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samedi 15 octobre 2016

L'assassin royal - 13 - Adieux et retrouvailles - Robin Hobb (2006)


Je me suis longtemps lamentée d'avoir découvert L'Assassin Royal dix ans après sa sortie, soit bien trop tard à mon goût. Aujourd'hui, tout en tournant les dernières pages de la série, je m'en réjouis : au moins, je sais qu'il y a une suite intitulée Le Fou et l'Assassin. Les fans de la première heure n'ont pas eu cette chance et ont dû éprouver pleinement la tristesse des adieux faits à Fitz et aux autres ! 



Où est-ce qu'on en était ? 

Le prince Devoir, la narcheska Elliania et leur délégation sont rentrés dans leurs contrées après l'aboutissement de leur quête. Ils sont à présent libres de faire leur vie au nez et à la barbe de ceux qui ne voient pas leur union d'un très bon oeil. Seul Fitz demeure sur l'Ile d'Aslevjal : anéanti par la mort du Fou, le Bâtard au Vif ne conçoit pas de reprendre une vie tranquille de garde royal à Casltelcerf sans avoir tiré son ami hors de son tombeau de glace. Son besoin de solitude ne sera pas longtemps satisfait : premièrement, Lourd a échappé au retour en bateau et traîne encore dans ses pattes. Ensuite, il fait enfin la rencontre de l'Homme Noir, qui se révèle être un affable Prophète Blanc physiquement marqué par son échec...   



Attention ! Spoilers ! (oui, ça commence tôt, aujourd'hui...) 




On ne meurt que deux fois 

Après en avoir appris encore un peu plus sur son rôle dans l'avancée du monde, Fitz laisse Lourd aux bons soins de l'Homme Noir et retourne dans la glaciale Cité des Anciens ; non sans peine et sans souffrances, il retrouve le cadavre de son "Bien Aimé" dont les tatouages dorsaux ont été cruellement arrachés, et tente de le porter en surface. Encore faudrait-il qu'il soit résolu à accepter sa mort... En coiffant la couronne de bois ornée des plumes trouvées sur l'Iles des Autres, il parvient à ressusciter le Fou... après avoir rencontré de drôles de poètes dans un énième voyage onirique. Tiens donc ! Ce retour du pays des trépassés ne vous rappelle rien ? FitzChevalerie n'a-t-il pas lui-même connu l'état de mort, autrefois, avant de basculer dans le corps de son loup-frère de Vif ? N'a-t-il pas été conservé en vie par le Fou, à l'issue de son combat contre Laudevin, le chef des Pie ? Il semblerait que, chez Robin Hobb, la mort ne soit pas définitive (sauf pour Burrich et quelques autres malchanceux, apparemment...). C'est bien pratique, mais... les résurrections commencent à être un peu trop courantes dans son oeuvre pour être pleinement appréciées...




Le sauvetage du Fou donne pourtant un nouveau souffle à l'histoire, et une trop grande liberté aux personnages principaux ! Le destin du Prophète Blanc était de mourir dans le château de la Femme Pâle et celui de son Catalyseur dépendait de la mort du Prophète. Mais, comme Fitz a changé le cours des choses poussant très loin son attachement à l'homme aux multiples facettes, ce n'est pas le cas. Les deux amis sont bien vivants et n'ont plus d'ordres à recevoir de personne ! Toute une vie s'étend devant eux, avec son lot de choix à faire et de décisions à prendre. Qui ne serait pas effrayé par tant de liberté ?

Plus rien ne les oblige à se séparer, à présent ; et si le Prophète... qu'on suppose jaune maronnasse au sortir d'Aslevjal...! se consume toujours d'un amour inconditionnel et non réciproque pour son Catalyseur, Fitz rêve lui aussi d'un quotidien paisible et partagé avec le Fou. Aussi, lorsque ce dernier lui annonce qu'il a l'intention de couper les ponts définitivement, il en reste sonné. Nous voilà arrivés aux pages les plus profondes et les plus émouvantes des "Adieux et retrouvailles", où le sage bouffon nous expose avec une logique implacable qu'on peut quitter quelqu'un par amour sans pour autant se contredire. En effet, il sait très bien qu'il est censé être mort et que de sa mort devait découler le bonheur de Fitz ; donc il décide de s'éloigner de lui pour éviter de parasiter son existence à venir. En filigrane, on comprend aussi qu'il essaie de se protéger : voir son Catalyseur se reconstruire une vie sentimentale sans pouvoir y prendre part serait néfaste à leur amitié. Il préfère clore leur relation par un poème d'adieu et une pierre de mémoire contenant leurs meilleurs souvenirs : quelle classe, ce Fou... 


La meilleure idée de Robin Hobb : les piliers de pierre permettant de passer d'une région du monde à un autre...
J'ai essayé de m'appuyer sur un arrêt de Médi@bus mais je ne me suis pas retrouvée de l'autre côté d'Aulnay pour autant.
Tant pis !
Et vive le Médi@bus ! 

Non ! Non, pas ça !  

Oui, parlons-en, de la vie sentimentale du héros ! Je vais peut-être passer pour une rabat-joie, mais je trouve que Robin Hobb a un peu trop tendance à jouer aux Lego sur la fin de ses romans ! Vas-y que je tue Burrich, histoire de libérer Molly : Fitz n'a plus qu'à faire ami-ami avec les fils aînés et à toquer à la porte de son premier amour, qui résiste deux minutes pour la forme avant de lui ouvrir son lit. Lui aussi fera son examen de conscience en trois phrases avant de s'immiscer, l'air de rien, dans une famille endeuillée. Cette reconstitution capillotractée des amoureux d'il y a quinze ans aura eu le mérite d'être totalement imprévisible... A la fin de l'Assassin Royal, Fitz a tout ce à quoi il aspirait dans sa jeunesse : la tranquillité, l'aisance, plein d'enfants... Il fait partie du clan d'art avec sa fille Ortie et à récupéré sa femme. Pourtant, la présence de son meilleur ami à ses côtés lui fait défaut.  

La palme du couple à la con revient à Molly et Fitz !
Eh ben, faire le bonhomme pendant treize tomes pour finir comme ça... C'est pas joli joli ! 

On n'en doutait pas une seconde : l'Assassin Royal se termine en beauté, après un feu d'artifice d'émotions... sans mièvrerie, cependant. A l'exception, peut-être, de la niaiserie de Fitz face à Molly alors que Burrich n'est pas encore froid. Enfin si ! vu qu'il a traversé un glacier sur une civière avant de mourir, mais bon... on se comprend ! Comme il reste encore ! des questions sans réponses, que les personnages principaux continuent d'entendre des voix, et que les deux dragons passent leur vie à niquer, lançons-nous à l'attaque des Cités des Anciens ! 


Edition utilisée ici : 
ROBIN HOBB. L'Assassin Royal 13 - "Adieux et retrouvailles". Trad. A. Moustier-Lompré. Editions J'ai Lu, 2007. 380 p. ISBN 978-2-290-00296-4

Illustration couverture : Vincent Madras


dimanche 18 septembre 2016

L'assassin royal - 12 - L'homme noir - Robin Hobb (2005)


On se dirige tout doucement vers la fin de la série avec L'homme noir, douzième chapitre de L'Assassin Royal... et pourtant, bien des énigmes nous résistent encore ! 



Où est-ce qu'on en était ? 

Après un voyage plus que harassant, Devoir, Elliania et leurs accompagnants respectifs atteignent enfin Aslevjal... où le Fou les attend de pied ferme. Malheureusement, le convoi hétéroclite composé du clan d'Art du prince, du clan de Vif et des "proches" de la narcheska, se divise avant d'avoir fait trois pas sur l'île aux glaçons : tandis que les uns sont bien décidés à mener à bien leur mission et à tuer Glasfeu, le dernier dragon mâle resté prisonnier des glaces, les autres se demandent s'il ne vaudrait pas mieux le libérer, tout simplement. A ce trouble général s'ajoute la mystérieuse apparition du Fou et la menace de l'insaisissable "Homme Noir", qu'on devine plus qu'on ne voit... Une chose est sûre : que ce soit pour favoriser son envol ou pour lui trancher le cou, il faut trouver Glasfeu : alors autant faire bonne figure et jouer la carte de la solidarité ! Fitz continue de peser le pour et le contre, repoussant autant qu'il le peut ce moment où il devra choisir son camp ; mais ne l'a-t-il pas déjà fait, au fond de lui ? 

Le tome de toutes les souffrances 

Vous savez quoi ? Marcher dans la neige et creuser la glace ne sont pas des tâches particulièrement plaisantes ! Surprenant, non ? Mais les mauvaises surprises ne se limitent pas aux contraintes climatiques. Si Leste est l'archer de la bande _il en fera une belle démonstration à la fin du livre, Fitz devient peu à peu le saint Sébastien transpercé de flèches de l'île d'Aslevjal. Sur cette terre propre au calvaire, rien ne lui sera épargné. Ni les misères physiques, ni les tiraillements moraux : déjà, il soupçonne une vague rancoeur du fou à son égard, bien qu'il soit heureux de sa présence. Ensuite, Lourd est aussi lourd à traîner dans la poudreuse qu'à maintenir à bord d'un bateau : ben oui, la glace c'est froid, ça mouille les vêtements, les crevasses présentent un danger à prendre en considération, et la bouffe des Outrîliens est dégueulasse. Quand elle n'est pas empoisonnée ! Après avoir avalé de la pâte de poiscaille imbibée d'écorce elfique, Fitz se voit dépouillé de sa magie d'Art. Il ne manquait plus que ça. Aussi, lorsque Umbre le somme de se lancer à la recherche de Crible et Heste, ses espions mystérieusement disparus, il a l'impression de marcher à l'aveuglette, guidé par la seule force de son Vif... et par Le Fou.

ATTENTION SPOILER à partir d'ici ! 



Le Changeur et le Prophète Blanc tombent bientôt dans les profondeurs insaisissables d'un trou de glace... pour débarquer au coeur du royaume souterrain de la sadique Femme Pâle. En effet, ils découvrent que ce curieux pendant féminin du Fou chapeaute un monstrueux dragon de pierre et un peuple d'Outrîliens partiellement forgisés et assez bien formatés pour répondre à ses moindres désirs... Il semblerait que le tragique destin du Fou n'ait jamais été si près se réaliser...    


"Putains de moustiques !"
Le martyre de Saint Sébastien - Mantegna (1490)


Trahisons et réconciliations 

Fitz n'esquivera pas les violents retours de manivelle cruellement prévisibles que lui renvoient ses choix du passé ! Son ami le Fou fait la tronche, isolé du reste du groupe dans sa tente jamaillienne. Son identité de Bâtard au Vif est révélée à tout le clan porteur de la magie des bêtes. Ortie en apprend un peu plus sur lui, et Burrich débarque comme un cheveu sur la soupe après un long périple solitaire ; ce qui représente une belle performance pour le vieux boiteux presque aveugle qu'il est devenu ! Tout ce petit monde est bien décidé à lui poser les questions qui fâchent, pour son plus grand bonheur... ou pas !

En son absence, les piocheurs de glace se déchirent de plus belle : fidèles au principe que toute vie, animale ou humaine, méritent d'être défendue, les vifiers retournent leur veste lorsqu'ils obtiennent la confirmation que Glasfeu est bien vivant, et s'opposent aux desseins de Devoir. Les Outîliens refusent toujours de se salir les mains en tuant la bête endormie et le clan du prince et de sa narcheska se retrouvent bien seuls. Mais si l'on devine l'acharnement des Loinvoyant à poursuivre leur quête coûte que coûte, quelles sont les vraies motivations d'Elliania et de son oncle Peottre ? On en saura plus dans ce douzième tome.


Mon prochain puzzle, peut-être :-D

Dragon de chair, dragon de pierre 

Malgré les importantes révélations qu'il contient, L'homme noir nous exaspère autant qu'il nous passionne : ce décor neigeux, morne et désertique nous donne envie d'arriver au plus vite à la fin de l'histoire. Si Robin Hobb a voulu nous transmettre l'humeur de ses personnages à travers son écriture, elle y est parvenue sans problème ! Qu'on fasse un sort à ce dragon, et qu'on en finisse ! 
Allez, souvenez-vous que le vieil Umbre a emporté avec lui quelques uns de ces barillets de poudre dont il a le secret, nous laissant entrevoir quelques retournements de situation explosifs, et nous rappelant combien il est important de lire une histoire jusqu'au bout...

Alors qu'on s'apprêtait à perdre espoir, la magie a soudain repris ses droits : Glasfeu sort de la glace, faible mais bien vivant, suivi de près par le dragon de pierre de la Femme Pâle. Ils engagent un combat époustouflant tandis que Tintaglia vient à la rencontre du dernier mâle de son espèce pour s'accoupler avec lui. Même si l'action ne laisse guère de place au suspense, les violentes scènes de baston entre dragons, suivies d'une phase d'accouplement non moins âpre _la narcheska en sera toute retournée_ nous sèment des étoiles argentées plein les yeux !

Même si L'Assassin Royal 12 - L'homme noir se déroule de bout en bout dans un décor plus blanc que blanc, FitzChevalerie Loinvoyant en voit de toutes les couleurs ! Tout le monde y va de sa petite larme ou de son claquement de dents, causée tant par le froid que par la peur... Tiens, j'aurais presque pu mettre ce livre dans la Sélection Déprime de la rentrée, au CDI !



Presque, car on ne s'inquiète pas trop pour notre héros : on se doute que l'ultime volet de la série nous ramènera l'optimisme ; et on sait surtout que la suite des aventures du Bâtard au Vif nous attend !
  
Edition utilisée ici : 
ROBIN HOBB. L'Assassin Royal 12 - "L'homme noir". Trad. A. Moustier-Lompré. Editions J'ai Lu, 2007. 328 p. ISBN 978-2-290-35307-3

Illustration couverture : Vincent Madras


mercredi 17 août 2016

L'assassin royal - 11 - Le dragon des glaces - Robin Hobb (2003)


Oui oui, vous avez bien compris : vous allez vous bouffer toute la série ! :)  

"C'est encore loin ?
_ Ta gueule !" 

Où est-ce qu'on en était ? 

A la fin de "Serments et deuils", Fitz et son drôle de clan d'Art étaient sur le point de partir vers les contrées d'Outre Mer afin d'accompagner le prince Devoir dans sa quête. Souvenez-vous : lors de leurs fiançailles calamiteuses organisées à Castelcerf, la narcheska Elliania* lui avait lancé le défi d'aller sur l'île d'Aslevjal** pour y couper la tête de Glasfeu, un dragon prisonnier des glaces.

Ce onzième tome s'ouvre sur les appréhensions de notre bâtard royal préféré à l'aube de son grand départ, et se poursuit avec le très long et fastidieux voyage en mer jusqu'aux terres de la fiancée du prince _si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi. Seuls les derniers chapitres du "Dragon des glaces" auront pour décor les paysages outrîliens... Comme le laisse entendre Fitz à plusieurs reprises, rien n'est plus triste et ennuyeux que chevaucher les vagues des jours durant ; à plus forte raison lorsqu'on est ballotté au fond d'une cale. Ce n'est pas Lourd qui dira le contraire : malgré sa difficulté à comprendre l'environnement dans lequel il vit, l'homme fait partie du convoi exceptionnel car la puissance de son Art le rend indispensable au clan. Son importance est telle qu'on ne prête nulle attention à ses angoisses et à son mal de mer, pour son plus grand malheur ; aussi Fitz devra-t-il jouer les garde-malades en mer comme sur terre. Cloué à la cabine du jeune homme simple d'esprit comme une chèvre à son piquet, il aura tout le temps de se morfondre, de s'inquiéter pour tous ceux qu'il laisse derrière lui : Heur, Ortie, et surtout le Fou, mesquinement exclu du voyage par Umbre. Une fois à terre, d'autres sources de préoccupation s'ajouteront aux siennes ; les îles d'Outre Mer ne sont pas les Six-Duchés ! Les clans se tirent tous dans les pattes et la délégation de Castelcerf n'est la bienvenue que pour celui du Narval, représenté par la grand-mère de la jeune Elliania. Personne ne s'attendait à poser le pied sur des côtes clairement hostiles, et ce nouveau paramètre change la donne pour tout le monde, y compris pour ce "vieux renard" calculateur d'Umbre.

Pas de doute, ce n'est pas dans cet avant-avant dernier épisode de la série que vous perdrez le souffle en lisant des scènes de baston, des courses poursuites dans les combles du château ou autres attaques des pirates. Place à l'espionnage, à la force mentale et au pouvoir des rêves ! 

Après on s'étonne qu'Elliania soit piquante ! 


ATTENTION SPOILER ! 


Vis tes rêves, mais pas trop quand même !  

Fitz a du faire bien des concessions dans sa vie pour défendre les intérêts du trône des Loinvoyant ; mais lorsqu'il s'agit de sa fille, il reste intraitable. Bien sûr que la jeune Ortie, dotée d'une magie d'Art aussi puissante que celle de son "cousin" Devoir, pourrait apporter toute sa force au clan du prince ; mais elle perdrait gros : sa vie tranquille loin des dangers de la cour, et surtout sa famille. Est-il souhaitable qu'elle découvre que Burrich n'est pas son vrai père ? Rien n'est moins sûr. Pourtant, sans avoir jamais appris à gérer ses dons, Ortie a développé un pouvoir bien précis : celui de modifier les rêves des autres ; et devinez quoi ! elle va sauver Lourd du désespoir, à la demande de Fitz, et le débarrasser de son mal de mer en intervenant sur son sommeil, à travers la rêverie.

Est-ce que je vous ai dit que les scènes d'actions manquaient, dans "Le dragon des glaces" ? C'est faux : il y en a dans les rêves qu'Ortie et son "vrai" père partagent. Mais à trop la solliciter, celui qu'elle appelle "Fantôme de Loup", et dont elle n'a qu'une image onirique faussée, pourrait bien l'entraîner sans le vouloir au devant des pires dangers...  Les dernières scènes de ce tome mettront d'ailleurs Fitz au pied du mur et son prince lui demandera des comptes sur cette fille qui, en sauvant Lourd, s'est faite remarquer par tous les membres du clan. Si seulement le petit homme savait tenir un minimum sa langue ?


"Mais quel con !"

Des baffes !! 


Même si la toute jeune Malta et le Gouverneur Cosgo avaient suscité, pour ma part, une violente aversion dans Les Aventuriers de la Mer, jamais je n'avais été autant agacée par certains personnages dans L'Assassin Royal. Ah, si : Royal et Galen ! Mais ça date. Robin Hobb traite tellement bien son "huis clos sur navire" _après la partie de Cluedo à la cour, dans "Serments et deuils", qu'elle nous transmet les envies de meurtres qui nous passent par la tête lorsque traîne quelques semaines durant aux côtés de trois mêmes pelés qu'on n'a pas forcément choisis. Dans l'ordre, j'ai eu envie de baffer Leste, le fils mythomane de Burrich, insolent et fourbe comme pas deux. Fier à outrance de sa magie du Vif, on a presque envie de re-légitimer l'assassinat des vifiers à Castelcerf rien que pour lui. Maintenant habitué à son rôle de prof, Fitz saura garder son calme.  

Pas très loin derrière lui, Umbre joue les connards de première et se gausse du malaise de l'assassin royal lorsqu'il doit se résoudre à révéler à son prince l'identité d'Ortie. Insupportable. 

Lourd porte particulièrement bien son nom dans cette tranche de l'histoire : pris de mal de mer, il passera la première partie du voyage sur le pont... et y chopera une bonne crève, forcément. Alors il passera ses nerfs sur Fitz, parce que c'est forcément sa faute tout ça ; et entre deux reniflements, il lui mettra les bâtons dans les roues autant que faire ce peut. Des baffes, tiens ! 

Enfin, Trame. "Bah, mais il est tout gentil !". Oui, justement, il en fait trop alors qu'on lui demande absolument rien. A chaque fois, le vifier et sa mouette réussissent à se mettre ces grincheux de Leste et de Lourd dans leur poche en moins de trente secondes, et c'est terriblement énervant au regard des efforts du héros qui ne parvient pas à se faire respecter d'eux. A trop jouer le père de tout le monde, Trame en devient pénible, sinon douteux. Allez, des baffes aussi ! C'est gratuit ! 



Une société matriarcale


Attention, la délégation de Castelcerf débarque en terre inconnue, avec des valises de préjugés et des fantasmes exotiques bien précis : ça ne va pas être triste. Déjà, Zylig est une ville aussi dégueulasse que sa bouffe _essentiellement basée sur le pâté de poisson. Ensuite, Devoir et ses proches comprennent vite qu'ils ne sont pas en totale sécurité étant donné qu'on les a logés dans la maison forte avec la surveillance qui s'impose. Enfin, ces gens n'ont pas le même sens de l'accueil que les gens des Six-Duchés : selon eux, fournir la bouffe à des invités revient à les considérer comme faibles et incapables de se nourrir seul. Par conséquent, chaque arrivant prévoit sa gamelle, parce que c'est ça aussi, le respect ! 

Mais surtout, la grande différence entre les îles d'Outre Mer et les Duchés réside dans l'organisation hiérarchique de la société : puisque les hommes font les marioles en mer toute l'année, ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir sur terre, et pas qu'un peu. Si Robin Hobb avait déjà laissé entendre la pertinence d'une société matriarcale lorsqu'elle nous racontait Terrilville dans Les Aventuriers de la Mer, elle la met en scène sans rien laisser au hasard dans L'Assassin Royal. Bien qu'elle n'invente rien _ le mythe des Amazones (les copines de Xéna) ne date pas d'hier, elle recrée ,sans s'appesantir sur les détails, une société où les femmes ont acquis un ascendant sur les hommes ; de plus, elle parvient à traduire avec justesse le regard des hommes de Castelcerf sur ce "monde à l'envers". Cerise sur le gâteau, elle s'éclate en attribuant exclusivement la liberté sexuelle aux femmes, dès lors tout à fait libres de choisir le partenaire qu'elles souhaitent sans que l'homme ait clairement son mot à dire. Fitz ne se sortira de ce dangereux guêpier qu'en faisant croire à une demoiselle qu'il a trop envie de chier pour lui faire l'honneur de coucher avec _argument simple et efficace, tandis que le vieil Umbre se pliera sans broncher aux mœurs des îles. 

Notre seul regret sera que Robin Hobb ne nous ait pas dessiné une petite cartographie des îles d'Outre Mer, dans le style de celle des Six-Duchés, que l'ont peut lire à l'ouverture de chaque volume. Elle nous a été bien utile par le passé ! Enfin, c'est plus facile à dire qu'à faire, et j'ai qu'a la tracer moi-même si ça me manque tant, me direz-vous.

"Le dragon des glaces" plaira aux fans de la première heure, mais pourra se révéler ennuyeux pour les lecteurs qui n'apprécient pas la branlette de méninges _mais est-ce qu'on arrive au tome 11 de L'Assassin Royal si on n'aime pas ça, ne serait-ce qu'un peu ?... Le meilleur moment de ce livre ? La dernière phrase, tout simplement. Sachez-le, ça vaut la peine de bien lire jusqu'au bout ! 


_____________

*Gnagnagna, c'est un peu chiant à prononcer ! Voilà, c'était la note de pas de page foireuse, désolée ! 
** Bon bah j'ai perdu une dent ! 


Edition utilisée ici : 
ROBIN HOBB. L'Assassin Royal 11 - "Le dragon des glaces". Trad. A. Moustier-Lompré. Editions France Loisirs, 2007. Coll. Piment. 404 p. ISBN 2-7441-8735-6

Illustration couverture : John Howe. 
Site de l'illustrateur : http://www.john-howe.com/blog/ 

lundi 1 août 2016

L'assassin royal - 10 - Serments et deuils - Robin Hobb (2003)


D'un jour à l'autre, on se révèle plus ou moins bien inspirés lors de nos prises de décisions, d'initiatives ou de paroles : ce n'est pas FitzChevalerie qui nous dira le contraire. La lecture du dixième tome de l'Assassin Royal, "Serments et deuils" ne manquera pas de nous rappeler, à plusieurs reprises, à quel point il est frustrant de ne pouvoir remonter le temps pour gommer un acte commis dans la précipitation ou une parole maladroite. Depuis le début de la série, c'est sans doute cette partie de l'épopée des Loinvoyant qui met le plus à mal l'affect de la fine fleur de Castelcerf : confinés en attendant l'arrivée du printemps et le départ du Prince Devoir pour sa quête insensée du dragon Glasfeu, la reine Kettricken, Umbre, Astérie et les autres font tourner en bourrique le "Bâtard au Vif", qui ne sait plus où donner de la tête ! Entre conflits d'intérêt, souci du peuple, desseins personnels et loyauté envers la famille royale, il n'est pas besoin de braver la montagne ou la forêt pour tourmenter son âme : rester dans l'enceinte du château suffit. Rien de tel qu'on bon huis clos bien malsain pour faire resurgir et mijoter les vieilles rancoeurs...    




Où est-ce qu'on en était ? 


Les Secrets de Castelcerf s'était achevé sur le défi lancé au prince Devoir par sa fiancée Outrîlienne Elliania de se rendre sur l'île d'Aslevjal au printemps suivant pour y couper la tête du légendaire dragon Glasfeu. En attendant que les beaux jours reviennent, Fitz a de quoi occuper son hiver _car oui, il fera évidemment partie de l'expédition_ : dénicher les vifiers espions présents à la cour, en finir avec Laudevin et les autres Pie, remettre son fils sur le droit chemin, constituer et surtout former le clan d'Art du prince !

Ce programme déjà chargé sera plombé d'une série d'embûches plus ou moins prévisibles ; Fitz a perdu la moitié de son acuité sensorielle en même temps que son compagnon de Vif, ce qui le met en difficulté. De plus, il va être une fois de plus victime d'un de ses violents accès de colère et tuera trois ennemis d'un coup, manquant d'y laisser sa peau par la même occasion. Mais on se souvient que l'assassin royal est déjà ressuscité deux fois par le passé, et comme on le dit souvent : jamais deux sans trois !

D'artiseur imparfait, l'homme-lige des Loinvoyant va devenir contre son gré professeur et chef d'orchestre d'un clan d'Art bancal composé du prince, d'un serviteur handicapé mental et d'Umbre. Heur ne s'assagit pas, bien au contraire ! Sa relation avec la jeune Svanja lui donne des ailes et il est tenté de s'envoler loin de ses motivations premières, à savoir l'apprentissage du métier d'ébéniste.


ATTENTION ! Les prochains paragraphes donnent des informations sur la suite de la série !! 
     



Révélation, Hésitation, Fascination, Acceptation : le tome de toutes les différences 

"Ca va parler de nous ??"
Euh non non, c'est juste pour la blague ! 
"Ok, bah on repart, hein !!"

A plusieurs reprises, j'ai regretté que Robin Hobb fasse le choix de prêter à ses personnages principaux des attitudes particulièrement bienveillantes et des propos trop bien pensants ; mais ce n'est pas le cas ici. Fitz est confronté à deux situations où son ouverture d'esprit est sollicitée, et à deux reprises, c'est un fiasco _il essaiera de redresser le tir, hein ! c'est quand même un gentil_ : la déclaration d'amour du fou, qu'il repoussera sans ménagement et sans cacher son dégoût à se savoir aimé d'un gars (à supposer que c'en soit un), et l'inclusion de Lourd, un serviteur déficient mental, dans le clan d'Art qu'il est censé former autour du Prince Devoir. L'assassin royal se déroule dans un univers médiéval où il eût été difficile d'imaginer des types gay friendly et soucieux d'intégrer à la cour les personnes porteuses de handicap. On ne s'étonnera pas que Fitz essuie des remarques homophobes et que Lourd se fasse racketter par ses pairs dans l'enceinte-même du château. Or la phase d'acceptation viendra contre toute attente, et c'est pourquoi les livres de Robin Hobb savent nous redonner la patate en quelques lignes ; Devoir et Fitz s'adapteront progressivement à leur compagnon artiseur et le prendront rapidement sous leur aile pour améliorer ses piètres conditions de vie.

Les leçons d'Art racontées par l'auteur seront l'occasion de peindre des portraits psychologiques profonds des personnages sans que cela nous paraisse fastidieux ; en particulier celui d'Umbre Tombétoile, l'ancien mentor de Fitz que l'on suit depuis les tout premiers chapitres de la saga mais que l'on découvre ici sous ses aspects les plus noirs : ambitieux et avide de pouvoir, refusant de vieillir, compétiteur, calculateur, capable de vendre père et mère pour arriver à ses fins. On savait depuis toujours qu'il n'avait aucun scrupule à mener son apprenti assassin pour "la bonne cause", mais dans Serments et deuils, il devient carrément antipathique. 

Contrairement à la reine Kettricken qu'il conseille _mais dont il jalouse de plus en plus le trône, l'empoisonneur semble avoir beaucoup de mal à masquer son mépris des vifiers, également nommés membres du "Lignage". Faire venir à la cour des sujets porteurs de cette "magie" lui paraît saugrenu et dangereux ; il est vrai que, dans cet univers cruel où un homme est acclamé en héros parce qu'il a tué trois hommes pour une "bonne raison", la souveraine donne l'impression de sortir tout droit du monde des Bisounours. Son discours politique est une suite de mesures totalement désintéressées, plus symboliques de tolérance et d'égalité les unes que les autres ! Encore une fois, on fait fi des différences et on apprend à vivre ensemble ! Youhou, deux ou trois licornes pailletées et le tableau sera parfait !



Je ne sais pas si les lecteurs de L'Assassin royal auront un avis unanime à ce sujet _et si ce n'est pas le cas, tant mieux ! mais la conversation houleuse entre Fitz et le Fou est à mon sens la plus émouvante sur les dix premiers tomes. D'une part, parce que le Bâtard au Vif avoue qu'il perd pied en comprenant qu'il ne connaîtra jamais à cent pour cent son seul véritable ami, et d'autre part parce que la déclaration d'amour du Fou est à la fois sobre et déchirante de désespoir.

"Nous aurions pu vivre toute notre existence sans avoir cette conversation. Tu viens de nous condamner à ne jamais l'oublier" 

  
Malgré la stagnation des aventuriers à Castelcerf, la tension ne se relâche pas et les épées sortent des fourreaux sans se faire prier quand c'est nécessaire. Les différentes formes de magie se téléscopent jusque dans les rêves de Fitz et de sa fille Ortie. Il ne manque plus que les dragons ! Mais ça, c'est pour le prochain épisode... A suivre mais sans se précipiter, car il ne reste plus que trois volumes à lire avant la fin... 





Robin Hobb. L'Assassin Royal 10. "Serments et deuils". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions J'ai Lu, Coll. "Fantasy", 2014. 412 p. ISBN 978-2-290-34439-2
Illustration : Vincent Madras

mercredi 20 juillet 2016

L'assassin royal - 9 - Les secrets de Castelcerf - Robin Hobb (2003)


A chacun ses questions existentielles.... 



Après l'Attaque de la moussaka géante qui nous aura bien fait rire _et qui nous aura bien désespérés aussi, retournons dans l'univers fantastique et médiéval de Robin Hobb, où les gens ont le bon sens de se nourrir exclusivement de viande et de fromage, eux ! 


Où est-ce qu'on en était ? 

Ce tome 9 de L'Assassin Royal nous ramène à la cour de Castelcerf et nous la présente sous un aspect beaucoup plus attrayant qu'auparavant. Il faut dire que Fitz n'a plus le même point de vue : dans le premier cycle de ses aventures, il observait le monde depuis les écuries de Burrich en tâchant de se faire discret. A présent, sa fausse identité de Tom Blaireau, serviteur de Sire Doré, lui donne la clé d'à peu près toutes les portes du château, bien qu'il ait encore du mal à s'habituer à son rôle de domestique. Cela ne veut pas dire que sa vie est simple et que son futur s'annonce calme et paisible, loin de là ! L'Assassin est plus que jamais un pion de luxe dans l'échiquier du royaume des Six-Duchés ; tout en préservant le secret de ses origines, Umbre et la reine Kettricken lui font courir plusieurs lièvres à la fois : entre autres, la formation à l'Art du prince Devoir et la surveillance de la jeune fiancée outrîlienne de ce dernier. Ils ne se soucient guère des préoccupations personnelles de Fitz ; les Pie le poursuivent toujours et vont même jusqu'à l'intimider aux portes du château ; sa relation avec Jinna lui pose un problème de conscience ; Heur fait des siennes et pense plus à faire la cour à la volubile Svanja qu'à s'impliquer réellement dans son apprentissage. Comme le titre l'indique, Fitz se débat comme il peut dans le périmètre restreint de la cour de Castelcerf et cela nous donne une fausse impression de stagnation de l'intrigue.

Comme à l'issue du tome 7 qui nous remettait très très tranquillement dans le contexte des Six-Duchés, le lecteur a le sentiment de s'être replié dans les instants de calme qui précèdent la tempête ; que vont faire les personnages ? on ne le sait pas encore, mais ils vont bouger de là, c'est certain. Alors qu'ils profitent bien de leurs querelles d'enfants, de leurs parties de chasses et et menues intrigues de la cour. Bientôt, ils vont devoir passer aux choses sérieuses. 



Faites des gosses !

Force est de constater que, malgré la prestance et la droiture de la souveraine Kettricken, malgré la perspicacité de son conseiller Umbre, ce sont des jeunes gens irréfléchis qui vont décider de la suite des événements. En effet, Les Secrets de Castelcerf marque l'apparition d'une poignée de nouveaux personnages hauts en couleurs, dont la petite princesse Elliania, "narcheska" du pays des Runes de Dieu. Promise au prince Devoir pour sceller une alliance politique entre les Six-Duchés et les anciens ennemis Outrîliens, elle semble résolue à faire honneur à son peuple en acceptant de mauvaise grâce ce mariage arrangé. De son côté, Devoir a beau faire appel à toute sa sagesse de futur roi, il ne sait voir en elle la petite fille qu'elle est, et le lui fait maladroitement sentir en s'adressant à elle lors d'une banale partie de jeux. Elliana lui fera payer cher cet affront, abandonnant le lecteur à mi-chemin entre l'amusement et l'inquiétude. Le fils de Kettricken et de Vérité a bien du mal à garder son calme face à ses propres erreurs et à l'exaspérante naïveté qui lui joue sans cesse des tours. Celui qui se fait passer pour Tom Blaireau tente de le canaliser et de lui enseigner comme il peut ses techniques d'artiseur, pour qu'il puisse au moins se protéger face à d'éventuelles tentatives de pénétration de son esprit. Mais le maître apprendra tout autant que l'élève lors de ces leçons, et en particulier le fait qu'on ne s'improvise pas professeur.




En miroir, un autre adolescent en plein bourgeonnement rue dans les brancards : Heur. Largué trop vite dans la vie citadine, l'apprenti ébéniste tombe dans tous les pièges qui se présentent à lui : les mauvaises fréquentations, les filles, la boisson, la tentation de veiller tard. Fitz souffre de n'avoir plus beaucoup de prise sur lui, et culpabilise pas mal. Il n'aura donc pas même réussi à accompagner son fils adoptif jusqu'à l'âge adulte sans encombre ? Robin Hobb parle ici des responsabilités à prendre lorsqu'on a la charge d'un enfant, et de celles qui relèvent directement du jeune adulte pas encore émancipé mais déjà en mesure d'anticiper les conséquences de ses actes. Qu'on soit d'accord ou pas avec ses propos, elle a le mérite de donner à réfléchir sur ces questions d'éducation qu'on se pose tous un jour ou l'autre.           

Attention : des moments clés de l'intrigue vont être dévoilés ! Arrêtez-vous là si vous compter lire le livre.   




Le retour des Aventuriers de la Mer  

Les amateurs de la série ne contesteront pas si je leur dis que la grande joie de ce volume, c'est l'arrivée impromptue dans l'action de Jek, Selden, Sérille et de quelques autres personnages déjà rencontrés dans les Aventuriers de la Mer (qu'il faut lire avant de s'attaquer au deuxième cycle de l'Assassin Royal, j'en suis plus que jamais convaincue). On avait laissé Selden encore enfant, fasciné par la naissance de ses écailles autant que par la dragonne Tintaglia ; le voici deux ans plus tard, demandant avec assurance à Kettricken de s'allier avec Terrilville dans le conflit qui les oppose aux Pays Chalcèdes. De nouveaux mystères naissent, tandis que d'autres prennent fin : Selden choppe Fitz dès qu'il peut et voit en lui quelqu'un d'exceptionnel ; l'homme au Vif ne voit pas où il veut en venir, et son seul désir consiste à fuir au plus vite ce monstre à écailles. Affaire à suivre. Il faut dire que le bâtard des Loinvoyant accuse le coup de sa dernière révélation : il vient d'apprendre que le Fou lui a fait des cachotteries, alors qu'il le considérait comme son plus proche ami. En le découvrant sous sa forme d'Ambre, et en le/la voyant échanger gaiement avec Jek d'aventures et de personnes qui lui sont inconnues, il se sent floué et exclu. En conséquence, il décide de lui faire la gueule, comme un bon gros lourdingue. Il se gardera bien de dire ce qu'il pense d'un autre coup de théâtre d'envergure : l'amour inconditionnel et impossible d'Ambre/du fou pour lui, matérialisé par la figure de proue de la vivenef Parangon.   


En conclusion : on ne sait pas où on va, mais on y va ! FitzChevalerie semble toujours tomber des nues malgré son expérience de la vie, et ses nombreuses missions font qu'il n'a pas le temps de s'apitoyer sur l'absence d'Oeil-de-Nuit. Arrivera-t-il à dompter enfin ce destin dont il n'a jamais pu prendre les rênes ? Rien n'est moins sûr.. L'Assassin royal 9 est peut-être moins intense que le précédent, sans doute à cause de l'impression de huis clos à la mode Castelcerf, mais sa lecture n'en est pas moins agréable. 


Sur ce...

Robin Hobb. L'Assassin Royal 9. "Les secrets de Castelcerf". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2006. 480 p. ISBN 2-7441-7380-0
Illustration : Stephen Youll 



dimanche 3 juillet 2016

L'assassin royal - 8 - La secte maudite - Robin Hobb (2003)


Encore une année scolaire qui se termine, avec, du côté de l'équipe éducative, ce traditionnel chapelet de départs pour cause de "mutation" si caractéristique des établissements du 93... Pourtant, il faut croire que les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas : habituellement, je suis triste et nostalgique avant l'heure de voir partir mes collègues vers d'autres horizons, au point de larmoyer en pensant au vide qu'ils vont laisser derrière eux. Mais ces derniers temps, allez savoir pourquoi ? Est-ce que je m'endurcis ? Est-ce que j'ai fini par comprendre que personne n'était irremplaçable et qu'un très bon prof succédait toujours à son prédécesseur ? Est-ce que je suis contente qu'il y ait de moins en moins d'adultes pour entretenir la mémoire de mes débuts laborieux ?... Parmi tous ceux à qui l'on a souhaité bonne route jeudi soir, il y en avait que j'étais vraiment contente de voir partir, et dont je me suis payée le luxe de ne pas signer la carte. Etre une championne de l'hypocrisie n'empêche pas d'avoir des principes de temps en temps.   

Bizarrement, je me suis sentie frustrée de ne pouvoir partager ma satisfaction avec qui que ce soit dans le collège : ces personnes ont beaucoup donné pour les enfants et ont acquis le respect et la reconnaissance de tous les adultes au fil du temps, ce qui rendrait mon aversion pour eux bien incompréhensible aux yeux des autres, si elle venait à être révélée. Ne pas les pleurer, c'est déjà cracher dans la soupe... Alors, affirmer ouvertement qu'on est content qu'ils s'arrachent revient à se tirer une balle dans le pied. Vous savez, dans un collège ou les enseignants ont en moyenne dix-quinze ans de plus que les élèves, confier le fond de sa pensée à une personne aboutit au même résultat qu'un affichage en règle sur le tableau de la salle des profs...   

Dans ces moments-là, j'avoue qu'il ferait bon avoir un loup comme celui de FitzChevalerie, une bête pleine de sagesse et toujours à l'écoute, avec qui je pourrais partager mes impressions sans me risquer à parler...      


Ahah, transition de ouf !! 

Où est-ce qu'on en était ?  

Sous le ciel des Six-Duchés, avoir le Vif n'a jamais été bien vu ; Fitz en sait quelque chose. Dans son enfance déjà, il avait appris à ses dépens que son don inné de se connecter avec des animaux pouvait le reléguer au rang de paria et causer sa mort. Plus tard, il avait rencontré un groupe d'hommes et de femmes semblables à lui, et il avait appris grâce à eux à gérer sa relation fusionnelle avec Oeil-de-Nuit. A présent, sa nouvelle mission royale le replonge dans les travers d'une société qu'il n'avait pas quitté sur un simple coup de tête : il doit ramener au bercail le prince Devoir qui s'est enfui de Castelcerf pour d'obscures raisons. Il semblerait que le fils de Kettricken et de Vérité soit lui aussi un "vifier", et qu'il n'en ressente aucune honte ; or, son statut ne le préservera pas de la torture et de l'exécution si ces soupçons viennent à se confirmer. Raison de plus pour remettre la main dessus au plus vite. Sous leurs faux nom de "Tom Blaireau" et de "Sire Doré", Fitz et le Fou suivent la trace du jeune homme...  


La secte du Vif 

Le tome 8 de L'Assassin royal s'intitule "La secte maudite" ; or, par chez nous, qui dit secte dit...


...Témoins de Jéhovah, alias ces gens qui toquent à ta porte en lisant la Bible pour t'extorquer des sous ;
et qui, de surcroît, refusent de se faire vacciner ! 
On ne voit pas bien le rapport, me direz-vous, alors je vous explique. Dans cette ambiance tendue pour eux, quelques vifiers du peuple se regroupent et dénoncent les nobles atteints de la même "tare" qu'eux afin de les faire chanter et de se faire entendre : pourquoi les paysans seraient-ils exécutés et brûlés pour sur simple dénonciation d'usage du Vif alors que, lorsque la même magie touche le haut du panier, on se contente de la dissimuler bien comme il faut ? Prenant pour emblème le Prince Pie, un Loinvoyant exclu et tué pour avoir utilisé le Vif à mauvais escient, ce groupuscule utilise le chat de Devoir pour l'attirer dans un traquenard et le prendre en otage...


Loup enragé  

Evidemment, le fils de Vérité, du haut de ses quinze bananes, n'y a vu que du feu. A la veille de ses fiançailles arrangées avec une gamine des îles d'Outre-Mer, l'adolescent se laisse prendre au jeu d'une passion dévorante pour une femme mûre qu'il n'a jamais rencontrée, mais qui communique avec lui par le biais de sa compagne de Vif : la marguette qui lui a été offerte par la famille Brésinga de Myrteville... chez qui séjournent Fitz, le Fou et Laurier, la grand-veneuse de Kettricken. C'est grâce à ce passage à Myrteville, à la relation d'Art qui se développe entre Fitz et Devoir, et surtout au dévouement du loup Oeil-de-Nuit que la fine équipe met assez rapidement la main sur le prince en fuite, au grand dam de ce dernier. Convaincu que sa belle l'attend, il refusera d'abord d'entendre les désagréables révélations de Fitz, agacé, ne mâchera pas ses mots : il n'y a pas de bonne femme au bout du chemin, seulement une joyeuse troupe de Fidèles du Prince Pie.    

En effet, le héros n'a pas gagné en patience avec l'âge... Par deux fois dans ce roman, on le voit saisi d'une rage incontrôlable qu'on lui connaît peu, doublée d'une intention de tuer qui ne sera déboutée qu'in extremis... De plus, et pour la première fois depuis le début de la série, le Fou et Oeil de Nuit reconnaissent avoir eu peur que la situation ne leur échappe, et se sont effrayés que le Bâtard au Vif soit pris d'une telle soif de sang. Bizarrement, j'ai beaucoup aimé ces moments de perte de contrôle et de vivacité meurtrière, presque bestiale, et pourtant si différente de la sagesse de son brave loup : ils ont su redonner de la consistance à ce personnage qui a tout juste passé la trentaine mais qui ne cesse de se prendre pour un vieillard moche engagé sur une pente descendante.



Vieillissement, mort et autres réjouissances 

Si, dans le volume précédent, on avait fait la fine bouche en se plaignant du trop peu d'action et du grand nombre de gros plans sur Fitz en train de se couper du fromage ou de faire infuser sa tisane, tout cela est aujourd'hui bien loin. "La secte maudite" nous emmène partout, du domaine de Myrteville à la forêt, dans une caverne puis en ville, en passant par la fameuse île des Autres qui ouvre la série des Aventuriers de la Mer. Fitz y trouvera d'ailleurs des plumes de bois... peut-être celles qui s'adaptent à la couronne trouvée par Ambre dans "Les marches du trône" ? Partout, oui, mais en traînant la patte, tout de même. Oeil-de-Nuit est usé jusqu'à la corde, et, comme on pouvait s'y attendre, l'inévitable se produit. L'assassin royal se retrouve seul de nouveau, en tête à tête avec une peine qu'il ne peut partager avec personne, et qu'on lui laisse : à force de voir le loup souffrir, baver de fatigue, grincer des articulations depuis cinq cent pages, le lecteur vit presque la mort de l'animal comme une délivrance... Devoir perd lui aussi sa compagne de Vif : possédée par l'âme d'une femme qui refusait de mourir, l'enveloppe de la marguette s'était consumée à grande vitesse.

L'acceptation de la disparition de l'autre sera laborieuse pour les deux autres, qui apprennent au fil du temps à se connaître. Un peu naïf et empoté sur les bords, le jeune Devoir finit par comprendre que Tom Blaireau n'est pas seulement le serviteur bourru de Sire Doré, mais ne parvient pas à mettre le doigt sur son identité réelle. Troublé par la soudaine curiosité du fils de Kettricken, Fitz se fait violence pour le laisser dans le flou ; moins il en saura, mieux ce sera pour tout le monde...

Comme d'habitude, un livre parfait pour tous les amis des animaux, les amateurs de bastons dans la forêt et de tempêtes dans les cerveaux !

Robin Hobb. L'Assassin Royal 8. "La secte maudite". 2001, parution française en 2003
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2004. 450 p. ISBN 2-7441-6893-9
Illustration : Stephen Youll 









   
      

dimanche 1 mai 2016

L'assassin royal - 7 - Le prophète blanc - Robin Hobb (2001)


Quand y en a plus, y en a encore ! 

Pas plus tard que le mois dernier, je me lamentais tellement de voir la saga des Aventuriers de la Mer se terminer que vous avez failli voir des larmes couler sur votre écran, ce qui vous aurait sûrement saoulés plus qu'autre chose. Il m'a donc paru judicieux, dans l'intérêt de tous, d'entamer la lecture du deuxième cycle de L'Assassin Royal, qui comme vous le savez (ou pas), s'inscrit dans le même univers que celui des Aventuriers de la Mer.    


Où est-ce qu'on en était ? 

Quinze années se sont écoulées depuis que FitzChevalerie et ses (rares vrais) amis ont terminé leur mission royale. Traumatisé, fatigué, lassé de tout, et par dessus tout, mort pour la plupart de ceux qui l'ont connu, le "bâtard au Vif" a tiré un trait sur sa vie d'assassin royal. Il a réalisé son rêve d'enfant : prendre les rênes de son destin, et mène une existence simple, à l'écart de la société. Pour les rares personnes qu'il croise lorsqu'il va vendre de l'encre sur les marchés, il n'est plus Fitz mais Tom Blaireau. Seuls un jeune orphelin et son vieux loup Oeil-de-Nuit partagent son quotidien, et les liens ténus qu'il garde avec son passé se résument aux visites occasionnelles de la ménestrelle Astérie Chant d'Oiseau. Hors du temps, loin de la cour, il a presque réussi à enfouir ses douleurs les plus lancinantes : d'une part le fait que Molly et Burrich aient fondé une famille, d'autre part l'idée qu'il ne connaîtrait jamais sa fille. 


Un jour pourtant, la venue de son ancien mentor Umbre Tombétoile, vient lui rappeler que les bonheurs simples ne siéent pas à son destin de Loinvoyant. Selon les dires du maître empoisonneur, on aurait de nouveau besoin de lui à la cour de Castelcerf, non plus pour jouer les assassins mais en tant que formateur : le prince Devoir est en âge d'apprendre l'Art. Fitz refuse en bloc de suivre le vieil homme ; mais ce dernier ne repart pas bredouille pour autant. Il a semé une graine de doute dans le coeur son disciple. 

Famille de sang, famille de coeur, famille de Vif 

En effet, dès le départ d'Umbre, Fitz se retrouve seul à cogiter dans sa chaumière déserte : doit-il être fier de cette vie simple qu'il s'est choisi, ou se lamenter sur ce qu'il aurait pu être si tout n'avait pas été biaisé dès sa naissance ? Le temps des questions existentielles est revenu, même s'il tente toujours d'oublier la longue liste de ratages que fut sa vie d'avant : né avec une étiquette de bâtard ; élevé à la cour dans le secret, non pas pour lui-même mais pour commettre des meurtres à la place de la famille royale : placé chez un maître d'Art désireux de le faire échouer ; pas assez noble pour accéder au trône mais trop pour épouser une fille du peuple : porteur du très mal vu don du Vif ; sauveur de sa lignée, puisque le roi Vérité devenu impuissant a juste utilisé son jeune corps, tranquille ! pour féconder la reine ; mais néanmoins menacé de mort ; par conséquent, "officiellement" mort pour les être qui lui sont chers ; condamné à voir sa femme refaire sa vie avec l'homme qui l'a élevé, à savoir que sa fille ne le connaîtra jamais et que l'un de leurs enfants porte son nom en souvenir de lui... Non, pourquoi remuer la merde ? La semi-noblesse de son sang ne lui a attiré que des problèmes et il n'est plus un Loinvoyant, si tant est qu'il l'ait jamais été ! En fin de compte, le taciturne Tom Blaireau ne s'en sort pas si mal. Et pourtant... Fitz sait au fond de lui qu'il va céder à l'appel de la cour, à un moment ou à un autre ; cette idée le révulse et pique sa curiosité en même temps.         

Si vous comptez lire ce livre, arrêtez-vous là ! On va rentrer dans le Vif du sujet (ahahah). 



Oeil-de-Nuit ne peut pas pleinement partager son trouble, lui qui a toujours perçu les humains comme une entrave à leur fraternité : il se considère comme sa seule vraie famille à présent, et n'a-t-il pas raison ? Umbre et Astérie sont bien aimables mais ils ne viennent le voir que lorsqu'ils ont une idée derrière la tête. Quant au jeune Heur, il est parti à la découverte de Castelcerf avec la ménestrelle, justement. Il faut bien que ce petit voie du monde ! Si le Bâtard a choisi la vie d'ermite, il n'entend pas l'imposer à celui qu'il considère comme son fils d'adoption. De toute façon, l'orphelin ne le connaît que sous l'identité de Tom Blaireau (paye ta relation père-fils bien malsaine) et n'aurait guère pu le comprendre.  

Parce que les liens du sang n'ont plus de sens pour lui, parce qu'il a trop de secrets pour ceux qu'il aime et de méfiance envers eux, parce que son amante le déçoit, Fitz mise tout sur son lien de Vif avec son loup. C'est le coeur serré qu'il le voit vieillir, et qu'il sent l'animal se détacher peu à peu de lui, lucide quant à son état de santé et trop fier pour se laisser chouchouter comme un chien infirme par son frère bipède. On se souvient qu'à une époque, ce don de communication avec les animaux a sauvé la vie de l'empoisonneur, mais elle peut à présent lui coûter sa tête ; car il semblerait qu'à Castelcerf, tout le monde soit très remonté contre les "vifiers". Les dénonciations vont bon train, et le prince Devoir lui-même est soupçonné d'être trop proche de sa chatte de chasse (oui oui...). Raison de plus pour ne pas quitter sa campagne... Et pourtant... 

Fitz fait un peu son Bilbon, à plus vouloir sortir de chez lui...
Mais sa cabane a l'air moins classe qu'un trou de Hobbit.


Fitz, ce tombeur 

Si Umbre ne parvient pas tout à fait à convaincre Fitz de partir sur le champ, un autre revenant de l'Assassin Royal va presque y parvenir : le Fou. C'est à travers ce fascinant personnage aux multiples casquettes qu'on se rend compte qu'il vaut mieux avoir lu les Aventuriers de la Mer avant d'attaquer Le Prophète Blanc. L'idéal serait aussi d'avoir bien en tête le premier cycle, également... ce qui n'est pas mon cas. Heureusement, de nombreux rappels sont faits dans ce tome 7... ou malheureusement pour ceux qui enchaînent les tomes 6 et 7, car ce doit être un peu lourd pour ces lecteurs-là. Sans vouloir trop en dévoiler, sachez seulement que le Fou va ici sortir l'artillerie lourde pour se dissimuler aux yeux de ses semblables afin d'apparaître sous le nom du précieux et exigeant Sire Doré. L'énergumène est toujours autant épris (éprise ?) de Fitz bien que celui-ci ne semble toujours pas mesurer la profondeur de ses sentiments, bête comme il est. Ouais, l'excuse de la jeunesse ne passe plus à présent ! 


J'ai piqué cette illustration sur le Tumblr de Camille Talon.
Allez y faire un tourc'est trop beau ! 


J'y vais, j'y vais pas

Le Bâtard au Vif est plus que jamais agaçant ; pendant 200 pages, on le voit se torturer l'esprit tout en rangeant sa cabane, toujours plus indécis. Sur le choix à faire, puis sur la date du départ. Comment dire, après avoir été habitués à des aventures toujours plus périlleuses et à de l'action sans relâche, le lecteur pourrait bien trouver ce début de cycle un peu longuet. On a parfois eu l'impression que Robin Hobb a écrit, écrit, mis en scène des visites et de nouveaux personnages en se disant qu'à force de dialogues et de digressions, une idée de suite finirait bien par arriver au bout de sa plume. Mais bon, Fitz, c'est un peu un ami de la famille, et on sait que quand il va s'y mettre, tout va s'accélérer et on sera bien contents d'avoir gardé des forces jusque là ! Alors on lui pardonne, tout comme on accepte que sa créatrice laisse entrevoir, à l'issue de ce volume, des perspectives moins alléchantes que dans ses précédents ouvrages... Ca reste génial, et ça se lit toujours aussi vite ! 

Robin Hobb. L'Assassin Royal 7. "Le prophète blanc". 2001, parution française en 2003
Présente édition : J'ai Lu, 2007. 412 p. ISBN 978-2-290-33770-7. 8,00€ 
Illustration : Vincent Madras


dimanche 15 avril 2012

Les Aventuriers de la Mer 1 - Le vaisseau magique - Robin Hobb (1998)



Comme convenu, je me suis mise à la lecture de la saga des Aventuriers de la Mer, qu'il est conseillé de commencer après le tome 6 de L'Assassin Royal. Normalement, si Robin Hobb use aussi bien de son pouvoir de séduction que la dernière fois, on est partis pour neuf livres de poche : l'édition française a une nouvelle fois fait fonctionner la cisaille et découpé en petites parts les trois pavés de la version originale. Quelle importance, me direz-vous, du moment que le texte intégral soit respecté ? Eh bien, il me semble qu'ici, le saucissonnage n'ait rien d'un détail.

L'histoire 

La mort du capitaine Ephron Vestrit, illustre représentant d'une dynastie de navigateurs marchands de Terrilville, met fin aux non-dits et sème la discorde dans la famille : Ronica, la veuve, fait ce qu'elle peut pour sauver l'honneur des Vestrit et éviter la faillite qu'une concurrence déloyale rend presque inéluctable. C'est pour le bien de tous qu'elle s'est efforcée de convaincre Ephron d'attribuer tout son héritage, et notamment sa précieuse "vivenef", à Kyle, leur gendre avide de pouvoir et assez peu scrupuleux pour forcer son fils, le jeune prêtre Hiemain, à intégrer l'équipage. Althéa, la fille cadette au caractère fort, se sent flouée. Elle ne comprend pas que la Vivacia ne lui soit pas revenue de droit, elle qui connait si bien le navire et qui est coutumière des voyages en mer. Heureusement, le marin Brashen n'hésite pas à faire l'impasse sur ses propres problèmes pour veiller sur elle. Non loin de là, le pirate Kennit vogue sur la Marietta à la recherche de butins de choix, en se passionnant pour les serpents de mer carnivores qui peuplent les fonds marins. 


       
Robin Hobb a choisi de faire évoluer les personnages des Aventuriers de la Mer dans le même univers médiéval que ceux de l'Assassin Royal ; les noms de Terrilville, des Rivages Maudits, du Pays Chalcède, qui tenaient lieu de destinations exotiques pour Fitz et ses amis solidement implanté dans le royaume terrien des Six Duchés, sonneront clair à l'oreille des habitués. Que les novices ne fuient pas pour autant : une cartographie accompagne l'ouvrage, comme dans tout roman d'heroic fantasy qui se respecte. Au contraire, ils partent avantagés, car la tentation de la comparaison des deux histoires parallèles est d'autant plus grande que nous nous efforçons d'y échapper. Il y a quand même de quoi être dépaysé : point d'Art, de Vif et de cour princière, mais des marins, des pirates, des serpents de mer amateurs de chair humaine morte ou vive, des navires et surtout des vivenefs, des bateaux à la figure de proue vivante rattachés à leur capitaine par un lien fort.  

Les pièces du puzzle 
Alors que l'Assassin Royal ne laissait planer aucun doute sur la place prépondérante de Fitz, "Le vaisseau magique" s'ouvre sur plusieurs fragments de destins, que l'on sait d'avance voués à se rencontrer, certes, mais qu'on ne peut pas rapprocher pour l'instant. C'est ici que je me permettrai de remettre en cause la pertinence -autre que financière- du "découpage" de l'oeuvre en 9 volumes de poche : à la fin des 316 pages, on est plus désarçonnés par la quantité d'informations livrée sur tous les personnages importants que tenus en haleine par un dernier chapitre plein d'entrain. La saga des Aventuriers de la mer n'a sans doute pas été rédigée pour être hachée aussi menu.

"Pirates !!!"
Pour revenir à la diversité des portraits proposés, disons qu'il est tout à fait vain d'essayer de déterminer un héros. Si plusieurs figures incontournables se dessinent petit à petit, il faut s'attendre à ce que plusieurs "aventuriers" soient tous logés à la même enseigne du début à la fin de la saga. S'ils ont comme points communs l'instinct de survie, la mer, l'amour des beaux navires rapides, et sont tous guidés par un passé qui les a rendus lourds d'amertume ou assoiffés de vengeance, ce sont leurs préoccupations personnelles les précipitent les uns vers les autres. Même sur un bateau vivant et capricieux, des gens se croisent sans se douter que leurs vies serons plus tard indissociables.        

Aventures en mer 
L'univers des marins et les histoires de pirates _ clairement annoncé dans le titre, on est prévenus _ ne m'a jamais vraiment emballée, hormis l'Ile au trésor de Stevenson que j'ai du relire vingt fois ; mais c'est bien l'exception qui confirme la règle. Je n'ai toujours pas réussi à regarder "La Malédiction du Black Pearl" en entier, alors que les trois premiers DVD de Pirates des Caraïbes moisissent d'ennui dans leur boîte depuis plus de deux ans. Si la lecture de ce roman ne m'a pas été pénible du tout, c'est parce que Robin Hobb accorde toujours une importante dimension psychologique à ses intrigues. 



"Les copains d'abord, les copains d'abord"
Ah non, c'est pas ça...

Il faut aussi signaler que dans ce premier temps de l'histoire, beaucoup d'événements, de débats et de grandes décisions prennent corps à terre.

Je crois que je deviens chiante ... 
... mais j'ai quand même deux ou trois remarques négatives à faire partager. Il paraît que les "suites" de livres ou de films sont toujours un peu décevantes ; on pourrait plutôt dire que le lecteur ou le spectateur devient plus exigeant lorsque la barre est placée très haut et que l'effet de surprise n'a plus lieu d'être. Ce doit être mon cas, d'autant plus que je ne peux m'empêcher de créer des liens avec Fitz et compagnie ; or, ces liens m'amènent à penser que la mythologie des Aventuriers de la mer n'est rien de plus qu'une version exotique de celle déjà connue dans l'Assassin Royal. C'est peut-être voulu, d'ailleurs, étant donné que tous vivent dans le même univers :

- Le dieu El devient le dieu Sa
- Le Vif et l'Art sont remplacés par le lien entretenu entre un humain et sa vivenef 
- Fitz et Althéa se font écho dans leurs actes et dans leurs paroles _ souvent irréfléchis
- Les dragons laissent place aux serpents de mer
Oui, rien qu'en dressant la liste, je me dis de plus en plus que les ressemblances sont volontaires.  

Althéa Vestrit, l'une des multiples figures du roman, fait aussi figure d'ombre au tableau ; c'est le type-même de l'enfant gâtée qui se pense rebelle mais qui est juste chiante à baffer à force de ramener sa fraise. Il s'agit d'une héroïne forte et téméraire, pas du tout féminine évidemment, puisque les femmes pleurent et n'ont pas le pied marin, c'est bien connu ! Althéa est le pendant inversé de sa soeur Keffria, une jeune mère qui se déshydratera sans doute avant la fin du cycle. Ceux qui connaissent la série télévisée sur fond de fantasy médiévale La Caverne de la Rose d'Or (années 90) pourront identifier Althéa à la courageuse Fantaghiro, et Keffria à Catherine, la grande soeur blonde qui renifle sans cesse. 

Enfin, la prise en considération omniprésente des "liens du sang" dans cette histoire où il est beaucoup question d'héritages, de partage, et de la légitimité d'accéder ou non à certains biens, m'a un peu dérangée. Bien entendu, l'univers médiéval rend indispensable cette notion de "bâtardise", de "sang pur", de "non, t'es adopté, ça compte pas". Mais, Robin Hobb s'en sert un peu trop pour souligner les inégalités de l'héritage : Kyle, le "méchant", est celui qui est un Vestrit "par alliance" ; la vivenef réveillée ne peut reconnaître son "sang" et ne communiquera qu'avec un "vrai" membre de la famille. Le mérite n'a-t-il donc pas sa place dans Les Aventuriers de la Mer ? Rien n'est moins sûr ; verdict dans les volumes suivants !     
       

Hobb, Robin. Les aventuriers de la mer. "Le vaisseau magique". Paris. Flammarion. Coll. "J'ai lu". 1998. 316p. ISBN 2-290-32571-6

Illustration du livre de poche de l'édition Flammarion, coll. "J'ai lu":