de te répondre que c'était pas le propos... alors ce livre est peut-être pour toi !



Bon, il faut aussi reconnaître que la représentation courante qu'on a de Pénélope (à supposer qu'on en ait une...) est celle d'un "modèle" de vertu, de droiture, de fidélité. C'est la mère et l'épouse idéale, irréprochable en tous points. J'avoue que j'espérais que ce roman serait une occasion de présenter une facette plus nuancée de cette femme forte de la mythologie, mais ce n'est pas le cas, et c'est sans doute très bien ainsi. Encore que l'autrice n'hésite pas à dépeindre quelque chose qui est traité plus discrètement dans ma vieille édition de poche de L'Odyssée achetée il y a bien longtemps pour les besoins de mon année de DEUG 1 - Lettres modernes : la phase de dépression de Pénélope au départ d'Ulysse pour la guerre de Troie. Ce choix est louable, à mon sens, d'autant plus que l'héroïne ne nie pas sa fragilité et peut ainsi se reprendre en main. 

Mais l'apparence lisse de la reine d'Itaque par intérim m'a posé question. Après quelques recherches (rapides), je suis tombée sur la version numérique d'une thèse remaniée en publication monographique intitulée Pénélope, Légende et mythe et par Mme Marie-Madeleine Mactoux (1975). Loin de moi l'idée d'en parler en profondeur _je ne me le permettrais même pas si j'avais tout lu, mais si cela vous intéresse, allez la parcourir. Sa rédactrice y compulse diverses évocations de la figure de Pénélope, dans l'œuvre d'Homère et dans l'œuvre de Pausanias notamment, et note différentes possibilités d'interprétation des textes. Forcément, deux de ses grandes forces, à savoir son amour pour Ulysse et sa fidélité à toute épreuve, sont mises à mal. 


 
Thug mais pas trop

Pas simple d'aborder sous un angle novateur et féministe les géants indéboulonnables de la mythologie. En cela, Isabelle Pandazopoulos a réussi cet exercice de contorsion qui consiste à broder un peu de fiction dans une œuvre classique qu'on se doit de respecter... Je ne suis pas une spécialiste de l'épopée homérienne, mais, mis à part les chapitres sur son enfance qu'on devine un peu romancés, les évènements racontés dans ce livre correspondent à ce qui est dit de Pénélope dans l'Odyssée. Pour les enfants, ça peut donc être une lecture sympa à faire en miroir des aventures d'Ulysse. 

Mais ça bride aussi pas mal les possibilités d'émancipation pour la jeune héroïne. Car Pénélope, aussi badass et maligne soit-elle, est et sera toujours la femme d'Ulysse, éternellement reléguée au second plan. En l'absence d'Ulysse, elle doit assurer la bonne marche du foyer et du royaume, et le fait avec tout le sens du devoir qui transparaît au fil des chapitres de ce roman pour les jeunes. Tout le monde semble attendre d'elle qu'elle soit "à la hauteur", ni plus, ni moins, et beaucoup pensent qu'elle n'y parviendra pas. Aussi, Pénélope est une doublure de luxe qui s'acquitte bien de sa tâche mais qui termine son mandat sur les rotules et qui apprécie bien d'être sauvée par son roi, à la fin. C'est là qu'on aimerait qu'il y ait une suite inventée de toute pièce, pour voir un peu ! Après tout, un mythe n'a jamais fini de se construire et de se faire décortiquer.  


Ahaha, jusqu'au bout j'ai pensé que j'allais résister à la mettre.
Mais finalement non ! Désolée !!

Pénélope la femme aux mille ruses fait partie de la collection "Héroïnes de la mythologie" (Gallimard jeunesse) ; les différents titres qui la composent sont de la plume de Mme Pandazopoulos, et les très belles illustrations, chatoyantes en couverture et oniriques à l'intérieur sont signées Gazhole.  

Ce roman a remporté le Prix Chateaubriand des collégiens 2022

A partir de 10 ans, très adapté au collège pour les 6°-5°, au CDI ou dans le cadre d'une lecture d'œuvre intégrale en cours de français ou de latin. 

Merci à l'association Arrête ton char pour la mise en place du Prix Littérature Jeunesse et Antiquité !