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dimanche 19 juin 2022

[COMICS] Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort" - Terry Moore (2014)

Voici un nouveau titre découvert à la bibliothèque Marguerite Duras, ma préférée définitivement ! 


L'histoire

Depuis qu'elle s'est réveillée à moitié ensevelie dans une tombe de fortune creusée au beau milieu de la forêt de Firehill, Rachel Beck se sent déboussolée. On le serait à moins. Malgré le traumatisme, sa tête fourmille de questions pragmatiques : on a manifestement essayé de la tuer avant de se débarrasser de son corps à des kilomètres de la petite ville de Manson qui l'a vue grandir. Mais qui ? quand, exactement ? Et surtout pourquoi ? 

La jeune femme n'est pas du genre à laisser le temps faire son œuvre ; là où d'autres auraient opté pour discret retour à la vie quotidienne, s'estimant chanceuses que leur meurtrier se soit raté, elle va tenter de remonter (non sans difficultés) le fil des événements. 

Problème numéro 1 : elle n'a aucun souvenir, ni de la soirée de son agression, ni des trois jours passés "sous terre" qui l'ont suivie. 

Problème numéro 2 : au vu des marques de strangulation qui ornent son cou et de son regard de zombie, il semblerait que Rachel ne soit plus tout à fait vivante... Pire, elle comprend peu à peu qu'elle est capable de prédire la mort des personnes qu'elle croise, et elle se surprend à communiquer avec une grande blonde pulpeuse et désagréable au possible qu'elle est (presque) la seule à percevoir. 

La voilà donc bien mal embarquée ; heureusement, elle a le soutien inconditionnel de sa tante Johnny et de sa meilleure amie Jet.  

Une vraie BD de gonzesses 

En effet, le salut (s'il y en a un) ne viendra pas du Prince Charmant. Je ne sais pas comment ça se passe dans les suivants, mais ce premier tome de Rachel Rising est essentiellement mené par des femmes ; c'est assez rare pour être souligné. Les quelques types qui apparaissent au fil des chapitres ont des rôles secondaires ou servent simplement à faire de la figuration ; dans tous les cas, aucun d'entre eux n'est un allié digne de ce nom pour l'héroïne _exception faite du pauvre gars qui prend Rachel en stop au sortir de la tombe, à qui elle claque la porte au nez sans ménagement lorsqu'il veut en savoir plus sur son état de santé, et qu'on ne reverra plus jamais... Tous les autres se positionnent comme ils peuvent sur un perchoir qui va de la bêtise à la perversité. On pourra constater que Rachel et Jet encaissent à plusieurs reprises propositions et regards lubriques : 

Au garage (où Jet travaille)

Au Blue Note, le bar local
"Les musiciens, qu'est-ce que tu veux...?"

Les deux amies ne se laissent jamais marcher sur les pieds et remballent vertement les téméraires ; pourtant, on voit bien qu'elles ne sont pas là pour essayer de faire bouger les choses : c'est comme ça que ça se passe, ici, personne n'y peut rien. Leurs réactions sont autant de réflexes de survie et ne témoignent que de leur résignation. Même si je suis vraiment fan de la façon dont Terry Moore traite ses personnages féminins dans cette bande dessinée, il n'en fait pas pour autant des héroïnes féministes. 

Par pour l'instant, en tous cas. Ou peut-être le sont-elles à leur manière ; il faut reconnaître qu'on a pour faire face à leurs médiocres pendants masculins une brochette de femmes fortes et déterminées _quelles que soient leurs intentions : 

  • Je crois que si j'avais été à la place de Rachel, je me serais barricadée en prenant bien garde de ne jamais croiser mon regard injecté de sang dans une glace ! Bon, c'est vrai que je suis assez trouillarde à la base, mais la jeune femme manifeste quand même une grande facilité à se mettre en mode warrior : elle veut comprendre ce qui lui est arrivé, quitte à retourner (trop) souvent sur les lieux du crime. Si elle admet avoir besoin d'aide, elle ne laissera rien passer. Terry Moore l'a représentée sous les traits d'une grande blonde svelte et raide comme la justice, toujours vêtue de noir, dans une tenue qui fait un peu penser à Catwoman, vite fait. Un bruit suspect, une personne intrigante : elle fonce voir ce que c'est. Elle n'a pas le temps d'avoir peur. 
  • Jet est la meilleure pote que tu rêves d'avoir : garagiste piétonne _sa voiture est en panne, le comble, guitariste dans un groupe de jazz, elle est liée à Rachel depuis l'enfance. C'est la dernière personne à qui l'héroïne se souvient avoir parlé, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'était pas très chaude pour la sauterie prévue le soir-même. Attentionnée sans être collante à l'extrême et sans forcément chercher à la brosser dans le sens du poil, elle est la première à prendre au sérieux ce que Rachel lui raconte, et à la considérer comme "bien réelle". 

  • Tante Johnny a plus de mal à ne pas croire à une vision fantomatique lorsque Rachel se présente à elle, peu de temps après son retour à Manson. Non pas qu'elle y mette de la bonne volonté, mais il faut dire que son boulot chronophage aux pompes funèbres n'aide pas. Pour cette femme, qu'on devine d'un certain âge, qui dit elle-même passer plus de temps avec les morts qu'avec les vivants, les apparitions de défunts sont quasi quotidiennes, et, toujours rationnelles, elle les interprète comme des symptômes de surmenage. Il faudra que Rachel la traîne jusqu'à la forêt de Firehill pour qu'elle comprenne que tout est bien réel. Ce personnage est aussi original qu'attachant ; au fil des planches, on comprend que c'est elle qui a recueilli sa nièce à la morts des parents de celle-ci, et que depuis elle est à la fois sa mère et sa pote. Leur relation est marrante ; Johnny, c'est la tante qui arrive à te faire sortir de la morgue grâce à son réseau, qui se laisse dormir trente-six heures et te fait des pâtes à ton réveil, après avoir pris soin d'inviter ta meilleure amie pour partager le repas. 
 
Cerise sur le gâteau, Johnny a une bonne dégaine de butch* : les cheveux en brosse, la chemise à   carreaux, le fourgon, le chien, un prénom de mec... tout y est ! Pourtant, quelques unes de ses interventions laissent entendre qu'elle n'est pas du tout de la fanfare. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences !   
  • Attention, place maintenant aux personnages beaucoup moins sympathiques : la petite Zoé et la grande blonde (qui n'a pas de nom). Zoé est une petite qui vit avec sa soeur et son père, à Manson aussi visiblement, puisque Rachel assiste à son incendie alors qu'elle se trouve sur le toit du Blue Note. Sous ses airs d'enfant sage, la gamine est capable de commettre des horreurs. Non pas qu'elle soit sadique, mais parce que son corps est manipulé par une mystérieuse femme blonde que personne ne peut voir... sauf elle et Rachel. Cette connaissance commune va les amener à entrer en contact, alors que rien ne les prédisposait à se croiser un jour. Toutes deux vont aussitôt nouer un lien de confiance et Rachel va tenter de rassurer la fillette tant que faire se peut, elle qui est traumatisée d'agresser et de tuer sans le vouloir. Elles vont aussi réaliser, à travers leur parcours en miroir, que la grande blonde les possède toutes les deux, mais différemment, et pour cause : avec son fort caractère, Rachel est beaucoup moins "perméable" que Zoé. 

La Mort à la soirée Nuit Blanche

On le devine sans que jamais Terry Moore ne le dise clairement : la grande blonde est une incarnation de la Mort. Tout de blanc vêtue, elle n'a rien à voir avec la faucheuse à capuche intégrée dans l'imaginaire collectif et on s'attend plus à la croiser chez Eddy Barclay que dans un cimetière. Elle aussi se présente à Rachel comme une sorte de reflet inversé. 

Si le rapport entre Zoé et la Mort est ambigu, mêlé de peur et de reconnaissance _la Mort se dit être "une amie qui lui veut du bien" et, de fait, elle la sauve des griffes du pédophile qui salivait d'avance de la récupérer dans sa famille d'accueil, Rachel et la grande blonde semblent se détester cordialement. 

Pas de doute, elle est derrière la transformation de l'héroïne en morte-vivante ; car c'est ce que Rachel est devenue, même si elle ne ressemble pas plus aux zombies sanguinaires auxquels nous sommes habitués, que la Mort à nos représentations habituelles de la mort. 

Son statut intermédiaire surprend sans surprendre les personnages qui évoluent dans une bourgade rurale déjà teintée de mystères, de phénomènes glauques, et connue pour ses brûlots de sorcières. 

Même le vieux médecin de famille des Beck, censé incarner la sagesse et la rationalité, est formel : la médecine n'explique pas tout, est Rachel n'est rien de moins que l'ange de la mort. Le pire, c'est qu'il a probablement raison...

La valse des faux semblants 

J'ai emprunté cette bande dessinée complètement au hasard, parce que je ne trouvais pas celle que je voulais et que le nom de l'auteur me disait vaguement quelque chose. C'est un heureux hasard, qui me donne envie de poursuivre la lecture de cette série à mi-chemin entre le fantastique et l'horreur. L'auteur s'est chargé à la fois des dessins et du scénario ; il est surtout connu pour une autre œuvre (Strangers in Paradise), mais apparemment Rachel Rising a connu un certain succès à sa sortie, en 2014. Visuellement, "L'ombre de la mort" devient agréable à lire dès lors qu'on s'est habitué au style de Terry Moore, caractérisé par des traits fins, soucieux du détail, parfaits pour dépeindre les broussailles d'une forêt remplie de cadavres et pour rendre les visages bien expressifs. N'étant pas très fan du gore illustré de façon générale, je dois bien reconnaître que l'artiste est efficace et dit ce qu'il veut sans trop abuser sur l'hémoglobine. Ce comics reste quand même destiné aux adultes, à mon avis, car il comporte plusieurs représentations de morts qui peuvent franchement faire peur. 

Mais la meilleure surprise reste le perpétuel jeu des apparences où l'auteur nous entraîne et nous perd, et qui laisse présager bien des rebondissements dans les futurs tomes. Qu'est-ce qu'on est ? Qu'est-ce qu'on n'est pas ? Qu'est-ce qui a changé, et quand ? Le bon père de famille d'accueil l'est-il vraiment ? Rachel est elle morte ou vivante ? Zoé n'est elle qu'une petite fille assommée par le destin ? La Mort est-elle une amie ou une ennemie ?  La suite le dira peut-être ! 

* butch = gouine bien virile

Terry MOORE. Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort". Delcourt, 2014. ISBN 978-2-7560-3949-7

Rien à voir, mais j'ai fait le marathon de Biarritz le 5 juin dernier ! 

Un rêve s'est réalisé ! 

vendredi 3 avril 2020

[COMICS] Deadly Class - Tome 1 : "Reagan Youth" - Rick Remender / Wes Craig / Lee Loughridge (2014)


Tous les ans, on parle climat de classe et harcèlement scolaire avec les élèves. 
Tous les ans, une question revient. 
"Madame, vous avez déjà été harcelée, vous ?" 
C'est marrant qu'ils choisissent toujours d'aborder le sujet sous cet angle-là.
"Non, pas vraiment. Par contre, j'ai harcelé quelqu'un." 
La surprise est toujours la première réaction. Certains rient en croyant que je viens de faire une bonne blague. D'autres referment aussitôt la porte blindée : "Non madame, c'est sûr que c'est faux". A partir de là, on peut commencer à bosser pour de vrai : apprendre aux victimes à se défendre est aussi important qu'apprendre aux harceleurs à s'identifier comme tels.



L'histoire 

San Francisco, 1987. Marcus n'était pas un garçon plus mauvais qu'un autre, à la base ; mais la mort de ses parents, la violence de l'orphelinat, la rue et bien d'autres épreuves de la vie ont fait de lui une bête enragée fort dangereuse. Si vous ne lui cherchez pas les poux sur la tête, tout se passera bien. Par contre, si vous le poussez à bout, vous lui fournirez une occasion en or de déverser son amertume et sa colère. Marcus est capable du pire, il en est conscient. Est-il un psychopathe ? un sadique dépressif ? un simple connard un peu plus violent que la moyenne ? Peut-être... Comment pourrait-il le savoir ? Il n'a que quatorze ans. Ce dont il est certain, qu'une fois lancé sur la pente du crime, il n'est plus capable de se maîtriser. 

Pour le policier, le petit orphelin rageux est un ennemi à abattre ; pour le citoyen lambda, c'est juste une fréquentation à éviter, ni plus ni moins. Mais pour Maître Lin, le vieux directeur de Kings Dominion, prestigieuse École des Arts Létaux, il est un diamant brut qui attend d'être taillé pour pouvoir exploiter son potentiel.   


Tapi dans l'ombre, le Dumbledore du meurtre confie à quelques uns de ses meilleurs éléments _ la sulfureuse Saya en tête_ la mission de capturer Marcus et de le ramener à ses pieds ; il pourra alors lui proposer un marché : intégrer son drôle de centre de formation, ou rester faire la manche dans les rues de San Francisco.




Têtes de tueurs et mauvaise réputation

Demi-spoiler : en position de faiblesse face à quelques énergumènes de la même trempe que lui, Marcus va accepter la proposition en or de Maître Lin, non sans avoir tergiversé et balancé quelques insultes à la cantonade ! Il lui reste un fond d'orgueil, dont ses futurs copains de classe vont tenter de s'emparer en le rudoyant. Décidément, on a un sens de l'accueil particulier à l'École des Arts Létaux.

Sur ce, on passe au chapitre 2 du premier épisode dessiné de Deadly Class. Il y est question des premiers pas du héros dans le Poudlard du meurtre, sans les "maisons" mais avec ses groupes communautaires bien marqués : le clan des fachos, la bande des drogués, les latinos, les bourges, et bien d'autres. Sans oublier les plus intéressants : les marginaux qui fument de l'herbe dans le cimetière, à la nuit tombée. 

Revêtu d'un uniforme, la nouvelle recrue arpente les couloirs sous les murmures d'adolescents aussi cons et méchants que partout ailleurs. Tous suivent des cours bien particuliers de "psychologie de l'assassin", de "décapitation", de "poison" ; Marcus n'est pas rassuré, car, bien qu'il soit formellement interdit aux élèves de s'entre-tuer (c'est même la règle d'or), il sait pertinemment que la mort n'est pas toujours la pire des options ! Si son instinct lui souffle de se la jouer loup solitaire, sa raison l'encourage à s'entourer d'alliés. 


C'est peut-être parce que j'y connais rien et parce que je m'émerveille de tout, mais je trouve que Rick Remender présente avec beaucoup de clarté un héros à la psychologie complexe, connaissant des difficultés à se positionner par rapport à ses semblables, probablement fragile psychologiquement, peut-être mytho avec lui-même et par conséquent avec nous, les lecteurs. Si j'avais quinze ans de moins, je m'identifierais sûrement beaucoup à lui ; ce serait à la fois rassurant et effrayant.  


D'ailleurs, le premier DM de Marcus, c'est un travail en binôme ! Chaque groupe a jusqu'au lendemain matin sans faute pour assassiner un clochard et faire disparaître le corps. Attention, il faudra prendre soin de tuer un type qui mérite ce sort tragique : il ne s'agirait pas de tuer des innocents pour les simples besoins d'un cours ! On n'est pas des bêtes !   

Faire trépasser un clodo ? Une formalité pour l'apprenti meurtrier ! Or, l'affaire est plus compliquée pour son pote Willie, pourtant reconnu par tous comme chef de bande. Alors que le vieillard détale sous la menace, il n'arrive pas à appuyer sur la gâchette de son arme et le laisse filer. Marcus n'en revient pas. Comment peut-on avoir aussi peu de cran et arriver à faire son chemin à l'Ecole des Arts Létaux ? 

En effet, et on s'arrêtera là pour la comparaison avec Harry Potter, promis, l'entrée dans cet établissement fait l'objet d'une sélection. Si vous voulez obtenir le sésame, deux possibilités s'offrent à vous : soit vous êtes issus d'une famille de tueurs dont le pedigree est reconnu, soit vous êtes un "moldu" du crime, une personne qui a réussi à faire ses preuves sans l'aide de papa et maman. A priori, Willie fait partie de la deuxième catégorie, puisqu'il se vante d'avoir abattu les agresseurs de son père, lorsqu'il avait douze ans. Mais la vérité est un peu différente, et bien moins "flatteuse" pour lui ; il n'est pas question d'en parler : Willie sait à quel point il est important d'avoir une "réputation", de soigner les apparences. 
      
En levant le voile sur le passé de ce personnage, les auteurs nous laissent entendre qu'il faudra compter sur lui par la suite. Car, aussi improbable que cela puisse paraître, Marcus va rapidement se faire un cercle de copains composé entre autres, de Billy, Saya, Maria et Willie. On les découvre petit à petit, lorsqu'ils embrigadent "le nouveau" dans une sortie clandestine à Las Vegas où le lecteur et les personnages vont en voir de toutes les couleurs ! .  

  • Billy a un rêve : tuer son père, qui est un "joueur invétéré", un véritable poison pour sa famille. Bien qu'il ait été placé dans cette école pour "s'endurcir", le programme n'a pas encore complètement fait ses preuves et il voit en Marcus l'opportunité de déléguer le sale boulot à quelqu'un. Il est plus ou moins l'instigateur de la fameuse sortie à Las Vegas où le héros va découvrir les joies du LSD.   




  • Maria et Saya sont les "meilleures amies du monde" ; regardez bien cette vignette qui marche sur la planche avec ses un gros sabots, comme pour nous dire : "attendez qu'un mec se glisse entre les deux, on va rigoler !


Bien qu'elle s'affiche avec le très possessif Chico, Maria dévoile très vite sa ferme intention de bouffer du Marcus, quitte à faire appel aux pouvoirs magiques de la drogue. Elle n'aura pas besoin de glisser quoi que ce soit dans son verre pour arriver à ses fins, puisque le principal intéressé va se défoncer au LSD de sa propre initiative. 

Ah au fait, vous vous souvenez ? Il a quatorze ans... 

Son coup de foudre et son tempérament de prédatrice vont pas mal influer sur le déroulement du week-end. Toute en exubérance, même si Saya arrive un peu à la canaliser, elle nous montrera une façon bien particulière d'utiliser un éventail... Je n'en dirai pas plus sur cette joyeuse bande, car ce serait empiéter sur le deuxième tome de la série. 


Folle chronologie 

Ouais, je viens de terminer le tome 2 : c'est même lui qui m'a convaincue de relire le premier afin de mieux le comprendre. En effet, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'oeuvre, et ce pour plusieurs raisons. 

D'abord, le trait de Wes Craig m'a rebutée, à la lecture des premières pages, sans que je puisse dire pourquoi. Possible que j'aie été influencée par l'histoire, présentée comme bien glauque dès le début. Il m'a semblé que tous les visages avaient été peints de façon à mettre en évidence la laideur et la folie, ce qui étaient peut-être bien le cas, en fait. Mais j'ai fini par m'y faire, de la même façon qu'on finit par s'habituer à son reflet dans la glace. Son travail est appuyé par Lee Loughridge, qui démontre de bout en bout qu'on ne met pas de la couleur dans une BD juste pour faire joli : il arrive notamment à traduire l'ambiance d'une planche rien qu'en lui attribuant une couleur dominante (rouge sang, bleu sombre, rose... LSD ?), ce qui ne manquera pas de rappeler aux lecteurs d'aujourd'hui les filtres Instagram et autres. 


Ensuite, l'histoire n'est pas linéaire dès le début ; si on se met deux minutes à la place des auteurs, on se dit qu'il aurait été bien difficile de procéder autrement que par flash-backs, mais c'est quand même un peu déstabilisant de passer de 1980 à août 1987, pour avancer en novembre et revenir en arrière de deux ans. Au moins, ça force à s'accrocher ; personne n'a jamais dit qu'il était facile de lire une BD, et c'est ça qui est bon aussi. D'autant plus que dans Deadly Class, les dates semblent avoir leur importance. On imagine bien que si la capture de Marcus par ses futurs camarades de l'École des Arts Létaux se produit un 1er novembre, ce n'est pas le fruit du hasard. Le héros lui-même est prisonnier de sa date d'anniversaire qu'il partage avec son ennemi juré, sa cible ultime, celui qu'il considère comme responsable direct ou indirect de tous ses déboires : le président Reagan.

Pas forcément fan de Deadly Class l'issue d'un premier emprunt à la bibliothèque, une seconde lecture aura été nécessaire mais bénéfique. A présent _c'est peut-être un effet du confinement, je suis plutôt curieuse de découvrir la suite et de voir ce que donne la série inspirée des comics. 

Note importante : bien que les personnages aient l'âge d'aller au collège ou au lycée, ce comics ne s'adresse certainement pas aux enfants ! Accessible à partir de la 4ème - 3ème, éventuellement, et encore, pas aux âmes sensibles ! Vraiment attention, c'est plutôt violent...

Rick REMENDER ; Wes CRAIG ; Lee LOUGHRIDGE. Deadly Classe 1 - Reagan Youth. Urban Comics, 2014. ISBN 978-2-3657-7594-6

Bonus confinement !
C'est gratuit (et ça le restera toujours)

lundi 22 février 2016

Les Aventuriers de la Mer - 8 - Ombres et flammes - Robin Hobb (2008)


L'Assassin Royal et les Aventuriers de la Mer m'ont souvent fait rêver ; leurs héros ont toujours eu le don de m'éloigner d'un quotidien qui me déplaisait ; en faisant écho à nos vies, certaines de leurs péripéties ont su nous refiler la pêche. Mais pour la première fois depuis que j'ai attaqué l'oeuvre de Robin Hobb, je suis sortie mal à l'aise de ma lecture. Ombres et flammes, l'avant-dernier volume des Aventuriers de la Mer, donc, est de loin le plus psychologique et le plus tordu de la série.




Où est-ce qu'on en était ?

A Terrilville, l'heure est à la réconciliation entre vrais, faux, nouveaux, anciens marchands, esclaves, frondeurs, riches, pauvres, habitants du Désert des Pluies, chiens, chats... La plupart ont compris que la flotte de Chalcède est "l'ennemie" commune à tous, et que les galères issues de ces contrées ont de grandes chances de paralyser la Baie des Marchands incessamment sous peu. Par chance, un soutien aussi colossal qu'inattendu va permettre aux autochtones de respirer un peu autre chose que la fumée de leurs maisons embrasées : Tintaglia, le dragon femelle libéré de son cocon par Reyn et Malta après des siècles d'emprisonnement. Encore qu'il risque d'y avoir un peu de fumée supplémentaire si on la sollicite. Ne vous y trompez pas ! La bête n'est pas charitable outre-mesure : comprenant qu'elle a absolument besoin des humains pour aménager les cours d'eau et les terres des Rivages Maudits afin de permettre la reproduction et l'éclosion de ses semblables, elle accepte de passer un marché avec eux. Reyn arrivera-t-il à la convaincre de l'accompagner chercher Malta, ballottée quelque part sur les eaux acides du Désert des Pluies ?  

L'île de Partage est témoin de la rencontre autant espérée par les uns que redoutée par les autres entre le Parangon et la Vivacia. Comment Althéa va-t-elle réagir à la transformation de la figure de proue, qui se fait maintenant appeler Foudre ? Kennit parviendra-t-il à regarder dans les yeux le barbu aveugle qui guide le navire fou des Ludchance ? Comment Brashen et Hiémain réussiront-il à réparer les dégâts causés par les révélations et le réveil des souvenirs douloureux ? 

ATTENTION SPOILER 



Chapeau, Robin Hobb. Vous avez bien ficelé votre rosbif. A aucun moment on n'avait deviné un lien quelconque entre le pirate Kennit et la vivenef Parangon. On n'avait encore moins pensé à associer le prénom Kennit au nom "Ludchance". On n'avait relevé qu'une seule fois l'allusion du viol de Kennit par Igrot lorsque le roi des pirates était encore enfant, mais on n'avait jamais tilté que le crime ait pu avoir lieu à bord du Parangon. Ou alors c'est juste moi qui ai un jambon dans l'oeil depuis le début. Dans tous les cas, la situation a de quoi laisser perplexe : pour ne plus être rongé par les meurtrissures du passé, Kennit les a confiées à Parangon avec en même temps que toute sa palette de sentiments, histoire qu'il absorbe le tout. En acceptant, le navire a voué une fidélité éternelle à l'enfant et a endossé toutes ses souffrances, et ce, longtemps après son départ. De son côté, le pirate est devenu l'être froid et insensible qu'on a accompagné dans les sept premiers volumes : à la fois blindé contre la douleur et proprement incapable d'aimer. Aussi comprendra-t-on aisément que sa rencontre avec le bateau des Ludchance puisse le rendre fébrile.     


Tintaglia, la dragonne qui a failli attendre.

Bien que j'aie été, comme je le disais, pas mal dérangée par cette histoire de viol et surtout par le parallèle maladroit avancé à demi mots entre un désir de Kennit pour Althéa, pendant "avouable" d'un désir pour Hiémain, et l'enfance brisée du pirate.. 


Psychologie de comptoir bonjour !! 

... il me semble que l'on doit retenir d'Ombres et flammes l'émancipation du personnage complexe qu'est Tintaglia, le dragon femelle. 

Depuis son éclosion en grande pompes dans la Cité en plein effondrement, Tintaglia s'est montrée méprisante et froide comme la pierre pour tout ce qui n'est pas un dragon ou un serpent de mer. Autant dire qu'elle n'a pas l'intention de parlementer avec les humains, ces petites bêtes insignifiantes qui ne semblent capables de rien sinon d'enrayer le cours de leur espèce. Pourquoi devrait-elle remercier Malta et Reyn de l'avoir libérée de son oeuf de bois ? Après le temps qu'ils ont mis pour y arriver ! Qu'ils s'estiment déjà heureux qu'elle ne les ait pas grillés sur place pour avoir tant traîné ! Si Reyn pense qu'elle ira sillonner le fleuve du Désert des Pluies au nom de la gratitude pour retrouver Malta, cela signifie que les écailles lui ont aussi poussé dans les yeux ! 

Pourtant, la bête n'est pas infaillible dans ce monde qu'elle connaît depuis toujours via ses souvenirs, mais qu'elle commence tout juste à expérimenter ; elle n'ose s'approcher des marais de peur de s'embourber en touchant terre. La pluie fine l'agace tout autant qu'un humain inoffensif. Quant aux serpents de mer encore un peu perdus et dépouillés de la mémoire de leur espèce, ils ne réagissent pas vraiment lorsqu'elle voltige près de la surface. Pire, Tintaglia a souvent l'impression de se prendre de gros vents lorsqu'elle passe près d'eux, et leur indifférence attaque son moral, toute dragonne qu'elle soit. Or l'indifférence, elle n'aime pas, mais pas du tout ! et c'est en toute logique qu'elle devient perméable aux flatteries de Selden ce petit homme pas fini qui ne semble plus vivre que pour chanter ses louanges, et qui se recouvre peu à peu des mêmes écailles reptiliennes que ses semblables de Trois-Noues. 

Mais surtout, elle peut être bien meilleure qu'elle-même n'ose se l'avouer ; la dame "des Trois Règnes" s'abaisse au niveau d'un serpent mourant freiné dans sa migration à cause du manque de profondeur du fleuve (Chapitre 1, "Alliances") et l'encourage gentiment avant de l'achever, à la demande du malheureux rampant. Sa bonté de coeur s'étendra même jusqu'à une fine tranche de l'espèce humaine, dont elle a certes besoin pour vivre et faire vivre ses descendants, mais qu'elle affectionne aussi quoi qu'elle en dise. 

Allez jeter un oeil ici, c'est super beau

Qui ne connaît pas une Tintaglia égoïste, imbue d'elle-même, capricieuse et colérique quand on s'oppose à sa volonté ? Une bête à la peau dure qui vient se nourrir de votre coeur et donne ce qui reste aux poissons, en vous disant au passage que le goût c'était pas top !, et que ne vous reverrez plus, le jour où elle aura trouvé ailleurs un casse-croûte satisfaisant ? Une vieille carne que vous aimez malgré tout car vous savez bien que, sous les écailles qui puent la marée, elle a emmuré un coeur d'or. Bien sûr, vous avez maudit ce coeur dès la minute où vous l'avez entrevu, car vous avez compris qu'il n'était pas pour vous ; aussi auriez-vous sans doute préféré qu'il n'existe pas.    

Je ne sais pas pourquoi certains passages du billet apparaissent en rouge. Désolée !      


ROBIN HOBB. Les Aventuriers de la Mer, tome 8 "Ombres et flammes". J'ai Lu, 2008. 377 p. ISBN 978-2-290-00474-6