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lundi 26 octobre 2020

La fourmi rouge - Émilie Chazerand (2017)

 


Le masque de protection se superpose à celui qui recouvre déjà notre vrai visage. 





Après en avoir entendu dire beaucoup de bien sur la toile, je me suis lancée dans la lecture de La fourmi rouge, premier roman d'Émilie Chazerand. Comme vous le savez, je suis assez difficile pour ne pas dire complètement blasée en matière de littérature pour adolescents, mais j'avoue que j'ai été à mon tour assez séduite par cette trouvaille !

L'histoire 

Vania a quinze ans, elle entre en seconde. Comme Bella, Harry, August, Georgia avant elle, la jeune a un peu la trouille à l'approche d'une rentrée teintée d'incertitudes. A la manière de Mia dans le Journal d'une princesse, elle s'apprête à nous raconter avec humour ses petites angoisses à la première personne. Rien de nouveau sous le soleil, à première vue... mais en y regardant de plus près, on se rend compte que l'héroïne de La fourmi rouge repousse les limites d'une loose déconcertante de réalisme !   

Déjà, Vania a un nom de serviette hygiénique, une paupière qui fait des siennes, et une plus grande facilité à vomir sur commande qu'à se faire des amis. Si elle n'ira pas jusqu'à s'autoproclamer "ratée et fière de l'être", elle semble s'être fait une raison... Heureusement, quelques solides bouées lui permettent de garder la tête à la surface de la mare au canards de son existence : son père taxidermiste et loufoque, sa meilleure copine de galère Victoire qui n'assume de traîner avec elle que parce que son odeur corporelle insupportable l'empêche d'avoir des amis stylés, et son BFF de toujours, le seul, l'unique, l'irremplaçable Pierre-Rachid dit "Pirach". 

D'ailleurs, parlons-en de celui-là : il n'a rien trouvé de mieux que de profiter des vacances d'été passées au bled pour s'offrir un corps d'adulte et se taper Charlotte, sa pire ennemie ! A la veille d'un premier jour de cours qui s'avèrera encore plus catastrophique que prévu _ spoiler : elle va arriver en retard et involontairement péter le nez du proviseur, je vous laisse le soin de découvrir dans quelles circonstances, cette trahison suprême tombe sur Vania comme un piano sur un personnage de cartoon.




Le mieux, dans ce cas-là, c'est encore d'aller se coucher _ce qu'elle va faire. Mais avant, Vania aura la (forcément) mauvaise idée de consulter sa boîte mail, et d'y découvrir un violent message anonyme qui l'exhorte à se secouer les puces au plus vite, sous peine de disparaître bien vite dans les méandres de l'insignifiance. Nouveau coup de massue. Cette fois, c'est sûr : une nouvelle année de galère s'annonce à l'horizon...  


"Taille moyenne, élève moyenne... Fille moyenne. Pas parce que tu es née comme ça, mais parce que tu as choisi la transparence, la fadeur, l'insipidité. 
Tu es la personne la plus décevante de ce siècle.
Tu es inutile et vide."



Un faux air de déjà vu 

"Ok," me direz-vous, "mais sinon, concrètement, qu'est-ce que ce roman tragico-comique résolument classé dans les "feel good" pour la jeunesse a de plus qu'un autre ?"  

Eh bien, premièrement, il est encore récent, puisque sorti en 2017, et il est donc bourré de références à l'actualité et à la culture de ces dernières années : de Donald Trump aux Ch'tis, en passant par la citation Jenifer et le slip Hello Kitty que seule une amie proche peut vous offrir  "une chatte pour ta chatte"  et qu'on ne met que le dimanche en regardant Jour du Seigneur... aucun détail n'est oublié ! De la même façon, le registre de langue utilisé par les jeunes personnages colle assez à ce qu'on peut entendre dans les lycées de nos jours, me semble-t-il (bon, en plus soft, peut-être...). Dans tous les cas, ces éléments de décor ou de langage révélateurs d'une génération ne sont jamais placés gratuitement dans le texte, avec pour espoir d'aguicher le jeune lecteur : ils ont vraiment leur importance et apportent quelque chose au récit _un effet comique, le plus souvent. 

Ensuite, La fourmi rouge aborde des sujets graves, sans dramatiser, mais sans faux semblants ; entre autres : la rumeur, la réputation, le (cyber)harcèlement, les effets (à plus ou moins long terme...) de la télé-réalité sur les gens, la vieillesse, l'intégration, les préjugés racistes, et, dans une moindre mesure, la radicalisation. Il est question, pour l'héroïne et pour ses pairs, d'apprendre à se faire une place dans le groupe, dans la masse, à devenir "la fourmi rouge" capable de se distinguer du flot de fourmis noires passives ou suiveuses. Rien n'est moins facile, et ce roman s'avère un peu moins optimiste que ce à quoi on aurait pu s'attendre. 

Au fil des pages, on se rend compte que derrière l'humour, les situations cocasses ou anodines, se terrent parfois des souvenirs désagréables, sinon traumatisants. Vania serait-elle en train de nous abreuver de paroles pour éviter de nous livrer ce qui l'empêche réellement de vivre ? Qu'y a-t-il sous le masque de Gottfried, le papa "hyper cool" ? Pourquoi la lycéenne s'auto-qualifie-t-elle sans cesse de "mytho professionnelle" ? Est-elle en train de nous balader ? Ne pas dire, est-ce vraiment mentir ? Secrets et questions existentielles vont se dévoiler petit à petit... Une chose est sûre : un psychanalyste se frotterait les mains à la vue d'une patiente qui vomit tout ce qu'elle peut à la moindre contrariété mais qui cumule les sujets tabous. 

"Certes, nous sommes tous des fourmis, vus de la Lune. Mais tu peux être la rouge parmi les noires.
Qu'est-ce que tu attends pour vivre ?"

Honnêtement, j'ai été très emballée par des premiers chapitres très dynamiques, crépitants comme des Têtes Brûlées, avant que l'euphorie ne retombe petit à petit. Certes, on n'échappe pas à deux trois stéréotypes bien ancrés chez les "adultes référents" et chez certains jeunes décrits dans le livre ; mais à l'inverse, beaucoup de situations sonnent vrai et sont traitées sans complexe. Qui a déjà vu son ou sa meilleur.e pote prendre le large à cause d'une bête histoire de coeur sans lendemain partagera mon sentiment ! Enfin, sachez que le suspense du "mail mystère" est chouchouté jusqu'aux dernières pages ! 

Si vous vous intéressez à la littérature pour la jeunesse, ou si vous cherchez un livre pour des 12-16 ans bons lecteurs, prenez quelques heures pour découvrir ce titre : il passe comme petit fromage affiné (oui, c'est un compliment, et oui, j'ai faim) ! 

Emilie Chazerand. La fourmi rouge. Éditions Sarbacane, 2017. 384 p. ISBN : 978-2-07-513399-9




  

 

dimanche 3 septembre 2017

Les Cités des Anciens - 8 - Le puits d'Argent - Robin Hobb (2013)


Un cycle se termine pour laisser place au suivant ! Voilà ce que nous nous disions l'été dernier, en fermant les cartons de déménagement. Eh oui, pour la petite histoire, mon cher collège jaune et biscornu est en cours de démolition ; une fois qu'il sera rasé, il renaîtra de ses cendres sous la forme d'un établissement moderne, lumineux, hi-tech, fonctionnel... et pourvu de bien d'autres qualités qu'il ne possédait pas vraiment jusqu'alors.   

En attendant, à nous les travaux, les préfabriqués, les escaliers métalliques qui tremblotent et les cloisons qui sonnent creux ! Il faut maintenant déballer les paquets, prendre nos marques... mais pas trop, car dans deux ans il faudra de nouveau bouger. 

Dans les Cités des Anciens aussi, on s'installe mais pas trop ! Si les dragons ne peuvent s'alimenter en Argent dans leur repaire de Kelsingra, à quoi bon y rester ? 




Où est-ce qu'on en était ? 


Les gardiens et les dragons sont toujours à la recherche du puits d'Argent qui assurera leur santé et leur longévité ; ils quadrillent les bâtisses imposantes, à l'affût de secrets ancestraux contenus dans les pierres de mémoire : mais comment procédaient-ils pour trouver, recueillir et utiliser ce métal magique ?

Malta et Reyn serrent les dents ; ils oscillent entre inquiétude et espoir car la survie du petit Phron dépend de leur efficacité. Un soir, Kanaï demande à Thymara de le suivre sans lui dire où il l'emmène...

L'horrible Hest se frotte les mains ! Fraîchement débarqué à Kelsingra, il a repéré sa femme et son amant ; bien qu'ils aient beaucoup changé et que tous deux semblent avoir trouvé chaussure à leur pied, il ne désespère pas de tirer son épingle du jeu en leur faisant du chantage. Mais la vie dans la Cité des Anciens n'est pas la même qu'à Terrilville...

A Chalcède, Selden se meurt auprès de la jeune Chassim ; le duc malade lui pompe tous les jours plus de sang en espérant se remettre d'aplomb grâce au fluide magique qui coule dans ses veines. Mais le jeune frère de Malta est à bout de forces... 


Cette fin de série est beaucoup moins prévisible que je ne le redoutais dans le billet consacré au tome 7, et c'est tout à fait appréciable ! Même si les Cités des Anciens m'ont un peu moins exaltées que les précédents cycles de Robin Hobb, je reconnais que ce final-là a un petit effet Têtes Brûlées goût pomme que je vous laisse découvrir de vous-même ! 


Le puits du Jeu de l'Oie

Une vie insignifiante 

La fin approche ! A qui donnera-t-elle sa part de bonheur et son lot de tuiles ?  

Pas à Kanaï, il n'existe plus vraiment. 

En se noyant dans la pierre de mémoire, Kanaï le loser insouciant devient Tellator, un guerrier imposant et craint de tous. Il est le premier à participer au combat des dragons contre les navires chalcédiens, à faire des rescapés des prisonniers puis des "otages" dont il pourra sous-tirer une rançon. Tous ceux qui le connaissaient se lamentent de le voir se faire peu à peu posséder par un conquérant mort depuis longtemps : quel gâchis, le brave Kanaï est en passe de perdre son âme, peut-on encore le sauver ? 

Mais au fait, est-ce vraiment souhaitable ? Souvenez-vous de l'adolescent qu'il était dans les premiers tomes... Un rigolo au physique filiforme qu'on ne remarquait que lorsqu'il entrait dans un excès de loufoquerie, un amant pour qui le sexe était un jeu comme un autre, le premier gardien a avoir été balayé par les eaux du désert des pluies... A cette époque, l'existence de Kanaï n'avait de valeur pour personne et il n'était même pas pleinement intégré dans le groupe des parias. L'Ancien de Gringalette _ vous voyez, même le nom de sa dragonne n'était pas crédible !_ avait tout à gagner en troquant sa personne vulnérable contre l'esprit charismatique de Tellator. Tellator le viril, le chef de guerre, celui qui n'a besoin que de claquer des doigts pour trouver une femme disponible et consentante.


Thymara n'est pas plus impressionnée par l'un que par l'autre, et c'est la seule ombre au tableau pour le chef des gardiens. Son refus de s'offrir à lui _malgré une insistance lourdingue_ cassera le lien qui les unit ; vexé, Kanaï se réfugiera dans le combat et dans tous les autres domaines qui lui réussissent. Décidément, le miracle du coup de foudre ne se sera pas produit avec la donzelle ailée ! 


Pourtant, les miracles existent dans Les Cités des Anciens - ATTENTION SPOILER 

Arrêtez-vous là si vous comptez lire le livre !

Selden et Tintaglia, séparés depuis les débuts de l'aventure, sont tous deux des miraculés ! Une âme charitable (et sentimentalement intéressée) les tire du pays des morts où ils avaient déjà posé un pied et demi. Chassim, la fille du duc de Chalcède, protège "l'homme dragon" dont le sang est sucé tous les jours, prête à le suivre dans le trépas. Mais il était dit que les amants maudits ne mourraient pas de la sorte ! Tintaglia est sauvée in extremis par le grave dragon mâle nommé Kalo, plus attentionné que cette brute épaisse de Glasfeu. Les retrouvailles de la reine des Trois Règnes et de son "petit chanteur" seront pour le moins fracassantes !


Robin HOBB. Les Cités des Anciens - 8 - Le puits d'argent. J'ai Lu, 2013. 320 p. ISBN 978-2-290-08598-1