lundi 21 décembre 2015

Ca se passe dans le 93 : Les chemins de Yélimané - Bertrand Solet (1995)


Puisqu'on s'est quittés sur un livre à couverture jaune, continuons sur notre lancée avec Les chemins de Yélimané, un roman fantastique pour enfants et adolescents écrit par Bertrand Solet.





Vacances au bled 
Yaté ne connaît pas grand chose du Mali ; pour lui, qui vit en Seine-Saint-Denis avec sa famille, son pays d'origine est avant tout un lieu de vacances. Il est très content d'y aller pendant l'été, au même titre qu'il est fier de ses parents qui ont su migrer en France quelques années plus tôt pour assurer la survie de Yélimané, sa région natale. Or l'histoire de ses ancêtres ne le passionne pas spécialement ; à vrai dire, ce qui perturbe le collégien de Montreuil ces derniers temps, c'est l'attitude surprenante de sa copine Carole. Alors qu'ils étaient jusqu'à présent inséparables, on dirait maintenant qu'elle cherche à l'éviter... et malheureusement, la sale impression se confirme vite. Après une rapide entrevue, Yaté comprend vaguement que la froideur soudaine de la jeune fille a un rapport avec sa couleur de peau et son statut d'immigré, mais... il n'en saura pas plus, car l'heure du départ annuel pour le Mali est proche ! Pris dans l'effervescence du voyage, il garde sa rancoeur et sa jalousie bien tapie dans un coin de sa tête : pas le temps de se morfondre et d'en vouloir à Michel, ce copain de classe _blanc, lui, comme par hasard ! qui tourne autour de Carole.

Bon, le soleil est là mais le coeur n'y est pas, même si le petit Malien s'en défend. Une nuit, Yaté est réveillé par un coup de tonnerre ; foutu pour foutu, il se lève et va faire un tour, et assiste, très impressionné, au foudroiement du vieux baobab. De l'arbre sacré sortent bientôt un couple de griots malicieux, Sita et le Guésséré, venus tout droit du passé pour lui faire connaître ses origines. Le vacancier n'aura pas le loisir de se demander s'il rêve ou pas, s'il veut savoir ou pas : le voilà téléporté "un peu après l'an 1000", au temps où l'empire du Wagadou prospérait...


L'histoire du Mali revisitée
Pour quelqu'un qui, comme moi, ne sais quasiment rien du continent africain, ce roman classé "à partir de 10 ans" est une excellente introduction à l'histoire du Mali. L'action se déploie sur trois strates temporelles : d'abord aux alentours des années 2000, "présent" du héros, puis au XI°siècle, temps de l'empire du Ghana, et enfin à la fin du XIX°siècle, pendant la conquête française.

Le lieu, par contre, reste le même : le "cercle" (comprendre : le groupement de villages) de Yélimané ; Yaté n'en admirera que mieux les transformations du paysage au cours des siècles, les villages devenant tour à tour champs de bataille, puis lieux de vie et de passage. Deux incursions spatio-temporelles _dont l'une, très mouvementée, au Monoprix de Montreuil feront exception à la règle.

Les temps changent, les empires s'effondrent, les pays naissent, les colons débarquent, et, par conséquent, les mouches changent d'âne. Yaté, confortablement installé sur son dromadaire, protégé par son statut de "neveu de l'Empereur de Wagadou" dans la première partie de ses aventures fantastiques, va devoir apprendre à se cacher de ses ennemis politiques, une fois catapulté en 1890.. Il accumulera assez d'émotions pour avoir l'histoire de son pays fichée à vie dans ses tripes !  

Bertrand Solet a eu la bonne idée de clore l'ouvrage par un chapitre récapitulant brièvement _et très clairement_ l'histoire du Mali, depuis l'époque faste de l'Empire du Ghana jusqu'aux flux migratoires du XX°siècle.


Quête d'identité, quête de la fille parfaite
Balancé contre sa volonté dans un passé qu'il n'a pas très envie de connaître, Yaté ne sait pas ce qui est attendu de lui ; a priori, le griot tient absolument à susciter son intérêt pour ses racines, mais ses paroles sont trop énigmatiques pour qu'il puisse en déduire quoi que ce soit. Alors il se laisse porter et suite le mouvement, jusqu'à ce qu'il rencontre LE catalyseur universel, le meilleur qui puisse exister : LA fille, celle pour qui on ferait tout. Ici, elle s'appelle Yasminha. Elle est esclave et se fait rudoyer par un chamelier plus grand et plus fort que Yaté. Mais comme chacun sait, la taille n'est rien, du moins lui n'en a rien à battre : alors il se fera son protecteur, il la sauvera de tout. De son statut de servante sans valeur ; du vice de son tortionnaire ; de la mort, même. Tel Lancelot montant dans la charrette de l'infamie pour Guenièvre, Yaté ira jusqu'à commettre un vol pour sauver sa nouvelle bien aimée. Carole ? Qui c'est, ça ?

Du coup, la mission qu'il se donne le pousse à prendre le contrôle de ses actes et de sa vie ; il ne se contente plus de suivre le convoi du marchand Moktar à dos de chameau en matant la jeune esclave. Il réfléchit, agit, apprend à demander de l'aide, et à ne plus se poser de questions. Voilà, me semble-t-il, la vraie quête d'identité du héros, plus encore que l'apprentissage de ses origines _qu'il aurait le droit de ne pas vouloir connaître, après tout.

Les chemins de Yélimané est une histoire qui m'a d'abord perturbée, de ce point de vue-là. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait à tout prix que Yaté vive le Mali de l'intérieur, ait absolument envie de se revendiquer soninke et soit le partisan de la réunification de ses semblables, aujourd'hui "tous dispersés" selon le griot. Quant à la fille couleur locale qui parvient à lui faire oublier sa pâlotte (dans tous les sens du terme) amourette du 93... c'était le bouquet ! Ce n'est qu'à la fin du roman que j'ai compris le propos de l'auteur : mettre le doigt sur une possible coopération active entre des communes françaises et des cercles africains pour favoriser la communication entre les populations, les échanges culturels, et sensibiliser tout le monde aux vraies raison de l'immigration d'une famille. Il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire en lisant de travers, de pousser le jeune lecteur à prendre un aller simple pour le pays de ses ancêtres !

Comme toute oeuvre fantastique qui se respecte, on n'aura pas toutes les réponses aux questions que Yaté se pose lors de son voyage dans les couloirs du temps ; le vieux baobab restera le seul à connaître le fin mot de l'histoire. Les chemins de Yélimané vaut le détour, vraiment. S'il s'adresse aux 10 - 14 ans en priorité, dites vous bien qu'il ne fera pas rêver que les plus jeunes...

désolée, ça faisait longtemps que j'avais pas fait une blague à la con.

SOLET, Bertrand. Les chemins de Yélimané. Hachette Jeunesse, 2004. Coll. Fantastique. 190 p. ISBN 2-01-322218-1
 

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