lundi 1 août 2016

L'assassin royal - 10 - Serments et deuils - Robin Hobb (2003)


D'un jour à l'autre, on se révèle plus ou moins bien inspirés lors de nos prises de décisions, d'initiatives ou de paroles : ce n'est pas FitzChevalerie qui nous dira le contraire. La lecture du dixième tome de l'Assassin Royal, "Serments et deuils" ne manquera pas de nous rappeler, à plusieurs reprises, à quel point il est frustrant de ne pouvoir remonter le temps pour gommer un acte commis dans la précipitation ou une parole maladroite. Depuis le début de la série, c'est sans doute cette partie de l'épopée des Loinvoyant qui met le plus à mal l'affect de la fine fleur de Castelcerf : confinés en attendant l'arrivée du printemps et le départ du Prince Devoir pour sa quête insensée du dragon Glasfeu, la reine Kettricken, Umbre, Astérie et les autres font tourner en bourrique le "Bâtard au Vif", qui ne sait plus où donner de la tête ! Entre conflits d'intérêt, souci du peuple, desseins personnels et loyauté envers la famille royale, il n'est pas besoin de braver la montagne ou la forêt pour tourmenter son âme : rester dans l'enceinte du château suffit. Rien de tel qu'on bon huis clos bien malsain pour faire resurgir et mijoter les vieilles rancoeurs...    




Où est-ce qu'on en était ? 


Les Secrets de Castelcerf s'était achevé sur le défi lancé au prince Devoir par sa fiancée Outrîlienne Elliania de se rendre sur l'île d'Aslevjal au printemps suivant pour y couper la tête du légendaire dragon Glasfeu. En attendant que les beaux jours reviennent, Fitz a de quoi occuper son hiver _car oui, il fera évidemment partie de l'expédition_ : dénicher les vifiers espions présents à la cour, en finir avec Laudevin et les autres Pie, remettre son fils sur le droit chemin, constituer et surtout former le clan d'Art du prince !

Ce programme déjà chargé sera plombé d'une série d'embûches plus ou moins prévisibles ; Fitz a perdu la moitié de son acuité sensorielle en même temps que son compagnon de Vif, ce qui le met en difficulté. De plus, il va être une fois de plus victime d'un de ses violents accès de colère et tuera trois ennemis d'un coup, manquant d'y laisser sa peau par la même occasion. Mais on se souvient que l'assassin royal est déjà ressuscité deux fois par le passé, et comme on le dit souvent : jamais deux sans trois !

D'artiseur imparfait, l'homme-lige des Loinvoyant va devenir contre son gré professeur et chef d'orchestre d'un clan d'Art bancal composé du prince, d'un serviteur handicapé mental et d'Umbre. Heur ne s'assagit pas, bien au contraire ! Sa relation avec la jeune Svanja lui donne des ailes et il est tenté de s'envoler loin de ses motivations premières, à savoir l'apprentissage du métier d'ébéniste.


ATTENTION ! Les prochains paragraphes donnent des informations sur la suite de la série !! 
     



Révélation, Hésitation, Fascination, Acceptation : le tome de toutes les différences 

"Ca va parler de nous ??"
Euh non non, c'est juste pour la blague ! 
"Ok, bah on repart, hein !!"

A plusieurs reprises, j'ai regretté que Robin Hobb fasse le choix de prêter à ses personnages principaux des attitudes particulièrement bienveillantes et des propos trop bien pensants ; mais ce n'est pas le cas ici. Fitz est confronté à deux situations où son ouverture d'esprit est sollicitée, et à deux reprises, c'est un fiasco _il essaiera de redresser le tir, hein ! c'est quand même un gentil_ : la déclaration d'amour du fou, qu'il repoussera sans ménagement et sans cacher son dégoût à se savoir aimé d'un gars (à supposer que c'en soit un), et l'inclusion de Lourd, un serviteur déficient mental, dans le clan d'Art qu'il est censé former autour du Prince Devoir. L'assassin royal se déroule dans un univers médiéval où il eût été difficile d'imaginer des types gay friendly et soucieux d'intégrer à la cour les personnes porteuses de handicap. On ne s'étonnera pas que Fitz essuie des remarques homophobes et que Lourd se fasse racketter par ses pairs dans l'enceinte-même du château. Or la phase d'acceptation viendra contre toute attente, et c'est pourquoi les livres de Robin Hobb savent nous redonner la patate en quelques lignes ; Devoir et Fitz s'adapteront progressivement à leur compagnon artiseur et le prendront rapidement sous leur aile pour améliorer ses piètres conditions de vie.

Les leçons d'Art racontées par l'auteur seront l'occasion de peindre des portraits psychologiques profonds des personnages sans que cela nous paraisse fastidieux ; en particulier celui d'Umbre Tombétoile, l'ancien mentor de Fitz que l'on suit depuis les tout premiers chapitres de la saga mais que l'on découvre ici sous ses aspects les plus noirs : ambitieux et avide de pouvoir, refusant de vieillir, compétiteur, calculateur, capable de vendre père et mère pour arriver à ses fins. On savait depuis toujours qu'il n'avait aucun scrupule à mener son apprenti assassin pour "la bonne cause", mais dans Serments et deuils, il devient carrément antipathique. 

Contrairement à la reine Kettricken qu'il conseille _mais dont il jalouse de plus en plus le trône, l'empoisonneur semble avoir beaucoup de mal à masquer son mépris des vifiers, également nommés membres du "Lignage". Faire venir à la cour des sujets porteurs de cette "magie" lui paraît saugrenu et dangereux ; il est vrai que, dans cet univers cruel où un homme est acclamé en héros parce qu'il a tué trois hommes pour une "bonne raison", la souveraine donne l'impression de sortir tout droit du monde des Bisounours. Son discours politique est une suite de mesures totalement désintéressées, plus symboliques de tolérance et d'égalité les unes que les autres ! Encore une fois, on fait fi des différences et on apprend à vivre ensemble ! Youhou, deux ou trois licornes pailletées et le tableau sera parfait !



Je ne sais pas si les lecteurs de L'Assassin royal auront un avis unanime à ce sujet _et si ce n'est pas le cas, tant mieux ! mais la conversation houleuse entre Fitz et le Fou est à mon sens la plus émouvante sur les dix premiers tomes. D'une part, parce que le Bâtard au Vif avoue qu'il perd pied en comprenant qu'il ne connaîtra jamais à cent pour cent son seul véritable ami, et d'autre part parce que la déclaration d'amour du Fou est à la fois sobre et déchirante de désespoir.

"Nous aurions pu vivre toute notre existence sans avoir cette conversation. Tu viens de nous condamner à ne jamais l'oublier" 

  
Malgré la stagnation des aventuriers à Castelcerf, la tension ne se relâche pas et les épées sortent des fourreaux sans se faire prier quand c'est nécessaire. Les différentes formes de magie se téléscopent jusque dans les rêves de Fitz et de sa fille Ortie. Il ne manque plus que les dragons ! Mais ça, c'est pour le prochain épisode... A suivre mais sans se précipiter, car il ne reste plus que trois volumes à lire avant la fin... 





Robin Hobb. L'Assassin Royal 10. "Serments et deuils". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions J'ai Lu, Coll. "Fantasy", 2014. 412 p. ISBN 978-2-290-34439-2
Illustration : Vincent Madras

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