mardi 21 janvier 2020

Edward aux mains d'argent - Tim Burton (1990)


1999 - C'est la veille des vacances de Noël. Mme Léonard lance la cassette vidéo de L'étrange Noël de M. Jack avant de découper un quatre-quarts. Estelle et Audrey ont déjà fait main basse sur les bouteilles de coca. Dix minutes plus tard, la prof les engueule parce qu'elles ont rempli trente-cinq gobelets alors qu'on est vingt-quatre : c'est complètement con ! Johanna commente "Fallait le faire vous-même !" et se fait virer du cours. Vingt minutes plus tard, ma pote Vanessa dégobille son goûter sur la table. Tim Burton : 1, moi : 0

2005 - Cinéma La Fabrique, à Saint-Astier. Mélanie a choppé des places pour Charlie et la chocolaterie qui vient de sortir en salle, parce que ça fait longtemps qu'on ne s'est pas fait un aprem entre copines. J'ai pas envie de la voir, j'ai pas envie de voir le film, j'ai pas envie de lui faire de peine non plus. Ses gloussements ponctuent le film et me rappellent que notre amitié ne rime plus à rien. Autour de nous, les gosses des centres aérés des environs battent des mains et chahutent. Du haut de nos 20 ans, on a l'air de deux grandes dindes au milieu de tous ces nabots.
Tim Burton : 2, moi : 0

2009 - Je regarde Bettlejuice en bonne compagnie. Je me fous du film, je veux juste serrer.
J'ai rien serré, j'ai pas retenu une seule séquence du film. Mon esprit était ailleurs...
Tim Burton : 3, moi : 0.

Parce qu'il ne faut jamais rester sur un échec, j'ai regardé Edward aux mains d'argent...    
Brisons la malédiction !



L'histoire 

Tout commence un soir d'hiver. Une gamine ne trouve pas le sommeil. Elle regarde par la fenêtre de sa chambre et demande à sa grand-mère d'où vient la neige qui tombe au dehors. La vieille se lance alors dans un conte qui va nous emmener très loin...

Flashback dans une zone pavillonnaire américaine des années 1960-70 ? Peggy Boggs est représentante pour une marque de cosmétiques ; après une journée de porte à porte des plus infructueuses, elle décide de rouler jusqu'au manoir sinistre perché au sommet d'une colline, un peu à l'écart de la ville : qui sait, peut-être quelqu'un est-il d'humeur à acheter des produits de beauté, là haut ?

L'aspect poussiéreux et délabré du château ne la décontenance pas plus que ça ; à l'intérieur, elle y découvre Edward, un jeune homme échevelé et affublé de cisailles en guise de mains. Comme il est très craintif, Peggy doit l'apprivoiser et faire vibrer sa corde maternelle pour lui tirer quelques mots. On comprend peu à peu qu'Edward n'est pas un être humain, mais une sorte de robot monté de toutes pièces par un inventeur. Malheureusement, s'il a eu le bon sens de doter sa création d'un coeur, d'un cerveau, de la parole... le concepteur n'a pas eu le temps de lui fixer de mains, et encore moins de le préparer à la vie en société.

"_Bon, je vais vous laisser tranquille...
_ Non, attendez ! Je suis pas fini..."

Prise de compassion, Peggy l'"adopte" instantanément et l'installe chez lui. Elle le présente à Bill, son mari, à Kevin, son fils, et elle lui montre une photo de sa fille aînée, Kim. C'est dans la chambre de cette dernière que l'invité sera installé, étant donné qu'elle est partie faire la folle avec ses potes. La famille semble accepter sans problème la venue d'Edward et s'efforce de se conduire de manière naturelle avec lui _avec plus ou moins de réussite. Chez les Boggs, on prend la vie comme elle vient...



Le voisinage est en effervescence : un jeune homme inconnu qui débarque dans le quartier, ça fait toujours son effet, alors si en plus, il a de la ferraille à la place des mains ! Les Desperate Housewives locales s'épuiseront en commérages jusqu'à faire sa connaissance ; elles qui s'attendaient à voir un triste sire brutal et dangereux découvrent un type tout à fait charmant, peu bavard certes, mais très habile de ses ciseaux lorsqu'ils s'agit de tailler les haies, tondre les chiens et coiffer les dames.


Les cordonniers sont les plus mal chaussés

Comme Edward a envie de s'intégrer dans son nouvel environnement et qu'en plus, il aime rendre les gens heureux, il accepte toutes les tâches qu'on lui confie. On arrive à la fin de la première partie du film, celle où tout se passe à peu près bien et où les griffures et coupures accidentelles d'Edward prêtent plus à sourire qu'autre chose. Si l'on fait abstraction du harcèlement sexuel dont il fait l'objet !




L'histoire bascule la nuit où Kim rentre de sa session camping avec son mec, Jim, et leurs amis. Sa surprise est grande lorsqu'elle trouve Edward allongé dans sa chambre, sur le matelas d'eau qu'il a malencontreusement crevé d'un coup de lame, quelques jours plus tôt. Elle est la première d'une longue liste à jeter un regard négatif, effrayé, horrifié sur cet invité dont elle ignorait l'existence, et réveille toute la famille de ses hauts cris. Edward est très déstabilisé par sa réaction, lui qui est tombé sous le charme de Kim dès qu'il l'a vue en photo. Les femmes lui tournent autour, mais elle, il devra la conquérir dans les règles de l'art.



C'est pour monter dans son estime qu'il accepte de commettre un méfait pour le compte de Jim, le blond pas très fin avec qui elle sort. Il faut savoir que ce petit bourge fier à bras s'est vexé de n'avoir pas réussi à sous-tirer à son père la thune qu'il lui fallait pour s'acheter une belle voiture, ce qui l'oblige à tourner dans le quartier avec une espèce de van tout pété. Pour arriver à ses fins, il entend profiter de l'absence de ses parents pour faire main basse sur leur magot. Son stratagème : simuler un cambriolage. Pourquoi fait-il appel à Edward ? Parce qu'il s'est rendu compte qu'il était capable de déverrouiller toutes les serrures grâce à ses pinces magiques, bien sûr !

Mais contre toute attente, une alarme se déclenche et tous les jeunes se barrent, complètement paniqués. Ils laissent le robot pris au piège dans la maison de Jim, où les policiers n'auront plus qu'à le cueillir. La scène de l'arrestation prend une dimension à la fois triste et comique lorsque le flic demande à Edward de "lever les mains en l'air" et de "jeter ses armes".

"Police ! On sait que vous êtes là !
Les mains en l'air, jetez vos armes !"
"J'ai dit : jetez vos armes !"

Comme il refusera de poucave ses parodies de copains, il sera considéré comme étant l'unique responsable de la tentative de cambriolage. Il n'en faudra pas plus pour reléguer le garçon aux mains d'acier du rang de chouchou de ces dames à celui de paria. Bienvenue chez les humains...

Edward ramène la coupe à la maison...
... ou paye la vie sociale quand t'as des lames à la place des mains. 

La blague sur "la coupe à la maison" n'est pas de moi : je l'ai entendue en écoutant un récent numéro du podcast cinéma 2 heures de perdues qui était, lui aussi, consacré à notre film du jour. Si vous ne connaissez pas déjà la folle équipe qui anime cette émission, je vous engage à aller voir ce qu'il s'y passe, car c'est à la fois drôle et riche en infos. Voici leur site Internet ; vous pouvez vous abonner à leurs contenus via les plateformes de podcast, les réseaux sociaux, Deezer, etc...

J'aime bien les écouter pendant mon jogging du dimanche matin.
Du coup je me marre en courant et les gens me prennent pour une folle, sûrement.

Edward se démarque de tout le monde ; lui l'homme de métal, lui le cousin d'une série de robots capables de faire des gâteaux à la chaîne, lui qui ne conçoit pas l'imprévu... devient, par une curieuse ironie du sort, le grain de sable capable de dérégler le système mécanique bien huilé de la classe moyenne américaine. Qui, parmi toutes ces familles douillettement installées à l'abri de leurs maisons en carton-pâte, propriétaires de voitures à la carrosserie pastel ressemblant à s'y méprendre à celles des voisins, serait prêt à quitter sa zone de confort pour accueillir un invité qui a des lames à la place des mains ? Personne, à l'exception de Peggy Boggs, qui n'est pas représentative de ses semblables. Comme quoi, le robot n'est pas toujours celui qu'on croit !

Si on a d'abord l'impression que le fils ce l'inventeur a réussi à se faire une place dans la communauté, on comprend vite qu'on se trompe ! Tout le monde semble bien aimer Edward parce qu'il est doué pour la coupe des haies, des cheveux, et parce qu'il fascine d'autant plus qu'il est utile. Or, on le sait, quelqu'un d'indispensable à la société ne se fera jamais jeter, quand bien même il aurait six yeux et des tentacules de calamar à la place de la bouche. Quand on a besoin de quelqu'un on le tolère. Mais malheur à lui si d'aventure son utilité se voit remise en cause, ou s'il se fait surpasser par plus performant que lui.

En fait, la vraie différence entre Edward et le commun des mortels ne se résume pas à ses "mains d'argent" ; elle réside surtout en son ignorance totale des travers de l'humanité : la cruauté, l'injustice, le rejet de l'autre, la malveillance, le mépris, la méfiance poussée à l'extrême, la perméabilité aux croyances les plus farfelues... On pense bien sûr à la folle qui considère Edward comme maudit et diabolique. C'est sans doute ces imperfection humaines que Tim Burton a voulu pointer du doigt dans cette histoire qu'il a inventée de A à Z.

La voisine qui passe sa vie à faire des incantations pour repousser le malin
On peut même parler de portrait à charge de la part du réalisateur à l'encontre des gens en général, et des femmes en particulier !

Prenons les personnages masculins. Edward est un robot inoffensif dont le caractère évolue au contact des hommes. A travers ses souvenir, on découvre un brave bonhomme derrière son inventeur de père. Bill et les hommes du voisinage se montrent relativement bienveillants malgré leurs maladresses. Le petit Kevin s'inscrit dans cette veine en s'obstinant à jouer à "pierre feuille ciseaux" avec Edward jusqu'à ce qu'il "en ait marre de gagner" _forcément... et en le percevant comme une curiosité à exhiber à ses copains : il n'est pas cruel, il a juste l'attitude d'un enfant qui manque encore d'empathie. Quant au flic qui enquête sur le cambriolage, c'est sans doute le personnage qui comprendra le mieux la détresse d'Edward, et qui, à la fin du film, saura faire preuve d'humanité. Au final, Jim est le seul type dépeint de manière négative ; et encore, l'accent est mis sur sa bêtise plus que sur sa méchanceté.

En revanche, je crois bien qu'on ne croise pas une seule femme dans ce film qui ne traîne son lot de névroses ; sans doute à cause de leurs "glandes", pour citer Bill lors du retour fracassant de Kim dans la maison familiale. Peggy est ce qu'on appellerait de nos jours une "bonne personne" _c'est un peu la mode de dire ça, non ? mais elle n'est guère représentative de la gent féminine ; d'ailleurs, elle en est plus ou moins exclue avant que l'arrivée d'Edward ne la rende intéressante. Kim n'est pas des plus accueillantes, même si elle montrera de grandes qualités au cours du film. La "meute"formée par les voisines se compose de bonnes femmes lubriques sans aucune personnalité, bien qu'elles soient créatives dans leur malveillance, réglées pour rentrer chez elles au pas de course dès qu'elles entendent le moteur de la caisse du mari. Elles sont autant de poupées qui font semblant de vivre, voguant d'une maison en carton pâte à une autre _ceux qui connaissent le clip de Barbie Girl (Aqua) comprendront. On ne parlera pas de l'illuminée qui voit en Edward un suppôt de Satan. Tim Burton est plutôt dur dans son portrait des femmes, il exagère, mais c'est pour la bonne cause : à travers les défauts des femmes du voisinage, je pense qu'il a voulu mettre le doigt sur les plaies qu'il faudrait soigner avant de songer à faire avancer le monde. 

Dès lors, Edward peut-il survivre dans ce monde cruel, et si oui, comment ? Beaucoup lui promettent monts et merveilles, tout le monde "connaît un médecin" qui pourrait régler le problème de ses mains ciseaux, mais au final, personne ne le met en relation avec qui que ce soit, personne ne propose vraiment d'aide. Dans le regard des hommes, il n'y a que de la curiosité, de la moquerie, de la peur. Alors, il n'a d'autre solution que de se blinder, de troquer sa naïveté contre la méfiance et la malveillance. Effrayer, c'est éloigner le danger de soi, se protéger, presque.



On en revient au jeu sur les apparences qui ouvre la première rencontre entre Peggy et Edward ; alors que les ombres et la musique laissent penser que l'homme de métal s'apprête à sauter sur la VRP pour l'agresser avec ses ciseaux, la voix juvénile, inoffensive de cet orphelin nous rassure bien vite. Ces apparences et le regard que les gens portent sur elles prendront le dessus ; elle gagneront la partie, malheureusement, invitant Edward le clown triste à regagner son repaire haut perché. Certes, l'issue du film n'est pas très joyeuse, mais il n'empêche qu'il faut montrer cette oeuvre à un maximum de monde. Y compris aux enfants. 



Edward aux mains d'argent 
Tim Burton
1990 



dimanche 19 janvier 2020

Trappeurs de rien - 4 - La chasse aux papillons - Thomas Priou, Pog, Corgié (2018)


Merci à Babelio et aux Éditions de la Gouttière pour l'envoi de l'album BD Trappeurs de rien - 4 - La chasse aux papillons dans le cadre de l'opération Masse Critique. 


L'histoire
Cette charmante BD au format à l'italienne est le quatrième volet des aventures de Croquette, Georgie et Mike, trois trappeurs en herbe, visiblement plus à leur aise pour rapporter des champignons et cacher du chocolat dans le chalet qu'ils partagent que pour chasser. Pourtant, ils vont bien devoir s'y mettre, à la chasse, car la belle Huguette Boucledor vient solliciter leurs services. Arrivée à l'improviste pendant qu'ils étaient sortis, la jeune lépidoptériste a quelque peu pris ses aises et s'est autorisée une petite sieste dans le repaire des trappeurs. A son réveil, elle leur annonce qu'elle est à la recherche d'un papillon rare et qu'elle compte sur eux pour le trouver. Evidemment, ils acceptent : tous trois sont tombés sous le charme de leur invitée surprise. 

Commencer par le chapitre 4... 

Si la couverture et la simple évocation du nom d'"Huguette Boucledor" ne vous ont pas encore mis la puce à l'oreille, sachez que cet épisode de la série revisite le conte de Boucles d'Or et les Trois Ours ; or, si le point de départ ressemble à l'histoire pour enfants que les jeunes lecteurs connaissent déjà lorsqu'ils tombent sur Trappeurs de rien, Pog, Priou et Corgié s'en démarquent rapidement. Huguette s'est introduite chez ses hôtes, a mangé leur chocolat et s'est endormie dans leur lit aussi efficacement que Boucles d'Or s'est rassasiée de la soupe des trois ours, après être entrée dans la demeure familiale. Mais au réveil, les histoires prennent une autre direction :là où Boucles d'Or rentre chez elle, de façon plus ou moins précipitée en fonction des versions du conte, Huguette s'impose, s'installe, se montre caractérielle : son arrivée chez Croquette et ses amis n'est pas le fruit du hasard. Elle leur apporte une quête à poursuivre, et c'est justement ce dont ils avaient besoin pour acquérir de l'expérience. 

Le trio se dévoue pour trouver la perle rare, espérant au passage rafler le coeur de Huguette ; mais parce qu'il n'est jamais bon de courir deux lièvres à la fois, ils récolteront leur lot d'ennuis et de déconvenues. 

... et se sentir frustré, forcément !  

Qui dit trappeur, dit Amérique du Nord ; et qui dit Amérique du Nord dit Indiens. Ici, dans cet univers de petits animaux anthropomorphes, c'est la tribu des Crows qui impressionne les imprudents qui s'aventurent sur leur territoire. Elle jouera un rôle important dans le déroulement de l'histoire, même si à la première lecture, elle m'a semblé survolée, expédiée. Ce n'est pas le cas, bien sûr. Cette impression vient sûrement du fait que je n'ai pas lu les trois premiers albums de Trappeurs de rien, tout en sachant que la BD se construit au fil des chapitres. Tout en sachant aussi qu'il a déjà été question des Crows dans un précédent album. De manière générale, les péripéties s'annoncent, se déroulent et se résolvent très (trop ?) rapidement dans La chasse aux papillons, C'est dommage car la relecture du conte de Boucles d'Or, le choix de cet univers de western aux couleurs chaudes gagneraient à être traités en profondeur. L'idée est tellement bonne...  Mais je n'aurais peut-être pas cette impression si j'avais lu et étudié les trois premiers tomes, et non pas seulement une pièce du puzzle. Et puis c'est pour les enfants. Esthétiquement, c'est très réussi. Mon neveu qui a 3 ans et demi a été complètement séduit, bien qu'ils ne comprenne pas encore les subtilités de l'histoire.

POG ; PRIOU ; CORGIE. Trappeurs de rien - 4 - La chasse aux papillons. La Gouttière, 2018. ISBN 979-10-92111-71-2

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samedi 11 janvier 2020

[COMICS] Iron Man - 1 - Croire - Kieron Gillen / Greg Land (2013)

Message aux puristes qui passeraient par là : je vais essayer de parler comics alors que je suis en train de faire mes premiers pas dans cet univers foisonnant. Par conséquent, je vais sûrement dire des conneries grosses comme moi. Si jamais vous repérez des boulettes qui font mal aux yeux, laissez-moi simplement un commentaire, et j'essaierai de rectifier le plus efficacement possible !



Rattrape le virus avant qu'il ne t'attrape 

C'est une soirée arrosée parmi tant d'autres pour Tony Stark, talentueux concepteurs d'armures dotées d'intelligences artificielles. Il est en train de draguer une blonde à gros seins en vidant des cocktails, tandis que son amie / secrétaire /nourrice / agent / psychologue Pepper Potts veille sur lui discrètement. Elle s'est posée dans le même bar, à quelques tables du couple, prête à intervenir en cas de dérapage.

Alors qu'il vient de ramener sa nouvelle conquête dans son somptueux appart _ Iron Man est un gros bourge semble vivre dans l'aisance _ et qu'il n'est pas loin de conclure, il reçoit un message vocal des plus inquiétants : son amie généticienne Maya Hansen vient de perdre la vie dans une rue de Buenos Aires, et le virus Extremis qu'elle tenait gentiment sous clef a été libéré. C'est une catastrophe : si jamais le puissant Extremis tombe entre de mauvaises mains, la Terre entière va le sentir passer. Elle a confié à Iron Man la lourde mission de le récupérer. 

Hélas, l'engrenage s'est déjà mis en route. Tony Stark va devoir revêtir ses armures les plus efficaces et s'affairer aux quatre coins du monde pour récupérer le précieux. Ses pérégrinations vont le mener à d'anciennes connaissances qu'il aurait préféré oublier...


Je sais, on voit pas bien le contenu des bulles.
Sachez simplement qu'ils sont bourrés tous les deux et que leur conversation n'a aucun sens.

Décors et armures  

L'Avenger va successivement voler vers la Nouvelle Avalon, la Colombie, Paris et enfin dans l'espace ; j'ai un peu galéré pour retracer son parcours car, d'une part, l'action exige une grande mobilité spatiale du héros, et d'autre part, la narration est entrecoupée de flash-backs. Certes, ils sont nécessaires pour les novices, mais ils rendent la lecture difficile. Enfin, c'était ça ou des notes de bas de page à n'en plus finir, j'imagine, alors je me garderai bien de faire la fine bouche.

Deux décors m'ont paru vraiment réussis, dans le sens où ils créent une ambiance qui nous permet d'apprécier au maximum les scènes de combat :

  • La Nouvelle Avalon - Comme l'indique son nom, cette île a voulu recréer la société médiévale des légendes arthuriennes. Le maire s'appelle Arthur, on cherche toujours le Graal _d'ailleurs, on l'aurait trouvé...?, les chevaliers de la Table Ronde sont drivées par une jeune femme nommée Merlin. Au sommet des buildings quelques oriflammes flottent au vent.. Cela n'empêche pas les résidents de vivre avec leur temps : les épées ont été remplacées par des lasers, on n'a plus besoin de chevaux puisqu'on peut voler. Fort de ses projections de flammes et de rayons lasers, l'affrontement aérien "Iron Man vs les chevaliers masqués" prend une teinte Star Wars. 


  • Les Catacombes de Paris - Iron Man doit buter des espèces de succubes emprisonnées dans les souterrains par des illuminés qui se disent scientifiques. Il s'agit en réalité de jeunes femmes à qui on a injecté le virus Extremis ; elles sont donc devenues terriblement agressives et dangereuses. Iron Man débattra avec son armure pour savoir s'il doit sacrifier la dernière. Il choisira de l'épargner et de l'emmener aux Etats-Unis, histoire de la soigner (et d'éviter tout coup de dent malencontreux). Une vignette nous montre qu'elle est enceinte, ce qui peut laisser présager son retour dans un prochain volume. Le combat à la chandelle dans les catacombes a travers les galeries tapissées de signes mystérieux et de crânes humains est surprenant.   

Iron Man prend toujours soin de sortir une armure différente à chaque bataille. Trois m'ont particulièrement étonnée, mais c'est sûrement parce qu'il ne m'en faut pas beaucoup.

  • L'armure translucide - Toute fine, à peine visible, transportable dans une mallette, elle nous rappelle la cape d'invisibilité de Harry Potter. Parfaite pour voyager, elle passe le plan Vigipirate au calme. A la différence, de l'accessoire préféré de l'apprenti sorcier, elle prend une consistance _et quelle consistance ! lorsque Iron Man la revêt. 

  • L'armure hologramme - Celle-là aussi, elle est pas mal. Lorsqu'on veut être sûr de passer incognito la porte d'entrée d'une bâtisse gardée, soit on s'arrange pour être invisible, soit on prend l'apparence du vigile. Tony Stark a opté pour la seconde option, faisant usage de son lumiflexeur intégré. 
  • L'armure canon - Les petits effets, ça va bien deux minutes, mais là on a plus le temps ! Au bout d'un moment, si tu veux arriver à tes fins, tu prends ta plus grosse armure, la balèze, la "canon", et tu défonces tout ce qui t'incommode. Yolo ! En fait, l'armure canon aurait pu s'appeler l'armure Roundup. 

Tony Stark n'est rien sans les carapaces qu'il crée ; fragile, en proie à ses vices, l'homme a su s'"augmenter", construire la puissance qu'il n'avait pas naturellement, et en même temps se créer une protection. L'album s'ouvre et se termine sur la même scène : Iron Man, seul dans sa coquille, volant au-dessus de la ville, est en train de laisser le champ libre à l'introspection, à ses réflexions philosophiques, à ses névroses.

Iron Man nouvelle génération 

Je ne sais pas si c'est aussi le cas dans les anciennes versions d'Iron Man, mais le modèle 2010 du Tony Stark prend la forme d'un play-boy fragile intérieurement, assez chanceux pour avoir une pote à l'écoute et déterminée à le libérer de ses démons _l'alcool notamment, et en même temps assez con pour passer ses nerfs sur elle à coups de vannes et de mépris. Bon, on devine que l'inventeur est plus attaché à elle qu'il ne veut bien le montrer _n'appelle-t-il pas une IA "P.E.P.P.E.R" ? Du coup, j'ai du mal à m'y attacher. Maintenant que j'arrive à la fin du billet, je me dis que j'aurais dû faire un "Roux Cool" sur Pepper Potts, tiens, cette bonne samaritaine qui l'accompagne au quotidien et avec qui il entretient une relation difficile à déterminer.  



Pas évident de revisiter le mythe Iron Man à la lumière de l'an 2000 ! Kieron Gillen et Greg Land ont visiblement su le faire, même si seuls les connaisseurs peuvent en juger. Restent à lire les quatre prochains albums _ Croire est le premier d'une série de 5, et surtout les nombreux précédents ! Graphiquement, les planches sont propres, soignées, presque plastiques ; peut-être un peu trop parfaites à mon goût, justement. Greg Land peint ses personnages de façon tellement réaliste qu'on se croirait presque dans un roman photo. J'ai dû tourner quelques pages avant d'adhérer, mais on va pas cracher dans la soupe : c'est esthétiquement très réussi. 

Kieron GILLEN ; Greg LAND. Iron Man 1 - Croire. Panini Comics, 2013. Coll. Marvel Now ! 128p.  ISBN 978-2-8094-3630-3


samedi 4 janvier 2020

Le Petit Prince de Calais - Pascal Teulade (2016)


Bonne année à tous !

On commence 2020 par un roman pour la jeunesse qui ne vous laissera certainement pas insensibles, et dont vous avez dû entendre parler : Le Petit Prince de Calais, écrit par Pascal Teulade et publié en 2016.

Ce titre a fait partie de la sélection du Prix des Incorruptibles 2018 - 2019, sélection 5ème/4ème.




Jonas coule une vie paisible en Érythrée avec sa famille. Doué pour la pêche et passionné par la mer, il est à la fois le héros de sa petite soeur, le bras droit de son père, le prince de sa mère et de sa grand-mère. Oui, mais à force de penser aux poissons, Jonas a négligé les cours au point de se faire exclure de l'école. Cela signifie qu'en dépit de ses quinze ans, il est disponible pour servir dans l'armée de son pays. Les parents du jeune homme s'inquiètent : il ne savent que trop bien quel sort est réservé aux jeunes militaires, et ils veulent à tout prix l'y soustraire. La mort dans l'âme, ils se résignent à prendre l'autre option : l'immigration : Jonas ira tenter sa chance en Angleterre, et on fera comme s'il avait fugué. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu une date précise, mais on peut dire à vue de nez que l'action se situe aux alentours de 2015.





Quelques jours plus tard, Jonas est confié à un passeur, avec dans son baluchon quelques effets personnels, dont son livre favori : Le Monde extraordinaire de la mer, l'adresse d'un cousin inconnu griffonnée au dos d'une photo, un téléphone portable. Sa mission : aller à Londres, s'y faire une place au soleil, trouver du travail. Les indications qu'on lui donne lui semblent bien abstraites, et les questions qu'il pose restent sans réponse. Mais avant même qu'il ait eu le temps de se retourner, le voilà parti en toute discrétion.

Heureusement, il a eu le temps d'offrir à sa soeur un petit calendrier de l'Avent en guise de cadeau de départ : tous les jours, du 1er au 24 décembre, elle devra ouvrir une fenêtre du calendrier et manger le chocolat qui se cache derrière. Cela lui permettra de ne pas l'oublier.  

Le prince est devenu un migrant parmi tant d'autres.

Issu d'une famille chrétienne, Jonas se sent d'abord porté par la force du prophète Jonas, celui qui a passé trois jours dans une baleine avant de délivrer le message de Dieu. Le voyage du garçon jusqu'à Calais évoque la mésaventure de son homonyme biblique : ballotté de camion en camion, aussi bien caché que s'il s'était fourré dans un gros poisson. Si personne ne le jettera par-dessus bord, d'autres migrants ne manqueront pas de le dépouiller de ses frusques pendant son sommeil. La Jungle de Calais sera un peu sa baleine ; elle ne le gardera pas trois jours mais vingt-quatre, et surtout, elle ne le recrachera pas.

Comme dirait Shrek : "Vaut mieux que ce soit dehors que dedans"

En effet, Jonas se retrouve bloqué en France, à Calais plus précisément, alors qu'il est relativement près du but, en comparaison au chemin parcouru depuis l'Erythrée. Il se rend compte qu'il n'est pas facile de passer une frontière lorsqu'on n'a pas de papiers.

A travers son regard, on découvre le quotidien d'un camp de migrants, et, même nous adultes, on prend conscience de dizaines d'obstacles auxquels on ne pense pas lorsqu'on a un toit et qu'on n'est pas dans le besoin : la difficulté d'avoir les pieds protégés et au sec, l'impossibilité de se laver, d'accéder aux soins, de pouvoir protéger ses effets personnels, son intégrité physique, de franchir la barrière de la langue... L'auteur Pascal Teulade arrive à nous rendre compte efficacement de cette réalité, et il sait de quoi il cause, puisqu'il a passé plusieurs semaines dans la Jungle de Calais aux côtés de l'association Médecins du Monde. Je vous renvoie vers l'interview livrée à la Radio Télévision Suisse.  en mars 2017.


Petit à petit, les forces du petit Érythréen s'amenuisent, le lien qui le rattache à sa famille s'élime de jour en jour. Les atteintes à son corps causées par une blessure à la main, au pied... finissent de lui saper le moral.

Un seul rayon de soleil l'empêche de sombrer au milieu des dunes et du bidonville : la compagnie d'une bande d'adolescents calaisiens plus ou moins en maraude dans la Jungle, ou en tous cas soucieux d'aider les personnes en situation précaire. La plus motivée d'entre eux est Anémone, une jeune fille avec qui Jonas sympathise malgré ses difficultés à communiquer avec elle. Leurs bonnes intentions suffiront-elles à changer le cours du destin ? On aimerait y croire, mais un ravin de misère et de paperasse les sépare. J'en profite pour glisser que ce groupe de jeunes est, à mon avis, le seul élément du roman qui ne soit pas réussi : je les trouve un peu tartes et pas du tout raccord avec les adolescents des années 2010. Mais ce n'est qu'un avis personnel.

On va pas se le cacher, les dernières pages n'ont rien d'un happy end ; cependant, Pascal Teulade nous accorde la possibilité de lire Le Petit Prince de Calais comme un conte et de croire en une fin ouverte. 

Les très belles illustrations de la couverture et de l'intérieur du livre sont signées Marie Mignot.

Thèmes : immigration / famille / amitié / 

Bien que ce roman mérite son petit Prozac d'Or larmoyant d'après les fêtes, il est à mettre entre toutes les mains de la tranche 10-15 ans, je dirais, encore que, comme l'indique l'éditeur, "chaque lecteur est unique". Toute prise de conscience est un point de départ vers une amélioration dans l'accueil des migrants. On n'a pas énormément de livres, qu'il s'agisse de fictions ou de documentaires, qui parlent de ce sujet d'actualité : quand quelqu'un se bouge pour parler de questions qui dérangent et devant lesquelles on a pris l'habitude de fermer les yeux, il faut en parler et diffuser son travail. D'autant plus quand l'oeuvre est réussie. 

Les droits du livre sont reversés à Médecins du Monde.



Pascal TEULADE. Le Petit Prince de Calais. La Joie de Lire, 2016. Coll. Hibouk. 167 p. ISBN 978-2-7511-0669-9