vendredi 5 août 2022

[LECTURES DE VACANCES] J'enquête - Joël Egloff (2016)

La porte s'ouvre ; ses petits carreaux éclairés par le soleil reflètent une touffe rousse qui s'éloigne. J'ai pas eu le temps de voir qui c'était, il fallait entrer au plus vite.  

C'était pas l'idée du siècle, la bougie allumée à côté du livre. Je recommande pas.

L'histoire

Sollicité par le curé de la paroisse, un détective privé débarque dans une bourgade enneigée, au soir du lendemain de Noël. Il est chargé de découvrir qui a bien pu soustraire le petit Jésus factice à la crèche traditionnelle qu'on a dressée devant l'église comme chaque année. Oui, oui, c'est très sérieux ! Le village est chamboulé par ce sacrilège. L'enquêteur compte bien résoudre l'énigme au plus vite, et montrer à ses clients qu'ils ont eu raison de le choisir, lui, bien qu'il ne soit pas encore très expérimenté.  

Un roman policier détourné

Nous voilà embarqués dans une histoire policière sur fond de vol dans une petite ville rurale où la moindre nouvelle tête est un événement à part entière. Le décor est planté dès les premières lignes du roman : l'obscurité d'une nuit hivernale, une gare SNCF déserte, des hôtes qui arrivent tardivement, juste assez pour que le stress ait le temps de s'installer... Un détective, qui est aussi le narrateur et qui nous partage ses découvertes et ses réflexions au moment où il les vit, arpente ce qu'il considère comme les lieux-clés _la scène du crime et/ou les endroits "à risque", les points stratégiques de la bourgade.

Comme souvent dans les polars, le personnage principal mène l'enquête ; il s'agit d'un type doté d'un sens moral et d'une certaine empathie, qui marche seul, et qui s'efforce de trouver des indices qui lui permettront de résoudre le problème, l'énigme. Evidemment, il ne peut être efficace que s'il est en possession de certaines qualités _perspicacité, sens de la déduction, audace... que le narrateur de J'enquête n'a pas vraiment.   

Le voir pédaler dans la semoule au fil des pages, jusqu'à ce qu'enlisement s'ensuive, nous met la puce à l'oreille : cette histoire de cambriolage de crèche sonne faux. Ce roman policier n'en est pas vraiment un. Il relève plutôt sinon de la parodie, au moins du détournement ; et c'est super bien réussi ! 

Joël Egloff présente J'enquête ; c'est encore lui qui vous en parlera le mieux !

Poirot poireaute

Une fois que l'auteur a compris qu'on avait compris, il nous éloigne de l'enquête. D'ailleurs, y a-t-il toujours une enquête à mener ? Rien n'est moins sûr. Le détective est bien là, toujours aussi volontaire, toujours aussi laborieux... mais toujours très peu entreprenant, très peu méthodique, bien qu'il pense l'être. Les situations cocasses, étranges voire absurdes s'enchaînent entre l'hôtel où il loge _à défaut de pouvoir y dormir, le presbytère, le kebab, et le domicile familial de l'autre côté du combiné. 

Ce personnage est fascinant. Tout à son travail, il est capable de tourner en rond un certain temps jusqu'à soudain se décider à suivre une piste, qui est systématiquement la mauvaise. On dirait moi dans Paris sans GPS.

Persuadé d'avoir l'étoffe d'un justicier, il n'hésite pas à se lancer quelques fleurs, de temps en temps ; nous, lecteurs, nous voyons un homme assez influençable, paralysé par la peur de mal faire, de blesser, d'être impoli. C'est bien ce qui nous le rend attachant impliqué  dans sa mission, il ne sort pas la tête du guidon, et n'est donc pas en mesure de voir arriver les obstacles qui se présentent à lui. Le plus drôle _ou le plus frustrant, selon les situations, c'est qu'on anticipe souvent mieux que lui, puisqu'on ne voit pas le monde à travers le prisme de l'enlèvement du petit Jésus, nous. 

Evidemment, on ne peut ni l'empêcher de faire fausse route, ni l'empêcher de se faire bolosser par les villageois qu'il rencontre, et qui cernent assez vite son caractère inoffensif. Il y a quelque chose de kafkaïen chez ce détective qui s'enfonce tous les jours plus profondément dans un bourbier, sans pouvoir (sans vouloir ?) s'en rendre compte. 


J'enquête est vraiment une belle découverte, en bref. 

Pourquoi lire cette curieuse vraie fausse enquête, étant donné que la question de la disparition du petit Jésus de la crèche y est très vite bottée en touche ?  

Déjà, parce que le parcours du héros peut-être compris comme une métaphore de la vie de manière générale, de la quête du bonheur, ou de quelque chose comme ça. Après tout, un type qui quitte son boulot de gardien de square pour embrasser une vocation de justicier, au risque de passer les fêtes de Noël loin de sa femme et de ses enfants, doit bien chercher autre chose qu'un bébé Christ en plâtre. Je n'irai pas plus loin car je n'ai pas les billes pour me lancer dans une analyse pertinente. Il faut bien reconnaître que le type évolue : alors qu'il se laisse beaucoup marcher sur les pieds au début de l'histoire, le détective commence à s'affirmer _ mieux vaut tard que jamais face à des interlocuteurs à qui il n'a pas fallu plus de quelques jours pour comprendre qu'il était facile de lui marcher sur les pieds. Serait-ce le métier qui rentre ? Si la bonne volonté est une condition indispensable à la réussite de ce qu'on entreprend, elle ne suffit pas toujours. 

Ensuite, parce que l'écriture de Joël Egloff est particulière et vraiment agréable. Ne connaissant pas son œuvre, je ne saurais dire s'il s'agit de son style, ou s'il a cherché à écrire, juste pour l'occasion, une sorte de long journal de bord proche du compte rendu très détaillé mais pas lourd pour autant. L'auteur a fait le choix de découper son histoire en une succession de courts chapitres, dans lesquels sont narrateur exprime tous ses faits et gestes à chaud, au moment où il les vit, sans prioriser les événements. Cela donne un effet parfois saccadé qui m'a fait penser, allez savoir pourquoi, à la série Bref. Moi je trouve le procédé bien frais, mais est possible que certains lecteurs n'aiment pas ! 

Pour information, j'ai lu J'enquête quasi intégralement dans le train, ce qui veut dire qu'il est vraiment prenant et accessible. 

Ce roman classé en littérature pour adultes peut constituer une lecture sympa dès 15 ans ; il me semble que ça peut être une bonne passerelle pour aborder l'absurde au lycée. Mais bon attention, ce dernier point reste à vérifier ! Je suis pas prof de lettres ! 

Joël EGLOFF. J'enquête. Gallimard, 2016. Coll. Folio. 235 p. ISBN 978-2-07-079405-8  

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