samedi 30 décembre 2017

Le Fou et l'Assassin - 2 - La Fille de l'Assassin - Robin Hobb (2014)


Heureusement qu'il ne s'agit pas d'une intrusion réelle !

Dans le silence tout relatif des élèves confinés, Naya a du m'entendre penser, puisqu'elle me demande à voix basse : "Mais madame, si ça arrive vraiment, on est tous morts ! Y a aucune porte pour sortir par derrière et on peut même pas s'échapper par les fenêtres à cause des barreaux". A ses côtés, une petite vingtaine d'élèves appuient sa remarque de murmures inquiets. Tout à l'heure, ils se sont assis au sol dans le coin lecture du CDI, conformément à la consigne donnée. Depuis, on attend...  




Nous sommes en train d'effectuer l'exercice "attentat - intrusion" du Plan Particulier de Mise en Sûreté. Pour ceux qui ne le sauraient pas, l'élaboration d'un PPMS est obligatoire dans tous les établissements scolaires : il détermine les comportements que doivent adopter les élèves et les personnels en cas de risque majeur, qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle, technologique (explosion, passage d'un nuage toxique) ou d'un attentat. Afin de voir si ce plan tient la route, on le "teste" au moins une fois par an _voire plus, faudrait vérifier ! pour s'assurer qu'il tient la route et pour mettre évidence les points à améliorer. 

Les plus petits tentent de se faire une place à peu près confortable au milieu des quelques grandes perches de 4° qui avaient squatté les chauffeuses du coin lecture dès le début de l'heure. Bien vu ! Comme à peu près tout le monde au collège, elles se doutaient que l'exercice aurait lieu en première heure de l'après-midi. Dans l'obscurité quasi totale, ça joue des coudes. 

"Eh ! c'était mon pied !"   

Quelle conne ! J'ai rabaissé tous les volets, alors que nous étions autorisés à laisser ouverts ceux donnant sur le chantier, pour assurer un minimum de lumière et éviter toutes ces blagues qu'on ne peut faire que dans l'ombre. Tant pis. 

Dernière vérification du SMS destiné au principal avant de l'envoyer, histoire de gicler d'éventuelles fautes et de voir si le nombre d'élèves tapis dans l'ombre est exact _il faut indiquer dans ce message son nom, le lieu où l'on se trouve, combien de gosses on abrite, etc... 

Pour l'instant, ça roule, les petits sont plutôt coopératifs, alors je laisse mon esprit sortir de sa cage quelques instants. La Fille de l'Assassin (Le Fou et l'Assassin 2) attend toujours sagement son tour sur le tapis. En refermant le livre, la dernière fois, j'ai laissé la petite Abeille errant dans les galeries secrètes du château de Flétribois, en quêtes de planques où elle pourrait se confiner, elle aussi, tandis que Fitz, son père, se battait inlassablement avec sa mauvaise conscience d'assassin professionnel...   

Moussa refuse de s'asseoir au sol à côté des autres. Il faut dire que certains d'entre eux se foutent de sa gueule car il vient d'exploser un carton de bouquins à ranger en s'asseyant dessus en mode pachyderme. Précisons que Moussa est un peu enrobé ; il n'en faut pas plus pour amuser la galerie. 


Voilà ce qu'on trouve quand on tape "carton défoncé" sur Google.
Je sors du coin lecture où je m'étais posée avec les petits pour ramener une chaise à Moussa, qui est chiant au quotidien, certes, mais qu'on va pas laisser se faire traiter de gros par les autres pour autant. D'autant plus que son père le fait déjà très bien, paraît-il. Après négociation, il s'installe sur une chaise un peu en dehors de la "zone de confinement", et se retrouve donc en plein dans l'axe de la porte. Tu vois la balle perdue, là bas ? C'est pour sa pomme, mon Moussa ! Enfin, comme il est assis et qu'il se tient à peu près, on va pas criser. Paye ton confinement.   

Les intrus factices arrivent enfin, avec force cris et coups dans les portes. Bien qu'ils n'aient pas donné l'impression d'avoir forcé outre mesure, ceux qui ont tenté d'ouvrir la porte du CDI en ont fracassé la poignée ; elle s'est échouée sur le lino humidifié par les allées et venues dans un bruit métallique qui surprend les élèves plus que de raison. 

"Madame, c'était quoi ce bruit ? Ahmed stresse à présent, alors qu'il était saoulé à l'idée d'avoir à subir cet exercice de prévention et faisait bien profiter son monde de ses soupirs blasés. 
_ Rien de grave, c'est seulement la poignée de la porte qui est tombée. Restez silencieux." 
Comme quoi, un faux attentat peut causer de vraies dégradations ! Bon, il est vrai que cette clenche était déjà en souffrance depuis quelques jours.     

Les "terroristes" s'éloignent, les opportunistes entrent en jeu. 

"Madame, vous voulez bien nous achetez des tickets de tombola ? 
_ Bah enfin, les filles, c'est pas le moment ! 

Damia et Aya sont mes chouchous, et elles le savent pertinemment. Lorsque elles se sont extraites du coin lecture au bout de deux minutes de confinement pour aller ramper sous une des tables de l'espace informatique, se cognant contre les chaises au passage, elles sont bien compris qu'elles ne pourraient pas m'énerver aujourd'hui. J'aurais du les sanctionner, mais j'étais déjà bien trop occupée à essayer de ne pas rire. 

_ Mais Madaaame c'est pour récolter de l'argent pour aider à payer les voyages scolaires des 5èmes ! 
_ Oui oui, je sais bien, mais on verra ça plus tard. 
_ Vous en achèterez hein ? 
_ On verra, on verra...  
_ Madame ? 

Malgré le chuchotement de rigueur, j'ai reconnu Fatoumata, et le ton excessivement poli et mielleux qu'elle prend lorsqu'elle a quelque chose à demander. 

_ Oui Fatoumata ? 
_ Je peux imprimer une image pour mon exposé, vite fait ? 
_ Non non, pas tant que l'exercice n'est pas terminé. 
_ Allez, Madame... Tout le monde sait que c'est pas un vrai attentat et puis les volets sont fermés ! Personne verra rien.  
Le froissement caractéristique d'un paquet de bonbons qu'on défonce en toute discrétion à l'abri d'un sac à dos vient agacer mes oreilles. 
_ Pour ceux qui l'auraient oublié : on ne mange pas et qu'on ne boit pas dans le CDI. 




Enfin, une annonce de la "sécurité" diffusée au mégaphone nous invite à lever le confinement. Mickaël Youn fait irruption dans mes pensées sans crier gare, avec sa fameuse "boîte à images". Il était temps. On rallume aussitôt comme si rester dans le noir nous avait pompé de l'oxygène et on se regroupe autour d'une table pour "évaluer" l'exercice à l'aide d'une grille prévue pour l'occasion. C'est alors que la porte s'ouvre, laissant entrer vent et crachin. Dans l'encadrement apparaissent un trio de 3èmes qui n'ont "pas réussi à trouver" de stage d'observation, ces petites feignasses. Ils ont donc été "embauchés" au collège pour la semaine, on dirait bien. 

 Ils portent un brassard fluorescent.   

"Euh, bonjour, on est la police. On vient vous dire que vous pouvez arrêter le confinement.
_ Mais apparemment, euh, ça va, vous étiez déjà au courant". 



Où est-ce qu'on en était ? 

A Flétribois, FitzChevalerie et sa fille sont encore sous le choc de la mort de Molly. Malgré leur tristesse, ils doivent continuer à vivre ; la famille, les amis et le rythme des saisons leur rappellent que le temps du deuil se termine et qu'il faut tourner la page. Pour eux, rien n'est plus dur à entendre, mais les mésaventures qui s'annoncent vont les forcer à aller de l'avant.

D'abord, Fitz recueille une mystérieuse messagère qu'il confond avec le Fou avant de s'apercevoir qu'il s'agit d'une jeune femme qui lui ressemble beaucoup. La malheureuse est aux portes de la mort. Volontairement infectée de vers pour avoir voulu effectuer sa mission malgré l'interdiction d'un ennemi obscur, elle aura à peine le temps de débiter quelques mots avant de tomber dans un délire irréversible. Elle ne laisse derrière elle qu'une sorte de "cape d'invisibilité" que la petite Abeille s'empresse de chaparder. Le message délivré laisse perplexe le maître de Flétribois, puisqu'il y apprend que le Fou a un fils, qu'il doit retrouver cette progéniture improbable et le protéger coûte que coûte d'un danger imminent !



Ensuite, son vieux mentor Umbre Tombétoile lui confie la sécurité de deux personnages encore mystérieux à nos yeux : l'insupportable Évite, nouvelle "apprentie assassin" beaucoup trop caractérielle et frivole pour être efficace, et FitzVigilant, un jeune premier aux origines floues officiellement envoyé à "Flétry" pour apprendre à lire et à écrire aux enfants du domaine. Comme s'il n'avait déjà pas assez de mal à s'occuper de sa fille correctement, il faut en plus qu'il joue les gardes du corps discrets pour deux jeunes gens qu'il ne connaît pas encore très bien mais qui lui laissent déjà une sale impression. D'autant plus qu'on ne sait jamais quels projets tordus le vieil Umbre a derrière la tête.

Une relation de confiance commence à s'établir entre Fitz, très convaincant dans le rôle du père dépassé, et de la petite Abeille, plutôt mûre pour son âge. Mais ce lien est encore ténu, même s'il se renforce au fil des situations périlleuses. Tous deux devront s'armer de patience et de courage pour le garder intact.


Le Fou ! Enfin ! 

Aussi étrange que cela puisse paraître, le Fou cause la séparation physique de la fille et du père ; elle était redoutée par Abeille, tandis que Fitz avait rejeté en bloc cette éventualité. Car oui ! Le Fou, le Prophète Blanc au teint diaphane, le gracieux Sire Doré, l'unique Bien Aimé au mille visages fait enfin son apparition ! Nous l'attendions tous depuis des centaines de pages, et, même s'il ne vient pas à notre rencontre sous son aspect le plus engageant, c'est quand même une joie de le retrouver : les choses sérieuses vont pouvoir commencer !


Alerte Spoiler : arrêtez-vous là si vous souhaitez lire le livre. 



Effectivement, le Fou apporte son lot d'informations, remettant en cause des savoirs que Fitz considérait comme certains. Les lecteurs qui suivent la saga depuis son commencement y trouveront un nouvel éclairage des événements passés. Si la connexion d'Abeille au Fou était plutôt prévisible, on sera très surpris de la requête faite par Bien Aimé à la fin de ce deuxième tome. Pendant des années le triste "Sire Blaireau" a bataillé avec le sort pour ne plus avoir à ôter des vies, mais il semblerait qu'à ce petit jeu il ait encore perdu.


Partage des voix 

On l'avait déjà relevé dans le Fou et l'Assassin 1, et c'est encore plus flagrant dans le 2 : pour la première fois depuis qu'on suit ses aventures, Fitz partage sa place de narrateur avec la petite Abeille.

C'est même du 50-50, puisque les chapitres racontés à la première personne par le père alternent avec ceux dont la fille tient les rênes. Le titre "la Fille de l'Assassin" rend justice à la place occupée par ce tout jeune personnage en pleine émancipation. Même si, physiquement, ça ne suit pas vraiment _ la fille de Molly a toujours l'air d'une toute petite fille malgré ses neuf ans_, elle apprend à composer avec sa petite taille et fait l'expérience de nouveaux sentiments : l'amour (vite fait), l'amitié, et surtout la jalousie. Elle ne prend pas seulement les rênes de la narration, puisqu'elle se résout à affronter sa peur et à monter à cheval ; en cela elle sera aidée par le jeune palefrenier Persévérance, qu'elle reconnaîtra vite comme l'une des seule personne en qui elle pourra se fier.




Pas facile de s'y retrouver quand on "éponge" toutes les magies, que ce soit le vent de l'Art ou le Vif, sans en posséder aucune. Pourquoi Abeille fait-elle des rêves réalistes.. tout en étant éveillée ? Qui est Père Loup, ce spectre d'Oeil de Nuit qui vient la délivrer de ses peurs paniques ? Et surtout, qui est-elle ? Pourquoi ressemble-t-elle si peu de ses parents ? Pourquoi son teint est-il aussi blanc, ses cheveux aussi blonds ? Bien des mystères soufflent encore sur la branche bâtarde de la famille Loinvoyant.


Si le deuxième cycle de L'Assassin Royal, que j'avais beaucoup aimé malgré tout, m'avait paru un peu lent au démarrage et moins haletant que les aventures du petit Fitz, Le Fou et l'Assassin tient toutes ses promesses. L'Assassin du roi a retrouvé son souffle, ses colères froides et sa tendance à tomber dans tous les pièges qu'on lui tend ! CQFD le bain de sang qui conclut ce deuxième volet de la série, hum hum... Ses boulettes nous auraient presque manqué...   


Robin HOBB. Le Fou et l'Assassin 2 - La fille de l'assassin. Editions France Loisirs, 2014. Coll. Fantasy.494 p. ISBN 978-2-298-10621-3


Sinon Joyeuses Fêtes !






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