mardi 28 août 2018

Lectures de (fin de) vacances : Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) / Ça c'est mon Jean-Pion - David Snug (2018)


Soupir de regret, une fois de plus

Tu découvres un livre, tu trouves qu'il est vraiment bien écrit ; alors tu fais une recherche dans le catalogue du CDI pour voir si d'autres ouvrages du même auteur sont présents dans le fonds. Tu te rends compte que oui, deux documentaires _très prisés ! et quelques articles de revues pour enfants sont signés par ce gars. Alors tu cherches sa biographie et tu apprends qu'il est mort il y a deux ou trois ans à peine, fauché avant d'être vieux. 

Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) 

Je crois qu'on a parlé une seule fois de Victor Schoelcher en cours ; c'était dans le cadre du cours d'histoire-géo et d'éducation civique, plus précisément pendant la période des révisions. Nous avions lu un extrait d'un texte dont il était l'auteur et qui parlait d'abolition de l'esclavage, après quoi nous devions répondre à des questions de type brevet. Il faisait beau et chaud, on n'avait pas grand chose à battre de cet homme au nom imprononçable. Par contre, le Toussaint Louverture dont il louait l'importance et les qualités de révolutionnaire inspirait beaucoup nos esprits corrompus par des hormones en ébullition. 

"Ma queue, elle va trouver ton ouverture, ahah !"   

De toute façon, notre prof était passée assez rapidement sur Schoelcher, nous laissant entendre que ce particulier, certes, avait rendu libre un paquet de monde, mais qu'il était aussi un bon colonialiste des familles. Cela ne nous avait pas donné envie d'en savoir plus ; j'ai donc beaucoup appris du court roman historique écrit par Gérard Dhôtel.    



Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage" s'organise en six courts chapitres symbolisant les étapes marquantes d'un destin qui aurait pu se limiter à la vente de porcelaine. En effet, Victor est d'abord envoyé outre-Atlantique pour livrer des commandes passées à son père, un porcelainier de renom. A 24 ans, ce jeune homme bien né rêve de découvrir le vaste monde ; sa vie de futur vendeur va prendre une direction nouvelle lorsque, une fois arrivé à Cuba, il assiste à une vente d'esclaves qui va le traumatiser. Selon Gérard Dhôtel, la scène lui fait l'effet d'un électrochoc, et l'abolition de l'esclavage des Noirs devient son cheval de bataille. Lorsqu'il entre en France, il se lance dans l'écriture de textes démontrant que les hommes sont égaux et qu'en soumettre certains à d'autres en fonction de leur couleur de peau est complètement absurde. A partir des années 1840 paraîtront ses premières publications. Il entrera dans l'Histoire en faisant passer le décret d'abolition de l'esclavage en 1848. De fil en aiguille, Schoelcher intègre les sphères de la politique et du journalisme, se lie avec des hommes de lettres, puis utilise parallèlement son statut de bourgeois aisé pour poser les pieds dans un camp "ennemi" : celui des colons et des esclavagistes. Son objectif est de comprendre leurs arguments pour mieux les contrer.  


Comme c'est le cas dans beaucoup de livres de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Actes Sud Junior, Dhôtel a choisi de mettre en scène un personnage jeune et emporté auquel les jeunes lecteurs pourront s'identifier, quitte à broder quelques fioritures par dessus la réalité... On suit ce petit gosse de riche croyant dur comme fer à l'humanité dans son voyage initiatique où il va se faire baffer assez rapidement par des déconvenues : il va apprendre par l'observation que l'Homme est capable du meilleur comme du pire. Utilisant toujours le présent, l'auteur rend également accessibles les tumultes historiques du XIX°siècle, dont on parle un peu moins souvent que d'autres : la IIème République, puis la IIIème, avec entre temps le coup d'Etat de Napoléon III.   

Cette biographie romancée de Victor Schoelcher est suivie d'un dossier constitué d'une chronologie, d'un article intitulé "Eux aussi, ils ont dit non" qui évoque d'autres figures de la lutte pour l'abolition de l'esclavage ou qui ont travaillé sur ce sujet (Wilberforce, les Lumières, Harriet Beecher-Stowe, Maryse Condé, Aimé Césaire). Il se clôture sur un corpus d'illustrations en couleur utilisables en classe, à mon avis. Même s'il n'a pas vocation à soulever les zones d'ombres qui entourent quelqu'un qui a, malgré tout, œuvré à l'avancée des mentalités, lire ce roman écrit pour les jeunes (mais également instructif pour les adultes non historiens) ne fera de tort à personne. 

Emission 2000 ans d'Histoire consacrée à Victor Schoelcher - Diffusée en 2017 (à vérifier)
  
Dhôtel, Gérard. Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage". Actes Sud Junior, 2008. Coll. "Ceux qui ont dit non". 95 p. ISBN 978-2-7427-7761-7 


Allez, on passe à la suite ! 


David Snug - Ça c'est mon Jean-Pion (2018) 

Après avoir fait un petit tour du côté d'Instagram _ puisque apparemment les infos les plus croustillantes s'échangent via ce réseau-là, en ce moment _,après m'être abonnée au compte des éditions Même Pas Mal, je suis tombée sur la couverture de Ça c'est mon Jean-Pion, la nouvelle BD de David Snug :    



Là, je me suis dit : oh, mais cette bande dessinée pourrait faire un cadeau de rentrée bien marrant pour les collègues de la Vie Scolaire. Si la couverture me susurrait déjà à l'oreille que ce ne serait pas possible d'intégrer l'ouvrage en question au fonds BD en libre accès du CDI (suivez mon regard vers le couteau et les clopes notamment), rien ne m'empêchait de l'abandonner négligemment dans le bureau des surveillants. L'histoire d'un pion qui raconte son année scolaire devait sans doute être riche en anecdotes sur les mouflets, et ne pouvait que prendre la forme d'un parcours initiatique où un "nouveau" de l'EN se fait bien bordéliser par les gosses à la rentrée avant de se remettre en question, de toucher le fond, et de remonter à la surface en fin d'année, content d'avoir trouvé son rythme de croisière en matière de gestion des groupes.    

ou pas

Sauf que. David Snug sort tellement des sentiers battus que le résultat qu'il obtient en publiant Ça c'est mon Jean-Pion est encore plus surprenant qu'on pouvait s'y attendre. 

En prenant son poste de surveillant à mi-temps dans un collège de Seine-Saint-Denis, le héros _qui n'est autre qu'un fidèle avatar de l'auteur, voulait juste se faire un peu d'argent tout en ayant du temps libre pour dessiner et jouer de la musique. L'homme n'a rien d'un jeune blanc-bec hésitant et plein d'empathie pour l'adolescent boutonneux. Il se crée d'entrée le personnage (très drôle) de Jean-Pion, un tortionnaire au rire terrifiant désireux d'assouvir ses pulsions nazies ; aussi, comme il aura relativement la paix avec "le collégien, cet être inférieur", il aura la possibilité d'observer et de critiquer le système dans lequel il s'est infiltré bien malgré lui. Pas de chaises qui volent, pas d'insultes, par de tranches d'ananas dans ta djeule _c'est ce que les gosses me jetaient quand je surveillais la cantine, au Mirail. Pas de longues tirades sur le dur métier d'éducateur _"mais que font les parents ??". Vous êtes déçus ?

Non, vraiment, vous ne devriez pas : ici, tout le monde en prend pour son grade. Il est fort probable que vous ne lisiez jamais ailleurs ce que vous verrez dans cette BD... qui est un des rares ouvrages traitant du milieu scolaire qui évoque les AGENTS D'ENTRETIEN ! Déjà merci, rien que pour ces vignettes-là. La mixité sociale ? L'artiste la passe au mixeur, toujours en s'appuyant sur son expérience professionnelle tellement enrichissante. 

Du coup, il devient délicat de présenter Jean-Pion à mes copains de salle des profs et de vie sco car, comme chacun sait, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ; et je pense que certains passages _sur la typologie des profs, des surveillants, sur les rapports qu'ils entretiennent... passerait fort mal. Quand il s'agit de se foutre des élèves et des parents, on est tous d'accord ; mais quand on touche à la corporation, les gens sont bizarrement plus chatouilleux. 

D'ailleurs, au sujet de la seule allusion faite au CDI dans la bande dessinée, force est de constater qu'elle m'a rappelé quelques vieux souvenirs.



Bref, pas la peine de raconter les 70 planches (ou un peu plus, un peu moins). Je ne pourrai que conseiller aux gens qui ont de l'humour ce tout dernier ouvrage de David Snug sorti au mois d'août. Original par son angle d'attaque, il frappe fort et juste dans les failles du système, et notamment celles qui font que, quand on est assistant d'éducation, on ne voit pas toujours l'intérêt de se donner à fond dans ce boulot ingrat ; malheureusement, lorsque tu te retrouves surveillant _parfois aux abois, parfois avec une famille sur les talons, tu n'as pas forcément envie de te reprendre cette réalité dans la figure et tu te protèges comme tu peux.. Ajoutons à cela, et c'est important, que David Snug évite de tomber dans l'écueil "Vis ma vie dans 9-3" : "Wesh wesh, moi je travaille avec des petits blacks, des petits arabes, les parents sont démissionnaires, ils fument du shit en bas des immeubles, c'est pas facile croyez-moi". 

Pour finir, Jean-Pion est ni plus ni moins un roux cool des aisselles qui se trimbale avec des croix gammées "izi" dans une cour de récré clôturée de barbelés, ou dans d'autres décors aux teintes rouges délavées et blanches. Les couleurs du nazi soft ? Ici, c'est pas Entre les murs, sachez-le. Rien que pour le phénomène, jetez-y un oeil !  

   

Du coup, j'ai acheté cette BD ; précisons une dernière fois qu'elle se lit avec des lunettes 3ème Degré. Désolée de participer au sucrage du RSA. 

David Snug. Ça c'est mon Jean-Pion. Editions Même Pas Mal, 2018. ISBN 9782918645450 - 15€


mardi 21 août 2018

Les folles aventures télévisées des vacances : La ch'tite famille - Dany Boon (2018)


Je nageais dans une rivière calme en traînant un tronc d'arbre étrangement léger. Des clapotis m'ont fait comprendre qu'un autre nageur arrivait derrière moi, alors j'ai garé mon fardeau le long de la rive pour le laisser passer. Il était vêtu d'un combinaison de cyclisme, casque compris. Puis je me suis remise en route car, même si cette tâche ne me déplaisait pas particulièrement, j'avais un horaire de livraison à respecter.

A un moment, la rivière a dû se jeter dans la mer, puisque je me suis retrouvée sur une plage à tirer le tronc d'arbre au sec. Il était maintenant jauni par une panure de sable. Je l'ai laissé en plan pour entrer dans une gare dont le hall donnait sur cette plage ; une femme blonde et un homme aux cheveux gris m'y attendaient, ou plutôt attendaient le colis. Ils m'ont remerciée pour la forme d'avoir effectué la besogne mais j'avais l'impression qu'ils n'en avaient strictement rien à foutre et que ma présence les incommodait plus qu'autre chose. D'ailleurs ils se sont rapidement éclipsés pour poursuivre une conversation qui ne me regardait pas. Peu m'importait, j'étais contente d'avoir fait mon boulot.

Le malaise, c'est que je ne savais pas où j'étais, en fait. Ni la ville, ni la région. Sur un panneau en papier, il était inscrit qu'un train partirait pour Paris à 7h et quelques, mais cela ne me disait pas si j'étais loin ou pas de la capitale. Tout était gris, métallique, froid dans cette gare, jusqu'au vieux téléphone à cadran posé dans un coin. J'ai préféré sortir sur la plage ; le vent du matin était un peu frais mais ciel bleu refilait le moral. Je me suis agenouillée pour voir de plus près de petites palourdes indigos et translucides fichées dans un rocher. Je n'avais jamais vu de tels spécimens mais ils m'ont rendue hyper zen.

Puis je me suis réveillée sans avoir eu le fin mot de l'histoire. C'est con les rêves.



Beaucoup se foutent de mon attachement à ma famille ; contrairement à la plupart des personnes de ma tranche d'âge, je voyage peu. Pas du tout, même. Je sais. Je devrais, "maintenant que je peux le faire", je sais bien "qu'après il sera trop tard". Mais c'est ainsi, faut pas juger.

Cet été, en famille et avec ma mère surtout, on a regardé des comédies plus ou moins célèbres. Puis j'ai pris le temps de me lancer dans le visionnage de quelques séries de mon côté, en nocturne : dans l'idéal il faudrait que ma banque de sujets de conversation soit pleine pour la rentrée de septembre, histoire de pouvoir échanger avec les collègues sans avoir à me casser la tête. Eh oui, se montrer sociable fait pleinement partie du boulot !

Voici la première étape de ces "folles aventures télévisées des vacances" :

La Ch'tite famille (2018) 

Honnêtement, l'idée de regarder cette nouvelle comédie de Dany Boon ne m'emballait pas tant que ça. Ma mère a acheté le DVD en pensant, je crois, qu'il s'agissait d'une suite de Bienvenue chez les Ch'tis, ce fameux film qui a dépoussiéré toutes les salles de ciné en 2008. Nous n'allons pratiquement jamais au cinéma mais je me souviens que lorsque'il était à l'affiche, nous avions bloqué un dimanche après-midi pour faire partie de ceux qui "l'avaient vu", cet antidote à la tristesse.

Or, quand on se fait des films avant de voir le film, on tombe souvent de haut.

Oh, on s'était bien marrés quand même, faut pas pousser ! mais je suis sortie en me demandant pourquoi cette comédie-là avait si bien marché par rapport à d'autres. Comme elles avaient beaucoup aimé Bienvenue chez les Ch'tis, c'est tout naturellement que ma mère a prêté La Ch'tite famille à ma soeur, l'autre jour. Laquelle le lui a rendu peu après en disant qu'elle et son mec n'avaient pas réussi à le regarder jusqu'au bout "parce qu'ils s'étaient endormis devant" ; eh ben, ça promettait de l'action ! Un après-midi où il faisait très chaud, puisqu'on était de toute façon coincées au frais, on l'a quand même tenté, tant pis.    


L'histoire 
Valentin (Dany Boon) et Constance (Laurence Arné) sont des designers renommés à Paris : leurs fameuses chaises à trois pieds et bien d'autres meubles de leur invention sont très tendance chez les mondains de la capitale, bien qu'ils soient souvent peu fonctionnels... Tout roule pour le jeune couple, mais, quand au détour d'interviews, on interroge Valentin sur ses origines, son visage se ferme : l'homme se dit orphelin ; il n'a jamais eu de famille et ne souhaite pas confier à la presse un pan si douloureux de sa vie ! Pourtant, la réalité est tout autre : 20 ans plus tôt, cet artiste à complètement tourné le dos à ses parents et à son frère vivant dans le Nord de la France pour mener à bien son projet de carrière. Un jour, alors que le vernissage de son exposition au Palais de Tokyo bat son plein, Valentin voit débarquer dans le fracas sa mère (Line Renaud), son frère (Guy Lecluyse), sa belle-soeur (Valérie Bonneton) et sa nièce (Juliane Lepoureau). Cette visite surprise est un vrai cauchemar pour le designer et pour les siens, qui comprennent bien vite que leur présence est indésirable. Ils s'apprêtent d'ailleurs à rentrer à la maison quand le père de Constance (François Berléand) percute Valentin avec sa voiture, le plongeant dans le coma. A son réveil, le pseudo sans famille a perdu une partie de sa mémoire, mais a récupéré son accent et ses 17 ans. Inutile de lui parler affaires, chaises design et réunions de travail : il ne se souvient même plus de Constance, avec qui il partage sa vie depuis des années. Pour lui, la vie se résume à sa mère, à des balades à mobylette, et à sa copine de l'époque... qui depuis, est devenue la femme de son frère.. Ambiance. 

   

"Alors, il est bien ?"
J'en ai toujours autant ma claque du traitement de l'accent du nord dans les films, et à mon avis, ceux qui vivent pour de vrai dans cette région doivent rager de se voir autant caricaturés. A part ce léger désagrément, cela dit, on a pas mal rigolé et on ne s'est pas ennuyées une seconde, ma mère et moi ; on se demande même toujours comment ma soeur et son mec ont bien pu faire pour piquer du nez devant car, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, il faut reconnaître que l'enchaînement des scènes est assez dynamique pour qu'on se prenne au jeu. Si La ch'tite famille n'est pas une comédie qui restera dans les annales, je l'ai mieux appréciée que Bienvenue chez les Ch'tis, car l'intrigue me semble moins tirée par les cheveux et les personnages sont plus subtils. Précisons à nouveau que ce film de 2018 n'est en rien une suite du blockbuster maintenant vieux de dix ans. Mais puisqu'ils s'inscrivent dans la même veine, à savoir, la rencontre entre deux mondes _le Nord et le reste de l'hexagone, entre deux langues distinctes _le français et l'un de ses multiples patois... rien ne nous empêche de les comparer.


Pour Dany Boon, il fallait oser se mettre en scène dans le rôle du petit con qui a renié sa famille lorsque le succès lui a souri ; bien joué, car il parvient à nous faire comprendre que certaines couches de la société sont tellement "élitistes" qu'il peut être handicapant d'annoncer ses origines lorsqu'on veut s'y intégrer. Parfois, ce critère peut à lui seul fermer des portes. On le sent bien dans le film ; quand son entourage professionnel "découvre" la famille de Valentin, appartenant plutôt à la classe ouvrière, ou quand le héros se remet à parler ch'ti, sa crédibilité en prend un coup. N'est-ce pas à partir de ce moment qu'on va essayer de l'entuber de toutes parts ? La perte de mémoire a bon dos. Ok, le "mauvais fils" n'aurait pas dû gommer sa famille, il aurait mieux fait de leur rendre visite pendant ses vacances et d'en parler autour de lui. Il se serait collé une belle étiquette de péquenot par la même occasion.




Evidemment, Valentin D. va se racheter grâce à son traumatisme crânien salvateur. Mais peut-on lui reprocher d'avoir voulu faire son trou dans un domaine dans lequel il s'illustre ? Aurait-il percé s'il avait gardé son accent ?

Pour vivre au quotidien le cas de figure contraire, je dirais que non. En effet, mon boulot m'a fait passer du monde ouvrier - paysan à la sphère des profs ; je vis donc au milieu des gens cultivés et tirés à quatre épingles, qui ont voyagé et qui sont souvent partis en vacances, et qui ont, pour la plupart, au moins un parent fonctionnaire, enseignant, cadre... On bosse bien ensemble. On n'est pas des bêtes. Malgré tout, je garde et je garderai toujours sur ma gueule et dans mon allure les caractères de la paysanne _ attention, ça me va très bien !

Eh bien vous me croirez ou pas, mais ça conditionne drôlement vos relations avec les collègues. Oh, tout le monde est très gentil avec vous, très courtois ! On ne vous lance pas des pièces, on ne vous traite pas de manant, on vous salue. Mais la manière dont on s'adresse à vous diffère légèrement, et les taches qu'on vous confie peuvent varier. Ce ressenti est assez dur à expliquer, mais je suis à peu près certaine que tout ne se passe pas dans ma tête. Parlez d'un festival, d'un bouquin, d'un film, on sera bien surpris que "vous connaissiez ça, vous", et on se demandera par quel char à bœufs c'est arrivé jusqu'à vos champs. Allez ok, j'exagère un peu... D'ailleurs, personne n'oublie jamais de vous demander des nouvelles de votre "pays" avec un air apitoyé, vous posant la main sur l'épaule, comme pour vous dire : "bientôt, bientôt tu pourras te rouler dans le foin à nouveau. Sois forte en attendant".

Je ne me plains pas, je constate simplement...   

Bref, voilà le débat que Dany Boon soulève, en fait : les classes sociales n'existent-elles pas encore, plus que jamais, et ne sont-elles pas de moins en moins perméables ? Coucher ne suffit pas toujours pour se réaliser professionnellement ; parfois, renier ses parents est une garantie plus sûre.
    
Palais de Tokyo

Enfin, ce film a le mérite de faire connaître le Palais de Tokyo, centre d'art contemporain parisien que j'avais complètement zappé, à supposer que j'en aie entendu parler un jour !

La Ch'tite famille 
Comédie, 1h47 
Pathé Productions 
Dany Boon 
2018 
Le DVD est dispo pour 10 balles environ. 

mardi 14 août 2018

MANGA - Sunny Vol. 2 - Taiyou Matsumoto (2015)


Sunny, volume 2 sur 6 ! 

Retournons au Japon de la fin des années 70, plus exactement au foyer des Enfants des Étoiles après un premier tome qui avait fort bien planté le décor. Pour rappel, Sunny raconte le quotidien d'une dizaine d'enfants séparés de leurs parents pour diverses raisons et placés temporairement dans ce centre d'accueil. Sous la responsabilité d'une équipe d'éducateurs qui mettent tout en oeuvre pour qu'ils cohabitent sans s'étriper, ils gèrent comme ils peuvent l'éloignement et les problèmes familiaux. Chacun fait avec ses armes : Sei _le binoclard en couverture_ s'isole, le petit Jun fait autant de tapage que son corps minuscule le permet, Kiiko la joufflue ruse pour attirer l'attention sur elle, Haruo provoque les adultes. Leur dénominateur commun est une vieille voiture Nissan Sunny hors d'usage plantée dans la cour du foyer ; ils la squattent à tour de rôle pour rêver à une vie meilleure. 

Vous trouverez un billet consacré au volume 1 ici.    



Où est-ce qu'on en était ? 

Comme on pouvait s'en douter, ce deuxième volet nous laisse entrevoir la complexité d'une bande de jeunes plus ou moins paumés ; contrairement à ce que la couverture peut laisser penser, Sei n'a plus la place de personnage central qu'il occupait dans le premier tome, en tant que nouvel arrivant. C'est plutôt Haruo, le garçon aux cheveux blancs, qui bouffe les vignettes par ses coups de sang et son insolence à l'égard de son entourage. 

Kiiko ne supporte plus Megumu : cette dernière lui semble trop gentille, trop calme, trop désireuse de devenir amie avec les filles "des maisons" pour être honnête. Qu'est-ce qu'elles ont de plus qu'elles, ces filles-là, hormis une famille aimante ? Pour attirer l'attention sur elle, Kiiko invente de toutes pièces une histoire de kidnapping dont elle aurait été victime. 



Un nouveau s'installe "pour quelques jours" : Tôru, six ans, les yeux larmoyants, espère que sa mère viendra vite le récupérer...  Il faut d'abord qu'elle résolve quelques problèmes. Malgré son jeune âge, Haruo ne se gêne pas pour le secouer en lui disant qu'elle aura très certainement oublié son existence d'ici là. Sei est plein d'empathie pour ce colocataire hypersensible et le prend aussitôt sous son aile. Haruo guette leur amitié naissante sur coin de l'oeil, mi moqueur mi jaloux. 




A l'occasion de la journée d'accueil des parents à l'école primaire, Adachi a dispatché l'équipe d'éducateurs dans différentes classes pour que tous les enfants du foyer scolarisés ici aient un "représentant" à leurs côtés, à défaut d'un membre de leur famille. Pour compléter l'effectif, il a fait appel à Makio, un ancien pensionnaire des Enfants des Étoiles qui s'en est visiblement bien sorti. Beau, cool, heureux propriétaire d'une voiture, il a la cote auprès des gosses ; Haruo lui-même est son fan numéro 1. 
       

Bien que ses bons résultats au collège fassent de lui un élève prometteur, Kenji ne veut toujours pas aller au lycée. Par contre, son envie de quitter le foyer définitivement est toute nouvelle ; sans doute cette idée lui est-elle venue au contact de ses nouveaux amis : Haruna, une adolescente perdue dans sa vie et en proie à de violentes crises de colère, Seki un jeune homme plus âgé qu'eux, et quelques autres pelés pas très raisonnables.  


Le dernier chapitre du manga est consacré au séjour de l'insupportable Haruro chez sa mère, une bien étrange bonne femme...  

Un boulot ingrat        

Sunny 2 est un poil plus sombre que le volume d'ouverture, où gravité et bonne humeur étaient parfaitement équilibrées. En même temps, Matsumoto avait pour objectif de composer un manga réaliste ; il ne pouvait donc pas éluder les problématiques propres aux enfants placés, telles que le sentiment d'abandon, la stigmatisation _à l'école, on distingue bien les "enfants du foyer", qui passent le portail en meute matin et soir, des "autres", la marginalisation qui en découle _effective mais parfois exagérée par les gosses concernés, la difficulté de vivre avec des frères et sœurs qui n'en sont pas et qu'on ne connaît pas bien... Le tout à la fin des années 70, comme le laissent entendre quelques indices culturels disséminés ça et là _une mention à un groupe de musique, un combat de catch regardé à la télé par les enfants... : par conséquent, l'ouverture d'esprit n'est pas forcément au rendez-vous, et on croise toujours un con pour te rappeler que tu ne vis pas avec ceux qui t'ont fait. 

Sauf erreur de ma part, voici la chanson dont il est question. 
Southpaw - Pink Lady


Heureusement, l'équipe d'éducateurs est là pour amortir les chocs ; peut-être que je me répète par rapport au billet précédent, mais ce manga a l'avantage de mettre en avant le boulot de ces adultes qui accompagnent des petits de tous âges H24. On est loin des orphelinats à la Dickens, gérés par des bonnes sœurs tortionnaires et/ou pédophiles. Ici, Adachi, Miztsuko et les autres sont des gens responsables, respectables, de vrais repères. Mais, comme toutes les bonnes poires cachées sous un masque d'autorité, ils peuvent devenir des cibles idéales pour des enfants en pleine découverte de leur capacité à provoquer et à blesser. Le chapitre 9 _celui sur la journée portes ouvertes à l'école primaire_ est particulièrement parlant. Adachi s'est cassé le cul à faire un planning, à organiser des visites pour chaque niveau, à conduire tout le petit monde sur place, pour finalement se faire afficher par un Haruo plus teigne que jamais : sachant qu'il n'est pas sous son autorité à ce moment-là, puisqu'il est en classe, le mioche aux cheveux blancs se permet de l'interpeller au milieu du cours pour lui demander de se casser. 

"Adachi, qu'est-ce que tu fais là ?"
"T'es pas le bienvenu ici !"
"Ouais va-t-en Adachi !" 
"On n'a pas besoin de toi." 

Plus tard, les gosses joueront à pierre - feuille - ciseaux pour éviter de rentrer avec lui au foyer, préférant la compagnie du beau Makio. Bref, aucun respect. Bon, le type est expérimenté et ne se laisse pas atteindre par la cruauté de ces enfants en souffrance ; il opte pour l'ignorance et la dérision. Si j'insiste lourdement sur ce passage du manga, c'est parce qu'il peint une facette du métier d'éducateur qu'on passe souvent sous silence : tu te dois de te donner à fond, et si tu le fais correctement, tes petits protégés n'en seront pas dupes. Mais ne t'attends pas à des remerciements ou à un retour de leur part. Il est même fort probable qu'ils te crachent à la gueule en retour. Ainsi va la vie. Protège-toi, fie-toi à ta bonne conscience et n'attends surtout pas que tes efforts soient reconnus pour les poursuivre, sinon t'es bon pour changer de branche.  

Antonio Inoki, l'une des stars des Enfants des Étoiles.


Parents transparents 

Même tarif, je suppose, pour le métier de parent. Alors là, dans le rayon des darons qui ne remplissent pas le contrat, Sunny a tout ce qu'il vous faut. Précédemment, nous avions fait connaissance avec le père alcoolique ET crasseux _l'un n'implique par forcément l'autre_ de Kenji, aujourd'hui nous avons affaire à la maman ultra distante de Haruo. Il semblerait que cette executive woman pas spécialement dans le besoin ait daigné accordé trois jours de sa vie à son fils, avec qui elle n'échangera rien d'autre que des banalités. Alors que celui-ci manifeste son besoin de vivre avec elle, la femme zappe la question et finit par lui demander de ne plus l'appeler "maman" et d'utiliser son prénom à la place. Ambiance. Sur le chemin du retour _qu'il effectue seul, Haruo n'aura plus qu'à faire le caïd. Après tout, sur qui peut-il s'appuyer si ce n'est sur ce personnage ?  

J'ai assez spoilé comme ça, inutile d'en faire des tonnes ; les Sunny font partie de ces BD qu'on se garde de côté pour les vacances, ou en guise de récompense pour avoir enfin réglé ce truc chiant qu'on laissait traîner depuis des mois. Sensible au contenu, j'ai peu prêté attention au trait de Matsumoto et à la forme du manga de manière générale pour cette fois-ci. Inutile de le faire maintenant, je ne dirais que des platitudes et / ou des conneries. Une prochaine fois ! 


MATSUMOTO, Taiyou. Sunny Vol. 2. Kana, 2015. Coll. "Big Kana". 214 p. ISBN 978-2-5050-6281-3