A l'école, en bonne fragile, j'ai toujours fait en sorte de me mettre bien avec des copines grandes, costaud, et/ou fortes en gueule. Bien sûr, ce n'était pas forcément voulu ; les associations se faisaient naturellement, régies par l'instinct de survie, et je pense que ça fonctionnait parce que mes protectrices avaient besoin de se sentir dans ce rôle-là. C'est toujours valorisant d'être nécessaire à quelqu'un d'inoffensif, et puis ça donne un sens aux journées, à un âge où on navigue à vue.
Toujours est-il que cette technique m'a permis de passer ma scolarité sans jamais être emmerdée, alors que je répondais à tous les critères de la victime idéale.
Allez, un petit manga qui parle de suicide pour bien amorcer l'automne !
My broken Mariko
Tout d'abord merci à toute l'équipe des libraires fous de l'excellent podcast BD Le Gaufrier, car c'est en écoutant l'épisode 54 que j'ai appris la sortie de My broken Mariko, un one shotde Waka Hirako.
Ce titre avait attiré mon attention car en présentant leur sélection du jour, l'un des animateurs avait fourché et dit "moricaud" au lieu de Mariko, ce qui avait généré un fou rire chez les intervenants _et chez moi aussi, d'ailleurs, alors que j'étais en train de courir. Du coup, j'avais fini mon parcours avec ce vieux hoquet qui te brûle le dos et qui met plus de temps à te quitter que la plupart de tes ex !
L'histoire
Maltraitée par son père et abandonnée par sa mère, la gentille Mariko avait fini par se briser de l'intérieur et Tomo la grande gueule s'était fait une mission de la protéger.
Depuis leur adolescence, elle la tenait ainsi à bout de bras, l'empêchant de s'auto-détruire, s'efforçant de la garder éloignée des types violents.
Malgré tous ses efforts, Mariko s'est suicidée, à 26 ans, au moment où tout semblait aller mieux, et maintenant Tomo est sous le choc.
En proie à la tristesse, à la culpabilité de n'avoir pas vu le coup venir, elle pète un câble et décide qu'elle fera ses adieux à sa meilleure amie comme il se doit, faute d'avoir pu empêcher de pire de se produire.
Tomo se rend chez le père de Mariko, largue toute sa colère sur lui en lui renvoyant ses crimes à la gueule, et dérobe les cendres de la défunte. Galvanisée par la réussite de son expédition, elle prend quelques affaires, l'urne funéraire et monte dans un bus en direction de la Pointe de Marigaoka, un patelin en bord de mer où Mariko et elle avaient prévu d'aller en vacances, un jour.
C'est le début d'un road trip déroutant mené par une fille encore incapable de quitter l'état second destructeur dans lequel sa peine la maintient.
Tomo perdante et perdue
Si le périple de Tomo est parsemé de nombreux flashbacks qui nous en disent long sur la jeunesse catastrophique en tous points de la jeunes Mariko, on ne sait finalement pas grand chose sur sa meilleure amie protectrice. Grande gueule et intrépide, elle n'en est pas moins fragile et mal entourée : après tout, elle affirme à plusieurs reprises n'avoir "que Mariko", ce qui laisse penser qu'elle n'est pas très bien entourée elle non plus. Que ce soit dans les séquences souvenirs ou dans sa vie d'adulte, Tomo apparaît toujours seule ; il n'est presque jamais fait mention de sa famille ou d'autres amis. A présent coincée dans un boulot stressant qui n'a pas l'air d'être un aboutissement professionnel pour elle, elle n'arrive pas à se défaire de ce soupçon de loose qui la suit partout, collé sous sa semelle comme un vieux chewing-gume. A plusieurs reprises en lisant le manga, j'ai eu l'impression que son obstination à vouloir sauver sa copine était une façon de combler un vide dans sa propre existence.
La voir mourir après des années passées à essayer de la faire vivre lui laisse un goût amer de ratage total et d'injustice _puisqu'après tout, le principal responsable de la dépression de Mariko est plus vivant que jamais. Même si les critiques que j'ai pu lire et regarder ne semblent pas l'interpréter ainsi, il me semble que My broken Mariko est vraiment centré sur le drame de Tomo ; d'ailleurs, l'action ne pourrait se mouvoir sans sa colère dévastatrice contre tout et tout le monde. Y compris contre Mariko elle-même, qui s'est "sauvée" en l'abandonnant à sa souffrance.
Prozac d'or mérité !
L'énorme succès de ce manga est complètement justifié ! OK, c'est une histoire très triste et émouvante comme on pouvait s'y attendre, abordant des sujets très graves, et pourtant on ne se sent pas plombé en le lisant. Tomo a une rage et une énergie communicatives, et son personnage de fumeuse compulsive survoltée à quelque chose de comique, parfois. Ses traits m'ont même fait penser vite fait à l'Agrippine de Claire Bretécher.
My Broken Mariko raconte très bien la détresse de la survivante malheureuse d'un binôme fusionnel qui a tout fait pour empêcher la fin tragique de l'autre et qui doit composer avec son échec.
Un manga pour lycéens et adultes, pas pour les plus jeunes !
Manga découvert grâce au super podcast BD #legaufrier
On enchaîne avec le premier tome d'une série de mangas beaucoup plus légère : Les Vacances de Jésus & Bouddha.
Hikaru Nakamura
Kurokawa, 2008
Fatigués par le passage à l'an 2000 qui leur a donné beaucoup de travail, Jésus et Bouddha ont décidé de s'accorder des vacances 🌴 sur Terre.
C'est donc en touristes qu'ils posent leurs valises au Japon, en ce début de 21ème siècle. Ils louent un appartement et s'immergent avec curiosité dans la foule des humains qu'ils ne connaissent que "vus du ciel".
On suit donc leur quotidien, entre les aléas de la colocation, les rues animées, les festivals traditionnels japonais, le métro et la piscine.
Pas vraiment d'intrigue dans ce premier tome de la série, mais pour le coup, ce n'est pas gênant : voir Bouddha et Jésus aller de déconvenues en émerveillement tels deux étudiants paumés nous ravit déjà pleinement ! 😀
Comme pouvaient le laisser présager son titre et sa couverture, les Vacances de Jésus et Bouddha est un manga comique, qui joue beaucoup sur les quiproquos entre les deux "figures divines" et les humains qu'ils croisent...
Si le titre vous chiffonne, détendez-vous ! Toutes les religions sont respectées, d'ailleurs on n'en parle pas tant que ça ! Ici, les blagues ne sont jamais fondées sur le mépris du bouddhisme ou du christianisme. Au pire, si comme moi vous n'êtes pas trop calé sur la vie de Siddhartha et de Jésus, vous apprendrez deux ou trois trucs au passage !
Tu découvres un livre, tu trouves qu'il est vraiment bien écrit ; alors tu fais une recherche dans le catalogue du CDI pour voir si d'autres ouvrages du même auteur sont présents dans le fonds. Tu te rends compte que oui, deux documentaires _très prisés ! et quelques articles de revues pour enfants sont signés par ce gars. Alors tu cherches sa biographie et tu apprends qu'il est mort il y a deux ou trois ans à peine, fauché avant d'être vieux.
Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008)
Je crois qu'on a parlé une seule fois de Victor Schoelcher en cours ; c'était dans le cadre du cours d'histoire-géo et d'éducation civique, plus précisément pendant la période des révisions. Nous avions lu un extrait d'un texte dont il était l'auteur et qui parlait d'abolition de l'esclavage, après quoi nous devions répondre à des questions de type brevet. Il faisait beau et chaud, on n'avait pas grand chose à battre de cet homme au nom imprononçable. Par contre, le Toussaint Louverture dont il louait l'importance et les qualités de révolutionnaire inspirait beaucoup nos esprits corrompus par des hormones en ébullition.
"Ma queue, elle va trouver ton ouverture, ahah !"
De toute façon, notre prof était passée assez rapidement sur Schoelcher, nous laissant entendre que ce particulier, certes, avait rendu libre un paquet de monde, mais qu'il était aussi un bon colonialiste des familles. Cela ne nous avait pas donné envie d'en savoir plus ; j'ai donc beaucoup appris du court roman historique écrit par Gérard Dhôtel.
Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage" s'organise en six courts chapitres symbolisant les étapes marquantes d'un destin qui aurait pu se limiter à la vente de porcelaine. En effet, Victor est d'abord envoyé outre-Atlantique pour livrer des commandes passées à son père, un porcelainier de renom. A 24 ans, ce jeune homme bien né rêve de découvrir le vaste monde ; sa vie de futur vendeur va prendre une direction nouvelle lorsque, une fois arrivé à Cuba, il assiste à une vente d'esclaves qui va le traumatiser. Selon Gérard Dhôtel, la scène lui fait l'effet d'un électrochoc, et l'abolition de l'esclavage des Noirs devient son cheval de bataille. Lorsqu'il entre en France, il se lance dans l'écriture de textes démontrant que les hommes sont égaux et qu'en soumettre certains à d'autres en fonction de leur couleur de peau est complètement absurde. A partir des années 1840 paraîtront ses premières publications. Il entrera dans l'Histoire en faisant passer le décret d'abolition de l'esclavage en 1848. De fil en aiguille, Schoelcher intègre les sphères de la politique et du journalisme, se lie avec des hommes de lettres, puis utilise parallèlement son statut de bourgeois aisé pour poser les pieds dans un camp "ennemi" : celui des colons et des esclavagistes. Son objectif est de comprendre leurs arguments pour mieux les contrer.
Comme c'est le cas dans beaucoup de livres de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Actes Sud Junior, Dhôtel a choisi de mettre en scène un personnage jeune et emporté auquel les jeunes lecteurs pourront s'identifier, quitte à broder quelques fioritures par dessus la réalité... On suit ce petit gosse de riche croyant dur comme fer à l'humanité dans son voyage initiatique où il va se faire baffer assez rapidement par des déconvenues : il va apprendre par l'observation que l'Homme est capable du meilleur comme du pire. Utilisant toujours le présent, l'auteur rend également accessibles les tumultes historiques du XIX°siècle, dont on parle un peu moins souvent que d'autres : la IIème République, puis la IIIème, avec entre temps le coup d'Etat de Napoléon III.
Cette biographie romancée de Victor Schoelcher est suivie d'un dossier constitué d'une chronologie, d'un article intitulé "Eux aussi, ils ont dit non" qui évoque d'autres figures de la lutte pour l'abolition de l'esclavage ou qui ont travaillé sur ce sujet (Wilberforce, les Lumières, Harriet Beecher-Stowe, Maryse Condé, Aimé Césaire). Il se clôture sur un corpus d'illustrations en couleur utilisables en classe, à mon avis. Même s'il n'a pas vocation à soulever les zones d'ombres qui entourent quelqu'un qui a, malgré tout, œuvré à l'avancée des mentalités, lire ce roman écrit pour les jeunes (mais également instructif pour les adultes non historiens) ne fera de tort à personne.
Emission 2000 ans d'Histoire consacrée à Victor Schoelcher - Diffusée en 2017 (à vérifier)
Dhôtel, Gérard. Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage". Actes Sud Junior, 2008. Coll. "Ceux qui ont dit non". 95 p. ISBN 978-2-7427-7761-7
Allez, on passe à la suite !
David Snug - Ça c'est mon Jean-Pion(2018)
Après avoir fait un petit tour du côté d'Instagram _ puisque apparemment les infos les plus croustillantes s'échangent via ce réseau-là, en ce moment _,après m'être abonnée au compte des éditions Même Pas Mal, je suis tombée sur la couverture de Ça c'est mon Jean-Pion, la nouvelle BD de David Snug :
Là, je me suis dit : oh, mais cette bande dessinée pourrait faire un cadeau de rentrée bien marrant pour les collègues de la Vie Scolaire. Si la couverture me susurrait déjà à l'oreille que ce ne serait pas possible d'intégrer l'ouvrage en question au fonds BD en libre accès du CDI (suivez mon regard vers le couteau et les clopes notamment), rien ne m'empêchait de l'abandonner négligemment dans le bureau des surveillants. L'histoire d'un pion qui raconte son année scolaire devait sans doute être riche en anecdotes sur les mouflets, et ne pouvait que prendre la forme d'un parcours initiatique où un "nouveau" de l'EN se fait bien bordéliser par les gosses à la rentrée avant de se remettre en question, de toucher le fond, et de remonter à la surface en fin d'année, content d'avoir trouvé son rythme de croisière en matière de gestion des groupes.
ou pas
Sauf que. David Snug sort tellement des sentiers battus que le résultat qu'il obtient en publiant Ça c'est mon Jean-Pion est encore plus surprenant qu'on pouvait s'y attendre.
En prenant son poste de surveillant à mi-temps dans un collège de Seine-Saint-Denis, le héros _qui n'est autre qu'un fidèle avatar de l'auteur, voulait juste se faire un peu d'argent tout en ayant du temps libre pour dessiner et jouer de la musique. L'homme n'a rien d'un jeune blanc-bec hésitant et plein d'empathie pour l'adolescent boutonneux. Il se crée d'entrée le personnage (très drôle) de Jean-Pion, un tortionnaire au rire terrifiant désireux d'assouvir ses pulsions nazies ; aussi, comme il aura relativement la paix avec "le collégien, cet être inférieur", il aura la possibilité d'observer et de critiquer le système dans lequel il s'est infiltré bien malgré lui. Pas de chaises qui volent, pas d'insultes, par de tranches d'ananas dans ta djeule _c'est ce que les gosses me jetaient quand je surveillais la cantine, au Mirail. Pas de longues tirades sur le dur métier d'éducateur _"mais que font les parents ??". Vous êtes déçus ?
Non, vraiment, vous ne devriez pas : ici, tout le monde en prend pour son grade. Il est fort probable que vous ne lisiez jamais ailleurs ce que vous verrez dans cette BD... qui est un des rares ouvrages traitant du milieu scolaire qui évoque les AGENTS D'ENTRETIEN ! Déjà merci, rien que pour ces vignettes-là. La mixité sociale ? L'artiste la passe au mixeur, toujours en s'appuyant sur son expérience professionnelle tellement enrichissante.
Du coup, il devient délicat de présenter Jean-Pion à mes copains de salle des profs et de vie sco car, comme chacun sait, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ; et je pense que certains passages _sur la typologie des profs, des surveillants, sur les rapports qu'ils entretiennent... passerait fort mal. Quand il s'agit de se foutre des élèves et des parents, on est tous d'accord ; mais quand on touche à la corporation, les gens sont bizarrement plus chatouilleux.
D'ailleurs, au sujet de la seule allusion faite au CDI dans la bande dessinée, force est de constater qu'elle m'a rappelé quelques vieux souvenirs.
Bref, pas la peine de raconter les 70 planches (ou un peu plus, un peu moins). Je ne pourrai que conseiller aux gens qui ont de l'humour ce tout dernier ouvrage de David Snug sorti au mois d'août. Original par son angle d'attaque, il frappe fort et juste dans les failles du système, et notamment celles qui font que, quand on est assistant d'éducation, on ne voit pas toujours l'intérêt de se donner à fond dans ce boulot ingrat ; malheureusement, lorsque tu te retrouves surveillant _parfois aux abois, parfois avec une famille sur les talons, tu n'as pas forcément envie de te reprendre cette réalité dans la figure et tu te protèges comme tu peux.. Ajoutons à cela, et c'est important, que David Snug évite de tomber dans l'écueil "Vis ma vie dans 9-3" : "Wesh wesh, moi je travaille avec des petits blacks, des petits arabes, les parents sont démissionnaires, ils fument du shit en bas des immeubles, c'est pas facile croyez-moi".
Pour finir, Jean-Pion est ni plus ni moins un roux cool des aisselles qui se trimbale avec des croix gammées "izi" dans une cour de récré clôturée de barbelés, ou dans d'autres décors aux teintes rouges délavées et blanches. Les couleurs du nazi soft ? Ici, c'est pas Entre les murs, sachez-le. Rien que pour le phénomène, jetez-y un oeil !
Du coup, j'ai acheté cette BD ; précisons une dernière fois qu'elle se lit avec des lunettes 3ème Degré. Désolée de participer au sucrage du RSA.
David Snug. Ça c'est mon Jean-Pion. Editions Même Pas Mal, 2018. ISBN 9782918645450 - 15€
Le jeune attend que le feu passe au vert, pied à terre. Il me regarde en coin. Je ne suis pas physionomiste mais son allure me rappelle quelqu'un. Il s'agit en fait d'un ancien élève que je croise certains matins à l'autre bout de la ville ; il va alors en cours ou bien sur son lieu de stage, tandis que je trace en direction du collège. Lui-même met un peu de temps à me remettre. On ne s'attendait pas à se tomber dessus à cet endroit-là.
"Ah, je vous ai pas reconnue tout de suite Madame ! Je me suis dit "mais c'est quelqu'un de la cité ?"
_ Oui, je suis en survêt parce que je vais courir au canal.
_ Vous faites penser aux Coureurs dans le film Le Labyrinthe"
Il faut savoir que la ville d'Aulnay est assez nettement coupée en deux : au Nord, les barres, au Sud, les grosses baraques. Je schématise, mais c'est quand même l'impression qu'on a en arrivant et même après, non ? Dites-moi si je me trompe. Alors forcément, se trimbaler en jogging dans certaines rues relève presque de l'exotisme.
"_ Ca va, sinon ?
_ Pas fort... "
Il me raconte qu'il s'est fait casser la gueule et tirer son vélo une semaine avant, par des gars en scooter. Qu'il lui tarde d'avoir son diplôme, son autonomie.
"_ Tu as porté plainte ?
_ Non, c'est mort, je n'ai pas vu leur visage. Il faut que je passe à autre chose. Ma mère m'a racheté un vélo pour que je puisse aller bosser. "
Le récit de son agression m'attriste ; je sais à quel point on se sent faible et insignifiant dans ces moments-là. D'autant plus que le jeune s'était racheté une motivation depuis le collège. Bordel, qu'il était chiant lorsqu'il était en sixième... J'apprends qu'à l'époque, il s'était fait fracasser dans un couloir par des élèves de troisième et qu'il s'en était tiré avec une côte fêlée. Encore un drame qui s'est joué en huis clos ; ça donne le vertige de se douter qu'il s'en produit de tels plusieurs fois par jour sans qu'on ne le sache.
"_ J'aimerais bien passer mon permis moto et avoir ma 125, mais qui me dit que ça ne va pas finir pareil ? On n'a pas ce problème à la campagne, tiens..."
Méfie-toi de la campagne...
Il hausse les épaules.
"_ Enfin, c'est la vie...".
Beelzebub
Tous les profs vous le diront : ce n'est pas parce qu'on est en vacances qu'on ne bosse pas et qu'on s'arrête de lire _même si on a le luxe d'avoir assez de temps "hors établissement" pour courir en plein jour. Voici quelques lectures de vacances qui méritent bien d'être connues.
Le jour où Lania est partie - Carole Zalberg, Elodie Balandras (2008)
Lania est l'aînée d'une famille nombreuse ; le matin, elle doit réveiller ses frères et soeurs et veiller à ce que tout le monde puisse vaquer à ses tâches quotidiennes. Les enfants ne savent ni lire ni écrire, puisqu'au village il n'y a pas d'école, mais leurs journées sont quand même bien remplies : aux champs, on n'a pas le temps de s'ennuyer. Lania est plutôt contente de sa vie et n'aspire pas à en changer, même si elle sent que l'insouciance enfantine est en train de la quitter. Devenue trop grande pour continuer à voir le village comme un vaste terrain de jeu, encore trop jeune pour que les adultes lui fassent pleinement confiance, elle a du mal à se positionner. Pourtant, elle comprend que le froid et la pluie qui s'abattent sur les cases depuis des mois compromettent les prochaines récoltes et condamnent ses semblables à une famine certaine. Un jour, un 4X4 arrive, transportant à son bord des "gens de la ville"; profitant de la détresse des familles, ces inconnus proposent d'emmener les aînés de chaque fratrie pour soi-disant les tirer de leur misère et leur donner accès à une "vie meilleure"...
Carole Zalberg et Elodie Balandras réussissent à parler à leurs jeunes lecteurs de sujets graves tels que l'esclavage des enfants, la pauvreté, la difficulté d'accéder à l'éducation, sans les plonger dans la déprime. Comme Lania, on prend conscience de la gravité de la situation sans pleurer ni s'apitoyer sur son sort ; en effet, les premiers chapitres, agrémentés d'illustrations plutôt drôles laissent entrevoir un récit pour enfants léger et plein d'aventures. Lania va quitter son village, on l'a compris à la lecture du titre, mais sans doute va-t-elle déménager dans un endroit où elle va vivre différemment, mais où elle va se faire de nouveaux amis ? Il n'en est rien.
La fillette sera en fait larguée (et planquée) chez un couple de gens aisés pour qui elle devra faire le ménage en prenant bien garde de ne pas se faire remarquer. A travers son regard d'enfant qui ne comprend pas grand chose à ce qui lui arrive, on avance dans l'inconnu et on va de désillusion en désillusion. Le contraste entre la vie haute en couleur "au village", que l'illustration de la couverture nous permet de nous représenter, et l'arrivée dans la ville grise et froide qui ne donne pas envie d'être visitée est particulièrement fort.
Comme dans un conte, on n'a aucune indication de temps et de lieu ; seule la présence des voitures et le mode de vie de "Madame", la femme chez qui Lania est placée comme femme à tout faire, nous permettent de fixer l'action dans l'époque contemporaine. Et toujours à la manière d'un conte, toujours, le dénouement viendra de là où on ne l'attendait pas...
Le jour où Lania est partie n'est pas l'histoire de Cendrillon revisitée à la sauce L'Enfant sauvage, mais un livre pour la jeunesse original, facile à lire et qui a l'énorme avantage de ne pas nous faire chialer ! Ca ne fait pas de mal !
Carole ZALBERG, Elodie BALANDRAS. Le jour où Lania est partie. Nathan, 2008. 79 p. ISBN 978-2-09-251460-3
Nelson Mandela : "Non à l'apartheid". Véronique Tadjo, 2010.
Paru dans la série "Ceux qui ont dit non" (Actes Sud Junior), ce court roman nous présente les étapes-clefs de la vie de Nelson Mandela comme s'il nous les racontait lui-même. Tout commence en juin 1941, lorsque "Madiba" pose le pied à Johannesburg pour la première fois. Bien obligé de se plier à l'apartheid qui régit la vie quotidienne en Afrique du Sud, et éloigne les Noirs de tous les services et lieux publics au profit des Blancs, le jeune homme est partagé entre l'excitation de découvrir la grande ville et la peur de se faire arrêter. En effet, il est en fuite après avoir été fiché comme perturbateur dans son lycée pour avoir demandé plus de moyens afin que les élèves Noirs puissent étudier dans de meilleures conditions. Il faut dire qu'à l'époque, la population Noire devait se contenter des miettes des Blancs à tous les niveaux, y compris dans le domaine de l'éducation ; et cela, Mandela ne l'acceptait déjà pas.
Peu à peu, les courts chapitres nous font bondir de quelques années ; ses observations personnelles et les allusions à son milieu familial se raréfient, au profit de l'évocation d'événements historiques, tels que la marche pacifique des mineurs conclue de manière sanglante, de son engagement au sein de l'African National Congress, de sa lutte contre l'apartheid, puis de son emprisonnement.
Il ne doit pas être simple de se mettre dans la peau de Nelson Mandela et de le faire parler ; pourtant, Véronique Tadjo a tenté l'expérience et on déjà peut l'applaudir pour cela.
Seuls les écrivains sont capable de :
permettre à un jeune lecteur de s'identifier au héros. Nelson Mandela "Non à l'apartheid" est un livre qui s'adresse en particulier aux adolescents. Comment créer une proximité entre un boutonneux et la figure d'un vieil homme aux cheveux grisonnants dont le visage est tellement connu qu'on sait qu'on doit le respecter même si on ne sait pas toujours pourquoi ? Peut-être en le représentant lui-même en lycéen indocile et prêt à se battre pour ses idées ?
traduire simplement des faits historiques, des concepts, des idées qui n'ont rien d'évident. Bon, les profs savent le faire aussi, hein ! Le fait est que si vous m'aviez parlé en vrac de l'ANC, de l'apartheid, du Group Areas Act sans relier le tout à un contexte et à une histoire logique, vous m'auriez perdue en trois minutes. D'ailleurs, je ne cache pas que j'ai mieux compris deux ou trois choses à la lecture de ce livre.
faire prendre conscience aux lecteurs de ce qu'était l'apartheid au quotidien, en nous plaçant en immersion dans la Johannesburg des années 1940, puis dans la société Sud-Africaine des années 1960. Par la même occasion, on intègre une dure réalité : "pour construire la paix, il faut parfois faire la guerre." (p.55)
A la fin de cette "version roman" de la vie de Nelson Mandela _elle me fait d'ailleurs penser à ces nombreux docu-fictions qui ont fleuri sur toutes les chaines de télé et de radio ces dernières années, est présenté un court dossier contenant des photos correspondant aux événements relatés (mise en place de panneaux indiquant nettement la séparation des races, images des manifestations, libération de Nelson Mandela) et une biographie de Steve Biko, figure incontournable de la lutte contre l'apartheid.
Véronique TADJO. Nelson Mandela : "Non à l'apartheid". Actes Sud Junior, "Ceux qui ont dit non", 2010. 96 p. ISBN 978-2-7427-9228-3
Du haut de ses douze jours, le petit Paul a déjà une sacrée garde robe de babygros bleus et de polos de rugby. Il dort dans une chambre bleue avec des rideaux bleus ornés de petits avions. La seule veste saumon qui lui ait été offerte "par erreur", se repose elle-aussi, bien cachée, se réservant pour la future "petite sœur". Tant de conditionnement m'a fait penser à deux récentes lectures, où l'on nous rappelle que, heureusement ! tout n'est pas si simple.
Alexis, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit - Achmy Halley (2004)
Jusqu'à cet été, Alexis était le fils parfait : efficace dans les études, champion de plongeon acrobatique et doté du corps d'athlète qui va avec, proche de ses parents, calme et posé... peut-être trop pour un gars de seize ans ? Mais à présent, les vacances familiales en Lozère perdent de leur attrait, et la compagnie de ses proches l'agace plus qu'autre chose. Alexis est perdu, incapable de trouver ce qui relie son âme à cette enveloppe charnelle qui ne suffit pas à le définir. Il a besoin de s'isoler, de se dissoudre dans son élément de prédilection _l'eau, pour découvrir toutes les facettes de lui-même. Cette quête d'identité l'amène à répondre à une petite annonce parue dans le journal : Yvan, un détenu âgé de vingt-sept ans, cherche une correspondante afin de rompre sa solitude. Il décide alors de laisser s'exprimer Alexia, cette femme si différente d'Alexis qui existe en lui. Où ce petit jeu les emmènera-t-il ? De son côté, le prisonnier au grand coeur se confie sans réserve sur sa vie passée, sur l'événement qui l'a mené en taule et sur la perspective d'avenir qui le maintient en vie : rejoindre ses frères les Indiens d'Amérique. En attendant, il demande à Alexia de l'appeler Tonnerre Fou, et non plus Yvan.
Ce roman court, dont la fin ouverte nous invite à imaginer toutes les suites possibles, s'adresse plus aux jeunes adultes qu'aux enfants... et idéalement à ceux qui connaissent un peu l'oeuvre de Marguerite Yourcenar. En effet, les allusions à l'auteure des Mémoires d'Hadrien parsèment l'oeuvre ; on ne s'en étonne pas lorsqu'on apprend qu'Achmy Halley a étudié de près ses travaux avant de se lancer dans la littérature. Le prénom Alexis fait d'ailleurs écho à son roman épistolaire : Alexis ou le traité du vain combat.
Il me semble qu'Alexix, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit soulève des questions que tout jeune est amené à se poser : qui suis-je ? Quelle différence y-a-t il entre un homme et une femme ? Qui serais-je si je relevais d'un autre genre ? Pourquoi mon esprit n'est-il pas en harmonie avec mon corps en évolution ? Jusqu'où dois-je aller pour faire plaisir à mes parents ? Suis-je capable de prendre mes propres décisions _et de faire un truc complètement fou ? En ce sens, il est intéressant à lire, même si la brièveté de l'oeuvre nous laisse sur notre faim : qui est vraiment Yvan ? quelle sera sa réaction lorsqu'il apprendra qu'Alexia a en fait, l'apparence d'un jeune homme ? Ce n'est pas spoiler que ne dire qu'on n'aura pas de certitude à ce sujet... et c'est un peu frustrant.
Achmy HALLEY. Alexis, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit. Le Livre de Poche Jeunesse, 2004. Coll. Histoires de vie. 95 p. ISBN 2-013-2238-6
L'infirmerie après les cours 1 - Hokago Hokenshitsu (2008)
Comme Mashiro ne sait pas vraiment s'il est un garçon ou une fille, il a décidé de se construire une virilité exacerbée pour se raccrocher au genre masculin, celui qu'il s'est choisi. Mais son corps revient à la charge, ramenant à la surface des problèmes qu'il pensait avoir écartés : si la nature l'a doté du torse d'un homme, il a aussi la chance de voir ses règles apparaître. Ce grand événement le force à quitter le club de kendo où il avait pourtant trouvé sa place... aura-t-il également un impact sur la vie au lycée, où son identité masculine n'avait pas lieu d'être remise en cause jusque-là ?
Est-ce une chance ou non ? Mashiro n'est pas scolarisé dans une école ordinaire : là bas, on ne sanctionne pas les années d'études par un diplôme, mais par la réussite d'une quête personnelle que chaque élève poursuit lors d'un passage hebdomadaire à l'infirmerie du sous-sol. Une fois que les ados ont réglé leurs comptes avec eux-mêmes, ils sont jugés "prêts" à quitter le lycée.
Lors d'un premier entretien avec une infirmière des plus mystérieuses, Mashiro boit un breuvage "qui sent bon" mais qui le plonge dans un sommeil agité où il vit un affreux cauchemar. A l'issue de son périple onirique, dans lequel il porte un uniforme de fille, il se fait planter sauvagement par un gamine dépenaillée.. qui s'avérera être Kureha, une de ses copines de classe. En voilà déjà une qui connaît son lourd secret. Saura-t-elle tenir sa langue ?
Il ne faudrait surtout pas que la nouvelle arrive aux oreilles de So. Mashiro veut absolument éviter d'avoir maille à partir avec ce beau ténébreux qui passe sa vie à le chercher. Parce que, même s'il est capable de s'agacer et se battre sans problème contre lui, il sait qu'il perdra car au fond... il n'est qu'une fille, il est faible. Que peut-il faire contre sa nature ? Ce manga fantastique, où les personnages semblent résoudre leurs problèmes existentiels dans des rêves qu'ils partagent, bouleverse les clichés qui pourrissent les genres : la femme est une brave soumise, le bonhomme utilise sa force physique pour taper sa dame ou violer des enfants. L'air de rien, la bande de lycéens torturés pourrait bien faire cogiter nos boutonneux chéris... qui ne sont jamais très loin de ces grossières représentations.
L'infirmerie après les cours 1 passe très bientôt en comité d'intégration _ou non ! au CDI. Son sort est maintenant entre les mains des mangavores du collège ; autant dire que je ne m'inquiète pas trop pour lui !
Setona MIZUSHIRO. L'infirmerie après les cours 1. Asuka, 2008. "Shojo". ISBN 2-84965-130-3
Du haut de ses douze jours, le petit Paul a déjà une sacrée garde robe de babygros bleus et de polos de rugby. Il dort dans une chambre bleue avec des rideaux bleus ornés de petits avions. La seule veste saumon qui lui ait été offerte "par erreur", se repose elle-aussi, bien cachée, se réservant pour la future "petite sœur". Tant de conditionnement m'a fait penser à deux récentes lectures, où l'on nous rappelle que, heureusement ! tout n'est pas si simple.
Alexis, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit - Achmy Halley (2004)
Jusqu'à cet été, Alexis était le fils parfait : efficace dans les études, champion de plongeon acrobatique et doté du corps d'athlète qui va avec, proche de ses parents, calme et posé... peut-être trop pour un gars de seize ans ? Mais à présent, les vacances familiales en Lozère perdent de leur attrait, et la compagnie de ses proches l'agace plus qu'autre chose. Alexis est perdu, incapable de trouver ce qui relie son âme à cette enveloppe charnelle qui ne suffit pas à le définir. Il a besoin de s'isoler, de se dissoudre dans son élément de prédilection _l'eau, pour découvrir toutes les facettes de lui-même. Cette quête d'identité l'amène à répondre à une petite annonce parue dans le journal : Yvan, un détenu âgé de vingt-sept ans, cherche une correspondante afin de rompre sa solitude. Il décide alors de laisser s'exprimer Alexia, cette femme si différente d'Alexis qui existe en lui. Où ce petit jeu les emmènera-t-il ? De son côté, le prisonnier au grand coeur se confie sans réserve sur sa vie passée, sur l'événement qui l'a mené en taule et sur la perspective d'avenir qui le maintient en vie : rejoindre ses frères les Indiens d'Amérique. En attendant, il demande à Alexia de l'appeler Tonnerre Fou, et non plus Yvan.
Ce roman court, dont la fin ouverte nous invite à imaginer toutes les suites possibles, s'adresse plus aux jeunes adultes qu'aux enfants... et idéalement à ceux qui connaissent un peu l'oeuvre de Marguerite Yourcenar. En effet, les allusions à l'auteure des Mémoires d'Hadrien parsèment l'oeuvre ; on ne s'en étonne pas lorsqu'on apprend qu'Achmy Halley a étudié de près ses travaux avant de se lancer dans la littérature. Le prénom Alexis fait d'ailleurs écho à son roman épistolaire : Alexis ou le traité du vain combat.
Il me semble qu'Alexix, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit soulève des questions que tout jeune est amené à se poser : qui suis-je ? Quelle différence y-a-t il entre un homme et une femme ? Qui serais-je si je relevais d'un autre genre ? Pourquoi mon esprit n'est-il pas en harmonie avec mon corps en évolution ? Jusqu'où dois-je aller pour faire plaisir à mes parents ? Suis-je capable de prendre mes propres décisions _et de faire un truc complètement fou ? En ce sens, il est intéressant à lire, même si la brièveté de l'oeuvre nous laisse sur notre faim : qui est vraiment Yvan ? quelle sera sa réaction lorsqu'il apprendra qu'Alexia a en fait, l'apparence d'un jeune homme ? Ce n'est pas spoiler que ne dire qu'on n'aura pas de certitude à ce sujet... et c'est un peu frustrant.
Achmy HALLEY. Alexis, Alexia... Comme un baiser fait à la nuit. Le Livre de Poche Jeunesse, 2004. Coll. Histoires de vie. 95 p. ISBN 2-013-2238-6
L'infirmerie après les cours 1 - Hokago Hokenshitsu (2008)
Comme Mashiro ne sait pas vraiment s'il est un garçon ou une fille, il a décidé de se construire une virilité exacerbée pour se raccrocher au genre masculin, celui qu'il s'est choisi. Mais son corps revient à la charge, ramenant à la surface des problèmes qu'il pensait avoir écartés : si la nature l'a doté du torse d'un homme, il a aussi la chance de voir ses règles apparaître. Ce grand événement le force à quitter le club de kendo où il avait pourtant trouvé sa place... aura-t-il également un impact sur la vie au lycée, où son identité masculine n'avait pas lieu d'être remise en cause jusque-là ?
Est-ce une chance ou non ? Mashiro n'est pas scolarisé dans une école ordinaire : là bas, on ne sanctionne pas les années d'études par un diplôme, mais par la réussite d'une quête personnelle que chaque élève poursuit lors d'un passage hebdomadaire à l'infirmerie du sous-sol. Une fois que les ados ont réglé leurs comptes avec eux-mêmes, ils sont jugés "prêts" à quitter le lycée.
Lors d'un premier entretien avec une infirmière des plus mystérieuses, Mashiro boit un breuvage "qui sent bon" mais qui le plonge dans un sommeil agité où il vit un affreux cauchemar. A l'issue de son périple onirique, dans lequel il porte un uniforme de fille, il se fait planter sauvagement par un gamine dépenaillée.. qui s'avérera être Kureha, une de ses copines de classe. En voilà déjà une qui connaît son lourd secret. Saura-t-elle tenir sa langue ?
Il ne faudrait surtout pas que la nouvelle arrive aux oreilles de So. Mashiro veut absolument éviter d'avoir maille à partir avec ce beau ténébreux qui passe sa vie à le chercher. Parce que, même s'il est capable de s'agacer et se battre sans problème contre lui, il sait qu'il perdra car au fond... il n'est qu'une fille, il est faible. Que peut-il faire contre sa nature ? Ce manga fantastique, où les personnages semblent résoudre leurs problèmes existentiels dans des rêves qu'ils partagent, bouleverse les clichés qui pourrissent les genres : la femme est une brave soumise, le bonhomme utilise sa force physique pour taper sa dame ou violer des enfants. L'air de rien, la bande de lycéens torturés pourrait bien faire cogiter nos boutonneux chéris... qui ne sont jamais très loin de ces grossières représentations.
L'infirmerie après les cours 1 passe très bientôt en comité d'intégration _ou non ! au CDI. Son sort est maintenant entre les mains des mangavores du collège ; autant dire que je ne m'inquiète pas trop pour lui !
Setona MIZUSHIRO. L'infirmerie après les cours 1. Asuka, 2008. "Shojo". ISBN 2-84965-130-3
L'Assassin Royal et les Aventuriers de la Mer m'ont souvent fait rêver ; leurs héros ont toujours eu le don de m'éloigner d'un quotidien qui me déplaisait ; en faisant écho à nos vies, certaines de leurs péripéties ont su nous refiler la pêche. Mais pour la première fois depuis que j'ai attaqué l'oeuvre de Robin Hobb, je suis sortie mal à l'aise de ma lecture. Ombres et flammes, l'avant-dernier volume des Aventuriers de la Mer, donc, est de loin le plus psychologique et le plus tordu de la série.
Où est-ce qu'on en était ?
A Terrilville, l'heure est à la réconciliation entre vrais, faux, nouveaux, anciens marchands, esclaves, frondeurs, riches, pauvres, habitants du Désert des Pluies, chiens, chats... La plupart ont compris que la flotte de Chalcède est "l'ennemie" commune à tous, et que les galères issues de ces contrées ont de grandes chances de paralyser la Baie des Marchands incessamment sous peu. Par chance, un soutien aussi colossal qu'inattendu va permettre aux autochtones de respirer un peu autre chose que la fumée de leurs maisons embrasées : Tintaglia, le dragon femelle libéré de son cocon par Reyn et Malta après des siècles d'emprisonnement. Encore qu'il risque d'y avoir un peu de fumée supplémentaire si on la sollicite. Ne vous y trompez pas ! La bête n'est pas charitable outre-mesure : comprenant qu'elle a absolument besoin des humains pour aménager les cours d'eau et les terres des Rivages Maudits afin de permettre la reproduction et l'éclosion de ses semblables, elle accepte de passer un marché avec eux. Reyn arrivera-t-il à la convaincre de l'accompagner chercher Malta, ballottée quelque part sur les eaux acides du Désert des Pluies ?
L'île de Partage est témoin de la rencontre autant espérée par les uns que redoutée par les autres entre le Parangon et la Vivacia. Comment Althéa va-t-elle réagir à la transformation de la figure de proue, qui se fait maintenant appeler Foudre ? Kennit parviendra-t-il à regarder dans les yeux le barbu aveugle qui guide le navire fou des Ludchance ? Comment Brashen et Hiémain réussiront-il à réparer les dégâts causés par les révélations et le réveil des souvenirs douloureux ?
ATTENTION SPOILER
Chapeau, Robin Hobb. Vous avez bien ficelé votre rosbif. A aucun moment on n'avait deviné un lien quelconque entre le pirate Kennit et la vivenef Parangon. On n'avait encore moins pensé à associer le prénom Kennit au nom "Ludchance". On n'avait relevé qu'une seule fois l'allusion du viol de Kennit par Igrot lorsque le roi des pirates était encore enfant, mais on n'avait jamais tilté que le crime ait pu avoir lieu à bord du Parangon. Ou alors c'est juste moi qui ai un jambon dans l'oeil depuis le début. Dans tous les cas, la situation a de quoi laisser perplexe : pour ne plus être rongé par les meurtrissures du passé, Kennit les a confiées à Parangon avec en même temps que toute sa palette de sentiments, histoire qu'il absorbe le tout. En acceptant, le navire a voué une fidélité éternelle à l'enfant et a endossé toutes ses souffrances, et ce, longtemps après son départ. De son côté, le pirate est devenu l'être froid et insensible qu'on a accompagné dans les sept premiers volumes : à la fois blindé contre la douleur et proprement incapable d'aimer. Aussi comprendra-t-on aisément que sa rencontre avec le bateau des Ludchance puisse le rendre fébrile.
Tintaglia, la dragonne qui a failli attendre.
Bien que j'aie été, comme je le disais, pas mal dérangée par cette histoire de viol et surtout par le parallèle maladroit avancé à demi mots entre un désir de Kennit pour Althéa, pendant "avouable" d'un désir pour Hiémain, et l'enfance brisée du pirate..
Psychologie de comptoir bonjour !!
... il me semble que l'on doit retenir d'Ombres et flammes l'émancipation du personnage complexe qu'est Tintaglia, le dragon femelle.
Depuis son éclosion en grande pompes dans la Cité en plein effondrement, Tintaglia s'est montrée méprisante et froide comme la pierre pour tout ce qui n'est pas un dragon ou un serpent de mer. Autant dire qu'elle n'a pas l'intention de parlementer avec les humains, ces petites bêtes insignifiantes qui ne semblent capables de rien sinon d'enrayer le cours de leur espèce. Pourquoi devrait-elle remercier Malta et Reyn de l'avoir libérée de son oeuf de bois ? Après le temps qu'ils ont mis pour y arriver ! Qu'ils s'estiment déjà heureux qu'elle ne les ait pas grillés sur place pour avoir tant traîné ! Si Reyn pense qu'elle ira sillonner le fleuve du Désert des Pluies au nom de la gratitude pour retrouver Malta, cela signifie que les écailles lui ont aussi poussé dans les yeux !
Pourtant, la bête n'est pas infaillible dans ce monde qu'elle connaît depuis toujours via ses souvenirs, mais qu'elle commence tout juste à expérimenter ; elle n'ose s'approcher des marais de peur de s'embourber en touchant terre. La pluie fine l'agace tout autant qu'un humain inoffensif. Quant aux serpents de mer encore un peu perdus et dépouillés de la mémoire de leur espèce, ils ne réagissent pas vraiment lorsqu'elle voltige près de la surface. Pire, Tintaglia a souvent l'impression de se prendre de gros vents lorsqu'elle passe près d'eux, et leur indifférence attaque son moral, toute dragonne qu'elle soit. Or l'indifférence, elle n'aime pas, mais pas du tout ! et c'est en toute logique qu'elle devient perméable aux flatteries de Selden ce petit homme pas fini qui ne semble plus vivre que pour chanter ses louanges, et qui se recouvre peu à peu des mêmes écailles reptiliennes que ses semblables de Trois-Noues.
Mais surtout, elle peut être bien meilleure qu'elle-même n'ose se l'avouer ; la dame "des Trois Règnes" s'abaisse au niveau d'un serpent mourant freiné dans sa migration à cause du manque de profondeur du fleuve (Chapitre 1, "Alliances") et l'encourage gentiment avant de l'achever, à la demande du malheureux rampant. Sa bonté de coeur s'étendra même jusqu'à une fine tranche de l'espèce humaine, dont elle a certes besoin pour vivre et faire vivre ses descendants, mais qu'elle affectionne aussi quoi qu'elle en dise.
Qui ne connaît pas une Tintaglia égoïste, imbue d'elle-même, capricieuse et colérique quand on s'oppose à sa volonté ? Une bête à la peau dure qui vient se nourrir de votre coeur et donne ce qui reste aux poissons, en vous disant au passage que le goût c'était pas top !, et que ne vous reverrez plus, le jour où elle aura trouvé ailleurs un casse-croûte satisfaisant ? Une vieille carne que vous aimez malgré tout car vous savez bien que, sous les écailles qui puent la marée, elle a emmuré un coeur d'or. Bien sûr, vous avez maudit ce coeur dès la minute où vous l'avez entrevu, car vous avez compris qu'il n'était pas pour vous ; aussi auriez-vous sans doute préféré qu'il n'existe pas.
Je ne sais pas pourquoi certains passages du billet apparaissent en rouge. Désolée !
ROBIN HOBB. Les Aventuriers de la Mer, tome 8 "Ombres et flammes". J'ai Lu, 2008. 377 p. ISBN 978-2-290-00474-6