dimanche 1 mai 2016

L'assassin royal - 7 - Le prophète blanc - Robin Hobb (2001)


Quand y en a plus, y en a encore ! 

Pas plus tard que le mois dernier, je me lamentais tellement de voir la saga des Aventuriers de la Mer se terminer que vous avez failli voir des larmes couler sur votre écran, ce qui vous aurait sûrement saoulés plus qu'autre chose. Il m'a donc paru judicieux, dans l'intérêt de tous, d'entamer la lecture du deuxième cycle de L'Assassin Royal, qui comme vous le savez (ou pas), s'inscrit dans le même univers que celui des Aventuriers de la Mer.    


Où est-ce qu'on en était ? 

Quinze années se sont écoulées depuis que FitzChevalerie et ses (rares vrais) amis ont terminé leur mission royale. Traumatisé, fatigué, lassé de tout, et par dessus tout, mort pour la plupart de ceux qui l'ont connu, le "bâtard au Vif" a tiré un trait sur sa vie d'assassin royal. Il a réalisé son rêve d'enfant : prendre les rênes de son destin, et mène une existence simple, à l'écart de la société. Pour les rares personnes qu'il croise lorsqu'il va vendre de l'encre sur les marchés, il n'est plus Fitz mais Tom Blaireau. Seuls un jeune orphelin et son vieux loup Oeil-de-Nuit partagent son quotidien, et les liens ténus qu'il garde avec son passé se résument aux visites occasionnelles de la ménestrelle Astérie Chant d'Oiseau. Hors du temps, loin de la cour, il a presque réussi à enfouir ses douleurs les plus lancinantes : d'une part le fait que Molly et Burrich aient fondé une famille, d'autre part l'idée qu'il ne connaîtrait jamais sa fille. 


Un jour pourtant, la venue de son ancien mentor Umbre Tombétoile, vient lui rappeler que les bonheurs simples ne siéent pas à son destin de Loinvoyant. Selon les dires du maître empoisonneur, on aurait de nouveau besoin de lui à la cour de Castelcerf, non plus pour jouer les assassins mais en tant que formateur : le prince Devoir est en âge d'apprendre l'Art. Fitz refuse en bloc de suivre le vieil homme ; mais ce dernier ne repart pas bredouille pour autant. Il a semé une graine de doute dans le coeur son disciple. 

Famille de sang, famille de coeur, famille de Vif 

En effet, dès le départ d'Umbre, Fitz se retrouve seul à cogiter dans sa chaumière déserte : doit-il être fier de cette vie simple qu'il s'est choisi, ou se lamenter sur ce qu'il aurait pu être si tout n'avait pas été biaisé dès sa naissance ? Le temps des questions existentielles est revenu, même s'il tente toujours d'oublier la longue liste de ratages que fut sa vie d'avant : né avec une étiquette de bâtard ; élevé à la cour dans le secret, non pas pour lui-même mais pour commettre des meurtres à la place de la famille royale : placé chez un maître d'Art désireux de le faire échouer ; pas assez noble pour accéder au trône mais trop pour épouser une fille du peuple : porteur du très mal vu don du Vif ; sauveur de sa lignée, puisque le roi Vérité devenu impuissant a juste utilisé son jeune corps, tranquille ! pour féconder la reine ; mais néanmoins menacé de mort ; par conséquent, "officiellement" mort pour les être qui lui sont chers ; condamné à voir sa femme refaire sa vie avec l'homme qui l'a élevé, à savoir que sa fille ne le connaîtra jamais et que l'un de leurs enfants porte son nom en souvenir de lui... Non, pourquoi remuer la merde ? La semi-noblesse de son sang ne lui a attiré que des problèmes et il n'est plus un Loinvoyant, si tant est qu'il l'ait jamais été ! En fin de compte, le taciturne Tom Blaireau ne s'en sort pas si mal. Et pourtant... Fitz sait au fond de lui qu'il va céder à l'appel de la cour, à un moment ou à un autre ; cette idée le révulse et pique sa curiosité en même temps.         

Si vous comptez lire ce livre, arrêtez-vous là ! On va rentrer dans le Vif du sujet (ahahah). 



Oeil-de-Nuit ne peut pas pleinement partager son trouble, lui qui a toujours perçu les humains comme une entrave à leur fraternité : il se considère comme sa seule vraie famille à présent, et n'a-t-il pas raison ? Umbre et Astérie sont bien aimables mais ils ne viennent le voir que lorsqu'ils ont une idée derrière la tête. Quant au jeune Heur, il est parti à la découverte de Castelcerf avec la ménestrelle, justement. Il faut bien que ce petit voie du monde ! Si le Bâtard a choisi la vie d'ermite, il n'entend pas l'imposer à celui qu'il considère comme son fils d'adoption. De toute façon, l'orphelin ne le connaît que sous l'identité de Tom Blaireau (paye ta relation père-fils bien malsaine) et n'aurait guère pu le comprendre.  

Parce que les liens du sang n'ont plus de sens pour lui, parce qu'il a trop de secrets pour ceux qu'il aime et de méfiance envers eux, parce que son amante le déçoit, Fitz mise tout sur son lien de Vif avec son loup. C'est le coeur serré qu'il le voit vieillir, et qu'il sent l'animal se détacher peu à peu de lui, lucide quant à son état de santé et trop fier pour se laisser chouchouter comme un chien infirme par son frère bipède. On se souvient qu'à une époque, ce don de communication avec les animaux a sauvé la vie de l'empoisonneur, mais elle peut à présent lui coûter sa tête ; car il semblerait qu'à Castelcerf, tout le monde soit très remonté contre les "vifiers". Les dénonciations vont bon train, et le prince Devoir lui-même est soupçonné d'être trop proche de sa chatte de chasse (oui oui...). Raison de plus pour ne pas quitter sa campagne... Et pourtant... 

Fitz fait un peu son Bilbon, à plus vouloir sortir de chez lui...
Mais sa cabane a l'air moins classe qu'un trou de Hobbit.


Fitz, ce tombeur 

Si Umbre ne parvient pas tout à fait à convaincre Fitz de partir sur le champ, un autre revenant de l'Assassin Royal va presque y parvenir : le Fou. C'est à travers ce fascinant personnage aux multiples casquettes qu'on se rend compte qu'il vaut mieux avoir lu les Aventuriers de la Mer avant d'attaquer Le Prophète Blanc. L'idéal serait aussi d'avoir bien en tête le premier cycle, également... ce qui n'est pas mon cas. Heureusement, de nombreux rappels sont faits dans ce tome 7... ou malheureusement pour ceux qui enchaînent les tomes 6 et 7, car ce doit être un peu lourd pour ces lecteurs-là. Sans vouloir trop en dévoiler, sachez seulement que le Fou va ici sortir l'artillerie lourde pour se dissimuler aux yeux de ses semblables afin d'apparaître sous le nom du précieux et exigeant Sire Doré. L'énergumène est toujours autant épris (éprise ?) de Fitz bien que celui-ci ne semble toujours pas mesurer la profondeur de ses sentiments, bête comme il est. Ouais, l'excuse de la jeunesse ne passe plus à présent ! 


J'ai piqué cette illustration sur le Tumblr de Camille Talon.
Allez y faire un tourc'est trop beau ! 


J'y vais, j'y vais pas

Le Bâtard au Vif est plus que jamais agaçant ; pendant 200 pages, on le voit se torturer l'esprit tout en rangeant sa cabane, toujours plus indécis. Sur le choix à faire, puis sur la date du départ. Comment dire, après avoir été habitués à des aventures toujours plus périlleuses et à de l'action sans relâche, le lecteur pourrait bien trouver ce début de cycle un peu longuet. On a parfois eu l'impression que Robin Hobb a écrit, écrit, mis en scène des visites et de nouveaux personnages en se disant qu'à force de dialogues et de digressions, une idée de suite finirait bien par arriver au bout de sa plume. Mais bon, Fitz, c'est un peu un ami de la famille, et on sait que quand il va s'y mettre, tout va s'accélérer et on sera bien contents d'avoir gardé des forces jusque là ! Alors on lui pardonne, tout comme on accepte que sa créatrice laisse entrevoir, à l'issue de ce volume, des perspectives moins alléchantes que dans ses précédents ouvrages... Ca reste génial, et ça se lit toujours aussi vite ! 

Robin Hobb. L'Assassin Royal 7. "Le prophète blanc". 2001, parution française en 2003
Présente édition : J'ai Lu, 2007. 412 p. ISBN 978-2-290-33770-7. 8,00€ 
Illustration : Vincent Madras


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