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dimanche 20 août 2023

[COMICS] Black Panther - 1 - Ennemi d'État. Christopher Priest / Mark Texeira / Joe Jusko / Mark Bright (2018)

Au club lecture, ma pote Nathalie la prof de lettres et moi-même avons essayé de déterminer un "fil rouge" afin de fidéliser les élèves, toujours volontaires au lancement mais parfois surpris d'avoir un minimum d'investissement à fournir, ou juste déçus de constater qu'à un moment, bah il faut bien lire un peu, quand même. A l'inverse, d'autres quittent le navire car ce sont de bons lecteurs qui ont déjà quelques longueurs d'avance sur le fonds du CDI. Je n'ai jamais réussi à trouver le bon équilibre, mais j'y travaillerai autant qu'il le faudra.  

Remember l'ancien collège ! 
Vous trouvez que c'était assez mignon, finalement, sous cet angle-là, hein ?
Eh bien ça n'existe plus !!!

Cette année, on a donc expérimenté un thème général "héroïnes et héros" de la littérature ou de la bande dessinée. De mon côté, ce rendez-vous hebdomadaire me donnait l'occasion de réinvestir le travail autour des super-héros fourni lors de ce fameux "atelier comics" amorcé en 2020 et tué dans l'œuf par le Covid. Le recoupement avec le programme de français en 5ème nous assurait d'avoir de la matière sous le coude en cas de pépin dans la préparation des rendez-vous.  

Après avoir consacré des séances à Miss Marvel, à Percy Jackson, au Journal d'un dégonflé, on a sondé les enfants pour savoir s'ils avaient envie qu'on parle d'un personnage en particulier, et ils ont été nombreux à proposer Black Panther. Peut-être parce que le film Wakanda forever sortait à ce moment-là au cinéma. On ne connaissait rien ni l'une ni l'autre sur ce personnage, mais on leur a promis de faire acquisition d'une BD centrée sur ce héros Marvel afin d'en parler avec eux.  

Ne sachant pas trop comment entrer dans l'univers, j'ai opté pour le tome 1 de la série Black Panther paru chez Panini en 2018, dans la collection "Marvel Select". Il s'agit d'une réédition des douze premiers chapitres d'une série qui en compte 72 au total ; elle est née de la plume de Christopher Priest et de Mark Texeira vingt ans plus tôt. 


L'histoire 

Une sordide affaire secoue le Fonds Tomorrow, un organisme d'aide à l'enfance implanté à Brooklyn et soutenu par T'Challa, roi du Wakanda, plus connu sous le nom de Black Panther. On y a récemment assassiné une fillette de sang froid, avant de détourner de l'argent. La totale. Lorsqu'il apprend la nouvelle, le roi T'Challa déserte le trône en urgence et file aux États-Unis pour régler leur compte aux malfrats.

Il laisse derrière lui un pays en proie à de nombreux affrontements entre les Wakandais "citadins", les "Tribus des Marais", et les réfugiés _accueillis à bras ouverts par le roi mais clairement rejetés par les citoyens. C'est tout sauf le moment de partir, mais il n'a pas le choix. 



Au même moment, l'agent Everett K. Ross se voit confier la mission d'accueillir le roi du Wakanda et d'assurer sa sécurité pour la durée de son séjour à New-York. Bien qu'il soit de bonne volonté, il est vite dépassé par la situation se fait rapidement balader par le super-héros qu'il escorte. Peut-on lui reprocher de ne pas arriver à gérer un Avenger ? 

   
Black Panther mène son enquête et découvre qu'un certain Achebe est à l'origine de la mort de la fillette du Fonds Tomorrow. Il comprend par la même occasion qu'il s'est fait manipuler par ce type qui n'avait qu'un seul but : pousser T'challa à s'éloigner le plus possible du Wakanda, et tenter de prendre le contrôle du pays en son absence.     

Achebe s'avère n'être pas plus qu'un fou relativement limité, incapable de manigancer des projets de grande envergure ; le "vrai méchant" se cache derrière lui, tapi dans l'ombre, agissant de façon sournoise, pénétrant les consciences pour arriver à ses fins. 

Le roi T'Challa va lui-même faire les frais de son pouvoir invisible, et revivre des souvenirs difficiles enclins à lui mettre le doute. Pourra-t-il s'en relever avant que son pays ne parte en vrille ? 

Attention, la suite du billet dévoile des infos que vous gagnerez à découvrir par vous-même si vous comptez lire la bande-dessinée !


Les défauts de ses qualités 

Après coup, je ne pense pas qu'Ennemi d'état puisse servir d'entrée principale dans le petit monde de Black Panther ; cependant, ça reste une porte dérobée tout à fait efficace, puisqu'on a de nombreux flashbacks sur les origines du héros, sur sa jeunesse, ses rapports en demi-teinte avec son père le roi T'Chaka, sa prise de pouvoir à la mort de ce dernier.

La comparaison au patriarche charismatique reviendra à de nombreuses reprises dans l'album, et elle sera rarement à l'avantage de T'Challa. Il faut dire que Black Panther n'a pas du tout la même façon de gouverner que son père : les Wakandais lui reprochent de ne pas avoir la poigne de son prédécesseur, d'être idéaliste et pas assez "stratège". 


Cela se vérifie au fil des chapitres : on se rend compte que T'Challa se retrouve souvent dans de sales draps parce qu'il a trop vite fait confiance à tel ou tel pèlerin douteux. On a l'impression que le roi du Wakanda se fait assez facilement berner parce qu'en tant que "gentil", il n'anticipe pas la fourberie des autres. C'est ce qui fait de lui un héros assez attachant en dépit de ses crises de colère et de sa frustration bien perceptible de ne pas pouvoir faire tomber de têtes sur le territoire US. Vers la fin, on comprendra qu'il y a une part de bluff dans tout ça _ T'Challa ne tue en aucun cas, mais on dirait bien qu'il ne veut pas que ça se sache. 

Quant aux micro-retournements de situation dans les derniers chapitres, sur fond de "non mais j'ai fait semblant de tomber dans les pièges, j'avais tout compris depuis le début", ils sont un peu difficiles à avaler, je trouve.      

Everett K. Ross, le roi de la digression

Pourtant, j'ai pris le temps de relire deux fois ce titre afin d'en juger. C'était nécessaire pour deux raisons. 

Premièrement, parce que je ne suis toujours pas familière des comics et des figures emblématiques de l'univers Marvel. Or, les super-héros sont nos chevaliers de la Table Ronde à nous : il vaut mieux avoir une culture des personnages, de leur caractère, de leur parcours pour bien comprendre les réactions, les associations des uns avec les autres, le chemin que prend l'histoire. 


Ensuite, la lecture est rendue difficile à cause du choix narratif de faire raconter les événements par le brave Everett K. Ross, pas plus doué pour les comptes-rendus que pour le reste ! De digression en flashbacks en passant par les erreurs de parcours et les "ah, au fait, j'ai oublié qu'avant il s'est passé tel truc", c'est un vrai casse-tête pour le lecteur. Mais lorsqu'on est entré dans le délire, ça devient marrant de se laisser porter et de revenir quelques pages en arrière si besoin. 

Du coup, je m'interroge sur la pertinence de mettre ce titre entre les mains des 4°-3° : s'il est loin d'être "trash", beaucoup risquent de se décourager entre les pages titrées on ne sait trop pourquoi, l'absence de numérotation des pages, l'enchaînement non linéaire de l'action, les dessinateurs qui se succèdent... 
   
Bien sûr, il ne faut pas oublier que les différentes chapitres qui composent Black Panther - 1 - Ennemi d'état ont été publiés séparément à la base, vraisemblablement en format kiosque. Les numéros étant espacés dans le temps, les auteurs ont pris la peine, à juste titre, de faire régulièrement des rappels de  ce qui s'est passé dans les épisodes précédents ; sauf que lorsqu'on lit tout d'une traite, les allusions nous semblent redondantes, forcément. Mais ça reste quand même tout à fait lisible, et on devine que ce travail de tri des épisodes et d'agencement est tout sauf facile.      

Des méchants de pacotille à Méphisto 

Même si l'action semble partir dans tous les sens, une progression se dessine quand même, au bout d'un moment, jalonnée de "méchants" plus ou moins sérieux à combattre. Le premier à apparaître est Achebe, un paysan schizo qui aurait vendu son âme au diable et qui se balade avec une marionnette qu'il fait parler. 


Le Diable, justement, parlons-en. J'ignorais complètement que dans l'univers Marvel, l'un des méchants notables s'appelle Méphisto et qu'il s'inspire du diable de la légende de Faust. Cet album aura eu l'intérêt de me le faire connaître car j'étais complètement passée à côté. Du coup, j'ai mis un peu de temps à comprendre ce que Satan venait foutre dans Black Panther. Depuis, ça a pris du sens évidemment. 


Si Achebe est le plus débile et Méphisto le plus vicelard, le plus stylé des super-vilains de cette BD est sans aucun doute Kraven le Chasseur _qui va faire l'objet d'un film l'année prochaine justement, tiens ! Je n'ai pas bien compris ce qu'il apportait à l'histoire en l'occurrence, mais ce personnage est une expérience à part entière, visuellement ! 



Clichés démontés 

Le premier feuilletage/lecture en diagonale de l'album m'a laissée dubitative : un méchant Russe, un réfugié arborant une ceinture d'explosifs, un héros débarquant d'Afrique avec toute "sa smala" (c'est traduit comme ça) sous le regard surpris des Américains, escorté de deux "épouses" _ les Dora Milaje. Je me suis dit que ça allait être riche en idées reçues ; et encore, je n'avais repéré ni les dealers mexicains, ni le patron vénère du resto chinois. 

Heureusement, la plupart de ces clichés sont dessinés dans le but d'être (plus ou moins subtilement) détournés : Black Panther considère les Dora Milaje comme des sœurs, des associées. Le massif Zuri, ami de T'Chaka et conseiller - garde du corps de T'Challa, n'est pas seulement une brute épaisse. Le Loup Blanc, frère pâlichon du royaume, a atteint de hautes fonctions militaires sans qu'on l'embête trop avec ses origines extérieures. Les propriétés du vibranium, les perles kimoyo et autres spécialités du Wakanda, pays d'Afrique mais aussi pays high-tech, sont pas mal exploitées et ont un impact significatif sur l'action. 



Le bémol, s'il faut en trouver un, concerne les personnages féminins, bien présents mais relégués à l'arrière plan. Certes, Ross a une patronne, Nikki, mais elle ne prend pas part à l'action. Les Dora Milaje sont des femmes fortes et indispensables à la réussite de T'Challa, mais l'une d'elles va faire les frais de la manipulation de Black Panther par Méphisto. Monica, la fiancée du héros, se retrouve bâillonnée et coincée dans un exosquelette, forcée de flinguer des gens. La belle-mère de Black Panther peine à assurer l'intérim à la tête du Wakanda, en l'absence du roi. Enfin, l'événement déclencheur de cette aventure de la Panthère Noire est le meurtre d'une fillette.    

En conclusion, Black Panther - 1 - Ennemi d'État est un album riche en action et en personnages fouillés, à découvrir si vous aimez les histoires de super-héros _ les Avengers débarquent sur la fin, d'ailleurs. Par contre, accrochez-vous, ce n'est pas une lecture facile !  

Il y aurait bien d'autres choses à dire sur le travail des trois dessinateurs, qui ont vraiment des styles différentes, mais à ce niveau-là je laisse faire les pros ! 

Christopher PRIEST. Mark TEXEIRA. Joe JUSKO. Mark BRIGHT. Black Panther - 1 - Ennemi d'État. Panini Comics, 2018. Coll. Marvel Select. 280 p. ISBN 9782809468373 

lundi 1 mai 2023

[MANGA] Jujutsu Kaisen - 1 - "Ryomen Sukuna" - Gege Akutami (2018)

J'ai voulu lire le début du manga Jujutsu Kaisen car il s'agit d'un titre très réclamé par les élèves du collège. Avec un poil de méfiance, tout de même : s'il est toujours appréciable d'avoir des indications sur ce qui peut plaire à nos lecteurs, il convient de ne jamais perdre de vue que leurs suggestions ne sont pas toujours en elles-mêmes gage de qualité. Après tout, le titre qu'on m'a demandé avec le plus d'insistance en dix ans n'est autre que le livre de Nabilla. Chacun en tirera les conclusions qu'il voudra ; pour ma part, j'ai pris le parti de garder la tête froide en toutes circonstances, dorénavant.      

2018, au Japon. La Terre est peuplée de "fléaux", des monstres nés des émotions négatives des humains et responsables d'un grand nombre de disparitions mystérieuses. Afin de les neutraliser, des exorcistes surveillent discrètement les écoles, les cimetières, les prisons... et autres lieux incubateurs de sentiments désagréables. 

Yuji vient d'entrer en 2nde au lycée de Sugisawa et a choisi d'intégrer le club de spiritisme de son établissement. Il ne croit pas spécialement aux fantômes, mais cela lui permet de finir plus tôt pour aller rendre visite à son grand-père hospitalisé. 


Réunion du club de spiritisme

Une nuit, ses amis du club de spiritisme se retrouvent au lycée afin d'analyser à la lueur d'une bougie un curieux petit objet entouré de bandelettes. Ils se rendent compte avec stupeur qu'il d'agit d'un doigt humain desséché. La bougie s'éteint, l'ambiance change, des monstres visqueux débarquent. Sans le savoir, ils ont malencontreusement réveillé le démon Ryomen Sukuna, un puissant fléau. 

Le jeune apprenti exorciste Megumi est déjà sur les lieux, talonné par Gojo, son prof. Mais sa rapidité d'analyse et sa bonne connaissance des sorts ne suffisent pas à tirer d'affaire les lycéens. Yuji décide alors d'entrer en jeu : fort de ses capacités physiques extraordinaires, d'une promesse faite à son grand-père et d'un mépris insolent du danger, il affronte le fléau aux côtés de Megumi. Il a alors l'idée étrange (mais bonne) de bouffer ce doigt séché afin de cantonner le démon au périmètre de son petit corps.

Pendant ce temps-là, sur Youtube...

Non seulement Yuji ne succombe pas à l'intrusion, mais en plus il gère assez bien l'entité qui le possède et qui apparaît à travers lui, de temps à autres. Si la règle voudrait qu'en tant qu'humain "contaminé", il soit exécuté au nom de la sécurité de tous, Megumi et Gojo bataillent pour lui obtenir un sursis. Ils lui donnent pour mission de retrouver et d'ingérer les autres doigts de Ryomen. En effet, sur le principe des Horcruxes dans Harry Potter, la destruction totale et définitive de ce fléau ne sera possible que lorsque toutes les phalanges disséminées auront été assemblées dans un seul réceptacle : le ventre de Yuji ! 

Je comprends le succès de ce manga shônen touffu et donc bien difficile à résumer ! Si vous aimez les combats de héros drôles malgré eux VS des kaiju dégueu pourvus d'yeux roulants et de chicots improblables, Jujutsu Kaisen va vous plaire. Mais c'est aussi cet aspect horrifique qui me retient de le mettre au CDI du collège pour l'instant.  


Celui-là, il est soft, dites-vous !

Après avoir lu un peu partout sur les sites consacrés à l'univers du manga que la version animée était plus claire et mieux réussie que la bande dessinée, je pense regarder les épisodes de la première saison histoire de voir si la différence est flagrante. 

La suite mérite d'être découverte, quel que soit le support, ne serait-ce que pour l'omniprésence bien maîtrisée de l'humour dans une histoire où la mort et les forces occultes sont au centre des préoccupations. 

Cet équilibre entre les tons, comparable à la cohabitation de Yuji et de Ryomen dans le même corps, constitue la touche d'originalité d'un manga dont le schéma est assez classique, même pour quelqu'un comme moi qui n'y connaît pas grand chose. On y retrouve le héros "élu" au grand coeur aux origines floues qui prend conscience de sa force, les adjuvants un peu dans son ombre mais nécessaires dans les combats, le prof plus gamin que ses élèves, les codes des lycées japonais, la faucheuse comme épée de Damoclès... A voir si les tomes suivants s'embourbent dans les stéréotypes ou s'ils s'en distinguent, au contraire.    

Gege Akuami. Jujutsu Kaisen - 1 - Ryomen Sukuna. Ki-oon Shônen, 2018. ISBN 979-10-327-0554-4

mardi 16 août 2022

[TÉMA LA BIBLIOTHEQUE] La tête sous l'eau - Olivier Adam (2018)

L'autre jour, nous nous sommes fait une frayeur, au collège. Un gosse de cinquième demi-pensionnaire s'est volatilisé juste avant la reprise des cours de l'après-midi. Il faut savoir qu'à ce moment de la journée, les assistants d'éducation guettent les allées et venues des petits et qu'il est impossible de sortir sans autorisation écrite. Vraiment, ça ne rigole pas. L'élève, qui est d'ailleurs connu pour son exemplarité, était au CDI lors de la pause du midi _soit juste avant l'évaporation, et il en était ressorti en même temps que les autres. Du coup, en le voyant noté absent lors de la première heure, j'ai craint d'avoir loupé quelque signe annonciateur d'un malaise. Je ne voyais que ça comme possibilité ! En fait, il était tout bonnement rentré chez lui, pour on ne sait quelle obscure raison. Par l'intermédiaire de ses copains, nous avons appris qu'il n'avait pas trop la pêche de jour-là, sans plus.  

Depuis, il est revenu régulièrement au CDI, toujours calme et souriant ; bien des fois j'ai eu envie de lui demander ce qu'il lui avait pris, mais il m'a semblé que ce n'était jamais le bon moment, et que c'était intrusif. Piétiner les consciences avec de gros sabots n'est jamais productif ; il vaut mieux laisser venir, et accepter le fait que, parfois, on n'est pas le plus apte à recueillir la parole. 


Quelques jours après son escapade, le psy-EN m'a demandé s'il était possible de proposer au gamin en question des BD et romans "sur la thématique du traumatisme". Je me suis prêtée à l'exercice de sans problème, parce que ça par contre, c'était dans mes cordes.  

Très régulièrement, on se retrouve face à des enfants qui vivent des situations ultra-glauques sans qu'on puisse le deviner, parce qu'ils ont l'art de garder la face, et/ou parce que l'école est pour eux le seul moyen de couper avec la réalité. Cela donne le vertige de se dire qu'on doit commettre de nombreuses boulettes porcasses.  

Bref, c'est en faisant une recherche de livres dans ce contexte-là que je suis tombée sur le livre La tête sous l'eau d'Olivier Adam. 


L'histoire

Une famille de Parisiens déménage à Saint-Malo, s'adaptant ainsi au projet professionnel du père, journaliste et écrivain à ses heures. Ils sont quatre : les deux parents, et leurs deux enfants, âgés de quinze et dix-sept ans, ou dans ces eaux-là. Les adultes sont ravis de quitter le tumulte de la capitale pour le bord de mer, ou du moins jouent le jeu, mais pour Léa, la fille aînée, c'est très compliqué. Elle laisse derrière elle toute sa vie sociale ; la ruralité ne lui correspond pas... Elle se met à tirer la gueule H24. Quant à son frère Antoine, il s'en fiche un peu : être un geek asocial en Île-de-France ou en Bretagne, c'est bien pareil. 

Un soir, Léa disparaît, comme aspirée dans la foule du festival auquel elle assistait. Elle va être recherchée pendant de longs mois, plongeant sa famille dans l'angoisse et la stupeur. Chacun va gérer la situation comme il peut : la mère va se barrer avec son amant, le père va tomber dans l'alcool et la dépression, le fils va lâcher le programme de seconde pour se réfugier dans le surf, un sport qu'il ne connaît pas du tout et dans lequel il ne semble pas avoir d'aptitudes particulières. 

Après quelques mois d'attente, Léa est retrouvée, en apparence saine et sauve. En apparence seulement. La jeune fille a été séquestrée et maltraitée pendant des jours, ce qui l'a brisée de l'intérieur. Ses proches ne savent comment s'y prendre pour rétablir un lien digne de ce nom avec elle, car son mutisme, son regard vide et ses crises de panique les désarçonnent complètement. Médecins et psys recommandent de laisser faire le temps, mais tant qu'elle ne parle pas, l'enquête ne peut avancer et son agresseur est toujours dans la nature. 

Attention SPOILER, des moments-clés du livre vont être dévoilés dans les paragraphes suivants. 

En regardant tous ces personnages déprimés et à bout de nerfs s'écharper, culpabiliser, attendre, faire leur introspection, chercher des solutions... je me suis dit que La tête sous l'eau pouvait faire un bon Larme de Rasoir, et même concourir pour les Prozac d'Or

Mais non, on va plutôt le classer dans Téma la bibliothèque, pour les raisons qui suivent... 

Ah mais c'est celui-làààà !  

Milieu-fin du roman. Après un gros travail effectué avec la psy, sa copine et son frère, Léa a réussi à pousser la porte du commissariat pour dénoncer son agresseur. Elle leur raconte tout ce qu'elle a vécu entre la soirée du festival et sa libération, et donne aux policiers assez d'éléments pour qu'ils puissent faire un portrait robot. Bien que ces informations soient confidentielles _ même les parents et le frère n'ont aucune idée de ce qui s'est dit pendant l'entretien de Léa avec les flics_, la fuite ne peut être évitée et tout est déballé en long et en large dans la presse locale. 

Antoine est au lycée ce jour-là, et un sous-entendu qui lui est fait en classe à propos de sa soeur lui fait péter un câble. Il quitte le cours comme un gros schlag qu'il n'est pas, et va se planquer au CDI. Riche idée ! 

A ce moment du récit, chacun pourra apprécier le portrait très peu élogieux qui est fait de la prof doc de l'établissement malouin. Bizarrement, il a tout de suite suscité chez moi un air de déjà lu... 

Mais où donc était-ce ? 

Ah, ça me revient ! Bien sûr !! C'est celui-là, le "fameux" roman d'Olivier Adam qui a fait si grand bruit dans la communauté des profs docs il y a quelques mois, au point d'être boycotté dans certains centres de documentation !! Je n'avais pas fait le lien entre La tête sous l'eau et cette affaire jusqu'à la lecture de la page 153.    

Ok, ça pique un peu. Mais n'oublions pas que l'auteur a posé comme narrateur un adolescent de quinze ans... par définition pas indulgent avec les représentants de l'autorité, quels qu'ils soient. D'ailleurs, même si on en a moins parlé, le CPE prend sa race, lui aussi, sur la page précédente.

Olivier Adam aurait pu aller bien plus loin dans le cliché et tailler le système plus violemment. 

"Je passe devant l'infirmerie fermée puisqu'on n'est pas mardi matin de 9h à 10h30 et continue jusqu'au CDI faute de mieux. La documentaliste me laisse m'asseoir sans poser de question car elle dort vu qu'elle n'a rien à faire cette feignasse. C'est une grosse femme triste et sans âge, qu'on imagine sans vie, avec sa vieille maman retraitée de l'EN et qu'on prend pour sa petite sœur, ses livres de la Comtesse de Ségur en journée et Harlequin le soir et ses chats qui cannent un par un depuis qu'elle a investi dans une voiture sans permis, sans doute à tort. Ah, Antoine reconnaît qu'il est en proie à quelques idées reçues, tout n'est pas perdu. Quelle maturité ce gosse. Le seul truc qui la gêne, c'est le bruit qui la réveille en sursaut, après quoi elle se transforme en dragon et te mange. Tant qu'on ferme sa gueule et qu'on reste bien sagement à sa table à lire ou devant l'ordinateur à se branler discrètementelle ne moufte pas " car elle filme. 

Vous voyez bien qu'il n'est pas si méchant !

Même si j'ai tendance à provoquer les collègues en disant qu'il n'y a jamais que la vérité qui blesse, je comprends les réactions outrées : le seul point du portrait qui m'ait fait tiquer se situe quelques pages plus loin, où il est dit que la documentaliste sent la transpiration et le déo bon marché. La raison à cela est claire : voilà plus de dix ans que je travaille avec des collégiens, et voilà plus de dix ans que je m'entends dire que je pue.. Ce qui n'est pas foncièrement faux, mais que voulez-vous, notre odeur corporelle est une des multiples facettes de notre identité. 

Bref, il est légitime de se sentir vexé par ces quelques tournures, quand on enchaîne les semaines à s'investir sur tous les tableaux (EMI, lecture, gestion documentaire, ouverture culturelle...) pour finalement constater dans un roman grand public _et à succès, je pense_ que l'image du métier est toujours aussi désuète. L'eau va glisser sur l'un et s'infiltrer en l'autre, en fonction de son parcours. 

Le kiosque presse de l'horreur

Abordons rapidement le lieu CDI. Identifié par le jeune Antoine comme un lieu-refuge, il ne remplit vraiment ce rôle-là dans La tête sous l'eau ; en revanche, il répond parfaitement à sa vocation d'accès à l'information d'actualité, à travers la presse nationale et régionale notamment. Le centre de documentation est une sorte de zone mixte entre le cocon protecteur du lycée et la dure réalité du monde extérieur. Le héros en ressort l'estomac allégé (puisqu'il gerbe sur les journaux, ooooh comme cette situation me parle !), mais l'esprit enrichi de nouvelles connaissances. Des connaissances dont ils se serait bien passé, je vous le concède... mais auxquelles il allait devoir faire face dans tous les cas.  

Toujours est-il que les révélations électrochoc vont engendrer chez lui un raz-de-marée de colère ; sa détermination renouvelée va se diriger vers les méandres du darknet, cette zone de non droit qu'il n'avait pas encore explorée jusque là. Comme quoi, la documentaliste a beau être ce qu'elle est, son boulot de mise à disposition de l'info est un vrai catalyseur de l'action, un maillon de la chaîne qui conduira à l'agresseur de Léa. Bref, c'est grâce à la prof doc que le livre finit bien, ni plus ni moins ! 

C'est pas ça qu'on appelle un page-turner ? 

Passées les considérations propres au CDI, revenons sur l'impression générale que cette lecture me laisse ; elle est plutôt positive !  

Voilà bien longtemps que je n'avais pas plié un livre en une seule journée, même en vacances ; pourtant ce fut le cas avec ce roman d'Olivier Adam. Cet écrivain _que je ne connaissais que de nom jusqu'alors, a l'art de tenir son public en haleine, y compris lorsque l'issue de événements racontés est un peu (beaucoup) prévisible. 

Cela vient sans doute du fait que les jeunes personnages racontent leur histoire à hauteur d'enfants, si l'on peut dire, avec leurs mots ; l'enchevêtrement du récit d'Antoine et des lettres teintées de mystère écrites par Léa avant sa disparition nous mettent en position d'enquêteur ; pour nous aussi, le puzzle ce reconstitue peu à peu. J'ai toujours été très fan de ces procédés de malins et des textes à plusieurs voix ! La sensibilité des personnages enfants et la fragilité des adultes est traitée en profondeur ; la figure de Jeff (l'oncle hyper bien intentionné mais gravement irresponsable) ne doit pas être très courante en littérature car pour ma part je ne pourrais en citer d'équivalent. Ou alors je lis pas les bons trucs, ce qui est possible aussi. 

"Le Gué de l'âne" Saint-Germain du Salembre.
Et : non, ça n'a rien à voir avec le sujet. 

Si je voulais faire ma chieuse, je dirais qu'en fin d'ouvrage, les événements s'enchaînent un peu rapidement et on a l'impression que toutes les ramifications ne sont pas exploitées à fond : la codétenue de Léa, la circulation des vidéos sur Internet, le mobile de l'agresseur... Après, ce sont des choix de l'auteur, il n'est pas prévu de les remettre en question. Pas mal de critiques parcourues sur Internet font état d'un roman qui emprunte beaucoup à ceux déjà écrits par Olivier Adam, mais comme je n'en ai lu aucun, je ne le ressens pas. 

Etant donné les thématiques abordées et la prévalence de jeunes personnages, je dirais que La tête sous l'eau parlera particulièrement aux collégiens (4°-3°) et lycéens ; mais ce n'est pas un livre exclusivement réservé à la jeunesse. A découvrir, donc ! 

Olivier ADAM. La tête sous l'eau. Robert Laffont. Coll. R. 218 p. ISBN 978-2-221-21517-3

lundi 23 décembre 2019

Joey et le Mystère des Manteaux Noirs - Remi Vidal (2018)

Merci à Babelio et aux Éditions Trois Petits Points pour l'envoi du livre audio Joey et le Mystère des Manteaux Noirs dans le cadre de l'opération Masse Critique. 


L'histoire 


Soyez les bienvenus à Trifouillis-les-Os, une petite ville canine fort cocker coquette, réputée pour sa Butte Saint-Bernard, son Canal du Milou et son Université des Chiens Savants ! En cet après-midi d'été, Joey le chien bleu_ héros et narrateur de l'histoire, a profité du soleil pour aller jouer "à la baballe" avec sa bande de copains. Il nous présente tour à tour Cassidy, sa meilleure amie au caractère bien trempé, Rex le vieux de la vieille et Johnny l'érudit dont le plus grand talent est d'écorcher toutes les expressions qu'il emploie. Tous les quatre forment les Rex Pistols, du nom de leur chef.

Soudain, c'est le drame : un shoot malheureux envoie la balle en plein dans la vitre du salon de l'effrayant George Bouledogue. Ni une ni deux, le propriétaire se lance à leur poursuite, complètement furax, poussant les Rex Pistols à fuir jusqu'au nord de la ville, bien loin de leur quartier et de leurs repères. La joyeuse bande n'a plus qu'à regagner ses pénates avant la tombée de la nuit... mais qu'à cela ne tienne, ils vont profiter de l'occasion pour se payer un peu de bon temps. Ils ne savent pas que de nombreux déboires les attendent sur le chemin du retour.  

Déjà, ils remarquent que la très ambiancée Butte Saint-Bernard est déserte, et de mémoire de chien, on n'a jamais vu ça. Pour Rex, cela n'augure rien de bon. Ses craintes s'amplifient lorsque sa truffe détecte la présence de touffes de poils noirs sur les lieux : les Manteaux Noirs sont de retour. Qui sont-ils ? Pourquoi le vieux chien est-il tout à coup si pessimiste ? Le jeune Joey n'en sait rien, et nous non plus. Alors il nous chante la légende urbaine idoine, sur un air de rock ; on comprend que ces mystérieux chiens au pelage noir sont déjà venus hanter Trifouillis-les-Os quelques générations plus tôt, avant d'être combattus, vaincus et expulsés...

La nouvelle de leur retour met Joey et Cassidy sur les dents : pas question que les Manteaux Noirs viennent s'installer sur leur territoire, il faut chasser ces intrus une bonne fois pour toutes. Ils se lancent à leur recherche, très remontés, et finissent par tomber sur deux d'entre eux. Deux soeurs, Jackie et Vickie, très occupées à faire... rien de mal, en fait ! Encore imprégnée des folles rumeurs qu'ils viennent d'entendre, Cassidy se montre hostile bien qu'elle n'ait aucune raison de l'être ; pas spécialement belliqueuses, celles qui se font appeler les Jack Panters n'entendent pas s'écraser pour autant : oui, elles ont le poil noir, et alors ? Des chiens de Trifouillis-les-Os ou des chiens de passage, qui aura le dernier mot ? Le duel est inévitable ; il prendra la forme d'une joute verbale opposant les natifs de Trifouillis-les-Os aux "étrangères". Seul "le choc des mots" fera la différence. Joey et Cassidy vont apprendre à leurs dépens que les paroles peuvent faire mal lorsqu'elles sont mal choisies, lorsque la colère et la peur les poussent loin, trop loin, bien au-delà de la pensée. 

    


Joey, l'opéra rock 

Ceux qui ont appris à lire avec Ratus le rat vert autrefois seront particulièrement ravis de découvrir aujourd'hui Joey le chien bleu, héros tout aussi remuant et anticonformiste !

Voilà à peu près un an que j'essaie de me familiariser avec la lecture audio _ surtout pour des raisons professionnelles, puisque comme vous le savez (ou pas), on essaie de créer un fonds de livres sonores, au CDI. Je me suis parfois demandé si on pouvait parler de "lecture" et de "littérature" lorsque l'oeuvre enregistrée n'avait pas de "base écrite", si l'on peut dire. A priori, Joey et le Mystère des Manteaux Noirs n'est pas un livre lu à haute voix, mais plutôt un "spectacle audio". Pourtant, je n'ai pas eu de mal à l'associer à un livre. Il faut bien reconnaître que la jaquette du CD _ qui est vraiment un bel objet, soit dit au passage, nous y engage : elle fait vraiment couverture de livre, avec son titre central et son fond vermillon. Les illustrations de l'univers urbain et les petits personnages représentés en style BD nous aident à planter un décor et à imaginer les scènes de départ pour le jeune lecteur qui aurait du mal à "accrocher" aux premières pistes du livre audio. Voilà des petits détails qui n'en sont pas, et qui peuvent faire toute la différence ; ça me fait un peu mal aux mains d'écrire ceci, moi qui n'aime pas juger une noix d'après sa coquille, mais il faut bien le reconnaître : sur un livre audio, l'esthétique de la pochette a son importance. De même, le plan de la ville de Trifouillis-les-Os _avec ses noms de rues bien trouvés, et la retranscription des paroles de toutes les chansons qui rythment l'histoire, nous aident à suivre et permettent de prolonger la lecture.



Il faut le savoir, les aventures de Joey sont relatées sur fonds de chansons rock'n roll, bourrées de références culturelles, musicales, et de messages incitant les jeunes lecteurs - auditeurs au questionnement et à la réflexion : qu'est-ce qu'être différent ? les chiens des rues qui errent dans les quartiers sont-ils méprisables ? la couleur du pelage _et de la peau, bien sûr_ est-elle si importante ? faut-il virer tous les chiens étrangers ? viennent ils vraiment d'un pays "tout pété ?" faut-il croire les rumeurs ? Evidemment, ce monde de toutous peut (et doit) être transposé au nôtre...

Certes, l'avertissement "Parents attention langage mordant" n'est pas volé, mais le ton reste très correct et tout à fait adapté à la tranche d'âge ciblée par la maison d'édition, à savoir les 3-12 ans.

Le livre se termine sur un hymne final qui n'est pas sans rappeler un air bien connu de Matmatah.


Joey et le Mystère des Manteaux Noirs. Rémi Vidal. Trois Petits Points, 2018.


jeudi 7 mars 2019

Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle - Renaud Bret-Vitoz (2018)


Merci aux Presses universitaires du Midi et à Babelio pour l'envoi de l'ouvrage Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIII° siècle dans le cadre de l'opération Masse Critique ! 



A moins d'avoir vécu à Toulouse ou dans ses environs, à moins d'être un spécialiste de Voltaire et d'autres grands auteurs du XVIII° siècle, à moins d'être très bien renseigné sur l'organisation de la Résistance en France au début des années 1940... il est possible que vous ne connaissiez pas Raymond Naves. Pour ma part, je ne savais pas de qui il s'agissait avant d'ouvrir ce livre : en cela, l'opération Masse Critique m'aura encore été utile !

Qui était Raymond Naves ? 

Né en 1902 et devenu professeur de lettres classiques dans les années 1920, Raymond Naves a enseigné dans différents lycées du sud de la France _il était originaire de Haute-Garonne, puis à Paris. A partir de 1930, il s'illustre en publiant différents travaux sur l'esthétique du XVIII°e siècle, et plus particulièrement sur l'esthétique voltairienne. Il faut savoir qu'à l'époque des Lumières, on n'utilisait pas le terme d'"esthétique", mais plutôt celui de "goût" ; et encore, tout le monde n'était pas d'accord sur la définition. Puisque celle proposée par Voltaire se rapproche le plus de ce qui deviendra l'"esthétique" en tant que "théorie philosophique qui se fixe pour objet de déterminer ce qui provoque chez l'homme le sentiment que quelque chose est beau" *, Naves choisit de s'appuyer dessus, dans ses travaux sur "les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle". Il devient un précurseur dans ce domaine, et présente en 1937 sa thèse intitulée Le goût de Voltaire. Il semblerait que cette oeuvre soit restée jusqu'à nos jours une référence pour les chercheurs spécialistes de ce philosophe.

Durant la Seconde guerre mondiale, et sans pour autant mettre sa fonction d'enseignant entre parenthèses, Naves s'engage dans la Résistance, et y tiendra un rôle certain... jusqu'à être arrêté et déporté au camp d’Auschwitz, où il mourra en 1944 sans avoir pu achever son oeuvre, et sans avoir pu accéder à la reconnaissance qu'il méritait.


Penchons-nous sur ce livre rouge... 

En 2014, soit 70 ans après sa mort, le département Art & com de l'Université Toulouse II Jean Jaurès a organisé une journée d'études commémorative sur Raymond Naves ; les communications présentées par des chercheurs durant ce temps d'hommage et de réflexion ont été recueillies et publiées sous le titre suivant : Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe. Il s'agit de l'ouvrage dont nous parlons aujourd'hui.

Six parties le composent ; elles forment un panorama des champs de recherches et de création abordés par l'auteur-enseignant-critique. Dans un premier temps, Pierre Petremann (professeur d'histoire) dresse une biographie de Naves. Ensuite, une deuxième partie évoque son rôle important dans l'avancée des études dix-huitiémistes à travers la thèse Le goût de Voltaire et la contribution de ce dernier à L'Encyclopédie ; ce sont deux universitaires, Sylvain Menant et Olivier Ferret qui l'ont prise en charge. Les troisième et quatrième parties mettent en valeur les ouvrages pédagogiques écrits par celui qui était avant tout un enseignant : Voltaire dans la collection "Classiques France", Le Prince et l'Anti-Machiavel et L'Aventure de Prométhée (inachevé). S'ils ont pour but premier de faciliter l'étude d'oeuvres littéraires classiques par les lycéens, ces livres sont parsemés de messages militants où l'Occupation et la montée du fascisme sont dénigrés. En guise de cinquième chapitre, il est question de la manière dont Naves interprète les préoccupations esthétiques de Voltaire, en tant d'auteur dramatique cette fois-ci.




Le meilleur pour la fin ! L'ouvrage est clôturé par une sixième partie d'"Addenda" constituée d'un article intitulé "L'abbé Batteux et la catharsis", et d'un recueil de poèmes : Vivaces.  

Ces poèmes retiennent particulièrement notre attention, puisqu'ils ont l'avantage d'être des écrits personnels ; ils sont le dernier contact qui nous reste avec cet homme aux multiples casquettes (prof, militant, chercheur, résistant...) qui s'est surtout illustré par des articles et des livres scientifiques, forcément plus impersonnels. On remarquera que les poèmes de Vivaces sont très souvent centrés sur des lieux plus ou moins ouverts, sur des espaces extérieurs plus ou moins étendus... vivants et libres.

Voltaire
"Hihihihi, comme vous êtes laids !"
Nouvelle lecture et nouvelle bonne surprise.  

Ce recueil de contributions scientifiques est par définition difficile à lire, mais je ne le considère pas moins comme une belle découverte qui me donne envie de me replonger dans l'oeuvre de Voltaire, à la lumière des travaux de Raymond Naves. De là à dire que je vais le faire... 

Bon, Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle est une publication universitaire traitant de points de littérature française, d'histoire, d'arts, de philosophie bien précis. Il est donc possible que j'aie pu en parler de manière inexacte, ou faire des erreurs de compréhension des textes. Aussi toutes remarques, précisions et signalement d'erreurs en commentaire seront-elles les bienvenues. 


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* Définition de l'Encyclopédie Larousse en ligne

Renaud Bret-Vitoz (dir.). Raymond Naves : les débuts de l'esthétique au XVIIIe siècle. Presses universitaires du Midi, 2018. 234p. ill. ISBN 978-2-8107-0567-2



dimanche 11 novembre 2018

Mauvaise humeur


J'essaie d'être aussi tolérante avec les autres que j'aimerais qu'ils le soient avec moi ; mais la semaine dernière, la tâche s'est avérée plus difficile que d'habitude. 



"Alors, ça se passe bien, cette année ?" me demande une ancienne collègue mutée dans un établissement voisin réputé "moins difficile" que le nôtre. Elle a pris l'intonation apitoyée de celle qui a réussi à déserter le champ de bataille mais qui fait mine de souffrir pour les frères d'armes qui ont encore les pieds dans la fagne. "Alors, ça ne se passe pas trop mal, cette année ? Malgré la violence, le bruit, les travaux, les absents, la pluie, le froid, la mort..." 

Mais le fait est que, bah, cette année, on n'a pas trop à se plaindre. L'équipe s'est stabilisée, les collègues entretiennent sinon de bons rapports, au moins des échanges courtois, et le comportement des élèves s'en ressent : les jeunes sont globalement plus apaisés et trouvent moins facilement les failles qui mènent au chaos. Bien sûr, on n'est qu'en novembre, et, pour citer une autre collègue réagissant en aparté au discours plein d'espoir prononcé par les principaux en début d'année, "on va pas s'enjailler". Les morveux ont plus d'un tour dans leur sac, et chez eux, le calme apparent laisse présager le pire. 

Voilà, dans les grandes lignes, ce que je lui explique en regroupant les affiches de ses anciens élèves, qu'elle souhaite récupérer afin de les montrer aux nouveaux. 

"Et la direction ?" 

Encore une fois, il ne trouve que je n'ai rien de négatif à dire ; et quand bien même ce serait le cas, je me garderais bien de m'en ouvrir à une personne qui a déjà prouvé qu'elle ne savait pas tenir sa langue. 

Le silence s'installe. Visiblement, Patricia* est venue en mode vautour, survolant son ancien lieu de travail et se préparant à fondre sur ses éventuels dysfonctionnements pour s'en gargariser. Bien sûr, elle a des tas de raisons d'être dans cet état d'esprit : elle n'était pas hyper jouasse d'avoir été affectée par chez nous et lorsqu'elle a commencé à se sentir bien dans ses baskets, réussissant sans peine à gagner l'estime et le respect de ses élèves... son poste a été supprimé. Alors oui, on peut comprendre qu'elle ait envie de nous vomir dessus pour se sentir mieux. Mais sur l'instant, j'ai eu envie de la traiter de charognarde et de l'envoyer se faire foutre. J'étais pas d'humeur pour les oiseaux de mauvais augure. 


Gros Lourd le Vautour, personnage de l'histoire Tchico le petit Indien
Ce spectacle de marionnettes était joué par la Compagnie Les Trois Chardons.
Tous les ans, elle venait égayer notre année de maternelle avec leurs histoires magiques : Galou le berger, Lucille et Malo, L'oiseau bleu... et nous laissait des bons de commande pour acheter la version livre-cassette.
On les a tous.

"Et toi ? 

Je pariai intérieurement sur un monologue de dix minutes consacré à l'excellence du bahut d'à côté ; non, même pas. 

"Tu savais que Mme Machin était partie du collège X cet été ? Elle vient à peine d'être remplacée par un type. Tu crois qu'il lui est arrivé quoi ? ça ressemble à un abandon de poste, non ? Elle a peut-être une maladie grave... Elle était dépressive ?" 

Décidément, quel optimisme... 

_ Oh...je ne sais pas... Je pense qu'elle a simplement obtenu sa mutation... Elle était pas d'ici." 




Si elle commence à gicler son venin sur ses ex-nouveaux comparses, c'est le signe qu'elle-même n'est pas au mieux de sa forme. Oh, elle est capable de faire preuve d'un meilleur esprit, et j'ai assez bossé avec elle l'année dernière pour le savoir. Il faut qu'on se soutienne. Il faut que je joue le jeu. Reste cool et souriante jusqu'à son départ du CDI. Du moins, reste cool. Elle ne t'a rien fait, et qui sait quand tu la reverras... Est-ce que tu veux qu'elle garde de toi l'image d'une documentaliste aigrie et cynique ?   

Ne pas montrer à quelqu'un qu'on a envie de le fracasser est un exercice des plus difficiles. Mais pas impossible.       

"_ Eh... ils sont calmes, en fait ! s'esclaffe soudain Patricia en désignant de la tête la petite dizaine d'élèves venus s'installer dans le coin lecture pendant leur heure de permanence. 

Est-ce que tu sous entends qu'avant, quand nous étions dans la même galère, c'était le bordel ? Non, certainement pas. Ton intention n'était pas de me mettre face à mes limites en ajoutant cela ; ta remarque était l'innocence-même, tu cherchais juste quelque chose de sympa à dire, et je devrais me raccrocher à l'une des rares observations positives que tu aies émises depuis ton arrivée. Mon cerveau me l'assure, et je le crois ; pourtant, mes tripes ont envie de te pendre et je prie pour qu'elles ne se fassent pas la malle par l'un de mes trous. 



Ah, chère Patricia... C'eût été un plaisir de te voir... un autre jour. Pourvu que tu n'aies pas senti l'agacement bouillir en moi ! Tu n'en étais pas la cause, et à vrai dire, personne n'y était pour rien !  

* J'ai changé le nom, je suis pas guedine à ce point !
  

mardi 23 octobre 2018

Le septième geste - Tsvetanka Elenkova (2018)


Bien bien. Il me semble que j'ai passé presque deux mois sans écrire sur ce blog, ce qui est une première depuis sa création. Autant dire qu'il est difficile de s'y remettre ! Je vais donc essayer de faire un compte-rendu clair et concis d'un recueil de poèmes en prose qui m'a été envoyé par Tertium Editions, dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio ; il s'intitule Le septième geste, a été composé cette année-même par l'auteure bulgare Tsvetanka Elenkova et a été traduit par Krassimir Kavaldjiev. 

Voilà la bête !
On a une bonne et une mauvaise nouvelle ! La mauvaise, c'est que je n'ai pas compris ce choix du titre Le septième geste pour ce recueil ; la bonne, c'est que j'ai globalement saisi tout le reste, et ce, bien qu'on ait affaire à de la poésie, bien je ne sois pas une flèche, bien que je ne connaisse rien à la littérature bulgare... De la poésie en prose, qui plus est : pour rappel, cela signifie que vous pouvez dire au revoir à l'espoir de décrypter le message du poète en vous accrochant aux strophes et aux vers. Malgré cela, n'hésitez pas à vous lancer dans la lecture du Septième geste, qui sera tout sauf lunaire et/ou rébarbative. 

D'ailleurs non, ne vous lancez pas. Allez-y plutôt sur la pointe des pieds, car à travers son poème initial ("La traîne de la poésie"), Tsvetanka Elenkova nous propose une entrée fracassante où les images à caractère phallique s’emboîtent à la chaîne se superposent, laissant craindre (ou espérer, tout dépend des attentes du lecteur) une orgie en 90 tableaux... Mais finalement, il n'en sera rien ; même si l'érotisme plane toujours entre deux souvenirs de l'artiste, il reste subtil et tout à fait contournable pour qui n'est pas d'humeur à faire des blagues.   

Le septième geste raconte plutôt quelques moments d'anecdotiques vécus par une famille qui évolue au fil du temps, sur plusieurs générations ; d'une page à l'autre _et donc d'un poème à l'autre, puisque chaque pièce du puzzle n'excède jamais une demi-page, l'auteure évoque sa mère, son frère, puis sa propre maternité. On notera qu'elle cite régulièrement les maximes de sa mère, utilisant l'italique et l'élevant au rang de philosophe ; je ne sais pas s'il sagit de propos rapportés authentiquement, mais il s'avère qu'ils marquent particulièrement le lecteur : 

"Personne ne mérite les larmes d'une fille"
"Tout est bien qui finit bien"
"Après la soixantaine, le temps s'envole"

Un peu comme dans Le parti pris des choses de Francis Ponge, la force des poèmes du Septième geste provient des situations quotidiennes les plus banales. Si quelques thématiques abordées tout au long du recueil, telles que le temps, qui passe, le cheminement de la vie vers la mort, les liens humains... sont récurrentes en poésie, il est plus rare qu'on les aborde par le biais d'objets de la vie courante (les vêtements, la voiture), ou de petits événements empreints de trivialité (la coupure d'un compteur d'eau, l'avancement d'un chantier...). Cela n'empêche d'ailleurs pas Elenkova de parsemer ses scènes (utilement, à mon avis) de références à des lieux et à des personnages issus de la mythologie grecque. N'étant pas spécialiste de la question, je préfère ne pas proposer d'analyse de cette dimension "antique" du recueil, mais je vous invite à le faire, si vous le sentez : à n'en pas douter, la matière n'attend que d'être creusée. 

Aux confins des questions existentielles, des souvenirs de famille et de la singularité des paysages méditerranéens, Le septième geste laisse entendre que la clé du mystère de la vie est tombée quelque part dans notre quotidien.     

Merci à Tertium Editions et à Babelio pour l'envoi de ce livre, qui est une belle découverte.

Désolée pour ce billet tout pourri, mais la reprise du gribouillage après une trop longue pause est toujours compliquée.

Tsvetanka Elenkova. Le septième geste. Tertium Editions, 2018. 95p. ISBN 978-2-490429-02-8


tous les livres sur Babelio.com


mardi 28 août 2018

Lectures de (fin de) vacances : Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) / Ça c'est mon Jean-Pion - David Snug (2018)


Soupir de regret, une fois de plus

Tu découvres un livre, tu trouves qu'il est vraiment bien écrit ; alors tu fais une recherche dans le catalogue du CDI pour voir si d'autres ouvrages du même auteur sont présents dans le fonds. Tu te rends compte que oui, deux documentaires _très prisés ! et quelques articles de revues pour enfants sont signés par ce gars. Alors tu cherches sa biographie et tu apprends qu'il est mort il y a deux ou trois ans à peine, fauché avant d'être vieux. 

Victor Schoelcher : "non à l'esclavage" - Gérard Dhôtel (2008) 

Je crois qu'on a parlé une seule fois de Victor Schoelcher en cours ; c'était dans le cadre du cours d'histoire-géo et d'éducation civique, plus précisément pendant la période des révisions. Nous avions lu un extrait d'un texte dont il était l'auteur et qui parlait d'abolition de l'esclavage, après quoi nous devions répondre à des questions de type brevet. Il faisait beau et chaud, on n'avait pas grand chose à battre de cet homme au nom imprononçable. Par contre, le Toussaint Louverture dont il louait l'importance et les qualités de révolutionnaire inspirait beaucoup nos esprits corrompus par des hormones en ébullition. 

"Ma queue, elle va trouver ton ouverture, ahah !"   

De toute façon, notre prof était passée assez rapidement sur Schoelcher, nous laissant entendre que ce particulier, certes, avait rendu libre un paquet de monde, mais qu'il était aussi un bon colonialiste des familles. Cela ne nous avait pas donné envie d'en savoir plus ; j'ai donc beaucoup appris du court roman historique écrit par Gérard Dhôtel.    



Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage" s'organise en six courts chapitres symbolisant les étapes marquantes d'un destin qui aurait pu se limiter à la vente de porcelaine. En effet, Victor est d'abord envoyé outre-Atlantique pour livrer des commandes passées à son père, un porcelainier de renom. A 24 ans, ce jeune homme bien né rêve de découvrir le vaste monde ; sa vie de futur vendeur va prendre une direction nouvelle lorsque, une fois arrivé à Cuba, il assiste à une vente d'esclaves qui va le traumatiser. Selon Gérard Dhôtel, la scène lui fait l'effet d'un électrochoc, et l'abolition de l'esclavage des Noirs devient son cheval de bataille. Lorsqu'il entre en France, il se lance dans l'écriture de textes démontrant que les hommes sont égaux et qu'en soumettre certains à d'autres en fonction de leur couleur de peau est complètement absurde. A partir des années 1840 paraîtront ses premières publications. Il entrera dans l'Histoire en faisant passer le décret d'abolition de l'esclavage en 1848. De fil en aiguille, Schoelcher intègre les sphères de la politique et du journalisme, se lie avec des hommes de lettres, puis utilise parallèlement son statut de bourgeois aisé pour poser les pieds dans un camp "ennemi" : celui des colons et des esclavagistes. Son objectif est de comprendre leurs arguments pour mieux les contrer.  


Comme c'est le cas dans beaucoup de livres de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Actes Sud Junior, Dhôtel a choisi de mettre en scène un personnage jeune et emporté auquel les jeunes lecteurs pourront s'identifier, quitte à broder quelques fioritures par dessus la réalité... On suit ce petit gosse de riche croyant dur comme fer à l'humanité dans son voyage initiatique où il va se faire baffer assez rapidement par des déconvenues : il va apprendre par l'observation que l'Homme est capable du meilleur comme du pire. Utilisant toujours le présent, l'auteur rend également accessibles les tumultes historiques du XIX°siècle, dont on parle un peu moins souvent que d'autres : la IIème République, puis la IIIème, avec entre temps le coup d'Etat de Napoléon III.   

Cette biographie romancée de Victor Schoelcher est suivie d'un dossier constitué d'une chronologie, d'un article intitulé "Eux aussi, ils ont dit non" qui évoque d'autres figures de la lutte pour l'abolition de l'esclavage ou qui ont travaillé sur ce sujet (Wilberforce, les Lumières, Harriet Beecher-Stowe, Maryse Condé, Aimé Césaire). Il se clôture sur un corpus d'illustrations en couleur utilisables en classe, à mon avis. Même s'il n'a pas vocation à soulever les zones d'ombres qui entourent quelqu'un qui a, malgré tout, œuvré à l'avancée des mentalités, lire ce roman écrit pour les jeunes (mais également instructif pour les adultes non historiens) ne fera de tort à personne. 

Emission 2000 ans d'Histoire consacrée à Victor Schoelcher - Diffusée en 2017 (à vérifier)
  
Dhôtel, Gérard. Victor Schoelcher : "Non à l'esclavage". Actes Sud Junior, 2008. Coll. "Ceux qui ont dit non". 95 p. ISBN 978-2-7427-7761-7 


Allez, on passe à la suite ! 


David Snug - Ça c'est mon Jean-Pion (2018) 

Après avoir fait un petit tour du côté d'Instagram _ puisque apparemment les infos les plus croustillantes s'échangent via ce réseau-là, en ce moment _,après m'être abonnée au compte des éditions Même Pas Mal, je suis tombée sur la couverture de Ça c'est mon Jean-Pion, la nouvelle BD de David Snug :    



Là, je me suis dit : oh, mais cette bande dessinée pourrait faire un cadeau de rentrée bien marrant pour les collègues de la Vie Scolaire. Si la couverture me susurrait déjà à l'oreille que ce ne serait pas possible d'intégrer l'ouvrage en question au fonds BD en libre accès du CDI (suivez mon regard vers le couteau et les clopes notamment), rien ne m'empêchait de l'abandonner négligemment dans le bureau des surveillants. L'histoire d'un pion qui raconte son année scolaire devait sans doute être riche en anecdotes sur les mouflets, et ne pouvait que prendre la forme d'un parcours initiatique où un "nouveau" de l'EN se fait bien bordéliser par les gosses à la rentrée avant de se remettre en question, de toucher le fond, et de remonter à la surface en fin d'année, content d'avoir trouvé son rythme de croisière en matière de gestion des groupes.    

ou pas

Sauf que. David Snug sort tellement des sentiers battus que le résultat qu'il obtient en publiant Ça c'est mon Jean-Pion est encore plus surprenant qu'on pouvait s'y attendre. 

En prenant son poste de surveillant à mi-temps dans un collège de Seine-Saint-Denis, le héros _qui n'est autre qu'un fidèle avatar de l'auteur, voulait juste se faire un peu d'argent tout en ayant du temps libre pour dessiner et jouer de la musique. L'homme n'a rien d'un jeune blanc-bec hésitant et plein d'empathie pour l'adolescent boutonneux. Il se crée d'entrée le personnage (très drôle) de Jean-Pion, un tortionnaire au rire terrifiant désireux d'assouvir ses pulsions nazies ; aussi, comme il aura relativement la paix avec "le collégien, cet être inférieur", il aura la possibilité d'observer et de critiquer le système dans lequel il s'est infiltré bien malgré lui. Pas de chaises qui volent, pas d'insultes, par de tranches d'ananas dans ta djeule _c'est ce que les gosses me jetaient quand je surveillais la cantine, au Mirail. Pas de longues tirades sur le dur métier d'éducateur _"mais que font les parents ??". Vous êtes déçus ?

Non, vraiment, vous ne devriez pas : ici, tout le monde en prend pour son grade. Il est fort probable que vous ne lisiez jamais ailleurs ce que vous verrez dans cette BD... qui est un des rares ouvrages traitant du milieu scolaire qui évoque les AGENTS D'ENTRETIEN ! Déjà merci, rien que pour ces vignettes-là. La mixité sociale ? L'artiste la passe au mixeur, toujours en s'appuyant sur son expérience professionnelle tellement enrichissante. 

Du coup, il devient délicat de présenter Jean-Pion à mes copains de salle des profs et de vie sco car, comme chacun sait, on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ; et je pense que certains passages _sur la typologie des profs, des surveillants, sur les rapports qu'ils entretiennent... passerait fort mal. Quand il s'agit de se foutre des élèves et des parents, on est tous d'accord ; mais quand on touche à la corporation, les gens sont bizarrement plus chatouilleux. 

D'ailleurs, au sujet de la seule allusion faite au CDI dans la bande dessinée, force est de constater qu'elle m'a rappelé quelques vieux souvenirs.



Bref, pas la peine de raconter les 70 planches (ou un peu plus, un peu moins). Je ne pourrai que conseiller aux gens qui ont de l'humour ce tout dernier ouvrage de David Snug sorti au mois d'août. Original par son angle d'attaque, il frappe fort et juste dans les failles du système, et notamment celles qui font que, quand on est assistant d'éducation, on ne voit pas toujours l'intérêt de se donner à fond dans ce boulot ingrat ; malheureusement, lorsque tu te retrouves surveillant _parfois aux abois, parfois avec une famille sur les talons, tu n'as pas forcément envie de te reprendre cette réalité dans la figure et tu te protèges comme tu peux.. Ajoutons à cela, et c'est important, que David Snug évite de tomber dans l'écueil "Vis ma vie dans 9-3" : "Wesh wesh, moi je travaille avec des petits blacks, des petits arabes, les parents sont démissionnaires, ils fument du shit en bas des immeubles, c'est pas facile croyez-moi". 

Pour finir, Jean-Pion est ni plus ni moins un roux cool des aisselles qui se trimbale avec des croix gammées "izi" dans une cour de récré clôturée de barbelés, ou dans d'autres décors aux teintes rouges délavées et blanches. Les couleurs du nazi soft ? Ici, c'est pas Entre les murs, sachez-le. Rien que pour le phénomène, jetez-y un oeil !  

   

Du coup, j'ai acheté cette BD ; précisons une dernière fois qu'elle se lit avec des lunettes 3ème Degré. Désolée de participer au sucrage du RSA. 

David Snug. Ça c'est mon Jean-Pion. Editions Même Pas Mal, 2018. ISBN 9782918645450 - 15€