vendredi 27 février 2015

La peau même en offrande - Alicia Kozameh (2013)


Opération Masse Critique, le retour ! 

Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, la situation devient critique. Voilà presque trois semaines que La Peau même en offrande, le recueil de nouvelles d'Alicia Kozameh, est arrivé dans ma boîte aux lettres, et j'ai toujours un mal fou à traduire ma lecture avec des mots. Il faut dire que depuis la dernière fois que j'ai pondu un texte ici, les saumons ont eu le temps de rejoindre au moins trois fois leur contrée natale. Bref, je ne sais pas si c'est à cause du boulot, des bourgeons, de l'euphorie de la colloc ou du retour de mes petits poulets endiablés, mais j'ai le cerveau plein de noeuds.

Espérons qu'un recueil de nouvelles parlant de femmes prisonnières politiques en pleine dictature argentine, à la fin des années 70 pourra dégripper tout ça !




Militante d'extrême gauche et membre du Parti Révolutionnaire des Travailleurs, Alicia Kozameh a été emprisonnée de 1975 à 1978 pour s'être opposée à la dictature militaire qui a serré l'Argentine pendant quelques temps. Elle a gardé de cette période d'enfermement un traumatisme qui ressort dans chacune de ces nouvelles, comme autant de cicatrices sur le corps convalescent que forme l'ouvrage.


"La peau même en offrande", histoires d'un corps écorché 

Les huit textes, écrits entre 1992 et 2003, sont organisés en trois grandes parties : "Accumulations", "Consécrations" et "Prisons complémentaires". On s'éclatera bien à lire dans le choix de ce plan une sorte de corps humain pas tout à fait libre de ses mouvements _ et on s'efforcera d'expliquer pourquoi, évidemment.

Accumulations _ la tête ? compte un seul et unique texte d'ouverture qui a le mérite d'annoncer la couleur. Point d'action encore, mais la peinture d'un personnage retirant un collier pour le déposer sur sa table de nuit, et déjà l'exposition de quelques grandes idées. La vie est comparée par la narratrice (ou le narrateur ? bien qu'on suppose l'ombre de l'auteure derrière ce "je") à un collier de perles capricieuses, rassemblées par hasard et pas toujours contrôlable. La métaphore du corps, voire du corps enfermé apparaît pour s'installer durablement se faire filer jusqu'au bout du recueil.

Consécrations est le chapitre le plus touffu du recueil ; il est le tronc, muni de ses bras qui se débattent, de ses mains qui vivent et qui veulent caresser autant que se battre. Les trente détenues de la nouvelle "Esquisse des hauteurs" tentent un passage en force dans nos esprits ; en racontant leur quotidien dans la prison souterraine, à la veille d'un "renforcement" sécuritaire du lieu _elles sont en train de se faire emmurer, l'auteure nous montre comment préserver sa liberté de penser au sein-même de la cellule. Théâtre improvisé, partage d'histoires, sculpture sur os de volaille récupérés dans les gamelles... tout fait ventre. "La rencontre. Oiseaux" est une suite toute trouvée : on suit le périple de 27 femmes qui se sont connues en prison et qui veulent se retrouver pour prendre un verre... toutes en même temps ! Leur attroupement effraie, dérange, mais qu'importe : leur préoccupation majeure, c'est de savoir ce que fichent les trois manquantes. Viendront-elles ? "Deux jours dans la relation de ma belle-soeur Inès avec ce monde péremptoire" est une conversation factice et rêvée entre la narratrice et sa belle soeur plus attirée par la mort que par la vie après la perte de son mari. On comprend que l'homme a payé cher son militantisme ; les survivantes, qui partagent ses aspirations à la démocratie, ne font pas leur deuil de la même manière. L'une a pris le parti de la vie, l'autre stagne et s'enfonce... Plus poétique encore, "Vents à rotation perpendiculaire" traite du phénomène de disparitions en masse d'étudiants fauteurs de troubles qui la ramenaient un peu trop pour ne pas faire tache aux yeux de la junte militaire au pouvoir à cette époque. Enfin, "Dernier message" boucle les Consécrations en faisant écho à la première nouvelle ; il s'agit d'une lettre écrite par une détenue de la prison de Rosario à ses proches.
 

Prisons complémentaires, c'est un peu les jambes qui aimeraient se mettre en marche mais qui restent engluées... On quitte l'univers carcéral pour aborder d'autres formes d'enfermement, moins restrictives physiquement mais tout aussi frustrantes. "Mungos Mungo" me semble parler de cette période de traumatisme qui suit la libération d'un être trop longtemps coupé du monde, effrayé de percevoir le trop-plein de vie autour de lui alors qu'il ne peut plus ressentir la sienne. Comme une note d'espoir, "Alcira en jaunes" décrit la naissance de l'engagement politique d'une fille en proie aux contradictions de sa propre famille _ sa mère et sa grand-mère sont juives, et son père antisémite, et à l'ambiance houleuse qu'on devine. Alcira est-elle Alicia ? Elle seule le sait.


On n'a pas gardé les vaches ensemble
du coup on a du mal à se capter...

Alicia Kozameh nous propose ici quelques morceaux d'une expérience personnelle terrible, tellement personnelle qu'il est difficile de mesurer toute sa force. Pour apprécier à fond La peau même en offrande, il est préférable de connaître d'une part la romancière et d'autre part l'histoire de l'Argentine. N'étant calée ni sur l'une, ni sur l'autre, j'ai du passer à côté de plusieurs pans du recueil, même si ce fut l'occasion d'en apprendre un peu plus sur les deux ; et, vous l'aurez compris, j'ai eu un peu de mal à en tirer quelques impressions personnelles. Du coup, bien que le sujet soit à la fois, riche, passionnant et révoltant, je n'ai jamais réussi à rentrer dans le recueil et être particulièrement touchée par les différents textes _si ce n'est "Esquisse des hauteurs" et ses héroïnes hautes en couleurs. J'ai beau savoir que cette femme est passée par des moments particulièrement difficiles à vivre, qu'elle s'en est sortie, et que son travail d'écriture a sans doute contribué à lui permettre de surpasser son traumatisme ; qu'elle s'est battue pour la démocratie et qu'elle n'a guère été récompensée de ses efforts ; qu'elle a perdu des êtres chers dans la bataille... sa poésie n'a pas trouvé la bonne combinaison pour débloquer mon empathie. Ou alors je suis rouillée d'autre chose que tu cerveau.. Je vous engage à lire le recueil et à vous faire votre propre idée, car comme je vous j'ai dit plus haut, je n'avais pas toutes les clés de lecture en ma possession sur ce coup-là.

Vache Milka gonflable.
Y a la même dans l'Intermarché de mon village !


Bibliographie 

KOZAMEH, Alicia. La peau même en offrande. Zinnia Editions, 2013. 128 p. ISBN 978-2-95447230-0 

"Argentine : vie politique depuis 1945". Encyclopédie Larousse. URL : http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Argentine_vie_politique_depuis_1945/187451. [en ligne] Consulté le 27/02/15

Association Espaces Latinos Amérique Latine.  "Alicia Kozameh. Argentine". Espaces Latinos.fr. URL : http://www.espaces-latinos.org/alicia-kozameh/. [en ligne] Consulté le 27/02/15


Et bien sûr, merci aux Editions Zinnia et à Babelio pour l'envoi de cet ouvrage !





    

Aucun commentaire: