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mardi 13 août 2024

[LECTURE DE VACANCES] Le porteur de mort - 1 - "L'apprenti" - Angel Arekin (2014)

Après mon coup de cœur pour la saga de l'Assassin Royal dont je vous rabats les oreilles depuis 2010, il m'a toujours été difficile de retenter de lire de la fantasy, et encore plus d'en parler ici. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. 

Cet été cependant, j'ai retrouvé le tome 1 de la série Le Porteur de mort, écrit il y a une dizaine d'années par une autrice française du nom d'Angel Arekin, qui m'était totalement inconnue jusque là. La fiche Babelio de cette dernière indique qu'elle est de Brive, ce qui veut dire qu'on est presque voisines Par conséquent, j'aurais été bien embêtée si j'avais dû tailler son livre, mais la question ne s'est pas posée puisque j'ai finalement beaucoup apprécié cette lecture. 

L'histoire 

Le royaume d'Asclépion n'est plus ce qu'il était : assailli par les brigands de grands chemins et les ennemis du pouvoir en place, sa population commence à ressentir les effets d'une protection armée insuffisante. 

Pour remédier à cela, le Régent décide de recruter parmi les jeunes hommes du peuple des apprentis guerriers qui rejoindront, s'ils réussissent la formation, la guilde des Tenshins. Ces derniers ont un rôle de défenseurs militaires et de conseillers politiques : ils sont donc extrêmement puissants et surtout immortels ! 

Beaucoup de petits paysans donneraient cher pour être choisis ; ce serait leur seule chance de sortir de leur condition modeste. Beaucoup, mais pas tous : Seïs Amorgen fait partie de ceux qui n'en ont rien à battre. Il faut dire qu'entre les beuveries, les nuits au bordel et les trafics en tous genres, il a déjà de quoi s'occuper. Son sort inquiète ses parents, ses frères et sa cousine Naïs _retenez bien son nom ! bien plus que cette soudaine opération de recrutement de Tenshins qui n'avait pas eu lieu depuis des siècles, et qui ne présage rien de bon. 

Devinez quoi, Seïs va faire partie des heureux élus ! D'abord réticent, il va finalement se rendre à Mantaore, haut lieu de formation des Maîtres, pour commencer son apprentissage. Ce premier tome du cycle (qui en compte 6) sera en partie consacré au déroulé de ce séjour initiatique, entre découverte de soi, des autres apprentis, actes de rébellion et entraînements physique. 

En parallèle, on suit l'évolution de la famille Amorgen et des bouleversements qu'elle va connaître au fil des chapitres, sur six ans environ : l'un des fils va se découvrir sorcier (c'est pas une bonne nouvelle) ; Naïs la cousine orpheline au caractère bien trempé semble aussi pourvue de certains dons, bien qu'on n'en sache pas plus. 

A la fin de l'Apprenti, le mystère reste entier sur plusieurs niveaux ; je ne sais pas vraiment quoi en dire pour l'instant, car ce tome sert a introduire l'univers du roman. C'est nécessaire, mais forcément ça laisse moins de place à l'action. Cela dit, les dernières pages laissent entrevoir un 2ème opus prêt à décoller en trombe. On sait pas encore trop où on va, mais on y va...

Une porte d'entrée vers la fantasy

Si vous aimez les romans d'heroic fantasy, foncez car il y a tous les ingrédients : le décor médiéval, les soldats musclés au régime pain fromage viande séchée nuit dehors fumette, les cheveux en bataille, les filles qui n'ont peur de rien, la carte du royaume au début, le sorcier, le roi, le faux clodo, le maître d'armes un poil tortionnaire, la pierre magique qui envoie du pouvoir mais qui détruit en même temps.... 

Fans de l'Assassin royal, vous aussi ? "L'Apprenti" vous rappellera de bons souvenirs, bien que l'histoire ne soit pas du tout la même ! 

Le porteur de mort constitue une bonne initiation pour qui n'est pas familier de ce type de romans ; c'est agréable à lire et plus accessible que l'œuvre de Tolkien _ qui a considérablement inspiré Angel Arekin, d'après ce que j'ai pu lire ça et là.

La plus-value de ce livre : les personnages, principaux et secondaires, très humains, et donc très réalistes. Ils souvent bien creusés. L'apprenti-tenshin rouquin nommé Lampsaque est mon préféré. Tous s'expriment de manière assez crûe ! 

Le point qui m'a fait un peu tiquer : la relation ambigüe entre Seïs et Naïs reste perturbante pour le lecteur _elle l'est aussi pour les personnages, et Angel Arekin l'exprime très bien. J'imagine qu'on ne connaît pas tout de leurs sentiments et de leurs liens familiaux pour l'instant, et que beaucoup d'éléments clefs s'éclairciront dans les tomes suivants. 

Mon seul regret est de l'avoir laissé moisir plus d'un an dans la bibliothèque.


Angel Arekin 

Le porteur de mort - 1 - L'apprenti 

2014

Photo : édition Le livre de poche. 


Avec ses 788 pages, cet ouvrage peut participer au challenge "Les épais de l'été 2024" organisé sur le blog de Dasola. N'hésitez pas à aller y faire un tour ! 





jeudi 15 février 2024

[Lectures de vacances] L'École des Massacreurs de Dragons - 1 - Le nouvel élève (1997) / Au poil (2022)

C'est bien beau de raconter sa vie, mais maintenant il faut se remettre au boulot !


L'École des Massacreurs de Dragons - 1 - Le nouvel élève

Kate McMullan, illustrations de Bill Basso

Gallimard Jeunesse, 2000

104 p. 

Wiglaf est le plus petit de sa grande fratrie ; il est aussi le seul rouquin. Sa famille lui fait exécuter toutes les corvées, sans ménagement. Gentil, de bonne volonté et ami des animaux, il n'a jamais songé à se plaindre de son sort. Un ménestrel de passage lui a bien prédit un avenir héroïque.. Avant de s'évaporer. 

Un jour, lors d'une sortie familiale à la foire, Wiglaf lit une affiche faisant de la pub pour une École des Massacreurs de Dragons. S'il pouvait l'intégrer, il deviendrait le héros de la famille.. Dès le lendemain, il part avec pour compagnie Daisy, sa truie de compagnie, et une épée magique nommée Droitauoeur. 

Un mélange de Dragons, de Cosette, du Petit Poucet et de Harry Potter, mais dans un univers purement médiéval et en version "light", accessible aux plus jeunes. 

J'étais passée à côté de cette série fantasy pour enfants, j'imagine qu'elle a dû avoir un certain succès à l'époque ! Les illustrations et la carte de départ rendent bien la tonalité comique de l'histoire. Ce n'est pas du tout triste ! 

Est-ce qu'on peut le mettre dans le CDI d'un collège ? Rien ne l'interdit, mais il me semble que c'est vraiment pour les plus petits _pour les 6ème, éventuellement. À voir, je changerai peut-être d'avis lorsque je lirai la suite.. et j'entends bien le faire : quelques questions subtilement laissées sans réponse donnent envie d'en savoir plus.

À la base, je l'ai choisi pour mes neveux de 5 et 7 ans, qui sont dans leur phase chevaliers. ⚔️⚔️⚔️


Au poil 

Sophie Adriansen. Magnard Jeunesse, 2022. Coll. La Brève

Omé est en fin de 3ème ; alors que son principal souci est d'arriver à concilier les révisions du brevet avec l'organisation du voyage en Allemagne prévu avec sa classe, sa mère lui rajoute une nouvelle prise de tête : l'urgente nécessité de se débarrasser de ses poils aux jambes. Encouragée par Maf, sa meilleure copine, elle se plie au soi-disant rituel de passage à l'institut de beauté. L'expérience étant franchement mauvaise, elle se met à chercher des alternatives pour gérer sa pilosité sans trop souffrir. Son séjour en Allemagne va lui donner l'occasion de rencontrer des femmes poilues qui le vivent très bien. C'est une révélation : s'épiler n'a rien d'obligatoire, c'est simplement la culture et la pression sociale qui le laissent penser. Omé opte pour la jachère, en plein de mois de juin... mais surtout au collège, où on n'a jamais intérêt à sortir du lot !   

Ce roman de Sophie Adriansen fait partie de La Brève (Magnard Jeunesse), une collection qui traite de sujets tendus chez les jeunes : stéréotypes, éco-anxiété, harcèlement, violences... En effet, Au poil parle avec humour _de façon un petit peu trop didactique à mon goût, mais c'est juste mon avis... des diktats qui pèsent sur l'apparence physique des femmes, et de ce foutu conditionnement qui les amènent à les véhiculer elles-mêmes : la mère et la meilleure amie de Salomé ne se demandent pas pourquoi elles font la chasse au poil. Elles le font, c'est comme ça ! 

Une histoire de l'épilation à travers les âges nous est présentée de façon claire et efficace ; elle pourra être lue en regard avec la super série documentaire Poilorama, que vous pouvez visionner sur Dailymotion. 

Si vous scannez le QR code situé sur la quatrième de couverture, vous pouvez écouter la version audio du livre, lue par l'autrice. Cette lecture sonore incluse est une spécificité de cette collection, qui me semble particulièrement intéressante pour des élèves de 13 ans et + allophones ou présentant des difficultés de lecture. Souvent, on ne trouve pour eux que des romans ou albums pour petits.

Question qui n'a pas rien à voir avec ce roman, mais avec un autre titre de la collection : est-ce que quelqu'un sait pourquoi il est impossible de se procurer Ni prince ni charmant de Florence Medina ? Il est marqué définitivement indisponible de partout... 

lundi 1 mai 2023

[MANGA] Jujutsu Kaisen - 1 - "Ryomen Sukuna" - Gege Akutami (2018)

J'ai voulu lire le début du manga Jujutsu Kaisen car il s'agit d'un titre très réclamé par les élèves du collège. Avec un poil de méfiance, tout de même : s'il est toujours appréciable d'avoir des indications sur ce qui peut plaire à nos lecteurs, il convient de ne jamais perdre de vue que leurs suggestions ne sont pas toujours en elles-mêmes gage de qualité. Après tout, le titre qu'on m'a demandé avec le plus d'insistance en dix ans n'est autre que le livre de Nabilla. Chacun en tirera les conclusions qu'il voudra ; pour ma part, j'ai pris le parti de garder la tête froide en toutes circonstances, dorénavant.      

2018, au Japon. La Terre est peuplée de "fléaux", des monstres nés des émotions négatives des humains et responsables d'un grand nombre de disparitions mystérieuses. Afin de les neutraliser, des exorcistes surveillent discrètement les écoles, les cimetières, les prisons... et autres lieux incubateurs de sentiments désagréables. 

Yuji vient d'entrer en 2nde au lycée de Sugisawa et a choisi d'intégrer le club de spiritisme de son établissement. Il ne croit pas spécialement aux fantômes, mais cela lui permet de finir plus tôt pour aller rendre visite à son grand-père hospitalisé. 


Réunion du club de spiritisme

Une nuit, ses amis du club de spiritisme se retrouvent au lycée afin d'analyser à la lueur d'une bougie un curieux petit objet entouré de bandelettes. Ils se rendent compte avec stupeur qu'il d'agit d'un doigt humain desséché. La bougie s'éteint, l'ambiance change, des monstres visqueux débarquent. Sans le savoir, ils ont malencontreusement réveillé le démon Ryomen Sukuna, un puissant fléau. 

Le jeune apprenti exorciste Megumi est déjà sur les lieux, talonné par Gojo, son prof. Mais sa rapidité d'analyse et sa bonne connaissance des sorts ne suffisent pas à tirer d'affaire les lycéens. Yuji décide alors d'entrer en jeu : fort de ses capacités physiques extraordinaires, d'une promesse faite à son grand-père et d'un mépris insolent du danger, il affronte le fléau aux côtés de Megumi. Il a alors l'idée étrange (mais bonne) de bouffer ce doigt séché afin de cantonner le démon au périmètre de son petit corps.

Pendant ce temps-là, sur Youtube...

Non seulement Yuji ne succombe pas à l'intrusion, mais en plus il gère assez bien l'entité qui le possède et qui apparaît à travers lui, de temps à autres. Si la règle voudrait qu'en tant qu'humain "contaminé", il soit exécuté au nom de la sécurité de tous, Megumi et Gojo bataillent pour lui obtenir un sursis. Ils lui donnent pour mission de retrouver et d'ingérer les autres doigts de Ryomen. En effet, sur le principe des Horcruxes dans Harry Potter, la destruction totale et définitive de ce fléau ne sera possible que lorsque toutes les phalanges disséminées auront été assemblées dans un seul réceptacle : le ventre de Yuji ! 

Je comprends le succès de ce manga shônen touffu et donc bien difficile à résumer ! Si vous aimez les combats de héros drôles malgré eux VS des kaiju dégueu pourvus d'yeux roulants et de chicots improblables, Jujutsu Kaisen va vous plaire. Mais c'est aussi cet aspect horrifique qui me retient de le mettre au CDI du collège pour l'instant.  


Celui-là, il est soft, dites-vous !

Après avoir lu un peu partout sur les sites consacrés à l'univers du manga que la version animée était plus claire et mieux réussie que la bande dessinée, je pense regarder les épisodes de la première saison histoire de voir si la différence est flagrante. 

La suite mérite d'être découverte, quel que soit le support, ne serait-ce que pour l'omniprésence bien maîtrisée de l'humour dans une histoire où la mort et les forces occultes sont au centre des préoccupations. 

Cet équilibre entre les tons, comparable à la cohabitation de Yuji et de Ryomen dans le même corps, constitue la touche d'originalité d'un manga dont le schéma est assez classique, même pour quelqu'un comme moi qui n'y connaît pas grand chose. On y retrouve le héros "élu" au grand coeur aux origines floues qui prend conscience de sa force, les adjuvants un peu dans son ombre mais nécessaires dans les combats, le prof plus gamin que ses élèves, les codes des lycées japonais, la faucheuse comme épée de Damoclès... A voir si les tomes suivants s'embourbent dans les stéréotypes ou s'ils s'en distinguent, au contraire.    

Gege Akuami. Jujutsu Kaisen - 1 - Ryomen Sukuna. Ki-oon Shônen, 2018. ISBN 979-10-327-0554-4

vendredi 5 août 2022

[LECTURES DE VACANCES] J'enquête - Joël Egloff (2016)

La porte s'ouvre ; ses petits carreaux éclairés par le soleil reflètent une touffe rousse qui s'éloigne. J'ai pas eu le temps de voir qui c'était, il fallait entrer au plus vite.  

C'était pas l'idée du siècle, la bougie allumée à côté du livre. Je recommande pas.

L'histoire

Sollicité par le curé de la paroisse, un détective privé débarque dans une bourgade enneigée, au soir du lendemain de Noël. Il est chargé de découvrir qui a bien pu soustraire le petit Jésus factice à la crèche traditionnelle qu'on a dressée devant l'église comme chaque année. Oui, oui, c'est très sérieux ! Le village est chamboulé par ce sacrilège. L'enquêteur compte bien résoudre l'énigme au plus vite, et montrer à ses clients qu'ils ont eu raison de le choisir, lui, bien qu'il ne soit pas encore très expérimenté.  

Un roman policier détourné

Nous voilà embarqués dans une histoire policière sur fond de vol dans une petite ville rurale où la moindre nouvelle tête est un événement à part entière. Le décor est planté dès les premières lignes du roman : l'obscurité d'une nuit hivernale, une gare SNCF déserte, des hôtes qui arrivent tardivement, juste assez pour que le stress ait le temps de s'installer... Un détective, qui est aussi le narrateur et qui nous partage ses découvertes et ses réflexions au moment où il les vit, arpente ce qu'il considère comme les lieux-clés _la scène du crime et/ou les endroits "à risque", les points stratégiques de la bourgade.

Comme souvent dans les polars, le personnage principal mène l'enquête ; il s'agit d'un type doté d'un sens moral et d'une certaine empathie, qui marche seul, et qui s'efforce de trouver des indices qui lui permettront de résoudre le problème, l'énigme. Evidemment, il ne peut être efficace que s'il est en possession de certaines qualités _perspicacité, sens de la déduction, audace... que le narrateur de J'enquête n'a pas vraiment.   

Le voir pédaler dans la semoule au fil des pages, jusqu'à ce qu'enlisement s'ensuive, nous met la puce à l'oreille : cette histoire de cambriolage de crèche sonne faux. Ce roman policier n'en est pas vraiment un. Il relève plutôt sinon de la parodie, au moins du détournement ; et c'est super bien réussi ! 

Joël Egloff présente J'enquête ; c'est encore lui qui vous en parlera le mieux !

Poirot poireaute

Une fois que l'auteur a compris qu'on avait compris, il nous éloigne de l'enquête. D'ailleurs, y a-t-il toujours une enquête à mener ? Rien n'est moins sûr. Le détective est bien là, toujours aussi volontaire, toujours aussi laborieux... mais toujours très peu entreprenant, très peu méthodique, bien qu'il pense l'être. Les situations cocasses, étranges voire absurdes s'enchaînent entre l'hôtel où il loge _à défaut de pouvoir y dormir, le presbytère, le kebab, et le domicile familial de l'autre côté du combiné. 

Ce personnage est fascinant. Tout à son travail, il est capable de tourner en rond un certain temps jusqu'à soudain se décider à suivre une piste, qui est systématiquement la mauvaise. On dirait moi dans Paris sans GPS.

Persuadé d'avoir l'étoffe d'un justicier, il n'hésite pas à se lancer quelques fleurs, de temps en temps ; nous, lecteurs, nous voyons un homme assez influençable, paralysé par la peur de mal faire, de blesser, d'être impoli. C'est bien ce qui nous le rend attachant impliqué  dans sa mission, il ne sort pas la tête du guidon, et n'est donc pas en mesure de voir arriver les obstacles qui se présentent à lui. Le plus drôle _ou le plus frustrant, selon les situations, c'est qu'on anticipe souvent mieux que lui, puisqu'on ne voit pas le monde à travers le prisme de l'enlèvement du petit Jésus, nous. 

Evidemment, on ne peut ni l'empêcher de faire fausse route, ni l'empêcher de se faire bolosser par les villageois qu'il rencontre, et qui cernent assez vite son caractère inoffensif. Il y a quelque chose de kafkaïen chez ce détective qui s'enfonce tous les jours plus profondément dans un bourbier, sans pouvoir (sans vouloir ?) s'en rendre compte. 


J'enquête est vraiment une belle découverte, en bref. 

Pourquoi lire cette curieuse vraie fausse enquête, étant donné que la question de la disparition du petit Jésus de la crèche y est très vite bottée en touche ?  

Déjà, parce que le parcours du héros peut-être compris comme une métaphore de la vie de manière générale, de la quête du bonheur, ou de quelque chose comme ça. Après tout, un type qui quitte son boulot de gardien de square pour embrasser une vocation de justicier, au risque de passer les fêtes de Noël loin de sa femme et de ses enfants, doit bien chercher autre chose qu'un bébé Christ en plâtre. Je n'irai pas plus loin car je n'ai pas les billes pour me lancer dans une analyse pertinente. Il faut bien reconnaître que le type évolue : alors qu'il se laisse beaucoup marcher sur les pieds au début de l'histoire, le détective commence à s'affirmer _ mieux vaut tard que jamais face à des interlocuteurs à qui il n'a pas fallu plus de quelques jours pour comprendre qu'il était facile de lui marcher sur les pieds. Serait-ce le métier qui rentre ? Si la bonne volonté est une condition indispensable à la réussite de ce qu'on entreprend, elle ne suffit pas toujours. 

Ensuite, parce que l'écriture de Joël Egloff est particulière et vraiment agréable. Ne connaissant pas son œuvre, je ne saurais dire s'il s'agit de son style, ou s'il a cherché à écrire, juste pour l'occasion, une sorte de long journal de bord proche du compte rendu très détaillé mais pas lourd pour autant. L'auteur a fait le choix de découper son histoire en une succession de courts chapitres, dans lesquels sont narrateur exprime tous ses faits et gestes à chaud, au moment où il les vit, sans prioriser les événements. Cela donne un effet parfois saccadé qui m'a fait penser, allez savoir pourquoi, à la série Bref. Moi je trouve le procédé bien frais, mais est possible que certains lecteurs n'aiment pas ! 

Pour information, j'ai lu J'enquête quasi intégralement dans le train, ce qui veut dire qu'il est vraiment prenant et accessible. 

Ce roman classé en littérature pour adultes peut constituer une lecture sympa dès 15 ans ; il me semble que ça peut être une bonne passerelle pour aborder l'absurde au lycée. Mais bon attention, ce dernier point reste à vérifier ! Je suis pas prof de lettres ! 

Joël EGLOFF. J'enquête. Gallimard, 2016. Coll. Folio. 235 p. ISBN 978-2-07-079405-8  

samedi 30 juillet 2022

[COMICS] Hawkeye - 1 - "Ma vie est une arme" - Matt Fraction ; David Aja ; Javier Pulido (2013)

L'un de mes neveux est dans une phase super-héros, il est assez connaisseur des grandes figures de Marvel, notamment _même s'il a préféré de loin se déguiser en Batman pour le dernier carnaval, paraît-il. En tous cas, c'est grâce à lui que j'ai découvert l'existence de Hawkeye, un allié atypique des Avengers. Lorsqu'il m'a présenté l'une de ses multiples figurines sous ce nom, et j'ai d'abord cru qu'il l'avait inventé. Ce n'est qu'en parcourant le rayon comics d'une bibliothèque, un peu plus tard, que j'ai compris de qui il s'agissait. 

L'histoire 

Cet album regroupe quatre aventures menées par Clint Barton, alias Hawkeye, un archer hors pair qui marche avec les Avengers. Très doué dans sa discipline mais dénué de super-pouvoirs, il est souvent accompagné dans ses pérégrinations par Kate Bishop, son double féminin beaucoup plus rusé que lui. 

Le premier chapitre intitulé Chanceux s'ouvre sur une chute vertigineuse de Clint, directement suivie d'un long séjour à l'hôpital ; à sa sortie, il regagne son immeuble situé dans un quartier populaire de New-York et s'aperçoit que le propriétaire, Ivan, le chef patibulaire de la Mafia en Survêt, a triplé le loyer de tout le monde, poussant ses voisins au déménagement. Clint n'apprécie pas l'entourloupe et décide de se battre au nom de tous les locataires. 

C'est dans le Code des vagabonds, la deuxième aventure, qu'apparaît la géniale Kate Bishop. Le binôme doit s'infiltrer dans un cirque pour capter quelques acrobates cleptomanes ; la mission prend un tournant nostalgique lorsque le héros, qui a grandi au milieu des forains, retrouve de vieux réflexes. Il va faire face à un lanceur de couteaux formé par son mentor, le Spadassin. 



Cherry est ni plus ni moins le déroulé d'une journée catastrophique. Alors qu'il part au supermarché acheter du café et du scotch pour étiqueter ses multiples flèches, une rencontre avec une voiture de collection (et sa belle conductrice) va modifier ses plans. La jeune femme semble s'est fourrée dans un guêpier et n'hésite pas à jouer de ses atouts pour bénéficier de son aide. Est-ce que cela suffira ? Pas sûr, car la bande des Survêts, encore eux, n'est jamais très loin. 

Enfin, la Cassette s'organise en deux parties _assez difficiles à délimiter, d'ailleurs, dans laquelle le lien entre Hawkeye et les Avengers devient concret. En effet, la directrice du S.H.I.E.L.D Maria Hill charge Clint de récupérer une cassette vidéo compromettante pour la Navy et pour l'équipe de Captain America. Il y est question de l'assassinat du dictateur Du Ke Feng. L'archer va devoir se montrer rapide et efficace car l'enregistrement est sur le point d'être vendu aux enchères sur l'île de Madripoor, une zone de non-droit où tous les coups sont permis. De nombreux ennemis des Avengers sont déjà sur le coup, toujours chauds lorsqu'il s'agit de salir l'image des justiciers. 

"Ca s'annonce mal" 

L'album s'ouvre sur cette petite phrase que Clint Barton prononce, comme pour mieux faire entrer le lecteur dans son quotidien mouvementé. Cette formule reviendra plusieurs fois, toujours issue des pensées d'Hawkeye ; il faut dire que le roi du tir à l'arc est tout sauf le héros indestructible et rassurant qu'on s'attend à croiser dans un Marvel. Au contraire, il se présente lui-même comme un être humain très conscient de sa vulnérabilité ; c'est sans doute ce qui lui permet de rester humble avec ses semblables, alors que sa proximité avec les Avengers aurait de quoi lui filer la grosse tête. Il est toujours appréciable de voir sur le devant de la scène des personnages qui n'en jettent pas trop et qui assument leurs points faibles _sans forcément se déprécier. Ils sont plus présents qu'on le croit dans ces comics, et cela participe de l'intérêt qu'on peut leur accorder. 

s les premières planches, il devient facile de se trouver des points communs avec Hawkeye : il boit du café (et le renverse), il fait des barbecues sur le toit le l'immeuble avec ses voisins, il est bordélique et range ses flèches n'importe comment, il pense à ce que deviendront ses effets après sa mort, il commet des lapsus, il prend les transports, éventuellement le taxi si c'est Captain America qui paye... Mais par-dessus tout, il peut avoir besoin d'aide et n'hésite pas à solliciter Kate Bishop, sa comparse qui n'a décidément rien à faire au second plan. 


Kate Bishop, ou la couverture de survie

Le personnage de Kate Bishop ne se "limite" pas à sa collaboration avec Clint Barton ; si vous souhaitez connaître l'ensemble de ses œuvres dans le monde féérique de Marvel, je ne peux vous conseiller l'épisode du podcast Codexes* qui lui est consacré. Je veux pas spoiler, mais sachez juste qu'elle sera nommée "la Nouvelle Hawkeye" plus tard dans son parcours.

Ici, Kate est clairement identifiée comme la subalterne de Clint ; ce dernier nous la décrit comme "assez géniale" et l'apprécie à sa juste valeur. Mais dans ce premier tome d'une série qui en compte 4, elle ne quitte jamais son rang de doublure de luxe indispensable justement parce qu'elle sait rester dans l'ombre. Ce n'est pas elle que Maria Hill et Captain America viennent chercher en toute urgence, c'est Hawkeye. Et pourtant... On a bon espoir que ça change. 

Ce statut, qu'elle connaît et accepte, ne l'empêche pas de se montrer audacieuse et de s'adresser à Clint comme au colocataire bas du front qu'il peut parfois être. Kate Bishop est derrière tous les bons mots et les moments comiques de l'album.   


La narration renforce ce sentiment d'être sur un pied d'égalité avec les deux personnages principaux, en particulier avec Clint Barton : d'abord parce qu'il parle à la première personne et semble s'adresser à nous, le plus souvent et début et fin de chapitre. Ensuite, les péripéties nous sont présentées de façon non linéaire ; on part généralement d'un temps fort ou d'un moment critique pour les personnages principaux, avant de remonter le cours des événements. Cette impression de joyeux bordel a bien failli me faire renoncer à la lecture de cette BD ! "Ma vie est une arme" commence sur des chapeaux de roue et ça m'a pris un temps fou de prendre le train en marche. Avec le recul _et une seconde lecture_ je comprends ce choix du scénariste : Clint et Kate vivent à l'arrache et à cent à l'heure, ils vont où le vent les emmènent, ils improvisent. On les suit dans leur journées périlleuses comme le feraient des documentaristes, caméra au poing. 

=> Regardez la critique de ce youtubeur Le Rat de Gotham, elle est beaucoup plus pertinente que la mienne car lui, il s'y connaît ! Il a aussi fait une vidéo sur Ms Marvel dont on a parlé il y a quelques temps !

Direction Madripoor : suivez les flèches

Je vais me répéter, mais tant pis : Marvel, DC et les autres me sont passés au-dessus pendant très longtemps et je suis encore en train de découvrir des personnages et des lieux qu'on ne présente plus. Donc les connaisseurs, si vous tombez sur ce billet _ce qui serait bien peu probable : passez votre chemin ; vous risquez de lire des choses évidentes ou approximatives et ça va juste vous faire péter un câble. 

Les références à l'univers de Marvel sont assez nombreuses dans la série Hawkeye, et elles permettent de comprendre un peu mieux l'historique des Avengers. 

  • Les Avengers englobent dans leur équipe des êtres humains ordinaires, tels que Clint Barton et Kate Bishop ; ces élus ont une place un peu particulière à leurs côtés et font penser aux héros de la mythologie grecque, par exemple. Leur absence de pouvoirs est compensée par des qualités humaines et/ou physiques au-dessus de la moyenne, et par une ribambelle de gadgets plus perfectionnées et WTF les uns que les autres. Alors, ok, on ne sait pas si Hawkeye a plusieurs cordes à son arc, mais il possède au moins autant de flèches différentes qu'Iron Man d'armures. Entre la flèche-filet, celle qui envoie de l'acide, celle qui te laisse dans une mare poisseuse, celle à point explosive... on saisit bien l'intérêt d'étiqueter tout ce barda. La documentaliste compatit.  
  • Il est fait allusion à Jacques Duquesne, le Spadassin, un aventurier souvent équipé d'une épée, ayant lui aussi fait partie des Avengers pendant quelques temps ; Hawkeye dit avoir été éduqué par ses soins dans son enfance, mais il ne cache pas son aversion pour cet homme qui semble l'avoir déçu par sa tendance à chouraver.
  • Pour la première fois, j'ai entendu parler de l'île de Madripoor, un lieu qui visiblement sert souvent de théâtre aux fourberies de tous genres. Une drôle de terre gouvernée et financée par le vice, qui est un peu le pays de tout le monde et de personne. A moins d'être un super-héros ou d'être couvert par Kate Bishop, on ne survit pas très longtemps dans cette jungle d'hôtels luxueux.  
  • Qui est cette "Madame Hill" qui vient extraire Hawkeye de la fête des voisins ? C'est la directrice du S.H.I.E.L.D, une agence de renseignements engagée dans la lutte anti-terroriste, qui sollicite pas mal de super-héros. J'avais l'impression qu'ils avaient surtout mis leur grapin sur Iron Man et Spider Man, mais pas que, visiblement !  
  • Madame Masque fait une brève apparition dans le dernier chapitre ; c'est une dame portant un masque (surprenant). C'est pas spoiler que de dire que cette super-méchante va bien se faire bolosser par Kate Bishop ! 
#jaunisse

La vie en mauve 

Si Matt Fraction s'est occupé du scénario, deux illustrateurs se sont partagés le dessin ; David Aja a mis en image les trois premiers chapitres, de Javier Pulido la dernière double aventure. Du début à la fin, la tonalité violette, correspondant à la couleur de prédilection des héros, a été respectée. Le trait un peu gras et sombre de David Aja, qui prête à ses figures un air mystérieux, déstabilise mais sait se faire apprécier ; si on a l'occasion de saisir le regard d'un personnage, c'est parce qu'il a une importance immédiate dans l'action. Javier Pulido adopte un trait plus fin, peut-être un peu plus conventionnel et rassurant. 

L'ambiance violette peut ne pas convenir à tout le monde ; mais ça vaut le coup de ne pas s'y arrêter. La critique est assez unanime, sur Internet : la série BD Hawkeye est d'une grande qualité et se hisse parmi les classiques. 

Ah, remarque importante : même si ce n'est pas une série estampillée jeunesse, il me semble qu'elle peut être mise entre toutes les mains (à partir du collège). Y a une micro histoire de cul dedans, certes, mais ça va on voit rien !

Elle a récemment été adaptée en série télévisée.

Hawkeye = oeil de faucon
faucon = oiseau = c'est presque un poulet !! 

* Codexes est un podcast culturel qui parle de personnages de fiction féminins. Chaque épisode est consacré à une figure plus ou moins connue d'un film, d'une série, d'une BD, et les animatrices l'épluchent de façon très complète ! C'est super instructif ! 

Références de la BD : 

Matt FRACTION ; David AJA ; Javier PULIDO. Hawkeye - 1 - Ma vie est une arme. Panini Comics, 2013. ISBN 978-2-8094-3169-8

Sources : 


jeudi 24 février 2022

[LECTURES DE VACANCES] Cicatrices - Dali Misha Touré (2020)

C'est en écoutant un épisode du podcast La Poudre que j'ai entendu parler de l'écrivaine Dali Misha Touré ; lors de son entretien avec Lauren Bastide, elle a évoqué le roman Cicatrices, publié en 2020 chez Hors d'Atteinte, une maison d'édition indépendante et féministe. Agée de seulement 25 ans, l'artiste a déjà plusieurs textes à son actif.  

Cicatrices - Dali Misha Touré (2020) 

Quelque part dans une banlieue proche de Paris, derrière les murs d'une cité, une jeune fille de dix-sept ans vient de se lancer dans l'écriture. Pour sa première œuvre, elle choisit de nous raconter son parcours chaotique, depuis une enfance difficile au sein d'une famille nombreuse où elle a eu du bien du mal à se faire une place, jusqu'à son présent incertain et endeuillé, mais enfin apaisé. 

Dès ses premières années, la petite fille perçoit que le bien et le mal ne s'opposent pas, mais s'entremêlent un peu partout, y compris en nous-même. On peut être à la fois bon et cruel, joyeux et sombre. On peut tour à tour aimer, craindre et détester une même personne ; c'est précisément ce qu'elle ressent pour ses parents, ses frères et sœurs et ses trois belles-mères. C'est aussi ce qu'ils ressentent pour elle, vraisemblablement, du moins lorsqu'ils remarquent sa présence. 

En effet, l'héroïne nous explique qu'elle a grandi dans une famille polygame et nous raconte sans jugement et sans tabou à quoi ressemblait son quotidien lorsqu'elle était petite : les jeux, les coups, le manque d'intimité, l'affection ou le rejet récoltés en fonction de l'humeur, les affinités plus ou moins prononcées entre des individus qui n'avaient jamais qu'un homme pour dénominateur commun. 

Pour un lecteur qui n'a que des monogames dans son entourage, il est très intéressant de lire un texte qui parle d'une famille polygame librement et surtout sans le mépris qui va parfois avec. Attention, comme Dali Misha Touré le dit dans le podcast de Lauren Bastide, il est question ici d'une façon de vivre parmi tant d'autres. De même qu'il n'y a pas un schéma type de familles monogames, les familles polygames ne sont pas toutes identiques. Bref, ce n'est là qu'une facette du livre sur laquelle j'avais envie de revenir ; elle ne représente pas à elle-seule tout l'intérêt des Cicatrices. 

Attention, je vais spoiler un événement majeur 

qui se produit à la fin du livre. 

Arrêtez-vous là si vous voulez découvrir Cicatrices par vous-même.


L'omniprésence de toutes les formes de violence dans le quotidien marque autant que sa banalisation ; si la petite fille la perçoit et en fait les frais, elle apprend à vivre avec, déjà parce qu'elle voit bien que tout le monde en prend pour son grade, enfants comme adultes, et parce qu'elle a la certitude diffuse que ça pourrait être encore pire. 

"Surtout, j'entendais toujours la voix de ma mère. Elle aimait me crier dessus et m'insulter. Je ne disais rien, mais ça me faisait mal". 

Comme beaucoup de personnes _j'imagine..._ qui ont toujours vécu dans les coups et les brimades, l'héroïne (bordel ça saoule un peu qu'elle n'ait pas de nom quand même, je commence déjà à galérer pour la désigner) cherche des excuses à ses bourreaux et s'attache à voir le mon côté des choses : elle mange à sa faim, a un toit et des vêtements, va a l'école. De quoi se plaindrait-elle ? Le cercle vicieux des mauvais traitements l'amène même à sublimer en moments inoubliables, le recul des années et la nostalgie aidant, les quelques rares instants à peu près sympas partagés avec ses parents : une fête, une embrassade à l'hôpital, une conversation téléphonique où on dit du bien d'elle. 



Dali Misha Touré nous montre fort bien comment l'environnement participe à la construction d'une personne, comment elle peut, combinée avec d'autres facteurs, bien sûr, façonner une personnalité. Ce n'est pas pour rien que le livre s'intitule Cicatrices, faisant directement références aux marques physiques et surtout psychologiques que peuvent laisser nos semblables lorsqu'ils sont dépourvus de bon sens et/ou d'empathie. Parce qu'on ne la remarque pas toujours, la jeune fille va tenter de se distinguer en foutant le bordel au collège ; parce qu'on l'a empêchée de sortir de la maison jusqu'à son adolescence, elle désertera la maison dès qu'elle pourra le faire, et goûtera à tous les interdits. Parce qu'elle n'aura eu aucune "chambre à elle", au sens propre comme au figuré, dans toute sa jeunesse, elle s'attachera à lire et à écrire pour se créer un univers connu d'elle seule.  

Liberté !
Vu à proximité du port de Honfleur.

D'ailleurs, sa mère ne s'y trompe pas : elle voit rouge dès qu'elle la chope en train d'écrire, et pour cause : n'ayant pas bénéficié d'instruction et ne connaissant que peu le français, elle comprend qu'elle peut perdre le contrôle de cette enfant qui l'embarrasse mais qui ne doit en aucun cas lui faire honte. Elle va le perdre malgré tout, ce contrôle, puisque la jeune fille n'aura bientôt plus aucun scrupule à jouer sur les points faibles de ses parents pour servir ses propres intérêts : c'est de bonne guerre, après tout. Elle encaisse les coups, mais apprend petit à petit à les rendre, à sa manière. Jamais la narratrice ne se présentera comme une fille modèle. Jamais elle ne manifestera une quelconque culpabilité. 

Peut-être l'autrice choquera-t-elle une partie de son lectorat en peignant une héroïne qui verbalise le souvenir ambivalent qu'elle garde de son père après sa mort : celui, d'un homme classe et beau à sa manière, droit, respectable, mais au comportement exécrable, voire sadique, avec ses femmes et ses enfants. La faucheuse ne fait pas tout : un con mort reste un con.  

"J'étais très triste à l'idée que je ne reverrais plus jamais mon père, mais je repensais aussi à tout le mal qu'il m'avait fait. Je ne pouvais pas l'oublier, il était ancré en moi. Une profonde cicatrice que je n'oublierais jamais. 

Sa personne me manque, mais ses cris ne me manquent pas, ni la ceinture avec laquelle il nous frappait. J'aurais tellement voulu raconter à mes parents, plus tard, que j'avais eu un père merveilleux. [...] Tout le monde ne peut pas avoir des parents gentils."     

Le roman Cicatrices, ne contient aucune indication précise de lieux, aucune date, très peu de noms... sans doute parce que l'histoire de l'héroïne est universelle à bien des égards. Sachez juste que la narratrice, qui retrace ici sa vie à la première personne, est un personnage fictif, bien distinct de l'autrice Dali Misha Touré. Il me semble que c'est important de le signaler afin de pouvoir mesurer le talent de cette jeune écrivaine aulnaysienne, capable d'habiter son personnage principal au point de nous donner l'impression qu'on lit un récit autobiographique. 

Bien entendu, le décor et les protagonistes sont teintés de réel, de situations vues ou vécues : les dialogues mêlant soninké et français, l'allusion à Matilda, le roman de Roald Dahl souvent lu au collège, la "vie de la cité", les sorties à la Gare du Nord et à Châtelet. Mais en aucun cas elle ne raconte sa vie. C'est fascinant d'arriver à parler aussi clairement de situations traumatisantes, lorsqu'on ne les a pas vécues ; il doit falloir, en plus d'un don nature, une dose d'empathie considérable.  


Le podcast La Poudre (Spotify)
Merci à Sybella de m'avoir fait connaître cette émission!

Cicatrices est un livre aussi facile à lire qu'il est dur à encaisser ; peut-être y a-t-il des passages qui vous feront tiquer, tels que le traitement un peu rapide de la phase de "crise d'adolescence" que la narratrice semble regretter amèrement, alors qu'elle marque un détachement casse-gueule mais nécessaire avec une famille toxique, que seuls la mort du père et le vieillissement des belles-mères pourront assainir. Ou encore le portrait de Camille, la meilleure amie de l'héroïne, qui est un bon cliché de la petite babtou menant une vie de princesse dans son pavillon aseptisé, auprès de parents pleins aux as qui s'aiment comme au premier jour. Même si on sait que Dali Misha Touré ne fait qu'écrire ici la vision idéalisée et imparfaite que la petite fille a de sa copine, certains trouveront matière à dire que "non, c'est pas ça" !   

Vous le constaterez en le lisant, ce roman choc se termine sur une note d'espoir et de changement, incarnée par le personnage de la mère qui semble renaître à la mort du père. Peut-être pressent-elle que sa fille n'est plus un petit être braillard, mais le futur pilier de ses vieux jours ? Veut-elle vraiment racheter ses erreurs passées ? Chacun interprètera à sa guise. Toujours est-il qu'en devenant soudain attentive, encourageante, aimante... tout ce qu'elle n'avait jamais été jusque-là, sans doute parce qu'elle était trop tourmentée par la douleur de ses propres plaies, sa fille se sent pousser des ailes. Et ose enfin écrire. 

Cette découverte ne m'a pas laissée indifférente et le compte-rendu que j'en fais n'est sans doute pas neutre ; j'ai compris les propos tenus et le style d'écriture avec mes clés de lecture, et je l'ai lu avec les yeux de quelqu'un qui a eu la chance d'échapper aux déboires connus par l'héroïne. Lisez-le à l'occasion, vous y verrez sans doute des choses qui ont dû m'échapper ! Pour les Parisiens, il est à la médiathèque de la Canopée (enfin quand je l'aurai ramené, ahah). 

Public visé : jeunes adultes / adultes. Accessible dès la fin du collège ; ce n'est pas tant le niveau de lecture que la sensibilité de l'enfant qui déterminera l'âge adéquat. 

Si jamais quelque chose vous froisse dans ce billet, faites-le moi savoir en commentaire ! 

Dali Misha TOURÉ. Cicatrices. Hors d'atteinte, 2020. 132 p. ISBN 978-2-490579-04-4 

jeudi 30 décembre 2021

[LECTURES DE VACANCES] Un trésor dans la colo - Ewen Le Koadec (2021)

Vous en avez marre de voir une seringue darder sans pitié le bras d'un congénère à chaque journal de 20h ?
(Encore, estimons-nous heureux que ça se passe pas dans le c**) 
Autorisez-vous une bulle d'oxygène, prenez un livre !

Lire Un trésor dans la colo d'Ewen Le Koadec, par exemple, fonctionne très bien !

Minnie valide (peut-être)

Tim a onze ans. Il est impatient de partir en colonie de vacances pendant dix jours, mais il est aussi légèrement stressé. Cela se comprend, puisque c'est son premier séjour loin de la maison, au milieu d'autres enfants qu'il ne connaît pas. De plus, il n'est jamais allé en Bretagne et il a hâte de découvrir cet endroit qu'on lui décrit comme plein de mystères. 

Heureusement, le début du voyage se déroule sous les meilleures auspices : dans le train, il fait la connaissance d'Ethan et de Kenza, qui vont devenir ses amis. Tous trois formeront bientôt une équipe complémentaire et indéfectible. 

Nous voilà plongés en même temps que nos jeunes héros dans le quotidien toujours plein de surprises d'une colonie de vacances, entre découverte des chambres, chansons avec les animateurs et activités sportives. Pour les habitués, cela rappellera des souvenirs plus ou moins lointains ; pour les plus jeunes lecteurs, ceux qui n'ont pas encore fait l'expérience des camps de vacances, Un trésor dans la colo est une histoire qui vaut le détour : en effet, elle peut donner un aperçu réaliste de ce type de séjour. 

Au cours d'un atelier cuisine, Tim entend parler d'une légende concernant un trésor caché à proximité de la résidence où logent les enfants : il s'agit bien sûr du fameux trésor qui va devenir la quête ultime du trio. Plus tard, à la plage, un enfant du coin lui apprend l'existence d'une maison hantée : voilà qui est aussi effrayant qu'excitant pour des jeunes qui ne demandent qu'à s'occuper ! C'est parti pour quelques chapitres pleins de suspense ! 

Est-il nécessaire de s'appeler Harry Potter pour faire naître la magie et pour avoir des amis fiables ? Un trésor, est-ce forcément une boîte remplie de pièces ? Vous trouverez sans doute la réponse à ces questions dans ce livre signé Ewen Le Koadec, qui est une succession de petits bonheurs, où les animateurs ne manquent jamais l'opportunité de transformer l'ordinaire en jeu ou en fête. 

Un trésor dans la colo est ponctué de belles illustrations de Laurette Koczura. Elle semblent dessinées au crayon et qui apportent un côté onirique à l'ensemble. On a l'impression que la couverture a été coloriée au crayon de couleur, pour une totale adéquation avec le sujet et l'âge des protagonistes.  



Voilà donc un roman jeunesse plein d'aventures, zéro % déprime et garanti sans gros mots. Eh, ces deux dernières qualités sont devenues bien rares !

Vous pouvez donc le laisser entre toutes les mains, en particulier, donc, entre celles de votre gosse / neveu / enfant random de votre entourage / ... 

... s'il s'iel s'ielle s'iellent sielil?? ..

Bref, s'ils partent pour la première fois en colonie de vacances, et qu'ils ne sont pas très rassurés, le parcours de Tim le newbie des colos peut permettre de mettre des mots sur leurs appréhensions. Ca marche aussi très bien pour les voyages scolaires. Personnellement, j'aurais bien voulu lire ce livre avant l'incontournable semaine de classe verte à Saint-Georges-de-Didonne imposée à tous les gosses de CM1 dans l'école de mon village, à l'époque. J'avais passé l'année scolaire à me demander par quel moyen j'allais bien pouvoir  m'y soustraire, en vain. Mais au final, c'était cool, j'avoue ! 

Si vous voulez acheter le livre, cliquez ici !  

Ewen Le Koadec. Un trésor dans la colo, 2021. Autoédition. 53 p. ISBN 9798769168802

Ahah, désolée mais c'était obligé ! 

vendredi 23 juillet 2021

[LECTURES DE VACANCES] L'Anguille - Valentine Goby (2020)

Cette année, nous avons eu l'honneur d'accueillir trois jeunes effectuant leur "Service Civique". Ils étaient en mission avec Unis-Cité ; autant dire que quand j'ai eu vent de leur arrivée, de vieilles rancœurs me sont revenues en pleine tête. Mais cela n'a pas duré : l'eau a passé sous le pont depuis que je me suis fait refouler à l'issue de cette parodie d'opération de recrutement sur fond de décor en carton pâte dans un local miteux du quartier St Christoly. 



Les deux premiers membres du trinôme se sont présentés un mercredi matin, avec leurs polos orange vif caractéristiques de l'association, enthousiastes, dynamiques, des idées plein la tête. Franchement, ça faisait plaisir ; comme leur action devait être axée sur la thématique "Sport et handicap", on a fait une réunion avec la collègue instit de la classe ULIS, en attendant qu'ils puissent rencontrer les profs d'EPS.

"_ Il vaudrait mieux qu'on réfléchisse en terme de "différences" plus que de "handicap", a posé la référente de la classe, à juste titre.

_ On aimerait aussi faire en sorte que les élèves de la classe ULIS ne soient pas les seuls à porter les actions. L'idée est de sensibiliser tout le monde." 

Plusieurs pistes de travail ont été proposées : atelier avec des élèves volontaires, réalisation d'un abécédaire, action avec une classe de 6ème, partenariat avec un autre collège... Ma seule crainte, à l'issue de leur première journée, était de ne pas être capable de suivre leur rythme effréné et de devoir canaliser leur fougue. La semaine suivante, ils sont revenus et se sont intégrés à une classe, toujours à deux. Le troisième mousquetaire ne viendrait jamais, finalement. Puis ils se sont isolés pour faire une brainstorming et sont rentrés chez eux sans qu'on n'ait pu discuter des actions à mettre en place.

 Huit jours plus tard, les revoilà, enjoués mais les traits tirés, en quête d'un Velleda pour poser leurs projets sur tableau blanc. Je ne sais pas ce qu'ils font à Unis-Cité pendant leurs jours de "débrief", mais ça a l'air usant. "Les jeunes, vous aurez deux minutes pour qu'on voie à propos du groupe de volontaires entre midi et deux ? _ Oui oui, il faut juste qu'on finisse de rédiger notre projet !" m'a répondu l'un deux avant de disparaître définitivement. 

Le jeudi suivant, alors que tout le monde les avait presque oubliés, ils sont réapparus pour m'informer que l'annonce du confinement leur avait mis un "coup derrière la tête", et qu'ils se voyaient obligés de mettre notre collaboration en stand-by. 

Au mois de mai, on a appris que l'un des deux avait plus ou moins mis fin à sa mission. Sa collègue rongeait son frein, en attendant que son "nouveau" binôme soit recruté. La jeune fille était manifestement dégoûtée de ne pas pouvoir passer à l'action, et on redoutait que sa motivation s'émousse ; ce qui n'a pas manqué de se produire. Après avoir erré de service en service, prenant des notes, posant beaucoup de questions, attendant en vain sa collaboratrice, elle a fini par sortir du circuit à son tour. 

Encore et toujours du gâchis. Année après année, le schéma se répète dans les écoles : on a les idées, la volonté, la bienveillance, mais une avalanche d'obstacles administratifs, humains, parfois financiers, sans parler des imprévus, du manque de temps.. viennent souvent retarder, empêcher la concrétisation des projets, ou tout simplement pomper une énergie qu'on pourrait mettre ailleurs. Pas étonnant que certains d'entre nous se découragent, à la longue.   

L'Anguille de Valentine Goby m'a rappelé ce début de réflexion que nous avons eu avec les volontaires d'Unis-Cité ; en effet, ce roman destiné aux collégiens _ voire aux élèves de fin de primaire traite des différences, du handicap, de ce qui fait ou non notre identité, et de comment on peut faire pour interagir sereinement en fonction de nos particularités, sans blesser et sans mettre mal à l'aise.  

L'histoire 

De nos jours, a priori à Paris, ou pas loin. Camille vient de déménager en plein milieu de l'année scolaire. Comme si tout n'était déjà pas assez compliqué comme ça pour elle, bientôt il faudra qu'elle intègre sa nouvelle classe de sixième, dans un collège où personne ne la connaît, où personne ne sait qu'elle est née sans bras. 

Halis s'est tellement fait tellement traiter de gros que lui-même ne voit plus en lui que son obésité ; enfin non, ce n'est pas tout à fait ça. Il sait qui il est "à l'intérieur" de son "corps moche", mais il s'est résigné à l'idée que personne n'essaiera jamais d'aller voir au-delà de son enveloppe imposante. Pour lui, c'est devenu normal _et presque justifié_ de se faire harceler par Zac, l'antipathique rebelle de la classe. 

Aussi, il ressent un vrai soulagement à l'arrivée de Camille dans l'espace collectif, où chacun porte une étiquette plus ou moins flatteuse : la particularité de la nouvelle élève va sans doute attirer tous les regards, ce qui veut dire qu'il va enfin avoir la paix.  

Mais tout ne se passe pas comme prévu : déjà, Camille est sympa et pas moche. Il se prend aussitôt d'empathie pour elle, et, oubliant ses intérêts personnels, il n'aspire désormais qu'à faciliter son quotidien. Un tel dévouement n'est d'ailleurs pas toujours nécessaire, car elle se débrouille très bien toute seule pour plein de choses : sa capacité à se servir de ses pieds à la place de ses mains surprend ou fascine, en fonction des situations. 

Comme elle-même craint beaucoup les "grappes d'yeux" des collégiens qui la suivent constamment, elle comprend mieux que personne la situation de Halis. Rapidement, ils vont devenir amis et s'allier pour mieux affronter les vacheries de leurs camarades.    

Le jeu des stéréotypes 

Des livres sur la prise en compte du handicap, des différences, des stéréotypes, il y en a maintenant beaucoup et c'est très bien ! Mais L'Anguille se distingue dans sa manière d'aborder ces thématiques. En effet, Valentine Goby use de différents stratagèmes pour parler de nombreuses idées reçues qui nous envahissent au quotidien et auxquels ni les héros, ni les lecteurs n'échappent : 
  • être handicapé veut forcément dire qu'on est en fauteuil roulant. Ce n'est pas spoiler, je pense, que de dire que Camille est une fille sans bras, puisque l'information apparaît clairement sur la quatrième de couverture du livre (Editions Thierry Magnier). Mais le jeune lecteur gagnerait à lire le premier chapitre sans avoir plus de renseignements sur l'histoire, car l'autrice prend soin de présenter son personnage sans jamais faire allusion à la nature de sa "différence" ; en effet, la première image qu'il se fera de l'héroïne sera celle d'une jeune fille lambda, complètement libérée de tout ce qu'il associe au mot "handicap"... et qui se résume souvent, en effet, à la représentation d'une personne en fauteuil. La stupeur des enfants qui, lors de la visite du musée du Louvre, remarquent que leur nouvelle camarade se déplace sur ses deux jambes est criante ; leur réaction en réalisant que le "problème" se situe au niveau du haut du corps l'est aussi. 
  • On est gros parce qu'on mange trop. Qui s'est dit "ah ben voilà, aussi !" lorsqu'il a vu Halis ouvrir une poche de Haribo pendant le cours de sport, afin de partager quelques bonbons avec Camille, ou même lorsqu'ils se préparent des tartines beurrées recouvertes de chocolat en poudre ? Je suis sûre qu'il y en a. Pourtant, si vous y regardez de plus près, vous verrez que les deux enfants bouffent exactement la même chose, et que seul Halis est en surpoids, a priori. Donc inutile de culpabiliser ou de faire culpabiliser : l'obésité, c'est plus compliqué que ça. 


  • La couture est une activité de filles. La mise en scène de l'écriture de la lettre au correspondant marseillais est un procédé particulièrement intéressant : elle nous permet de voir tout ce que Halis censure. Durant cet exercice noté auquel toute la classe est soumise, le héros va prendre soin d'omettre certains détails de son apparence et de ne pas trop en dire sur ses goûts, afin de "sauver" l'image de lui qu'il envoie à son camarade inconnu. Or, Halis a des parents couturiers, un accès illimité à la machine à coudre et aux tissus en tous genre, et il adore ça. Il est même plutôt doué, mais en tant que garçon, il est bien obligé  de cacher cette passion : la question ne se pose même pas. On remarquera, plutôt vers la fin du livre, que son père non plus ne semble pas chaud pour qu'il prenne la relève. Bien sûr, son talent sera reconnu au final, mais non sans générer un certain malaise. Valentine Goby ne nous présente pas le monde des Bisounours : l'acceptation des différences prend du temps, quand elle se fait, ce qui n'est pas toujours le cas. Une belle histoire ne suffit pas à faire disparaître toutes les frictions. 
  • Les personnes en surpoids ne font pas de sport. Halis semble être tout à fait content que le prof d'EPS le "laisse tranquille" en ne le forçant pas à participer aux cours, notamment aux séances d'escalade. Pourtant, les parties de ping-pong dans lesquelles il va se lancer avec sa pote d'infortune montrent qu'il est capable de se mouvoir, et qu'il a le droit de le faire. De là à plonger dans la piscine, il n'y a plus que quelques pas.  
  • Pas de bras, pas de piscine. Allez, vous non plus vous ne l'aviez pas vu venir ! Vous ne pensiez pas que la jeune Camille allait participer au cours de natation, et encore moins qu'elle allait y briller. Et pourtant !  
  • Tout pied pue des pieds. C'est en cours, notamment, puis à la cantine, que les enfants réalisent que Camille a appris à compenser la plupart des gestes quotidiens nécessitant les mais avec ses pieds, devenus exceptionnellement adroits. Si beaucoup restent scotchés d'admiration, quelques autres froncent le nez : généralement, un pied n'est pas visible. C'est une partie du corps qui reste au sol, couverte, et qu'on associe souvent à la saleté et à la puanteur. On voit bien qu'un pied posé à proximité des assiettes en incommode plus d'un, au début. Même une chaussette.  
Si toi aussi tu es sur Instagram et que tu te prends à buguer pendant cinq minutes par jour facile sur Marine Leleu en train de faire des pompes, puis du vélo, puis monter les escaliers, puis présenter sa collection de nouvelles chaussettes, puis soulever des haltères, puis refaire du vélo, puis.. 


J'en ai sûrement oublié. Dites-moi en commentaire s'il y a des ajouts à faire, ou s'il y a des choses que je surinterprète aussi. 

Art-thérapie 

L'Anguille est un roman bourré de références aux arts et à différentes formes de cultures ; et ce n'est ni juste pour faire joli, ni pour présenter les héros comme des jeunes gens qui se distingueraient des autres enfants par leurs connaissances. Ici, les œuvres d'art, les lieux de culture, les lectures _dont les mangas, le sport, le cinéma... sont autant de leviers vers une vie meilleure pour Camille, Halis, et tous ceux de leur entourage qui en ont gros. 
  
Tout commence par une visite pédagogique du musée du Louvre un mercredi matin pas tout à fait comme un autre, puisqu'il correspond au premier jour de cours de "l'Anguille" dans sa nouvelle classe. Entre la curiosité non dissimulée des enfants et la maladresse des adultes, Camille a assez vite l'impression d'être une œuvre d'art parmi tant d'autres ; d'autant plus que chacun prend conscience de son physique particulier au moment de la présentation de la Vénus de Milo. 

La Vénus de Milo

D'un côté il y a la statue qu'on admire, d'un autre la fille qu'on dévisage avec un peu de crainte, et pourtant les deux se "ressemblent" ; comme quoi, le regard qu'on pose sur quelqu'un ou sur quelque chose dépend de pas mal de paramètres. Très logiquement, Camille choisira de faire son exposé sur cette Vénus de Milo, et suggèrera à Halis de s'intéresser à l'art de Fernando Botero _ "celui qui peint des gros", pour caricaturer, donc et des personnages qui font écho à son physique. Halis n'est pas très chaud au début, mais ce travail de recherche vont les aider à porter un autre regard sur eux-même.    

La Joconde de Botero

Camille et Halis vont réussir à se faire une place dans leur environnement grâce à leur participation à un concours organisé par un auteur de mangas qu'ils adulent l'un et l'autre : ils doivent en effet réaliser une vidéo tenant compte de l'univers du Règne des dragons, sa série-phare. Evidemment, ils ont tout à apprendre, tout à faire de A à Z, y compris les décors et les costumes. Pour Halis, ça va être l'occasion de mettre en valeur des prédispositions pour la couture sans être (trop) jugé : on ne rejette pas quelqu'un d'indispensable... Comme les vidéastes auront besoin de plusieurs acteurs et figurants, ils doivent monter leur équipe, s'organiser, définir des rôles, encadres, faire des concessions : autant de tâches nouvelles qui vont leur faire oublier leurs différences, au moins pour quelques temps.  

L'Anguille est vraiment la bonne surprise du mois de juillet (avec Harley Quinn Rebirth, mais bon, c'est pas vraiment la même catégorie) : juste mais pas déprimant, et surtout : pas culpabilisant. Ce roman est à mettre dans tous les CDI de collège, il me semble accessible dès la 6ème sans pour autant faire trop "gamin". Comme toujours, à vous de vous faire votre propre avis, car je ne suis pas neutre : l'autrice m'a eue la bonne avec sa description de tartines au Super Poulain, qui était le goûter typique quand j'étais avec mon arrière-grand-mère. Mais j'ai pas pleuré hamdoullah. 

Du coup j'en ai fait sur des biscottes car on n'avait presque plus de pain.

Valentine GOBY. L'Anguille. Editions Thierry Magnier, 2020. 143 p. ISBN 979-10-352-0345-0