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vendredi 3 avril 2020

[COMICS] Deadly Class - Tome 1 : "Reagan Youth" - Rick Remender / Wes Craig / Lee Loughridge (2014)


Tous les ans, on parle climat de classe et harcèlement scolaire avec les élèves. 
Tous les ans, une question revient. 
"Madame, vous avez déjà été harcelée, vous ?" 
C'est marrant qu'ils choisissent toujours d'aborder le sujet sous cet angle-là.
"Non, pas vraiment. Par contre, j'ai harcelé quelqu'un." 
La surprise est toujours la première réaction. Certains rient en croyant que je viens de faire une bonne blague. D'autres referment aussitôt la porte blindée : "Non madame, c'est sûr que c'est faux". A partir de là, on peut commencer à bosser pour de vrai : apprendre aux victimes à se défendre est aussi important qu'apprendre aux harceleurs à s'identifier comme tels.



L'histoire 

San Francisco, 1987. Marcus n'était pas un garçon plus mauvais qu'un autre, à la base ; mais la mort de ses parents, la violence de l'orphelinat, la rue et bien d'autres épreuves de la vie ont fait de lui une bête enragée fort dangereuse. Si vous ne lui cherchez pas les poux sur la tête, tout se passera bien. Par contre, si vous le poussez à bout, vous lui fournirez une occasion en or de déverser son amertume et sa colère. Marcus est capable du pire, il en est conscient. Est-il un psychopathe ? un sadique dépressif ? un simple connard un peu plus violent que la moyenne ? Peut-être... Comment pourrait-il le savoir ? Il n'a que quatorze ans. Ce dont il est certain, qu'une fois lancé sur la pente du crime, il n'est plus capable de se maîtriser. 

Pour le policier, le petit orphelin rageux est un ennemi à abattre ; pour le citoyen lambda, c'est juste une fréquentation à éviter, ni plus ni moins. Mais pour Maître Lin, le vieux directeur de Kings Dominion, prestigieuse École des Arts Létaux, il est un diamant brut qui attend d'être taillé pour pouvoir exploiter son potentiel.   


Tapi dans l'ombre, le Dumbledore du meurtre confie à quelques uns de ses meilleurs éléments _ la sulfureuse Saya en tête_ la mission de capturer Marcus et de le ramener à ses pieds ; il pourra alors lui proposer un marché : intégrer son drôle de centre de formation, ou rester faire la manche dans les rues de San Francisco.




Têtes de tueurs et mauvaise réputation

Demi-spoiler : en position de faiblesse face à quelques énergumènes de la même trempe que lui, Marcus va accepter la proposition en or de Maître Lin, non sans avoir tergiversé et balancé quelques insultes à la cantonade ! Il lui reste un fond d'orgueil, dont ses futurs copains de classe vont tenter de s'emparer en le rudoyant. Décidément, on a un sens de l'accueil particulier à l'École des Arts Létaux.

Sur ce, on passe au chapitre 2 du premier épisode dessiné de Deadly Class. Il y est question des premiers pas du héros dans le Poudlard du meurtre, sans les "maisons" mais avec ses groupes communautaires bien marqués : le clan des fachos, la bande des drogués, les latinos, les bourges, et bien d'autres. Sans oublier les plus intéressants : les marginaux qui fument de l'herbe dans le cimetière, à la nuit tombée. 

Revêtu d'un uniforme, la nouvelle recrue arpente les couloirs sous les murmures d'adolescents aussi cons et méchants que partout ailleurs. Tous suivent des cours bien particuliers de "psychologie de l'assassin", de "décapitation", de "poison" ; Marcus n'est pas rassuré, car, bien qu'il soit formellement interdit aux élèves de s'entre-tuer (c'est même la règle d'or), il sait pertinemment que la mort n'est pas toujours la pire des options ! Si son instinct lui souffle de se la jouer loup solitaire, sa raison l'encourage à s'entourer d'alliés. 


C'est peut-être parce que j'y connais rien et parce que je m'émerveille de tout, mais je trouve que Rick Remender présente avec beaucoup de clarté un héros à la psychologie complexe, connaissant des difficultés à se positionner par rapport à ses semblables, probablement fragile psychologiquement, peut-être mytho avec lui-même et par conséquent avec nous, les lecteurs. Si j'avais quinze ans de moins, je m'identifierais sûrement beaucoup à lui ; ce serait à la fois rassurant et effrayant.  


D'ailleurs, le premier DM de Marcus, c'est un travail en binôme ! Chaque groupe a jusqu'au lendemain matin sans faute pour assassiner un clochard et faire disparaître le corps. Attention, il faudra prendre soin de tuer un type qui mérite ce sort tragique : il ne s'agirait pas de tuer des innocents pour les simples besoins d'un cours ! On n'est pas des bêtes !   

Faire trépasser un clodo ? Une formalité pour l'apprenti meurtrier ! Or, l'affaire est plus compliquée pour son pote Willie, pourtant reconnu par tous comme chef de bande. Alors que le vieillard détale sous la menace, il n'arrive pas à appuyer sur la gâchette de son arme et le laisse filer. Marcus n'en revient pas. Comment peut-on avoir aussi peu de cran et arriver à faire son chemin à l'Ecole des Arts Létaux ? 

En effet, et on s'arrêtera là pour la comparaison avec Harry Potter, promis, l'entrée dans cet établissement fait l'objet d'une sélection. Si vous voulez obtenir le sésame, deux possibilités s'offrent à vous : soit vous êtes issus d'une famille de tueurs dont le pedigree est reconnu, soit vous êtes un "moldu" du crime, une personne qui a réussi à faire ses preuves sans l'aide de papa et maman. A priori, Willie fait partie de la deuxième catégorie, puisqu'il se vante d'avoir abattu les agresseurs de son père, lorsqu'il avait douze ans. Mais la vérité est un peu différente, et bien moins "flatteuse" pour lui ; il n'est pas question d'en parler : Willie sait à quel point il est important d'avoir une "réputation", de soigner les apparences. 
      
En levant le voile sur le passé de ce personnage, les auteurs nous laissent entendre qu'il faudra compter sur lui par la suite. Car, aussi improbable que cela puisse paraître, Marcus va rapidement se faire un cercle de copains composé entre autres, de Billy, Saya, Maria et Willie. On les découvre petit à petit, lorsqu'ils embrigadent "le nouveau" dans une sortie clandestine à Las Vegas où le lecteur et les personnages vont en voir de toutes les couleurs ! .  

  • Billy a un rêve : tuer son père, qui est un "joueur invétéré", un véritable poison pour sa famille. Bien qu'il ait été placé dans cette école pour "s'endurcir", le programme n'a pas encore complètement fait ses preuves et il voit en Marcus l'opportunité de déléguer le sale boulot à quelqu'un. Il est plus ou moins l'instigateur de la fameuse sortie à Las Vegas où le héros va découvrir les joies du LSD.   




  • Maria et Saya sont les "meilleures amies du monde" ; regardez bien cette vignette qui marche sur la planche avec ses un gros sabots, comme pour nous dire : "attendez qu'un mec se glisse entre les deux, on va rigoler !


Bien qu'elle s'affiche avec le très possessif Chico, Maria dévoile très vite sa ferme intention de bouffer du Marcus, quitte à faire appel aux pouvoirs magiques de la drogue. Elle n'aura pas besoin de glisser quoi que ce soit dans son verre pour arriver à ses fins, puisque le principal intéressé va se défoncer au LSD de sa propre initiative. 

Ah au fait, vous vous souvenez ? Il a quatorze ans... 

Son coup de foudre et son tempérament de prédatrice vont pas mal influer sur le déroulement du week-end. Toute en exubérance, même si Saya arrive un peu à la canaliser, elle nous montrera une façon bien particulière d'utiliser un éventail... Je n'en dirai pas plus sur cette joyeuse bande, car ce serait empiéter sur le deuxième tome de la série. 


Folle chronologie 

Ouais, je viens de terminer le tome 2 : c'est même lui qui m'a convaincue de relire le premier afin de mieux le comprendre. En effet, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'oeuvre, et ce pour plusieurs raisons. 

D'abord, le trait de Wes Craig m'a rebutée, à la lecture des premières pages, sans que je puisse dire pourquoi. Possible que j'aie été influencée par l'histoire, présentée comme bien glauque dès le début. Il m'a semblé que tous les visages avaient été peints de façon à mettre en évidence la laideur et la folie, ce qui étaient peut-être bien le cas, en fait. Mais j'ai fini par m'y faire, de la même façon qu'on finit par s'habituer à son reflet dans la glace. Son travail est appuyé par Lee Loughridge, qui démontre de bout en bout qu'on ne met pas de la couleur dans une BD juste pour faire joli : il arrive notamment à traduire l'ambiance d'une planche rien qu'en lui attribuant une couleur dominante (rouge sang, bleu sombre, rose... LSD ?), ce qui ne manquera pas de rappeler aux lecteurs d'aujourd'hui les filtres Instagram et autres. 


Ensuite, l'histoire n'est pas linéaire dès le début ; si on se met deux minutes à la place des auteurs, on se dit qu'il aurait été bien difficile de procéder autrement que par flash-backs, mais c'est quand même un peu déstabilisant de passer de 1980 à août 1987, pour avancer en novembre et revenir en arrière de deux ans. Au moins, ça force à s'accrocher ; personne n'a jamais dit qu'il était facile de lire une BD, et c'est ça qui est bon aussi. D'autant plus que dans Deadly Class, les dates semblent avoir leur importance. On imagine bien que si la capture de Marcus par ses futurs camarades de l'École des Arts Létaux se produit un 1er novembre, ce n'est pas le fruit du hasard. Le héros lui-même est prisonnier de sa date d'anniversaire qu'il partage avec son ennemi juré, sa cible ultime, celui qu'il considère comme responsable direct ou indirect de tous ses déboires : le président Reagan.

Pas forcément fan de Deadly Class l'issue d'un premier emprunt à la bibliothèque, une seconde lecture aura été nécessaire mais bénéfique. A présent _c'est peut-être un effet du confinement, je suis plutôt curieuse de découvrir la suite et de voir ce que donne la série inspirée des comics. 

Note importante : bien que les personnages aient l'âge d'aller au collège ou au lycée, ce comics ne s'adresse certainement pas aux enfants ! Accessible à partir de la 4ème - 3ème, éventuellement, et encore, pas aux âmes sensibles ! Vraiment attention, c'est plutôt violent...

Rick REMENDER ; Wes CRAIG ; Lee LOUGHRIDGE. Deadly Classe 1 - Reagan Youth. Urban Comics, 2014. ISBN 978-2-3657-7594-6

Bonus confinement !
C'est gratuit (et ça le restera toujours)

samedi 22 février 2020

[COMICS] A la bibliothèque : TEOTL - Tome 1 - Arahorus - Tot ; Mylydy (2011)


Parfois, le vendredi, après le travail, je vais me poser à la bibliothèque Dumont pour lire des BD et en emprunter d'autres. Je fréquentais beaucoup cet endroit lorsque je suis arrivée à Aulnay, il y a quelques années déjà ; lors de mes premiers jours sur place, cet espace m'a servi de point de repère. C'était mon terrier imperméable au temps qui passe, au bruit, à la violence du quotidien. Puis, de manière tout à fait imperceptible, je me suis mise à espacer mes temps de repli. 

Petit à petit, je me suis déportée de quelques mètres, un peu comme les vagues nous écartent de notre trajectoire sans qu'on s'en rende compte. C'est ainsi que j'ai fini à l'Orée du Parc, dont j'ai dû goûter un peu de tous les anesthésiants en plus ou moins grande quantité. Je savais bien que ce n'était pas une solution, mais je traversais une mauvaise passe et j'étais convaincue qu'il me fallait du costaud pour affronter la réalité. Est-ce que j'avais tort ou raison ? Difficile à dire, après coup. 


L'erreur n'était pas de penser qu'il serait possible de redresser la barre quand le moment me semblerait opportun. L'erreur, c'est de ne pas avoir anticipé ma solitude dans cette démarche. Je pense que même si on peut se faire aider, on est toujours seul face à son addiction. Personne ne peut résoudre le problème à votre place _ce qui est vrai à peu près pour tout. De plus, personne n'a vraiment envie que vous l'entraîniez avec vous dans le précipice _le contraire serait bien inquiétant. La maladie fait peur, l'altruisme ne nourrit pas son homme. Qui n'a jamais changé de trottoir sous les invectives d'un mec bourré ? C'est humain ! 


TEOTL - Tome 1 - Arahorus



L'histoire 

TEOTL - Tome 1 - Arahorus est le premier volume d'un curieux triptyque scénarisé par Tot et dessiné par Mylydy.  

Les Divinités ne sont pas contentes ! Non seulement, les hommes ne sont plus capables de les reconnaître et encore moins de les craindre, mais en plus, ils détruisent leur planète et passent leur temps à s’entre-tuer ! Décidément, ce 21ème siècle ne leur dit rien qui vaille ; nombreuses sont celles qui s'accordent à dire qu'il vaudrait mieux faire disparaître une bonne fois pour toutes les êtres humains, mais quelques irréductibles ont envie de leur laisser une dernière chance. C'est le cas d'Arahorus, le dieu-rapace, et de Sepatep, le dieu chien-ailé.

Tous deux misent sur la jeunesse, par définition pleine de vie et de bonne volonté ; ils s'installent incognito dans les îles Calchaz, où ils repèrent un groupe d'adolescents particulièrement remuants, drivés par un leader impulsif surnommé Tabasco. S'ils arrivent à se faire entendre d'eux, ils pourront leur transmettre une partie de leurs forces divines. Les jeunes "élus" seront alors assez puissants pour contrer les monstres chargés d'anéantir l'humanité ! Ou pas...  Arahorus et Sepatep jouent carte sur table : personne n'a jamais dit que l'aventure était sans risque ! Libre à eux d'accepter ou non la mission...

En cette fin d'après-midi ensoleillée, les jeunes en question ne se doutent pas des grands projets que les dieux aztèques ont prévu pour eux. Leur vie, c'est Street Fighter, lycée, amour et base-ball. Tabasco a passé une sale journée, et il a les nerfs en pelote ; Kurbin a l'air au bout de sa vie, et son coeur est voué à Lucie, la fille du groupe _mais c'est pas vraiment réciproque. Tous deux attendent le car scolaire. A l'intérieur, et après une violente baston pour récupérer les toujours très prisées "places du fond", ils retrouvent leurs potes gamers Lucie et Ricky. Comme ils ont tous les quatre une grande passion pour les jeux vidéos, ils se rendent dans une salle d'arcade où ils semblent avoir leurs petites habitudes.

Mais la partie de Street Fighter tant attendue ne se fera pas ; des phénomènes vraiment étranges vont se produire. Tabasco et ses amis vont faire connaissance avec un "homme à tête de poulet" des plus terrifiants, qui va leur proposer rien de moins qu'un très flippant tour du monde en 80 secondes. Après ce voyage, leur vie ne sera plus vraiment la même.


Pourquoi le tome 2 est-il aussi difficile à trouver en bibliothèque ?  

Peut-être pour cette raison-là :

Merci de prévenir ...
Je parle bien du petit avertissement concernant les "quelques" gros mots présents dans la BD. Alors, les gros mots, ça ne me gêne pas du tout, hein ! J'en mets partout sur ce blog parce qu'ils font partie de la langue à part entière, et c'est pas trois pauvres "putain de merde" qui nous crèveront les yeux et les oreilles. Vous conviendrez qu'il est bien difficile de mettre en scène une conversation d'adolescents sans en glisser quelques uns, du moins si vous voulez être un tant soit peu crédible. Mais tout est question de dosage ; dans ce tome 1 de TEOTL, il semblerait qu'on ait laissé tomber le contenu de la salière sur les premières planches.

Au tout début de la BD, Tabasco est en rogne contre son prof de maths ; alors il l'incendie. Tous les noms d'oiseaux y passent. Ok, ça se tient. Parfois, la vulgarité est le moyen d'expression d'une bonne vanne bien croustillante :

Celle-là, je vais la garder ! 

Par contre, à d'autres moments, le vocabulaire ordurier n'apporte rien et n'est pas loin de faire tache. Dans tous les cas, cela explique que les trois volets de TEOTL, bien loin d'être inintéressants, sont relativement méconnus et difficiles à mettre à disposition dans les CDI et dans les médiathèques. On leur préférera _sans doute à tort ! des ouvrages contenant des scènes beaucoup plus violentes, ou traduisant des ambiances franchement malsaines. Eh ouais, on vit dans une société où un bras tranché choque moins qu'un "va te faire foutre". Mais là, il faut presque chercher les vignettes sans terme à biper au montage, c'est vraiment trop.. Sauf erreur de ma part, seul le premier tome est disponible à la bibliothèque Dumont.

Le diamant brut 

Sous la couche d'immondices verbaux se cache une pépite. Qui connaît une oeuvre de fiction, bande dessinée ou autre, qui fait référence au Bouddha et à Krishnamurti (un philosophe dont je n'avais absolument jamais entendu parler...), qui rend hommage à la mythologie aztèque tout en peignant avec une finesse certaine les démesures caractéristiques des ados torturés ? Même si on pourra regretter que certains éléments culturels ne soient qu'évoqués, un peu comme si les artistes avaient manqué de temps pour les traiter en profondeur, ils ont le mérite d'être présents, avec leur fraîcheur et leur originalité. Des gosses qui se réveillent un beau jour avec des pouvoirs qu'ils peinent à contrôler, on en rencontre tous les deux comics qu'on croise. Des figures divines relevant du concept de Teotl, c'est beaucoup plus rare. 

Cette BD très colorée, évoluant au gré de personnages filiformes à gros yeux et à bonnes têtes qui rappellent parfois ceux de Bryan O'Malley (vite fait), gagnerait donc à être diffusée plus largement. On apprécie particulièrement les dernières planches, dans lesquelles Tot et Mylydy racontent la genèse des protagonistes, leurs influences, leurs sources d'inspiration, expliquent ce qu'ils ont voulu faire et ce qu'ils ont préféré éviter.



TOT ; MYLYDY. Teotl - Tome 1 - Arahorus. Ankama Editions, 2011. ISBN : 978-2-35910-233-8



Eh ouais, TEOTL le prouve, j'ai fini par revenir à la bibliothèque Dumont, ce qui est plutôt bon signe, je crois ! Quelques années en plus dans les pieds, quelques neurones en moins dans la tête, mais toujours motivée par le même objectif : contribuer à mettre les gosses sur les rails de la culture (oh c'est beau).   

mercredi 15 août 2012

Soyons sérieux : cassons les murs !


          Lorsque la cour de récréation se fait trop petite et semble hostile aux plus frileux, le CDI devient un terrain de jeux idéal pour n'importe quel ado. Un "lieu de vie", "d'accueil" et de "convivialité", faut-il dire pour reprendre les termes en vogue. Effectivement, il suffit de quelques instants de relâchement pour les tables accueillent les sacs à dos, et les étagères, les pieds. Entre ceux qui ne mesurent pas la gravité des dégradations qu'ils provoquent, et ceux qui n'en ont que trop conscience, la marge n'est pas bien grande : ainsi sont les enfants ! Alors on se console comme on peut : il faut bien que "jeunesse se passe", "il est préférable qu'ils se lâchent maintenant que dans dix ans, car ce sera dix fois plus grave". Ce n'est pas faux.   

            Or, ces raisons suffisent-elles à justifier la transformation d'un CDI en no man's land ? Peut-on parler de convivialité quand le tiers du collège se confine dans une salle sans aucune possibilité d'en ressortir... puisque la grande blague du moment est de caler un bac de bandes dessinées en travers de la porte d'entrée pour bloquer l'accès au champ de bataille ? Pas la peine d'enfoncer la jeune professeure documentaliste de cet établissement, bien qu'elle ait été parfois méprisante avec tout le monde en général, et avec les employés de vie scolaire en particulier. Bien qu'elle soit, quand même un peu responsable de la situation, aussi. Qui aurait fait mieux ? Pas grand monde, et certainement pas moi. Il semblerait même que la gestion du CDI ait toujours été une énigme non résolue dans ce collège, pour bien des raisons.


C'est pourquoi j'aimerais vous faire partager un article paru dans InterCDI, LA revue destinée aux documentalistes de l’Éducation Nationale, car il a fait écho en plusieurs points à des situations vécues. Publié dans le numéro 224 de mars-avril 2010, il traite notamment des rapports entre le CDI et la Vie Scolaire. L'auteur, François Daveau, est le secrétaire général du Centre d'Etudes de la Documentation et de l'Information Scolaire (CEDIS).  

Voici un lien vers cette publication, suivi de ce que j'en ai retenu, et de la manière dont je l'ai interprété, sans prétention aucune.




Les missions du professeur-documentaliste ont beau être clairement définies, connues de tous et globalement admises, elles sont sans cesse détournées. En effet, on considère toujours le CDI comme un local pourvu de tables et de chaises bien pratique à l'"accueil" d'élèves lorsqu'un manque de "places assises" se fait sentir partout ailleurs. Lorsque des élèves viennent au CDI parce qu'il fait trop froid dehors, ou parce qu'il n'y a pas assez de place en étude, il n'est plus question de chercher à appliquer la politique documentaire de l'établissement.    

Les élèves manquent d'espace de socialisation, où ils peuvent discuter et se faire des blagues bruyantes et débiles en toute quiétude : les cours de récré ne sont pas assez spacieuses, ne proposent pas assez d'activités sportives. La présence d'un foyer ou d'une cafétéria, voire des deux, éviterait que les élèves viennent au CDI pour des raisons qui ne sont pas les bonnes : parler, débattre, éviter ses ennemis, roucouler, pleurer sa mère, ou jouer au basket en lançant des dictionnaires dans une poubelle. Si tous les collèges ne peuvent à l'évidence construire un bowling au fond de la cour pour contribuer au bien être des gosses, il convient de ne pas détruire ce qui leur tient lieu de lien social dans une vie qui n'est pas toujours rose. Faut-il tolérer pour autant un brouillage des frontières entre les différents lieux de la structure ? Sûrement pas. La salle d'étude n'est pas plus une annexe de la cour que le CDI n'est une salle d'étude funky.



Un exemple de "Bordel o cdi" .. et encore, ça reste gentillet.

Un lieu de vie nécessite des règles établies, acceptées et appliquées par tous : les centres de documentation et d'information ne sauraient être une exception. Or, on sait bien que les adolescents adorent jouer avec les limites du cadre réglementaire, surtout lorsqu'ils sont au collège ou au lycée, carrefour de contrariétés et d'interdits pour beaucoup d'entre eux. Très vite, l'insolence guette en réponse à la moindre remarque. Alors que faire pour leur faire comprendre l'utilité de ce cadre, et les  amener à avoir envie de le respecter ? Faire appliquer un règlement sous la peur et la contrainte entraîne un jour ou l'autre un retournement de situation qui n'est jamais à l'avantage de l'adulte... même si, sur l'instant, la menace de sanction est souvent bien pratique.    

François Daveau pointe une possible cause du rejet des repères fixés par l'adulte : la distribution des rôles dans le personnel enseignant et éducatif. Encore une fois, le manque d'effectifs dû aux restrictions du nombre de postes dans l'Education Nationale serait source de dysfonctionnements : par exemple, le personnel de Vie Scolaire intervient de plus en plus dans des tâches relevant de l'enseignement, au détriment des fonctions qui lui revient. Il n'a pas tort, à mon avis. J'ajouterais que l'élève peut vivre la situation comme une perte de repères : qui fait quoi ? Si l'assistant d'éducation transmet un savoir disciplinaire au même titre qu'un prof, le professeur documentaliste peut aussi occuper les fonctions d'un assistant d'éducation. Concrètement, les tâches des uns et des autres sont assez intimement liés. N'en déplaise à ma jeune "profdoc" citée plus haut : "les parents élèvent mal leurs enfants", se lamentait-elle, "nous devons les éduquer en plus de leur apprendre des choses. Mais moi j'ai un capes, j'ai été formée pour être professeur documentaliste et mon travail n'est pas de leur apprendre à bien se conduire." Ben si, un peu quand même ! Il me semble que le prof n'a aucune raison de rejeter la fonction éducative, même si elle demeure peu abordée dans les programmes des différents CAPES. Face aux élèves cependant, on devrait être en mesure d'expliciter clairement ses fonctions et de poser des frontières entre les tâches des uns et des autres, afin que les enfants sachent qui est qui.

L'importance de la communication entre les différentes instances de l'établissement, et en particulier entre le(s) professeur(s) documentaliste(s) et les personnels de vie scolaire est primordiale. Elle est d'ailleurs soulevée à juste titre dans cet article ; un minimum de dialogue et de respect des uns et des autres est nécessaire. Comment peut-on demander aux élèves ce qu'on ne fait pas soi-même ! Il arrive que chacun vive avec ses oeillères, ignorant la nature-même du métier de l'autre. Faudrait-il créer des petits stages d'observation internes aux établissements, où des professeurs passeraient quelques heures à la vie scolaire, où des CPE/AED iraient dans les classes (ou au CDI) assister au déroulement d'un cours ? Pourquoi pas !*

Voilà, les problèmes nous sont connus ; on est sans doute nombreux à être d'accord avec les constats de l'auteur. Ils nous remueront le couteau dans la plaie tant qu'on n'aura pas de solutions. En attendant, les belles pistes de travail que voilà ! Une ébauche de remède nous est proposé : travailler la configuration des lieux. Non pas seulement le CDI, mais tout l'établissement, qui forme une entité. L'idéal, celui qu'on vise forcément pour progresser, serait de multiplier les endroits attractifs afin que les élèves viennent au CDI pour des raisons appropriées à leur fonction. Ok, on casse les murs. Et après ? Concrètement, ce n'est pas forcément réalisable. Dans mon petit collège de centre ville, on n'a jamais pu se permettre de fonder ni un foyer, ni une cafeteria, ni des terrains de jeux, car la superficie ne le permet pas. Alors nous devrons pleurer nos mères jusqu'à ce qu'on trouve un architecte qui nous plante tout ça à la verticale !

François Daveau fait enfin référence, en conclusion de l'article, au Rapport de Inspection Générale EVS et de l'Inspection Générale des Bibliothèques de 2009, que je m'en vais lire de ce pas ! 

M'étant considérablement enflammée, j'ai sans doute oublié d'expliciter plusieurs points de cette publication qui donne à réfléchir. Je m'en excuse par avance, et vous engage à la lire de plus près, même si vous n'avez rien à voir avec l'Education Nationale : les problèmes étant sensiblement les mêmes à l'école que partout ailleurs, cela peut forcément vous intéresser.

* Je précise que l'idée n'est pas de moi ; c'est celle du big boss. 
 
Daveau, François. "La vie scolaire en question", InterCDI n°224, mars-avril 2010. Url : http://www.intercdi-cedis.org/spip/intercdiarticle.php3?id_article=1552. Consulté le 15 août 2012.  



jeudi 2 août 2012

Les Aigles Décapitées - Tome 9 - L'otage - Jean-Charles Kraehn ; Michel Pierret. 1995


Où est-ce qu'on en était ? 

Hughes ne s'était pas aventuré hors de ses terres depuis quelques temps, et lorsqu'il avait tenté de se rendre à la cour d'Alphonse de Poitiers pour y demander le jugement de son épouse Nolwenn, la rébellion de Ravenaud l'en avait empêché. Il fallait bien remédier à cela dans le neuvième volet des aventures de l'héritier (légitime ou pas ?) de Renaud de Crozenc. 




Pourtant, la répudiation de Nolwenn n'est plus vraiment une priorité. Il s'agit d'abord de donner la chasse au chevalier Ravenaud avant qu'il ne le devance sur son chemin et ne fasse des révélations compromettantes à la cour de Poitiers. L'avenir du bon et magnanime seigneur Hughes pourrait en effet redevenir celui d'un simple jongleur itinérant si son suzerain apprenait qu'il n'est rien d'autre qu'un imposteur. C'est pourquoi il n'hésite pas à proposer une récompense de dix pièces d'or à quiconque lui livrera des informations sur la cachette du vassal "turbulent".

Ravenaud a pleinement conscience de la valeur du secret qu'il détient : la chute du jeune seigneur faciliterait grandement son accès au pouvoir et conclurait une vengeance personnelle bien savoureuse. Or, rien ne lui permet de prouver ce qu'il a appris de la bouche du seigneur Roger de Castelnau, lors de leurs périples en pays cathare. Le seul moyen d'être cru serait de forcer l'oncle d'Alix à témoigner en sa faveur. Mais comment ? Sous la menace, tout simplement ! L'ancien détenteur du bastion de Cuzion, toujours accompagné de Nolwenn, va devoir sceller un pacte improbable avec Coupe-Nez et sa meute de brigands pour arriver à ses fins.

"Chacun pour soi et Dieu pour tous".

Comme dirait Sylvie, une employée d'accueil de mes connaissances. En lisant "L'otage", j'ai beaucoup pensé à ce vieux dicton qu'elle me sort immanquablement lorsqu'on prend le temps de discuter. On savait déjà que les Aigles Décapitées étaient tout sauf une chanson de geste illustrée, préférant tourner en dérision la fin'amor et autres prud’homies. Or cet album peint des personnages qui son autant de modèles d'individualisme :


  • Alix reproche à Hughes de s'être joué d'elle en lui masquant son imposture _ qu'elle a apprise en écoutant une conversation, hem. Heureusement, elle lui pardonne vite.  
  • Hughes est finalement bien accroché à son pouvoir, à son honneur, et ne supporte pas qu'un bailli le traite de "faible". Ses motivations deviennent purement personnelles. 
  • Nolwenn est prête à coucher avec n'importe qui pour retrouver une condition noble. 
  • Ravenaud n'a qu'une ambition : être le chef. De qui ? De quoi ? peut importe, du moment que son ego s'épanouisse. 
  • Coupe-Nez le brigand veut s'enrichir et avoir les meilleures femmes à sa disposition. Peu importent les concernées et leur famille. 
  • Torche-Cul, autre brigand, veut Nolwenn pour lui seul, quitte à la tuer après l'acte. 
  • Liégarde, la femme de Coupe-Nez, est blessée dans son orgueil lorsque son amant la répudie pour garder Nolwenn, plus fraîche qu'elle. 


Encore une fois, la peinture humaine dans son vice et sa beauté est aussi impressionnante que l'immersion dans la société médiévale du XIII°siècle. Si les péripéties des héros, les types de personnages et leurs comportements commencent à prendre un air de déjà-vu, la BD ne nous en captive pas moins. Les paysages du Poitou et les visages ingrats sont toujours représentés d'un trait fin et précis, et l'on se réjouit d'un retour de l'action dans le sud du royaume, forcément annonciateur de couleurs plus chaudes !



KRAEHN, Jean-Charles ; PIERRET, Michel. Les Aigles Décapitées. Tome 9 : "L'otage". Glénat. 1995. Coll. "Vécu". 48 p.