mardi 28 août 2018

Lectures de (fin de) vacances : Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) / Ça c'est mon Jean-Pion - David Snug (2018)


Soupir de regret, une fois de plus

Tu découvres un livre, tu trouves qu'il est vraiment bien écrit ; alors tu fais une recherche dans le catalogue du CDI pour voir si d'autres ouvrages du même auteur sont présents dans le fonds. Tu te rends compte que oui, deux documentaires _très prisés ! et quelques articles de revues pour enfants sont signés par ce gars. Alors tu cherches sa biographie et tu apprends qu'il est mort il y a deux ou trois ans à peine, fauché avant d'être vieux. 

Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) 

Je crois qu'on a parlé une seule fois de Victor Schoelcher en cours ; c'était dans le cadre du cours d'histoire-géo et d'éducation civique, plus précisément pendant la période des révisions. Nous avions lu un extrait d'un texte dont il était l'auteur et qui parlait d'abolition de l'esclavage, après quoi nous devions répondre à des questions de type brevet. Il faisait beau et chaud, on n'avait pas grand chose à battre de cet homme au nom imprononçable. Par contre, le Toussaint Louverture dont il louait l'importance et les qualités de révolutionnaire inspirait beaucoup nos esprits corrompus par des hormones en ébullition. 

"Ma queue, elle va trouver ton ouverture, ahah !"   

De toute façon, notre prof était passée assez rapidement sur Schoelcher, nous laissant entendre que ce particulier, certes, avait rendu libre un paquet de monde, mais qu'il était aussi un bon colonialiste des familles. Cela ne nous avait pas donné envie d'en savoir plus ; j'ai donc beaucoup appris du court roman historique écrit par Gérard Dhôtel.    



Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage" s'organise en six courts chapitres symbolisant les étapes marquantes d'un destin qui aurait pu se limiter à la vente de porcelaine. En effet, Victor est d'abord envoyé outre-Atlantique pour livrer des commandes passées à son père, un porcelainier de renom. A 24 ans, ce jeune homme bien né rêve de découvrir le vaste monde ; sa vie de futur vendeur va prendre une direction nouvelle lorsque, une fois arrivé à Cuba, il assiste à une vente d'esclaves qui va le traumatiser. Selon Gérard Dhôtel, la scène lui fait l'effet d'un électrochoc, et l'abolition de l'esclavage des Noirs devient son cheval de bataille. Lorsqu'il entre en France, il se lance dans l'écriture de textes démontrant que les hommes sont égaux et qu'en soumettre certains à d'autres en fonction de leur couleur de peau est complètement absurde. A partir des années 1840 paraîtront ses premières publications. Il entrera dans l'Histoire en faisant passer le décret d'abolition de l'esclavage en 1848. De fil en aiguille, Schoelcher intègre les sphères de la politique et du journalisme, se lie avec des hommes de lettres, puis utilise parallèlement son statut de bourgeois aisé pour poser les pieds dans un camp "ennemi" : celui des colons et des esclavagistes. Son objectif est de comprendre leurs arguments pour mieux les contrer.  


Comme c'est le cas dans beaucoup de livres de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Actes Sud Junior, Dhôtel a choisi de mettre en scène un personnage jeune et emporté auquel les jeunes lecteurs pourront s'identifier, quitte à broder quelques fioritures par dessus la réalité... On suit ce petit gosse de riche croyant dur comme fer à l'humanité dans son voyage initiatique où il va se faire baffer assez rapidement par des déconvenues : il va apprendre par l'observation que l'Homme est capable du meilleur comme du pire. Utilisant toujours le présent, l'auteur rend également accessibles les tumultes historiques du XIX°siècle, dont on parle un peu moins souvent que d'autres : la IIème République, puis la IIIème, avec entre temps le coup d'Etat de Napoléon III.   

Cette biographie romancée de Victor Schoelcher est suivie d'un dossier constitué d'une chronologie, d'un article intitulé "Eux aussi, ils ont dit non" qui évoque d'autres figures de la lutte pour l'abolition de l'esclavage ou qui ont travaillé sur ce sujet (Wilberforce, les Lumières, Harriet Beecher-Stowe, Maryse Condé, Aimé Césaire). Il se clôture sur un corpus d'illustrations en couleur utilisables en classe, à mon avis. Même s'il n'a pas vocation à soulever les zones d'ombres qui entourent quelqu'un qui a, malgré tout, œuvré à l'avancée des mentalités, lire ce roman écrit pour les jeunes (mais également instructif pour les adultes non historiens) ne fera de tort à personne. 

Emission 2000 ans d'Histoire consacrée à Victor Schoelcher - Diffusée en 2017 (à vérifier)
  
Dhôtel, Gérard. Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage". Actes Sud Junior, 2008. Coll. "Ceux qui ont dit non". 95 p. ISBN 978-2-7427-7761-7 


Allez, on passe à la suite ! 


David Snug - Ça c'est mon Jean-Pion (2018) 

Après avoir fait un petit tour du côté d'Instagram _ puisque apparemment les infos les plus croustillantes s'échangent via ce réseau-là, en ce moment _,après m'être abonnée au compte des éditions Même Pas Mal, je suis tombée sur la couverture de Ça c'est mon Jean-Pion, la nouvelle BD de David Snug :    



Là, je me suis dit : oh, mais cette bande dessinée pourrait faire un cadeau de rentrée bien marrant pour les collègues de la Vie Scolaire. Si la couverture me susurrait déjà à l'oreille que ce ne serait pas possible d'intégrer l'ouvrage en question au fonds BD en libre accès du CDI (suivez mon regard vers le couteau et les clopes notamment), rien ne m'empêchait de l'abandonner négligemment dans le bureau des surveillants. L'histoire d'un pion qui raconte son année scolaire devait sans doute être riche en anecdotes sur les mouflets, et ne pouvait que prendre la forme d'un parcours initiatique où un "nouveau" de l'EN se fait bien bordéliser par les gosses à la rentrée avant de se remettre en question, de toucher le fond, et de remonter à la surface en fin d'année, content d'avoir trouvé son rythme de croisière en matière de gestion des groupes.    

ou pas

Sauf que. David Snug sort tellement des sentiers battus que le résultat qu'il obtient en publiant Ça c'est mon Jean-Pion est encore plus surprenant qu'on pouvait s'y attendre. 

En prenant son poste de surveillant à mi-temps dans un collège de Seine-Saint-Denis, le héros _qui n'est autre qu'un fidèle avatar de l'auteur, voulait juste se faire un peu d'argent tout en ayant du temps libre pour dessiner et jouer de la musique. L'homme n'a rien d'un jeune blanc-bec hésitant et plein d'empathie pour l'adolescent boutonneux. Il se crée d'entrée le personnage (très drôle) de Jean-Pion, un tortionnaire au rire terrifiant désireux d'assouvir ses pulsions nazies ; aussi, comme il aura relativement la paix avec "le collégien, cet être inférieur", il aura la possibilité d'observer et de critiquer le système dans lequel il s'est infiltré bien malgré lui. Pas de chaises qui volent, pas d'insultes, par de tranches d'ananas dans ta djeule _c'est ce que les gosses me jetaient quand je surveillais la cantine, au Mirail. Pas de longues tirades sur le dur métier d'éducateur _"mais que font les parents ??". Vous êtes déçus ?

Non, vraiment, vous ne devriez pas : ici, tout le monde en prend pour son grade. Il est fort probable que vous ne lisiez jamais ailleurs ce que vous verrez dans cette BD... qui est un des rares ouvrages traitant du milieu scolaire qui évoque les AGENTS D'ENTRETIEN ! Déjà merci, rien que pour ces vignettes-là. La mixité sociale ? L'artiste la passe au mixeur, toujours en s'appuyant sur son expérience professionnelle tellement enrichissante. 

Du coup, il devient délicat de présenter Jean-Pion à mes copains de salle des profs et de vie sco car, comme chacun sait, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ; et je pense que certains passages _sur la typologie des profs, des surveillants, sur les rapports qu'ils entretiennent... passerait fort mal. Quand il s'agit de se foutre des élèves et des parents, on est tous d'accord ; mais quand on touche à la corporation, les gens sont bizarrement plus chatouilleux. 

D'ailleurs, au sujet de la seule allusion faite au CDI dans la bande dessinée, force est de constater qu'elle m'a rappelé quelques vieux souvenirs.



Bref, pas la peine de raconter les 70 planches (ou un peu plus, un peu moins). Je ne pourrai que conseiller aux gens qui ont de l'humour ce tout dernier ouvrage de David Snug sorti au mois d'août. Original par son angle d'attaque, il frappe fort et juste dans les failles du système, et notamment celles qui font que, quand on est assistant d'éducation, on ne voit pas toujours l'intérêt de se donner à fond dans ce boulot ingrat ; malheureusement, lorsque tu te retrouves surveillant _parfois aux abois, parfois avec une famille sur les talons, tu n'as pas forcément envie de te reprendre cette réalité dans la figure et tu te protèges comme tu peux.. Ajoutons à cela, et c'est important, que David Snug évite de tomber dans l'écueil "Vis ma vie dans 9-3" : "Wesh wesh, moi je travaille avec des petits blacks, des petits arabes, les parents sont démissionnaires, ils fument du shit en bas des immeubles, c'est pas facile croyez-moi". 

Pour finir, Jean-Pion est ni plus ni moins un roux cool des aisselles qui se trimbale avec des croix gammées "izi" dans une cour de récré clôturée de barbelés, ou dans d'autres décors aux teintes rouges délavées et blanches. Les couleurs du nazi soft ? Ici, c'est pas Entre les murs, sachez-le. Rien que pour le phénomène, jetez-y un oeil !  

   

Du coup, j'ai acheté cette BD ; précisons une dernière fois qu'elle se lit avec des lunettes 3ème Degré. Désolée de participer au sucrage du RSA. 

David Snug. Ça c'est mon Jean-Pion. Editions Même Pas Mal, 2018. ISBN 9782918645450 - 15€


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