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vendredi 27 décembre 2024

[LIVRE DOCUMENTAIRE] Sexualité, ze big question - Magali Clausener / Jacques Azam (2014)

Sexualité, ze big question 

Magali Clausener 

Jacques Azam

De La Martinière Jeunesse, Coll. "Plus d'Oxygène", 2014

C'est pas la taille qui compte ! 

Sexualité, ze big question a beau être un livre documentaire tout petit format, il est très complet et facile d'accès pour les plus jeunes. Magali Clausener soulève les principales questions que peuvent se poser les adolescents sur les changements de leur corps à la puberté, sur leurs sentiments, et elle tente d'y apporter des réponses complètes et apaisantes. Mais surtout, elle évoque tout ce qui peut faire peur dans la #sexualité : les maladies, tomber enceinte, ce qui se passe dans la tête de l'autre, le consentement.


Si l'ouvrage débute et se termine par des explications qui vont recouper le cours de SVT de 4ème (la reproduction humaine, les règles, la contraception, les IST), les deux grands chapitres centraux intitulés "On a tous un sexe" et "C'est trop bon l'amour" peuvent vraiment aider les lecteurs à dédramatiser de nouveaux aspects de leur vie. 

La mise en page fun et les illustrations de Jacques Azam y contribuent beaucoup en apportant leur dose de légèreté. Au collège, ce sont elles qui intriguent les élèves, qui leur permettent d'assumer le fait qu'ils ont ce livre entre les mains _et qui explique ses disparitions fréquentes... Il me semble qu'elles favorisent vraiment la mixité : on est loin du Dico des Filles et de sa couverture à paillettes. 

Ce numéro de la collection "Plus d'Oxygène" _ la nouvelle génération d'"Oxygène" est sorti en 2014 et il commence à dater : il y aurait plus à dire, aujourd'hui, sur les moyens de contraception masculins, sur la PMA, sur la façon dont la sexualité est représentée sur Internet et des réseaux. Mais il reste largement recommandable ! 

On apprécie que la prévention des dangers et des interdits (inceste, pédophilie, violences...) n'ait pas été oubliée.


mardi 13 août 2024

[LECTURE DE VACANCES] Le porteur de mort - 1 - "L'apprenti" - Angel Arekin (2014)

Après mon coup de cœur pour la saga de l'Assassin Royal dont je vous rabats les oreilles depuis 2010, il m'a toujours été difficile de retenter de lire de la fantasy, et encore plus d'en parler ici. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. 

Cet été cependant, j'ai retrouvé le tome 1 de la série Le Porteur de mort, écrit il y a une dizaine d'années par une autrice française du nom d'Angel Arekin, qui m'était totalement inconnue jusque là. La fiche Babelio de cette dernière indique qu'elle est de Brive, ce qui veut dire qu'on est presque voisines Par conséquent, j'aurais été bien embêtée si j'avais dû tailler son livre, mais la question ne s'est pas posée puisque j'ai finalement beaucoup apprécié cette lecture. 

L'histoire 

Le royaume d'Asclépion n'est plus ce qu'il était : assailli par les brigands de grands chemins et les ennemis du pouvoir en place, sa population commence à ressentir les effets d'une protection armée insuffisante. 

Pour remédier à cela, le Régent décide de recruter parmi les jeunes hommes du peuple des apprentis guerriers qui rejoindront, s'ils réussissent la formation, la guilde des Tenshins. Ces derniers ont un rôle de défenseurs militaires et de conseillers politiques : ils sont donc extrêmement puissants et surtout immortels ! 

Beaucoup de petits paysans donneraient cher pour être choisis ; ce serait leur seule chance de sortir de leur condition modeste. Beaucoup, mais pas tous : Seïs Amorgen fait partie de ceux qui n'en ont rien à battre. Il faut dire qu'entre les beuveries, les nuits au bordel et les trafics en tous genres, il a déjà de quoi s'occuper. Son sort inquiète ses parents, ses frères et sa cousine Naïs _retenez bien son nom ! bien plus que cette soudaine opération de recrutement de Tenshins qui n'avait pas eu lieu depuis des siècles, et qui ne présage rien de bon. 

Devinez quoi, Seïs va faire partie des heureux élus ! D'abord réticent, il va finalement se rendre à Mantaore, haut lieu de formation des Maîtres, pour commencer son apprentissage. Ce premier tome du cycle (qui en compte 6) sera en partie consacré au déroulé de ce séjour initiatique, entre découverte de soi, des autres apprentis, actes de rébellion et entraînements physique. 

En parallèle, on suit l'évolution de la famille Amorgen et des bouleversements qu'elle va connaître au fil des chapitres, sur six ans environ : l'un des fils va se découvrir sorcier (c'est pas une bonne nouvelle) ; Naïs la cousine orpheline au caractère bien trempé semble aussi pourvue de certains dons, bien qu'on n'en sache pas plus. 

A la fin de l'Apprenti, le mystère reste entier sur plusieurs niveaux ; je ne sais pas vraiment quoi en dire pour l'instant, car ce tome sert a introduire l'univers du roman. C'est nécessaire, mais forcément ça laisse moins de place à l'action. Cela dit, les dernières pages laissent entrevoir un 2ème opus prêt à décoller en trombe. On sait pas encore trop où on va, mais on y va...

Une porte d'entrée vers la fantasy

Si vous aimez les romans d'heroic fantasy, foncez car il y a tous les ingrédients : le décor médiéval, les soldats musclés au régime pain fromage viande séchée nuit dehors fumette, les cheveux en bataille, les filles qui n'ont peur de rien, la carte du royaume au début, le sorcier, le roi, le faux clodo, le maître d'armes un poil tortionnaire, la pierre magique qui envoie du pouvoir mais qui détruit en même temps.... 

Fans de l'Assassin royal, vous aussi ? "L'Apprenti" vous rappellera de bons souvenirs, bien que l'histoire ne soit pas du tout la même ! 

Le porteur de mort constitue une bonne initiation pour qui n'est pas familier de ce type de romans ; c'est agréable à lire et plus accessible que l'œuvre de Tolkien _ qui a considérablement inspiré Angel Arekin, d'après ce que j'ai pu lire ça et là.

La plus-value de ce livre : les personnages, principaux et secondaires, très humains, et donc très réalistes. Ils souvent bien creusés. L'apprenti-tenshin rouquin nommé Lampsaque est mon préféré. Tous s'expriment de manière assez crûe ! 

Le point qui m'a fait un peu tiquer : la relation ambigüe entre Seïs et Naïs reste perturbante pour le lecteur _elle l'est aussi pour les personnages, et Angel Arekin l'exprime très bien. J'imagine qu'on ne connaît pas tout de leurs sentiments et de leurs liens familiaux pour l'instant, et que beaucoup d'éléments clefs s'éclairciront dans les tomes suivants. 

Mon seul regret est de l'avoir laissé moisir plus d'un an dans la bibliothèque.


Angel Arekin 

Le porteur de mort - 1 - L'apprenti 

2014

Photo : édition Le livre de poche. 


Avec ses 788 pages, cet ouvrage peut participer au challenge "Les épais de l'été 2024" organisé sur le blog de Dasola. N'hésitez pas à aller y faire un tour ! 





dimanche 19 juin 2022

[COMICS] Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort" - Terry Moore (2014)

Voici un nouveau titre découvert à la bibliothèque Marguerite Duras, ma préférée définitivement ! 


L'histoire

Depuis qu'elle s'est réveillée à moitié ensevelie dans une tombe de fortune creusée au beau milieu de la forêt de Firehill, Rachel Beck se sent déboussolée. On le serait à moins. Malgré le traumatisme, sa tête fourmille de questions pragmatiques : on a manifestement essayé de la tuer avant de se débarrasser de son corps à des kilomètres de la petite ville de Manson qui l'a vue grandir. Mais qui ? quand, exactement ? Et surtout pourquoi ? 

La jeune femme n'est pas du genre à laisser le temps faire son œuvre ; là où d'autres auraient opté pour discret retour à la vie quotidienne, s'estimant chanceuses que leur meurtrier se soit raté, elle va tenter de remonter (non sans difficultés) le fil des événements. 

Problème numéro 1 : elle n'a aucun souvenir, ni de la soirée de son agression, ni des trois jours passés "sous terre" qui l'ont suivie. 

Problème numéro 2 : au vu des marques de strangulation qui ornent son cou et de son regard de zombie, il semblerait que Rachel ne soit plus tout à fait vivante... Pire, elle comprend peu à peu qu'elle est capable de prédire la mort des personnes qu'elle croise, et elle se surprend à communiquer avec une grande blonde pulpeuse et désagréable au possible qu'elle est (presque) la seule à percevoir. 

La voilà donc bien mal embarquée ; heureusement, elle a le soutien inconditionnel de sa tante Johnny et de sa meilleure amie Jet.  

Une vraie BD de gonzesses 

En effet, le salut (s'il y en a un) ne viendra pas du Prince Charmant. Je ne sais pas comment ça se passe dans les suivants, mais ce premier tome de Rachel Rising est essentiellement mené par des femmes ; c'est assez rare pour être souligné. Les quelques types qui apparaissent au fil des chapitres ont des rôles secondaires ou servent simplement à faire de la figuration ; dans tous les cas, aucun d'entre eux n'est un allié digne de ce nom pour l'héroïne _exception faite du pauvre gars qui prend Rachel en stop au sortir de la tombe, à qui elle claque la porte au nez sans ménagement lorsqu'il veut en savoir plus sur son état de santé, et qu'on ne reverra plus jamais... Tous les autres se positionnent comme ils peuvent sur un perchoir qui va de la bêtise à la perversité. On pourra constater que Rachel et Jet encaissent à plusieurs reprises propositions et regards lubriques : 

Au garage (où Jet travaille)

Au Blue Note, le bar local
"Les musiciens, qu'est-ce que tu veux...?"

Les deux amies ne se laissent jamais marcher sur les pieds et remballent vertement les téméraires ; pourtant, on voit bien qu'elles ne sont pas là pour essayer de faire bouger les choses : c'est comme ça que ça se passe, ici, personne n'y peut rien. Leurs réactions sont autant de réflexes de survie et ne témoignent que de leur résignation. Même si je suis vraiment fan de la façon dont Terry Moore traite ses personnages féminins dans cette bande dessinée, il n'en fait pas pour autant des héroïnes féministes. 

Par pour l'instant, en tous cas. Ou peut-être le sont-elles à leur manière ; il faut reconnaître qu'on a pour faire face à leurs médiocres pendants masculins une brochette de femmes fortes et déterminées _quelles que soient leurs intentions : 

  • Je crois que si j'avais été à la place de Rachel, je me serais barricadée en prenant bien garde de ne jamais croiser mon regard injecté de sang dans une glace ! Bon, c'est vrai que je suis assez trouillarde à la base, mais la jeune femme manifeste quand même une grande facilité à se mettre en mode warrior : elle veut comprendre ce qui lui est arrivé, quitte à retourner (trop) souvent sur les lieux du crime. Si elle admet avoir besoin d'aide, elle ne laissera rien passer. Terry Moore l'a représentée sous les traits d'une grande blonde svelte et raide comme la justice, toujours vêtue de noir, dans une tenue qui fait un peu penser à Catwoman, vite fait. Un bruit suspect, une personne intrigante : elle fonce voir ce que c'est. Elle n'a pas le temps d'avoir peur. 
  • Jet est la meilleure pote que tu rêves d'avoir : garagiste piétonne _sa voiture est en panne, le comble, guitariste dans un groupe de jazz, elle est liée à Rachel depuis l'enfance. C'est la dernière personne à qui l'héroïne se souvient avoir parlé, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'était pas très chaude pour la sauterie prévue le soir-même. Attentionnée sans être collante à l'extrême et sans forcément chercher à la brosser dans le sens du poil, elle est la première à prendre au sérieux ce que Rachel lui raconte, et à la considérer comme "bien réelle". 

  • Tante Johnny a plus de mal à ne pas croire à une vision fantomatique lorsque Rachel se présente à elle, peu de temps après son retour à Manson. Non pas qu'elle y mette de la bonne volonté, mais il faut dire que son boulot chronophage aux pompes funèbres n'aide pas. Pour cette femme, qu'on devine d'un certain âge, qui dit elle-même passer plus de temps avec les morts qu'avec les vivants, les apparitions de défunts sont quasi quotidiennes, et, toujours rationnelles, elle les interprète comme des symptômes de surmenage. Il faudra que Rachel la traîne jusqu'à la forêt de Firehill pour qu'elle comprenne que tout est bien réel. Ce personnage est aussi original qu'attachant ; au fil des planches, on comprend que c'est elle qui a recueilli sa nièce à la morts des parents de celle-ci, et que depuis elle est à la fois sa mère et sa pote. Leur relation est marrante ; Johnny, c'est la tante qui arrive à te faire sortir de la morgue grâce à son réseau, qui se laisse dormir trente-six heures et te fait des pâtes à ton réveil, après avoir pris soin d'inviter ta meilleure amie pour partager le repas. 
 
Cerise sur le gâteau, Johnny a une bonne dégaine de butch* : les cheveux en brosse, la chemise à   carreaux, le fourgon, le chien, un prénom de mec... tout y est ! Pourtant, quelques unes de ses interventions laissent entendre qu'elle n'est pas du tout de la fanfare. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences !   
  • Attention, place maintenant aux personnages beaucoup moins sympathiques : la petite Zoé et la grande blonde (qui n'a pas de nom). Zoé est une petite qui vit avec sa soeur et son père, à Manson aussi visiblement, puisque Rachel assiste à son incendie alors qu'elle se trouve sur le toit du Blue Note. Sous ses airs d'enfant sage, la gamine est capable de commettre des horreurs. Non pas qu'elle soit sadique, mais parce que son corps est manipulé par une mystérieuse femme blonde que personne ne peut voir... sauf elle et Rachel. Cette connaissance commune va les amener à entrer en contact, alors que rien ne les prédisposait à se croiser un jour. Toutes deux vont aussitôt nouer un lien de confiance et Rachel va tenter de rassurer la fillette tant que faire se peut, elle qui est traumatisée d'agresser et de tuer sans le vouloir. Elles vont aussi réaliser, à travers leur parcours en miroir, que la grande blonde les possède toutes les deux, mais différemment, et pour cause : avec son fort caractère, Rachel est beaucoup moins "perméable" que Zoé. 

La Mort à la soirée Nuit Blanche

On le devine sans que jamais Terry Moore ne le dise clairement : la grande blonde est une incarnation de la Mort. Tout de blanc vêtue, elle n'a rien à voir avec la faucheuse à capuche intégrée dans l'imaginaire collectif et on s'attend plus à la croiser chez Eddy Barclay que dans un cimetière. Elle aussi se présente à Rachel comme une sorte de reflet inversé. 

Si le rapport entre Zoé et la Mort est ambigu, mêlé de peur et de reconnaissance _la Mort se dit être "une amie qui lui veut du bien" et, de fait, elle la sauve des griffes du pédophile qui salivait d'avance de la récupérer dans sa famille d'accueil, Rachel et la grande blonde semblent se détester cordialement. 

Pas de doute, elle est derrière la transformation de l'héroïne en morte-vivante ; car c'est ce que Rachel est devenue, même si elle ne ressemble pas plus aux zombies sanguinaires auxquels nous sommes habitués, que la Mort à nos représentations habituelles de la mort. 

Son statut intermédiaire surprend sans surprendre les personnages qui évoluent dans une bourgade rurale déjà teintée de mystères, de phénomènes glauques, et connue pour ses brûlots de sorcières. 

Même le vieux médecin de famille des Beck, censé incarner la sagesse et la rationalité, est formel : la médecine n'explique pas tout, est Rachel n'est rien de moins que l'ange de la mort. Le pire, c'est qu'il a probablement raison...

La valse des faux semblants 

J'ai emprunté cette bande dessinée complètement au hasard, parce que je ne trouvais pas celle que je voulais et que le nom de l'auteur me disait vaguement quelque chose. C'est un heureux hasard, qui me donne envie de poursuivre la lecture de cette série à mi-chemin entre le fantastique et l'horreur. L'auteur s'est chargé à la fois des dessins et du scénario ; il est surtout connu pour une autre œuvre (Strangers in Paradise), mais apparemment Rachel Rising a connu un certain succès à sa sortie, en 2014. Visuellement, "L'ombre de la mort" devient agréable à lire dès lors qu'on s'est habitué au style de Terry Moore, caractérisé par des traits fins, soucieux du détail, parfaits pour dépeindre les broussailles d'une forêt remplie de cadavres et pour rendre les visages bien expressifs. N'étant pas très fan du gore illustré de façon générale, je dois bien reconnaître que l'artiste est efficace et dit ce qu'il veut sans trop abuser sur l'hémoglobine. Ce comics reste quand même destiné aux adultes, à mon avis, car il comporte plusieurs représentations de morts qui peuvent franchement faire peur. 

Mais la meilleure surprise reste le perpétuel jeu des apparences où l'auteur nous entraîne et nous perd, et qui laisse présager bien des rebondissements dans les futurs tomes. Qu'est-ce qu'on est ? Qu'est-ce qu'on n'est pas ? Qu'est-ce qui a changé, et quand ? Le bon père de famille d'accueil l'est-il vraiment ? Rachel est elle morte ou vivante ? Zoé n'est elle qu'une petite fille assommée par le destin ? La Mort est-elle une amie ou une ennemie ?  La suite le dira peut-être ! 

* butch = gouine bien virile

Terry MOORE. Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort". Delcourt, 2014. ISBN 978-2-7560-3949-7

Rien à voir, mais j'ai fait le marathon de Biarritz le 5 juin dernier ! 

Un rêve s'est réalisé ! 

vendredi 3 avril 2020

[COMICS] Deadly Class - Tome 1 : "Reagan Youth" - Rick Remender / Wes Craig / Lee Loughridge (2014)


Tous les ans, on parle climat de classe et harcèlement scolaire avec les élèves. 
Tous les ans, une question revient. 
"Madame, vous avez déjà été harcelée, vous ?" 
C'est marrant qu'ils choisissent toujours d'aborder le sujet sous cet angle-là.
"Non, pas vraiment. Par contre, j'ai harcelé quelqu'un." 
La surprise est toujours la première réaction. Certains rient en croyant que je viens de faire une bonne blague. D'autres referment aussitôt la porte blindée : "Non madame, c'est sûr que c'est faux". A partir de là, on peut commencer à bosser pour de vrai : apprendre aux victimes à se défendre est aussi important qu'apprendre aux harceleurs à s'identifier comme tels.



L'histoire 

San Francisco, 1987. Marcus n'était pas un garçon plus mauvais qu'un autre, à la base ; mais la mort de ses parents, la violence de l'orphelinat, la rue et bien d'autres épreuves de la vie ont fait de lui une bête enragée fort dangereuse. Si vous ne lui cherchez pas les poux sur la tête, tout se passera bien. Par contre, si vous le poussez à bout, vous lui fournirez une occasion en or de déverser son amertume et sa colère. Marcus est capable du pire, il en est conscient. Est-il un psychopathe ? un sadique dépressif ? un simple connard un peu plus violent que la moyenne ? Peut-être... Comment pourrait-il le savoir ? Il n'a que quatorze ans. Ce dont il est certain, qu'une fois lancé sur la pente du crime, il n'est plus capable de se maîtriser. 

Pour le policier, le petit orphelin rageux est un ennemi à abattre ; pour le citoyen lambda, c'est juste une fréquentation à éviter, ni plus ni moins. Mais pour Maître Lin, le vieux directeur de Kings Dominion, prestigieuse École des Arts Létaux, il est un diamant brut qui attend d'être taillé pour pouvoir exploiter son potentiel.   


Tapi dans l'ombre, le Dumbledore du meurtre confie à quelques uns de ses meilleurs éléments _ la sulfureuse Saya en tête_ la mission de capturer Marcus et de le ramener à ses pieds ; il pourra alors lui proposer un marché : intégrer son drôle de centre de formation, ou rester faire la manche dans les rues de San Francisco.




Têtes de tueurs et mauvaise réputation

Demi-spoiler : en position de faiblesse face à quelques énergumènes de la même trempe que lui, Marcus va accepter la proposition en or de Maître Lin, non sans avoir tergiversé et balancé quelques insultes à la cantonade ! Il lui reste un fond d'orgueil, dont ses futurs copains de classe vont tenter de s'emparer en le rudoyant. Décidément, on a un sens de l'accueil particulier à l'École des Arts Létaux.

Sur ce, on passe au chapitre 2 du premier épisode dessiné de Deadly Class. Il y est question des premiers pas du héros dans le Poudlard du meurtre, sans les "maisons" mais avec ses groupes communautaires bien marqués : le clan des fachos, la bande des drogués, les latinos, les bourges, et bien d'autres. Sans oublier les plus intéressants : les marginaux qui fument de l'herbe dans le cimetière, à la nuit tombée. 

Revêtu d'un uniforme, la nouvelle recrue arpente les couloirs sous les murmures d'adolescents aussi cons et méchants que partout ailleurs. Tous suivent des cours bien particuliers de "psychologie de l'assassin", de "décapitation", de "poison" ; Marcus n'est pas rassuré, car, bien qu'il soit formellement interdit aux élèves de s'entre-tuer (c'est même la règle d'or), il sait pertinemment que la mort n'est pas toujours la pire des options ! Si son instinct lui souffle de se la jouer loup solitaire, sa raison l'encourage à s'entourer d'alliés. 


C'est peut-être parce que j'y connais rien et parce que je m'émerveille de tout, mais je trouve que Rick Remender présente avec beaucoup de clarté un héros à la psychologie complexe, connaissant des difficultés à se positionner par rapport à ses semblables, probablement fragile psychologiquement, peut-être mytho avec lui-même et par conséquent avec nous, les lecteurs. Si j'avais quinze ans de moins, je m'identifierais sûrement beaucoup à lui ; ce serait à la fois rassurant et effrayant.  


D'ailleurs, le premier DM de Marcus, c'est un travail en binôme ! Chaque groupe a jusqu'au lendemain matin sans faute pour assassiner un clochard et faire disparaître le corps. Attention, il faudra prendre soin de tuer un type qui mérite ce sort tragique : il ne s'agirait pas de tuer des innocents pour les simples besoins d'un cours ! On n'est pas des bêtes !   

Faire trépasser un clodo ? Une formalité pour l'apprenti meurtrier ! Or, l'affaire est plus compliquée pour son pote Willie, pourtant reconnu par tous comme chef de bande. Alors que le vieillard détale sous la menace, il n'arrive pas à appuyer sur la gâchette de son arme et le laisse filer. Marcus n'en revient pas. Comment peut-on avoir aussi peu de cran et arriver à faire son chemin à l'Ecole des Arts Létaux ? 

En effet, et on s'arrêtera là pour la comparaison avec Harry Potter, promis, l'entrée dans cet établissement fait l'objet d'une sélection. Si vous voulez obtenir le sésame, deux possibilités s'offrent à vous : soit vous êtes issus d'une famille de tueurs dont le pedigree est reconnu, soit vous êtes un "moldu" du crime, une personne qui a réussi à faire ses preuves sans l'aide de papa et maman. A priori, Willie fait partie de la deuxième catégorie, puisqu'il se vante d'avoir abattu les agresseurs de son père, lorsqu'il avait douze ans. Mais la vérité est un peu différente, et bien moins "flatteuse" pour lui ; il n'est pas question d'en parler : Willie sait à quel point il est important d'avoir une "réputation", de soigner les apparences. 
      
En levant le voile sur le passé de ce personnage, les auteurs nous laissent entendre qu'il faudra compter sur lui par la suite. Car, aussi improbable que cela puisse paraître, Marcus va rapidement se faire un cercle de copains composé entre autres, de Billy, Saya, Maria et Willie. On les découvre petit à petit, lorsqu'ils embrigadent "le nouveau" dans une sortie clandestine à Las Vegas où le lecteur et les personnages vont en voir de toutes les couleurs ! .  

  • Billy a un rêve : tuer son père, qui est un "joueur invétéré", un véritable poison pour sa famille. Bien qu'il ait été placé dans cette école pour "s'endurcir", le programme n'a pas encore complètement fait ses preuves et il voit en Marcus l'opportunité de déléguer le sale boulot à quelqu'un. Il est plus ou moins l'instigateur de la fameuse sortie à Las Vegas où le héros va découvrir les joies du LSD.   




  • Maria et Saya sont les "meilleures amies du monde" ; regardez bien cette vignette qui marche sur la planche avec ses un gros sabots, comme pour nous dire : "attendez qu'un mec se glisse entre les deux, on va rigoler !


Bien qu'elle s'affiche avec le très possessif Chico, Maria dévoile très vite sa ferme intention de bouffer du Marcus, quitte à faire appel aux pouvoirs magiques de la drogue. Elle n'aura pas besoin de glisser quoi que ce soit dans son verre pour arriver à ses fins, puisque le principal intéressé va se défoncer au LSD de sa propre initiative. 

Ah au fait, vous vous souvenez ? Il a quatorze ans... 

Son coup de foudre et son tempérament de prédatrice vont pas mal influer sur le déroulement du week-end. Toute en exubérance, même si Saya arrive un peu à la canaliser, elle nous montrera une façon bien particulière d'utiliser un éventail... Je n'en dirai pas plus sur cette joyeuse bande, car ce serait empiéter sur le deuxième tome de la série. 


Folle chronologie 

Ouais, je viens de terminer le tome 2 : c'est même lui qui m'a convaincue de relire le premier afin de mieux le comprendre. En effet, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'oeuvre, et ce pour plusieurs raisons. 

D'abord, le trait de Wes Craig m'a rebutée, à la lecture des premières pages, sans que je puisse dire pourquoi. Possible que j'aie été influencée par l'histoire, présentée comme bien glauque dès le début. Il m'a semblé que tous les visages avaient été peints de façon à mettre en évidence la laideur et la folie, ce qui étaient peut-être bien le cas, en fait. Mais j'ai fini par m'y faire, de la même façon qu'on finit par s'habituer à son reflet dans la glace. Son travail est appuyé par Lee Loughridge, qui démontre de bout en bout qu'on ne met pas de la couleur dans une BD juste pour faire joli : il arrive notamment à traduire l'ambiance d'une planche rien qu'en lui attribuant une couleur dominante (rouge sang, bleu sombre, rose... LSD ?), ce qui ne manquera pas de rappeler aux lecteurs d'aujourd'hui les filtres Instagram et autres. 


Ensuite, l'histoire n'est pas linéaire dès le début ; si on se met deux minutes à la place des auteurs, on se dit qu'il aurait été bien difficile de procéder autrement que par flash-backs, mais c'est quand même un peu déstabilisant de passer de 1980 à août 1987, pour avancer en novembre et revenir en arrière de deux ans. Au moins, ça force à s'accrocher ; personne n'a jamais dit qu'il était facile de lire une BD, et c'est ça qui est bon aussi. D'autant plus que dans Deadly Class, les dates semblent avoir leur importance. On imagine bien que si la capture de Marcus par ses futurs camarades de l'École des Arts Létaux se produit un 1er novembre, ce n'est pas le fruit du hasard. Le héros lui-même est prisonnier de sa date d'anniversaire qu'il partage avec son ennemi juré, sa cible ultime, celui qu'il considère comme responsable direct ou indirect de tous ses déboires : le président Reagan.

Pas forcément fan de Deadly Class l'issue d'un premier emprunt à la bibliothèque, une seconde lecture aura été nécessaire mais bénéfique. A présent _c'est peut-être un effet du confinement, je suis plutôt curieuse de découvrir la suite et de voir ce que donne la série inspirée des comics. 

Note importante : bien que les personnages aient l'âge d'aller au collège ou au lycée, ce comics ne s'adresse certainement pas aux enfants ! Accessible à partir de la 4ème - 3ème, éventuellement, et encore, pas aux âmes sensibles ! Vraiment attention, c'est plutôt violent...

Rick REMENDER ; Wes CRAIG ; Lee LOUGHRIDGE. Deadly Classe 1 - Reagan Youth. Urban Comics, 2014. ISBN 978-2-3657-7594-6

Bonus confinement !
C'est gratuit (et ça le restera toujours)

jeudi 26 mars 2020

[COMICS] Ms Marvel - Tome 1 - Métamorphose - G. Willow Wilson ; A. Alphona (2014)

Ne plus se serrer la main ; rester à distance d'un mètre les uns des autres. 
Il y a quelques jours encore, on trouvait ça aussi drôle qu'incongru. 
J'en riais devant les gosses, à gorge déployée.
"Mais range ton masque, enfin, c'est inutile !" 
J'ai pesté contre l'annulation du semi-marathon de Villepinte : celui de Paris, OK, mais celui de VILLEPINTE ! Comme si on allait être 5000 ! 
J'ai cru, moi aussi, que c'était juste une "mauvaise grippe" qui n'allait toucher que les personnes très fragiles. Il faut le reconnaître : on s'est bien plantés ! 


MS Marvel - Tome 1 - Métamorphose



L'histoire 

Jersey City, de nos jours. En dépit de ses seize ans, Kamala Khan a des allures d'enfant modèle : elle va au lycée, ne fait pas de vagues, respecte ses parents. Ses deux meilleurs amis ne sont pas populaires mais ils sont aussi fiables que de bonnes fréquentations peuvent l'être. Après les cours, elle passe ses soirées à écrire des fanfictions autour des Avengers, ces super-héros dont elle se prend à rêver les yeux ouverts. En les publiant sur Internet, elle semble bénéficier d'une notoriété qu'elle est bien loin d'avoir dans la vie réelle ! 

Kamala fait en effet partie d'une minorité aux yeux des jeunes qu'elle croise tous les jours : elle est musulmane pratiquante, ce qui leur suffit à l'associer à toute une valise de clichés plus réducteurs les uns que les autres. Elle a beau être patiente, les remarques tantôt maladroites, tantôt vicieuses de ses camarades de classe commencent à lui taper sur les nerfs ! La colère monte, tranquillement mais sûrement. L'envie de s'intégrer et de s'émanciper aussi. Quitte à gommer certaines facettes de son identité pour mieux rentrer dans le moule. 

Une BD aux couleurs chaudes comme cette soirée de bâtards sur les quais !

C'est ainsi que Kamala se retrouve à faire le mur, un soir, pour aller à une soirée ambiancée et alcoolisée sur les quais, histoire de tenter sa chance. Très vite, elle déchante : Zoé la peste locale se fout de sa gueule ouvertement et lui dit qu'elle pue le curry ; Josh le playboy relou essaie de lui faire boire de l'alcool en lui faisant croire que c'est du jus d'orange. Fiasco total, Kamala décide de rentrer à la maison, mais se retrouve prise dans un nuage de brume tératogène et tombe dans les pommes.

Quelque chose d'étrange se produit alors ; en rêve, elle rencontre son héroïne préférée Captain Marvel, accompagnée de ses acolytes Avengers. On ne sait pas encore trop s'il s'agit vraiment d'une sorte de "visitation" de ses "dieux", ou simplement d'une incarnation de sa petite voix intérieure, celle qui l'engage à se faire confiance et à se demander ce qu'elle veut, dans la vie. En tous cas, elle en profite pour leur faire part de ses désillusions et pour confier à Captain Marvel son envie de lui ressembler : si seulement elle pouvait être blonde et puissante, elle aussi ! La super-héroïne consent à lui filer un coup de pouce et à lui partage ses pouvoirs, tout en l'encourageant à croire en ses propres ressources. 

A son réveil, Kamala est métamorphosée en super-héroïne, et se lance dans une première opération sauvetage. Grâce à elle, l'insupportable Zoé échappera à la noyade sous les yeux embrumés de son copain complètement cuit : voilà de quoi prendre confiance... 


Mutation inopinée  

... ou pas... Chez les Khan, on aime bien la discrétion ! Kamala sait bien qu'une super-héroïne dans la famille laisserait tout le monde un peu perplexe : son père est tendu rien que d'imaginer que des garçons non-musulmans puissent l'approcher en dehors des cours ; sa nouvelle nature n'est pas raccord avec les traditions défendues par sa mère. Quant à son grand frère... il est juste en train de se radicaliser, au calme, sous les yeux de ses proches qui ne le prennent pas au sérieux et se foutent de sa gueule en attendant que ça lui passe. 

Pour elle, la question ne se pose pas : exposer ses pouvoirs à qui que ce soit n'est pas envisageable. Ils doivent rester secrets, si tant est qu'on puisse garder quelque chose de secret à l'ère du téléphone portable ! 

Evidemment, quelques curieux en mal de sensationnel se sont chargés de filmer le remontage de Zoé sur la terre ferme. Le lendemain, toute la ville a bien conscience qu'une nouvelle Miss Marvel est née. 



Vive les masques et la mutation physique en blonde qui accompagnent ses pouvoirs : ils ont offert à Kamala un dernier rempart à sa vie privée... pour cette fois-ci. Car, à la manière du carrosse de Cendrillon après les douze coups de minuit, ils peuvent s'en aller aussi vite qu'ils sont venus, et pas forcément au moment opportun. Apprendre à contrôler ses transformations, ses bras qui s'allongent à l'infini, cette super-héroïne qui pousse en elle _ sans être tout à fait elle_ va être une de ses priorités : il ne s'agirait pas de devenir son propre ennemi. Une vraie galère. L'adolescence, mais en pire. 


Bruno, l'asperge qui vous veut du bien 

Le piège serait de croire que Ms Marvel est simplement l'histoire d'une "super-héroïne musulmane". Même si c'est l'une des données qui contribuent au caractère original de l'oeuvre _l'islam semble assez peu présent dans les comics, du moins de ce que j'en connais... la religion de Kamala n'est pas un sujet central. Le sujet est bien présent, à travers la famille de la lycéenne et des rapports qu'elle entretient avec eux, il est bien présent dans le cercle d'amis, puisque sa meilleure amie Nakia est pratiquante, alors que son pote Bruno ne l'est pas ; mais pas déterminant. C'est plutôt d'une quête d'identité, de façon plus générale, qu'il est question dans Métamorphose : on suit la transformation progressive d'une jeune pakistanaise rêveuse et complexée par ses origines, en "sauveuse" de plus en plus puissante, de plus en plus sûre d'elle. 




Le chemin est semé d'embûches ; par chance, Kamala n'est pas seule pour les affronter. Bien sûr, Nakia est là, plus grande, plus forte, connue pour son sérieux... rassurante. Mais Bruno n'est pas en reste. A l'image d'Alex dans Buffy contre les vampires, ce personnage "secondaire" représente le bon copain sympa, sans charisme, sans pouvoir, mais dont le soutien moral et logistique est complètement indispensable à la réussite de la "vraie star". Bien entendu, il aime secrètement Kamala, au point d'être un peu trop protecteur à son goût ; elle le maltraite en conséquence. Dans ce premier tome où il est croqué par Alphona et son trait fin, Bruno est un grand type dégingandé, fort apprécié des parents Khan _c'est lui qui poucave "pour son bien" lorsqu'elle disparaît dans la brume, le fameux soir de fête_, qui travaille dans une cafétéria pour payer ses études, sous l'oeil condescendant de ses copains de classe bourges. On a hâte de voir comment il va tourner dans les prochains volumes.   

Après avoir lu ce premier tome de Ms Marvel, je comprends mieux pourquoi mon collègue prof d'arts plastiques le met systématiquement en valeur lorsqu'il présente des comics aux élèves : tous les affres de l'adolescence y sont décrits, assortis de l'espoir d'en sortir vivant.


G. WILLOW WILSON ; A. ALPHONA. Ms Marvel - Tome 1 - Métamorphose. Panini Comics. Coll. "All New Marvel Now !", 2014. ISBN 978-2-8094-4763-7 

samedi 30 décembre 2017

Le Fou et l'Assassin - 2 - La Fille de l'Assassin - Robin Hobb (2014)


Heureusement qu'il ne s'agit pas d'une intrusion réelle !

Dans le silence tout relatif des élèves confinés, Naya a du m'entendre penser, puisqu'elle me demande à voix basse : "Mais madame, si ça arrive vraiment, on est tous morts ! Y a aucune porte pour sortir par derrière et on peut même pas s'échapper par les fenêtres à cause des barreaux". A ses côtés, une petite vingtaine d'élèves appuient sa remarque de murmures inquiets. Tout à l'heure, ils se sont assis au sol dans le coin lecture du CDI, conformément à la consigne donnée. Depuis, on attend...  




Nous sommes en train d'effectuer l'exercice "attentat - intrusion" du Plan Particulier de Mise en Sûreté. Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'élaboration d'un PPMS est obligatoire dans tous les établissements scolaires : il détermine les comportements que doivent adopter les élèves et les personnels en cas de risque majeur, qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle, technologique (explosion, passage d'un nuage toxique) ou d'un attentat. Afin de voir si ce plan tient la route, on le "teste" au moins une fois par an _voire plus, faudrait vérifier ! pour s'assurer qu'il tient la route et pour mettre évidence les points à améliorer. 

Les plus petits tentent de se faire une place à peu près confortable au milieu des quelques grandes perches de 4° qui avaient squatté les chauffeuses du coin lecture dès le début de l'heure. Bien vu ! Comme à peu près tout le monde au collège, elles se doutaient que l'exercice aurait lieu en première heure de l'après-midi. Dans l'obscurité quasi totale, ça joue des coudes. 

"Eh ! c'était mon pied !"   

Quelle conne ! J'ai rabaissé tous les volets, alors que nous étions autorisés à laisser ouverts ceux donnant sur le chantier, pour assurer un minimum de lumière et éviter toutes ces blagues qu'on ne peut faire que dans l'ombre. Tant pis. 

Dernière vérification du SMS destiné au principal avant de l'envoyer, histoire de gicler d'éventuelles fautes et de voir si le nombre d'élèves tapis dans l'ombre est exact _il faut indiquer dans ce message son nom, le lieu où l'on se trouve, combien de gosses on abrite, etc... 

Pour l'instant, ça roule, les petits sont plutôt coopératifs, alors je laisse mon esprit sortir de sa cage quelques instants. La Fille de l'Assassin (Le Fou et l'Assassin 2) attend toujours sagement son tour sur le tapis. En refermant le livre, la dernière fois, j'ai laissé la petite Abeille errant dans les galeries secrètes du château de Flétribois, en quêtes de planques où elle pourrait se confiner, elle aussi, tandis que Fitz, son père, se battait inlassablement avec sa mauvaise conscience d'assassin professionnel...   

Moussa refuse de s'asseoir au sol à côté des autres. Il faut dire que certains d'entre eux se foutent de sa gueule car il vient d'exploser un carton de bouquins à ranger en s'asseyant dessus en mode pachyderme. Précisons que Moussa est un peu enrobé ; il n'en faut pas plus pour amuser la galerie. 


Voilà ce qu'on trouve quand on tape "carton défoncé" sur Google.
Je sors du coin lecture où je m'étais posée avec les petits pour ramener une chaise à Moussa, qui est chiant au quotidien, certes, mais qu'on va pas laisser se faire traiter de gros par les autres pour autant. D'autant plus que son père le fait déjà très bien, paraît-il. Après négociation, il s'installe sur une chaise un peu en dehors de la "zone de confinement", et se retrouve donc en plein dans l'axe de la porte. Tu vois la balle perdue, là bas ? C'est pour sa pomme, mon Moussa ! Enfin, comme il est assis et qu'il se tient à peu près, on va pas criser. Paye ton confinement.   

Les intrus factices arrivent enfin, avec force cris et coups dans les portes. Bien qu'ils n'aient pas donné l'impression d'avoir forcé outre mesure, ceux qui ont tenté d'ouvrir la porte du CDI en ont fracassé la poignée ; elle s'est échouée sur le lino humidifié par les allées et venues dans un bruit métallique qui surprend les élèves plus que de raison. 

"Madame, c'était quoi ce bruit ? Ahmed stresse à présent, alors qu'il était saoulé à l'idée d'avoir à subir cet exercice de prévention et faisait bien profiter son monde de ses soupirs blasés. 
_ Rien de grave, c'est seulement la poignée de la porte qui est tombée. Restez silencieux." 
Comme quoi, un faux attentat peut causer de vraies dégradations ! Bon, il est vrai que cette clenche était déjà en souffrance depuis quelques jours.     

Les "terroristes" s'éloignent, les opportunistes entrent en jeu. 

"Madame, vous voulez bien nous achetez des tickets de tombola ? 
_ Bah enfin, les filles, c'est pas le moment ! 

Damia et Aya sont mes chouchous, et elles le savent pertinemment. Lorsque elles se sont extraites du coin lecture au bout de deux minutes de confinement pour aller ramper sous une des tables de l'espace informatique, se cognant contre les chaises au passage, elles sont bien compris qu'elles ne pourraient pas m'énerver aujourd'hui. J'aurais du les sanctionner, mais j'étais déjà bien trop occupée à essayer de ne pas rire. 

_ Mais Madaaame c'est pour récolter de l'argent pour aider à payer les voyages scolaires des 5èmes ! 
_ Oui oui, je sais bien, mais on verra ça plus tard. 
_ Vous en achèterez hein ? 
_ On verra, on verra...  
_ Madame ? 

Malgré le chuchotement de rigueur, j'ai reconnu Fatoumata, et le ton excessivement poli et mielleux qu'elle prend lorsqu'elle a quelque chose à demander. 

_ Oui Fatoumata ? 
_ Je peux imprimer une image pour mon exposé, vite fait ? 
_ Non non, pas tant que l'exercice n'est pas terminé. 
_ Allez, Madame... Tout le monde sait que c'est pas un vrai attentat et puis les volets sont fermés ! Personne verra rien.  
Le froissement caractéristique d'un paquet de bonbons qu'on défonce en toute discrétion à l'abri d'un sac à dos vient agacer mes oreilles. 
_ Pour ceux qui l'auraient oublié : on ne mange pas et qu'on ne boit pas dans le CDI. 




Enfin, une annonce de la "sécurité" diffusée au mégaphone nous invite à lever le confinement. Mickaël Youn fait irruption dans mes pensées sans crier gare, avec sa fameuse "boîte à images". Il était temps. On rallume aussitôt comme si rester dans le noir nous avait pompé de l'oxygène et on se regroupe autour d'une table pour "évaluer" l'exercice à l'aide d'une grille prévue pour l'occasion. C'est alors que la porte s'ouvre, laissant entrer vent et crachin. Dans l'encadrement apparaissent un trio de 3èmes qui n'ont "pas réussi à trouver" de stage d'observation, ces petites feignasses. Ils ont donc été "embauchés" au collège pour la semaine, on dirait bien. 

 Ils portent un brassard fluorescent.   

"Euh, bonjour, on est la police. On vient vous dire que vous pouvez arrêter le confinement.
_ Mais apparemment, euh, ça va, vous étiez déjà au courant". 



Où est-ce qu'on en était ? 

A Flétribois, FitzChevalerie et sa fille sont encore sous le choc de la mort de Molly. Malgré leur tristesse, ils doivent continuer à vivre ; la famille, les amis et le rythme des saisons leur rappellent que le temps du deuil se termine et qu'il faut tourner la page. Pour eux, rien n'est plus dur à entendre, mais les mésaventures qui s'annoncent vont les forcer à aller de l'avant.

D'abord, Fitz recueille une mystérieuse messagère qu'il confond avec le Fou avant de s'apercevoir qu'il s'agit d'une jeune femme qui lui ressemble beaucoup. La malheureuse est aux portes de la mort. Volontairement infectée de vers pour avoir voulu effectuer sa mission malgré l'interdiction d'un ennemi obscur, elle aura à peine le temps de débiter quelques mots avant de tomber dans un délire irréversible. Elle ne laisse derrière elle qu'une sorte de "cape d'invisibilité" que la petite Abeille s'empresse de chaparder. Le message délivré laisse perplexe le maître de Flétribois, puisqu'il y apprend que le Fou a un fils, qu'il doit retrouver cette progéniture improbable et le protéger coûte que coûte d'un danger imminent !



Ensuite, son vieux mentor Umbre Tombétoile lui confie la sécurité de deux personnages encore mystérieux à nos yeux : l'insupportable Évite, nouvelle "apprentie assassin" beaucoup trop caractérielle et frivole pour être efficace, et FitzVigilant, un jeune premier aux origines floues officiellement envoyé à "Flétry" pour apprendre à lire et à écrire aux enfants du domaine. Comme s'il n'avait déjà pas assez de mal à s'occuper de sa fille correctement, il faut en plus qu'il joue les gardes du corps discrets pour deux jeunes gens qu'il ne connaît pas encore très bien mais qui lui laissent déjà une sale impression. D'autant plus qu'on ne sait jamais quels projets tordus le vieil Umbre a derrière la tête.

Une relation de confiance commence à s'établir entre Fitz, très convaincant dans le rôle du père dépassé, et de la petite Abeille, plutôt mûre pour son âge. Mais ce lien est encore ténu, même s'il se renforce au fil des situations périlleuses. Tous deux devront s'armer de patience et de courage pour le garder intact.


Le Fou ! Enfin ! 

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Fou cause la séparation physique de la fille et du père ; elle était redoutée par Abeille, tandis que Fitz avait rejeté en bloc cette éventualité. Car oui ! Le Fou, le Prophète Blanc au teint diaphane, le gracieux Sire Doré, l'unique Bien Aimé au mille visages fait enfin son apparition ! Nous l'attendions tous depuis des centaines de pages, et, même s'il ne vient pas à notre rencontre sous son aspect le plus engageant, c'est quand même une joie de le retrouver : les choses sérieuses vont pouvoir commencer !


Alerte Spoiler : arrêtez-vous là si vous souhaitez lire le livre. 



Effectivement, le Fou apporte son lot d'informations, remettant en cause des savoirs que Fitz considérait comme certains. Les lecteurs qui suivent la saga depuis son commencement y trouveront un nouvel éclairage des événements passés. Si la connexion d'Abeille au Fou était plutôt prévisible, on sera très surpris de la requête faite par Bien Aimé à la fin de ce deuxième tome. Pendant des années le triste "Sire Blaireau" a bataillé avec le sort pour ne plus avoir à ôter des vies, mais il semblerait qu'à ce petit jeu il ait encore perdu.


Partage des voix 

On l'avait déjà relevé dans le Fou et l'Assassin 1, et c'est encore plus flagrant dans le 2 : pour la première fois depuis qu'on suit ses aventures, Fitz partage sa place de narrateur avec la petite Abeille.

C'est même du 50-50, puisque les chapitres racontés à la première personne par le père alternent avec ceux dont la fille tient les rênes. Le titre "la Fille de l'Assassin" rend justice à la place occupée par ce tout jeune personnage en pleine émancipation. Même si, physiquement, ça ne suit pas vraiment _ la fille de Molly a toujours l'air d'une toute petite fille malgré ses neuf ans_, elle apprend à composer avec sa petite taille et fait l'expérience de nouveaux sentiments : l'amour (vite fait), l'amitié, et surtout la jalousie. Elle ne prend pas seulement les rênes de la narration, puisqu'elle se résout à affronter sa peur et à monter à cheval ; en cela elle sera aidée par le jeune palefrenier Persévérance, qu'elle reconnaîtra vite comme l'une des seule personne en qui elle pourra se fier.




Pas facile de s'y retrouver quand on "éponge" toutes les magies, que ce soit le vent de l'Art ou le Vif, sans en posséder aucune. Pourquoi Abeille fait-elle des rêves réalistes.. tout en étant éveillée ? Qui est Père Loup, ce spectre d'Oeil de Nuit qui vient la délivrer de ses peurs paniques ? Et surtout, qui est-elle ? Pourquoi ressemble-t-elle si peu de ses parents ? Pourquoi son teint est-il aussi blanc, ses cheveux aussi blonds ? Bien des mystères soufflent encore sur la branche bâtarde de la famille Loinvoyant.


Si le deuxième cycle de L'Assassin Royal, que j'avais beaucoup aimé malgré tout, m'avait paru un peu lent au démarrage et moins haletant que les aventures du petit Fitz, Le Fou et l'Assassin tient toutes ses promesses. L'Assassin du roi a retrouvé son souffle, ses colères froides et sa tendance à tomber dans tous les pièges qu'on lui tend ! CQFD le bain de sang qui conclut ce deuxième volet de la série, hum hum... Ses boulettes nous auraient presque manqué...   


Robin HOBB. Le Fou et l'Assassin 2 - La fille de l'assassin. Editions France Loisirs, 2014. Coll. Fantasy.494 p. ISBN 978-2-298-10621-3


Sinon Joyeuses Fêtes !






lundi 30 octobre 2017

Le Fou et l'Assassin - 1 - Robin Hobb (2014)


"_Non, ce sera ouvert à partir de 13h, Amine. Et arrête de jouer avec la porte, vous n'entrerez pas plus vite pour autant ! Eh, mais ça me revient ! Pour toi la question ne se pose même pas ! Tu ne viendras pas aujourd'hui car tu as fait trop de bruit dans le CDI hier !
_ Mais je veux venir ! 
_ Bah, c'est la règle et je t'ai prévenu hier. Celui qui fait du bruit n'est pas accepté la fois suivante. 
_ Non, je veux venir, je bougerai pas d'ici ! 
_ Allez Amine, t'es en sixième maintenant ! Fais pas le bébé ! 
Les autres enfants rient, rangés près de la porte en attendant l'heure où je les ferai entrer.
_ Madame, Amine il est en cinquième. 
_ Ah, mais c'est vrai ! Oh excuse-moi Amine, mais comme tu viens toujours avec ta cousine qui est en sixième, j'ai tendance à vous mettre dans le même panier ! 
Amine regarde le mur, vexé comme jamais ; il faut que je rattrape le coup dans la minute, sinon je vais le perdre pour toute l'année. Les autres rient toujours ; décidément il en faut peu à cet âge-là. 
_ Oh c'est bon, je peux me tromper ! 
_ Madame, aussi c'est normal qu'on se trompe, il est tout petit !
_ N'importe quoi ! 
_Mais si, il est plus petit que beaucoup de sixièmes ! 
_ Bah regardez, sa cousine est plus grande que lui, même ! 
_ Bon Amine, vu que je me suis trompée, je veux bien te faire une fleur ! Tu peux venir au CDI mais attention, je t'entends pas !! 
_ ... 
Il a l'air d'accord. Vite, étouffons l'affaire avant qu'il n'essaie de négocier d'autres formes de compensation. 
_ Eh c'est pas juste Madame ! 
_ C'est vrai, c'est complètement injuste ! Mais fallait pas vous moquer !" 




L'histoire 

Ce nouveau cycle intitulé Le Fou et l'Assassin fait suite à celui de L'Assassin Royal et nous y retrouvons de nombreux personnages que nous connaissons bien : FitzChevalerie, le héros et narrateur de l'histoire, Molly, sa compagne de toujours, sa fille Ortie, Umbre son vieux mentor, le prince Devoir _devenu roi, d'ailleurs, et la reine Kettricken. On estime qu'une dizaine d'années s'est écoulée depuis la fin d'Adieux et retrouvailles, treizième et dernier volume de la série, et on suppose également que l'action succède aux événements survenus dans les Cités des Anciens, une autre saga de Robin Hobb se déroulant dans le même univers.   


Souvenons-nous. A la fin de l'Assassin Royal, Fitz retombait à peu près sur ses pattes et atteignait enfin son but : mener une vie calme et rustique auprès de Molly, le tout dans le confort de l'anonymat. Il faut dire que l'homme avait sacrifié sa jeunesse pour servir le trône des Loinvoyant et ses sombres desseins. Il était alors un jeune bâtard gênant pour les uns et utile pour les autres, fils non désiré d'une paysanne Montagnarde et du Prince Chevalerie. Umbre l'avait façonné pour qu'il devienne l'assassin officiel du roi, ainsi que son garde du corps, sa réserve d'énergie vitale, son messager, son couteau suisse... Conscient de n'être qu'un instrument pour la famille royale et lassé de devoir se cacher, il avait fini par se retirer de la société et de se faire appeler Tom Blaireau. Le petit domaine de Flétrybois qui lui avait été accordé sur le tard lui convenait parfaitement. 

Quelques années plus tard, nous retrouvons Fitz profitant toujours pleinement de sa tranquillité et préparant son manoir pour la grande fête annuelle, de manière à ce qu'il puisse accueillir un maximum d'invités et de ménestrels. Tout baigne, mais quelques ombres au tableau subsistent :

  • Déjà, le Fou ne donne plus signe de vie. Il faut savoir que le bouffon royal était devenu au fil des années plus qu'un ami, une véritable âme-soeur ; intimement relié au héros par une forme de magie, il l'avait gratifié, dans la seconde période de l'Assassin Royal, d'une déclaration d'amour qui n'avait guère trouvé d'écho. Depuis, et après moultes aventures et temps de réconciliation, leurs chemins s'étaient séparés et les ponts avaient été coupés. On peut le dire, l'absence du Fou a créé un vide dans le coeur de FitzChevalerie.        
  • Ensuite, Fitz et Molly ne vieillissent pas au même rythme ; Fitz voit sa femme saisie des affres de la ménopause tandis qu'il conserve son corps de jeune homme _dans ses précédentes mésaventures, il avait été guéri d'une blessure par l'Art, une forme de magie noble. Pour tous les deux, la transition est difficile à vivre. 
  • Le soir de la fête, une jeune femme à la peau et aux cheveux pâles est assassinée dans l'enceinte du château. Personne ne saura jamais de quoi il en retourne, et on conclura à un règlement de comptes entre ménestrels. 
Les mois suivants sont marqués par un événement tout à fait improbable : Molly est persuadée d'être enceinte, bien que cela paraisse biologiquement impossible. Fitz veut bien y croire, mais les semaines s'écoulent sans que sa compagne ne prenne de bidon et il doit se rendre à l'évidence : elle est en train de perdre la tête. Famille, serviteurs... à Flétrybois, tout le monde joue le jeu poliment et laisse la maîtresse de maison tricoter sa layette. Pourtant, après deux ans de manège, Molly accouche d'une minuscule petite fille au teint pâle... 



Attention spoiler ! Si vous voulez lire le livre, arrêtez-vous là !





Abeille

Parce qu'elle est très petite, et peut-être aussi parce que sa mère manipule la cire depuis l'enfance, les heureux parentes décident de l'appeler Abeille. Abeille est une Loinvoyant, même si elle n'est pas née à la cour de Castelcerf et ne risque pas d'y mettre les pieds de sitôt. Fitz a bien saisi les enjeux de cette descendance imprévue : sa fille pourrait, comme lui autrefois, susciter la jalousie et de mauvaises intentions. 

Peu après sa naissance, Umbre s'entretient avec son disciple de l'avenir qui se dessine pour la petite fille ; mais il relâche la pression en penchant sa tête au-dessus du berceau : le bébé ne vivra pas, il en est convaincu, car il lui semble trop petit et trop passif. Son avis est partagé par beaucoup de monde, d'autant plus que le développement de la petite fille sera particulièrement lent, autant sur le plan physique que sur le mental. Elle ne marchera et parlera que très tard, entretenant avec sa mère une relation fusionnelle tandis qu'elle rejettera longtemps le contact de son père.

Cependant, alors qu'on s'en désintéresse et qu'on la condamne par avance à un avenir de simple d'esprit, Fitz distingue peu à peu des dons exceptionnels de mémoire et de graphisme chez sa fille... Quoi qu'il en soit, Abeille est et restera une personne "différente" des autres, on le sent venir. Elle-même, lorsqu'elle prend les rênes de la narration _voilà qui est nouveau, jusqu'à présent c'était FitzChevalerie qui tenait immanquablement le fil conducteur, se perçoit comme décalée par rapport aux autres enfants de la maison. Ces derniers ne se privent d'ailleurs pas de la maltraiter au nom de son étrangeté.




Grandir et vieillir 

Dans ce premier tome du cycle Le Fou et l'Assassin, l'action ne se lance pas vraiment ; oh, pas d'inquiétude, ça viendra bien assez vite ! Dans un premier temps, Robin Hobb a voulu planter le décor, nous familiariser avec les personnages et nous permettre de prendre la mesure du temps qui passe. Pour la première fois depuis le tout premier chapitre de L'Assassin Royal, on lit un livre dont l'action s'étend sur plus de dix ans _des années précédant la conception d'Abeille jusqu'aux neuf ans de la fillette. Comme on l'a évoqué plus haut, et c'est à mon avis l'idée la plus importante de ce début d'histoire, le temps passe et creuse ses sillons sur les hommes. Or, tout le monde ne réagit pas de la même façon à ses agressions et ceux qui "restent jeunes" d'apparence ne sont pas forcément les plus heureux. En effet, ils voient les autres se fatiguer, vieillir et ne avoir assez de force pour poursuivre le chemin à leurs côtés. C'est le cas de Fitz et de l'inusable Umbre. On verra Molly s'éteindre petit à petit, comme une bougie. Dans l'autre sens, le fait que la petite Abeille ne grandisse pas la relègue dès ses premiers jours de vie dans la catégorie des "faibles", des "non viables" et des demeurés. Pourtant, elle ne fait rien de moins qu'évoluer à son rythme.

Le Fou et l'Assassin est plein de promesses... d'autant que le Fou n'a pas encore fait son apparition dans ces premiers chapitres ! Voici la grande surprise du début : pendant 400 pages, je me suis attendue à un retour fracassant, ou au moins alambiqué de ce ménestrel androgyne qu'on appelle le Prophète Blanc, mais rien n'est venu. Bon, ne nous voilons pas la face, il est bien là, d'une certaine manière : il suffit d'ouvrir l'oeil.. Vivement qu'il arrive en chair et en os, tout de même !

A mon avis, mais je peux me tromper, ce cycle s'adresse davantage aux fans des cycles de L'Assassin Royal qu'à des lecteurs novices de Robin Hobb, qui pourraient ne pas être emballés par le manque de road trips et de bastons. Pour les premiers, les nouvelles aventures de FitzChevalerie sont l'assurance de passer un bon moment ; sinon, ce peut être une lecture intéressante pour tous ceux qui aiment savoir ce qui se passe dans un cerveau, et pour les amateurs de situations d'espionnage. Commencer Le Fou et l'Assassin sans connaître l'histoire des personnages principaux ne me paraît en revanche pas très sensé...

A suivre !




Robin Hobb. Le Fou et l'Assassin 1. J'ai Lu SF, 2014. Trad. A. Mousnier-Lompré. ISBN 2290118400