mardi 16 août 2022

[TÉMA LA BIBLIOTHEQUE] La tête sous l'eau - Olivier Adam (2018)

L'autre jour, nous nous sommes fait une frayeur, au collège. Un gosse de cinquième demi-pensionnaire s'est volatilisé juste avant la reprise des cours de l'après-midi. Il faut savoir qu'à ce moment de la journée, les assistants d'éducation guettent les allées et venues des petits et qu'il est impossible de sortir sans autorisation écrite. Vraiment, ça ne rigole pas. L'élève, qui est d'ailleurs connu pour son exemplarité, était au CDI lors de la pause du midi _soit juste avant l'évaporation, et il en était ressorti en même temps que les autres. Du coup, en le voyant noté absent lors de la première heure, j'ai craint d'avoir loupé quelque signe annonciateur d'un malaise. Je ne voyais que ça comme possibilité ! En fait, il était tout bonnement rentré chez lui, pour on ne sait quelle obscure raison. Par l'intermédiaire de ses copains, nous avons appris qu'il n'avait pas trop la pêche de jour-là, sans plus.  

Depuis, il est revenu régulièrement au CDI, toujours calme et souriant ; bien des fois j'ai eu envie de lui demander ce qu'il lui avait pris, mais il m'a semblé que ce n'était jamais le bon moment, et que c'était intrusif. Piétiner les consciences avec de gros sabots n'est jamais productif ; il vaut mieux laisser venir, et accepter le fait que, parfois, on n'est pas le plus apte à recueillir la parole. 


Quelques jours après son escapade, le psy-EN m'a demandé s'il était possible de proposer au gamin en question des BD et romans "sur la thématique du traumatisme". Je me suis prêtée à l'exercice de sans problème, parce que ça par contre, c'était dans mes cordes.  

Très régulièrement, on se retrouve face à des enfants qui vivent des situations ultra-glauques sans qu'on puisse le deviner, parce qu'ils ont l'art de garder la face, et/ou parce que l'école est pour eux le seul moyen de couper avec la réalité. Cela donne le vertige de se dire qu'on doit commettre de nombreuses boulettes porcasses.  

Bref, c'est en faisant une recherche de livres dans ce contexte-là que je suis tombée sur le livre La tête sous l'eau d'Olivier Adam. 


L'histoire

Une famille de Parisiens déménage à Saint-Malo, s'adaptant ainsi au projet professionnel du père, journaliste et écrivain à ses heures. Ils sont quatre : les deux parents, et leurs deux enfants, âgés de quinze et dix-sept ans, ou dans ces eaux-là. Les adultes sont ravis de quitter le tumulte de la capitale pour le bord de mer, ou du moins jouent le jeu, mais pour Léa, la fille aînée, c'est très compliqué. Elle laisse derrière elle toute sa vie sociale ; la ruralité ne lui correspond pas... Elle se met à tirer la gueule H24. Quant à son frère Antoine, il s'en fiche un peu : être un geek asocial en Île-de-France ou en Bretagne, c'est bien pareil. 

Un soir, Léa disparaît, comme aspirée dans la foule du festival auquel elle assistait. Elle va être recherchée pendant de longs mois, plongeant sa famille dans l'angoisse et la stupeur. Chacun va gérer la situation comme il peut : la mère va se barrer avec son amant, le père va tomber dans l'alcool et la dépression, le fils va lâcher le programme de seconde pour se réfugier dans le surf, un sport qu'il ne connaît pas du tout et dans lequel il ne semble pas avoir d'aptitudes particulières. 

Après quelques mois d'attente, Léa est retrouvée, en apparence saine et sauve. En apparence seulement. La jeune fille a été séquestrée et maltraitée pendant des jours, ce qui l'a brisée de l'intérieur. Ses proches ne savent comment s'y prendre pour rétablir un lien digne de ce nom avec elle, car son mutisme, son regard vide et ses crises de panique les désarçonnent complètement. Médecins et psys recommandent de laisser faire le temps, mais tant qu'elle ne parle pas, l'enquête ne peut avancer et son agresseur est toujours dans la nature. 

Attention SPOILER, des moments-clés du livre vont être dévoilés dans les paragraphes suivants. 

En regardant tous ces personnages déprimés et à bout de nerfs s'écharper, culpabiliser, attendre, faire leur introspection, chercher des solutions... je me suis dit que La tête sous l'eau pouvait faire un bon Larme de Rasoir, et même concourir pour les Prozac d'Or

Mais non, on va plutôt le classer dans Téma la bibliothèque, pour les raisons qui suivent... 

Ah mais c'est celui-làààà !  

Milieu-fin du roman. Après un gros travail effectué avec la psy, sa copine et son frère, Léa a réussi à pousser la porte du commissariat pour dénoncer son agresseur. Elle leur raconte tout ce qu'elle a vécu entre la soirée du festival et sa libération, et donne aux policiers assez d'éléments pour qu'ils puissent faire un portrait robot. Bien que ces informations soient confidentielles _ même les parents et le frère n'ont aucune idée de ce qui s'est dit pendant l'entretien de Léa avec les flics_, la fuite ne peut être évitée et tout est déballé en long et en large dans la presse locale. 

Antoine est au lycée ce jour-là, et un sous-entendu qui lui est fait en classe à propos de sa soeur lui fait péter un câble. Il quitte le cours comme un gros schlag qu'il n'est pas, et va se planquer au CDI. Riche idée ! 

A ce moment du récit, chacun pourra apprécier le portrait très peu élogieux qui est fait de la prof doc de l'établissement malouin. Bizarrement, il a tout de suite suscité chez moi un air de déjà lu... 

Mais où donc était-ce ? 

Ah, ça me revient ! Bien sûr !! C'est celui-là, le "fameux" roman d'Olivier Adam qui a fait si grand bruit dans la communauté des profs docs il y a quelques mois, au point d'être boycotté dans certains centres de documentation !! Je n'avais pas fait le lien entre La tête sous l'eau et cette affaire jusqu'à la lecture de la page 153.    

Ok, ça pique un peu. Mais n'oublions pas que l'auteur a posé comme narrateur un adolescent de quinze ans... par définition pas indulgent avec les représentants de l'autorité, quels qu'ils soient. D'ailleurs, même si on en a moins parlé, le CPE prend sa race, lui aussi, sur la page précédente.

Olivier Adam aurait pu aller bien plus loin dans le cliché et tailler le système plus violemment. 

"Je passe devant l'infirmerie fermée puisqu'on n'est pas mardi matin de 9h à 10h30 et continue jusqu'au CDI faute de mieux. La documentaliste me laisse m'asseoir sans poser de question car elle dort vu qu'elle n'a rien à faire cette feignasse. C'est une grosse femme triste et sans âge, qu'on imagine sans vie, avec sa vieille maman retraitée de l'EN et qu'on prend pour sa petite sœur, ses livres de la Comtesse de Ségur en journée et Harlequin le soir et ses chats qui cannent un par un depuis qu'elle a investi dans une voiture sans permis, sans doute à tort. Ah, Antoine reconnaît qu'il est en proie à quelques idées reçues, tout n'est pas perdu. Quelle maturité ce gosse. Le seul truc qui la gêne, c'est le bruit qui la réveille en sursaut, après quoi elle se transforme en dragon et te mange. Tant qu'on ferme sa gueule et qu'on reste bien sagement à sa table à lire ou devant l'ordinateur à se branler discrètementelle ne moufte pas " car elle filme. 

Vous voyez bien qu'il n'est pas si méchant !

Même si j'ai tendance à provoquer les collègues en disant qu'il n'y a jamais que la vérité qui blesse, je comprends les réactions outrées : le seul point du portrait qui m'ait fait tiquer se situe quelques pages plus loin, où il est dit que la documentaliste sent la transpiration et le déo bon marché. La raison à cela est claire : voilà plus de dix ans que je travaille avec des collégiens, et voilà plus de dix ans que je m'entends dire que je pue.. Ce qui n'est pas foncièrement faux, mais que voulez-vous, notre odeur corporelle est une des multiples facettes de notre identité. 

Bref, il est légitime de se sentir vexé par ces quelques tournures, quand on enchaîne les semaines à s'investir sur tous les tableaux (EMI, lecture, gestion documentaire, ouverture culturelle...) pour finalement constater dans un roman grand public _et à succès, je pense_ que l'image du métier est toujours aussi désuète. L'eau va glisser sur l'un et s'infiltrer en l'autre, en fonction de son parcours. 

Le kiosque presse de l'horreur

Abordons rapidement le lieu CDI. Identifié par le jeune Antoine comme un lieu-refuge, il ne remplit vraiment ce rôle-là dans La tête sous l'eau ; en revanche, il répond parfaitement à sa vocation d'accès à l'information d'actualité, à travers la presse nationale et régionale notamment. Le centre de documentation est une sorte de zone mixte entre le cocon protecteur du lycée et la dure réalité du monde extérieur. Le héros en ressort l'estomac allégé (puisqu'il gerbe sur les journaux, ooooh comme cette situation me parle !), mais l'esprit enrichi de nouvelles connaissances. Des connaissances dont ils se serait bien passé, je vous le concède... mais auxquelles il allait devoir faire face dans tous les cas.  

Toujours est-il que les révélations électrochoc vont engendrer chez lui un raz-de-marée de colère ; sa détermination renouvelée va se diriger vers les méandres du darknet, cette zone de non droit qu'il n'avait pas encore explorée jusque là. Comme quoi, la documentaliste a beau être ce qu'elle est, son boulot de mise à disposition de l'info est un vrai catalyseur de l'action, un maillon de la chaîne qui conduira à l'agresseur de Léa. Bref, c'est grâce à la prof doc que le livre finit bien, ni plus ni moins ! 

C'est pas ça qu'on appelle un page-turner ? 

Passées les considérations propres au CDI, revenons sur l'impression générale que cette lecture me laisse ; elle est plutôt positive !  

Voilà bien longtemps que je n'avais pas plié un livre en une seule journée, même en vacances ; pourtant ce fut le cas avec ce roman d'Olivier Adam. Cet écrivain _que je ne connaissais que de nom jusqu'alors, a l'art de tenir son public en haleine, y compris lorsque l'issue de événements racontés est un peu (beaucoup) prévisible. 

Cela vient sans doute du fait que les jeunes personnages racontent leur histoire à hauteur d'enfants, si l'on peut dire, avec leurs mots ; l'enchevêtrement du récit d'Antoine et des lettres teintées de mystère écrites par Léa avant sa disparition nous mettent en position d'enquêteur ; pour nous aussi, le puzzle ce reconstitue peu à peu. J'ai toujours été très fan de ces procédés de malins et des textes à plusieurs voix ! La sensibilité des personnages enfants et la fragilité des adultes est traitée en profondeur ; la figure de Jeff (l'oncle hyper bien intentionné mais gravement irresponsable) ne doit pas être très courante en littérature car pour ma part je ne pourrais en citer d'équivalent. Ou alors je lis pas les bons trucs, ce qui est possible aussi. 

"Le Gué de l'âne" Saint-Germain du Salembre.
Et : non, ça n'a rien à voir avec le sujet. 

Si je voulais faire ma chieuse, je dirais qu'en fin d'ouvrage, les événements s'enchaînent un peu rapidement et on a l'impression que toutes les ramifications ne sont pas exploitées à fond : la codétenue de Léa, la circulation des vidéos sur Internet, le mobile de l'agresseur... Après, ce sont des choix de l'auteur, il n'est pas prévu de les remettre en question. Pas mal de critiques parcourues sur Internet font état d'un roman qui emprunte beaucoup à ceux déjà écrits par Olivier Adam, mais comme je n'en ai lu aucun, je ne le ressens pas. 

Etant donné les thématiques abordées et la prévalence de jeunes personnages, je dirais que La tête sous l'eau parlera particulièrement aux collégiens (4°-3°) et lycéens ; mais ce n'est pas un livre exclusivement réservé à la jeunesse. A découvrir, donc ! 

Olivier ADAM. La tête sous l'eau. Robert Laffont. Coll. R. 218 p. ISBN 978-2-221-21517-3

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