dimanche 3 juillet 2016

L'assassin royal - 8 - La secte maudite - Robin Hobb (2003)


Encore une année scolaire qui se termine, avec, du côté de l'équipe éducative, ce traditionnel chapelet de départs pour cause de "mutation" si caractéristique des établissements du 93... Pourtant, il faut croire que les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas : habituellement, je suis triste et nostalgique avant l'heure de voir partir mes collègues vers d'autres horizons, au point de larmoyer en pensant au vide qu'ils vont laisser derrière eux. Mais ces derniers temps, allez savoir pourquoi ? Est-ce que je m'endurcis ? Est-ce que j'ai fini par comprendre que personne n'était irremplaçable et qu'un très bon prof succédait toujours à son prédécesseur ? Est-ce que je suis contente qu'il y ait de moins en moins d'adultes pour entretenir la mémoire de mes débuts laborieux ?... Parmi tous ceux à qui l'on a souhaité bonne route jeudi soir, il y en avait que j'étais vraiment contente de voir partir, et dont je me suis payée le luxe de ne pas signer la carte. Etre une championne de l'hypocrisie n'empêche pas d'avoir des principes de temps en temps.   

Bizarrement, je me suis sentie frustrée de ne pouvoir partager ma satisfaction avec qui que ce soit dans le collège : ces personnes ont beaucoup donné pour les enfants et ont acquis le respect et la reconnaissance de tous les adultes au fil du temps, ce qui rendrait mon aversion pour eux bien incompréhensible aux yeux des autres, si elle venait à être révélée. Ne pas les pleurer, c'est déjà cracher dans la soupe... Alors, affirmer ouvertement qu'on est content qu'ils s'arrachent revient à se tirer une balle dans le pied. Vous savez, dans un collège ou les enseignants ont en moyenne dix-quinze ans de plus que les élèves, confier le fond de sa pensée à une personne aboutit au même résultat qu'un affichage en règle sur le tableau de la salle des profs...   

Dans ces moments-là, j'avoue qu'il ferait bon avoir un loup comme celui de FitzChevalerie, une bête pleine de sagesse et toujours à l'écoute, avec qui je pourrais partager mes impressions sans me risquer à parler...      


Ahah, transition de ouf !! 

Où est-ce qu'on en était ?  

Sous le ciel des Six-Duchés, avoir le Vif n'a jamais été bien vu ; Fitz en sait quelque chose. Dans son enfance déjà, il avait appris à ses dépens que son don inné de se connecter avec des animaux pouvait le reléguer au rang de paria et causer sa mort. Plus tard, il avait rencontré un groupe d'hommes et de femmes semblables à lui, et il avait appris grâce à eux à gérer sa relation fusionnelle avec Oeil-de-Nuit. A présent, sa nouvelle mission royale le replonge dans les travers d'une société qu'il n'avait pas quitté sur un simple coup de tête : il doit ramener au bercail le prince Devoir qui s'est enfui de Castelcerf pour d'obscures raisons. Il semblerait que le fils de Kettricken et de Vérité soit lui aussi un "vifier", et qu'il n'en ressente aucune honte ; or, son statut ne le préservera pas de la torture et de l'exécution si ces soupçons viennent à se confirmer. Raison de plus pour remettre la main dessus au plus vite. Sous leurs faux nom de "Tom Blaireau" et de "Sire Doré", Fitz et le Fou suivent la trace du jeune homme...  


La secte du Vif 

Le tome 8 de L'Assassin royal s'intitule "La secte maudite" ; or, par chez nous, qui dit secte dit...


...Témoins de Jéhovah, alias ces gens qui toquent à ta porte en lisant la Bible pour t'extorquer des sous ;
et qui, de surcroît, refusent de se faire vacciner ! 
On ne voit pas bien le rapport, me direz-vous, alors je vous explique. Dans cette ambiance tendue pour eux, quelques vifiers du peuple se regroupent et dénoncent les nobles atteints de la même "tare" qu'eux afin de les faire chanter et de se faire entendre : pourquoi les paysans seraient-ils exécutés et brûlés pour sur simple dénonciation d'usage du Vif alors que, lorsque la même magie touche le haut du panier, on se contente de la dissimuler bien comme il faut ? Prenant pour emblème le Prince Pie, un Loinvoyant exclu et tué pour avoir utilisé le Vif à mauvais escient, ce groupuscule utilise le chat de Devoir pour l'attirer dans un traquenard et le prendre en otage...


Loup enragé  

Evidemment, le fils de Vérité, du haut de ses quinze bananes, n'y a vu que du feu. A la veille de ses fiançailles arrangées avec une gamine des îles d'Outre-Mer, l'adolescent se laisse prendre au jeu d'une passion dévorante pour une femme mûre qu'il n'a jamais rencontrée, mais qui communique avec lui par le biais de sa compagne de Vif : la marguette qui lui a été offerte par la famille Brésinga de Myrteville... chez qui séjournent Fitz, le Fou et Laurier, la grand-veneuse de Kettricken. C'est grâce à ce passage à Myrteville, à la relation d'Art qui se développe entre Fitz et Devoir, et surtout au dévouement du loup Oeil-de-Nuit que la fine équipe met assez rapidement la main sur le prince en fuite, au grand dam de ce dernier. Convaincu que sa belle l'attend, il refusera d'abord d'entendre les désagréables révélations de Fitz, agacé, ne mâchera pas ses mots : il n'y a pas de bonne femme au bout du chemin, seulement une joyeuse troupe de Fidèles du Prince Pie.    

En effet, le héros n'a pas gagné en patience avec l'âge... Par deux fois dans ce roman, on le voit saisi d'une rage incontrôlable qu'on lui connaît peu, doublée d'une intention de tuer qui ne sera déboutée qu'in extremis... De plus, et pour la première fois depuis le début de la série, le Fou et Oeil de Nuit reconnaissent avoir eu peur que la situation ne leur échappe, et se sont effrayés que le Bâtard au Vif soit pris d'une telle soif de sang. Bizarrement, j'ai beaucoup aimé ces moments de perte de contrôle et de vivacité meurtrière, presque bestiale, et pourtant si différente de la sagesse de son brave loup : ils ont su redonner de la consistance à ce personnage qui a tout juste passé la trentaine mais qui ne cesse de se prendre pour un vieillard moche engagé sur une pente descendante.



Vieillissement, mort et autres réjouissances 

Si, dans le volume précédent, on avait fait la fine bouche en se plaignant du trop peu d'action et du grand nombre de gros plans sur Fitz en train de se couper du fromage ou de faire infuser sa tisane, tout cela est aujourd'hui bien loin. "La secte maudite" nous emmène partout, du domaine de Myrteville à la forêt, dans une caverne puis en ville, en passant par la fameuse île des Autres qui ouvre la série des Aventuriers de la Mer. Fitz y trouvera d'ailleurs des plumes de bois... peut-être celles qui s'adaptent à la couronne trouvée par Ambre dans "Les marches du trône" ? Partout, oui, mais en traînant la patte, tout de même. Oeil-de-Nuit est usé jusqu'à la corde, et, comme on pouvait s'y attendre, l'inévitable se produit. L'assassin royal se retrouve seul de nouveau, en tête à tête avec une peine qu'il ne peut partager avec personne, et qu'on lui laisse : à force de voir le loup souffrir, baver de fatigue, grincer des articulations depuis cinq cent pages, le lecteur vit presque la mort de l'animal comme une délivrance... Devoir perd lui aussi sa compagne de Vif : possédée par l'âme d'une femme qui refusait de mourir, l'enveloppe de la marguette s'était consumée à grande vitesse.

L'acceptation de la disparition de l'autre sera laborieuse pour les deux autres, qui apprennent au fil du temps à se connaître. Un peu naïf et empoté sur les bords, le jeune Devoir finit par comprendre que Tom Blaireau n'est pas seulement le serviteur bourru de Sire Doré, mais ne parvient pas à mettre le doigt sur son identité réelle. Troublé par la soudaine curiosité du fils de Kettricken, Fitz se fait violence pour le laisser dans le flou ; moins il en saura, mieux ce sera pour tout le monde...

Comme d'habitude, un livre parfait pour tous les amis des animaux, les amateurs de bastons dans la forêt et de tempêtes dans les cerveaux !

Robin Hobb. L'Assassin Royal 8. "La secte maudite". 2001, parution française en 2003
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2004. 450 p. ISBN 2-7441-6893-9
Illustration : Stephen Youll 









   
      

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